Le désir chez Freud, entre «Sehnsucht » et « angoisse »

LE COAT-KREISSIG Patricia
Date publication : 25/03/2022

 

Le désir chez Freud, entre «Sehnsucht » et « angoisse »

 

Traduire n’est pas trahir. Traduire, c’est oser le pas d’une langue à une autre, tenter le remplacement d’un signifiant par un autre dans une autre langue. C’est aussi construire une chaîne signifiante et un tissu signifiant qui laissent entendre ce qui coule dans les dessous des discours, les effets.

Traduire est certainement impossible. Un quatrième impossible auquel Freud n’avait pas pensé.

Nos discours évoluent avec le temps. Nos mots changent, notre vocabulaire varie.

Il en va donc de soi qu’une traduction, qui est toujours un travail dans l’après-coup de l’écriture originale, pose la question d’une éventuelle adaptation à l’espace culturel en cours.

Ceci afin que le texte puisse continuer à alimenter nos travaux en cours.

En ce qui concerne les textes de Freud, l’œuvre que Lacan a su constituer à partir de ces textes nous apporte aujourd’hui une lumière précieuse. Comment ne pas s’en servir ? La psychanalyse n’est plus une aventure solitaire et novatrice. Elle a fait ses preuves.

Proposer une traduction des textes freudiens en appui sur les avancées lacaniennes et fidèle au texte de Freud, une gageure.

Je souhaite partager avec vous un court extrait de

 « Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans », du « cas du petit Hans » :

Diese, verdrängter erotischer Sehnsucht entsprechende Angst ist zunächst wie jede Kinderangst objektlos, noch Angst und nicht Furcht.

Je vous propose d‘entendre :

Cette angoisse, qui correspond à un désir (érotique) refoulé est avant tout telle toute angoisse infantile, sans objet, encore angoisse et pas encore peur.

Un peu plus loin, Freud reprend

Die Angst entspricht also verdrängter Sehnsucht, aber sie ist nicht dasselbe wie die Sehnsucht; die Verdrängung steht auch für etwas. Die Sehnsucht läßt sich voll in Befriedigung verwandeln, wenn man ihr das ersehnte Objekt zuführt; bei der Angst nützt diese Therapie nichts mehr, sie bleibt, auch wenn die Sehnsucht befriedigt sein könnte, sie ist nicht mehr voll in Libido zurückzuverwandeln ; die Libido wird durch irgendetwas in der Verdrängung zurückgehalten.

 

Je le traduis par :

L’angoisse correspond donc à un sir refoulé mais  n’est identique à ce désir ; le refoulement y est aussi pour quelque chose. Le désir se laisse totalement transformer en satisfaction pour peu qu’on lui  apporte l’objet désiré ; dans l’angoisse cette thérapie ne sert plus à rien, elle persiste, quand bien-même le désir serait satisfait, elle n’est plus re-transformable totalement en libido ; la libido est retenue par quelque chose dans le refoulement.

Il semblerait donc que Freud se rendait compte que l’angoisse ne ment pas, qu’elle ne trompe pas comme nous le traduit également Lacan. Un représentant imaginaire du désir, un désir conscient brouille la piste qui permettrait de passer de l’angoisse au désir inconscient. Ce désir conscient réclamerait une satisfaction par l’intermédiaire d’objets échangeables et variables ; satisfaction pourtant jamais définitivement atteinte.  Mais l’angoisse ne cède face à aucun de ces objets. Elle persiste et tant qu’elle persiste elle bloque l’accès à une vie sexuelle réussie et empêche l’accès au désir premier, inconscient.

Dans la traduction de Marie Bonaparte et Löwenstein, « Sehnsucht » est  traduit par « aspiration ». Un mouvement contraire à celui du désir, qui pourrait induire l’idée d’une jouissance, voire d’une jouissance Autre.

Dans le signifiant « Sehnsucht » il y a la « Sucht », traduit par : « l’addiction » ou « la recherche ».

Rien ne peut clore le manque. Le mot « Sehn-», du verbe « sich sehnen nach » : tendre vers … se pencher vers quelque chose qui manque, pourrait être entendu tel un objet manquant qui est à l’origine d’un mouvement qui sans cesse fait tendre le sujet vers la recherche d’un objet inconnu de lui-même et dont il ne perçoit que le reflet sous des formes variées et échangeables.

Toujours dans la même traduction (dans les éditions PUF) le mot désir apparaît à la page 119 « Hans confessa encore quelque désir de faire une chose défendue » Le mot allemand d’origine est ici : « Gelüste » : Désir dans le sens d’envie sexuelle, peut-être même « fantasme ».

Je vous adresse ces quelques lignes concernant ma proposition de lire Freud et son approche de la question du désir. Certes, la difficulté de toute traduction réside dans le respect d’un entre-deux, de l’espace qui, dans deux langues d’origines différentes, ne situe pas la respiration du texte aux mêmes niveaux.

Patricia Le Coat Kreissig

Relecture critique : Jean-Pierre Rossfelder

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