Un homme dans le miroir
Une toute spéciale méconnaissance de la réalité d’autrui
Bonjour !
Juste pour la clarté de mon propos, comme mes collègues, je fais référence au texte Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, Un nouveau sophisme de Jacques Lacan, texte de 1945 qui se trouve dans les Écrits des Éditions du Seuil, 1966, page 197. Je prends pour acquis les deux parties du texte nommé Un problème de logique, le sophisme sur les trois prisonniers, et le texte nommé La solution parfaite, que je ne vais pas renommer ou résumer. Voir Annexe I
De s’étonner d’une toute spéciale méconnaissance
C’est la réactivité d’une personne qui m’a étonné. Cette personne nomme parfaitement la solution du nouveau sophisme de Lacan ; ce qui a attiré mon attention. A priori nous réfléchissons à la solution de ce sophisme, et à l’explication valable, en vain, habituellement, puisque c’est l’essence même du sophisme, c’est que c’est un récit rhétorique, hors réalité (selon les références, comme vous les avez déjà entendu hier, en référence à Barbara Cassin[1], à Jacques Lacan et à Eric Porge). Et pourtant cet homme ayant répondu avec conviction très rapidement : « Blanc ! », m’amenait à m’interroger sur quel fait clinique lui était caractéristique.
Je cite juste ; en vingt minutes, je n’apporte qu’une partie de ma recherche ; Lacan, page 199 dans les Écrits[2] à propos du sophisme et la solution, dit : « Cette solution, qui se présente comme la plus parfaite que puisse comporter le problème, peut-elle être, atteinte à l’expérience ? Nous laissons à l’initiative de chacun le soin d’en décider. […] Peut-être s’avérera-t-elle pour le psychologue de quelque valeur scientifique, du moins si nous faisons foi à ce qui nous a paru s’en dégager, pour l’avoir essayé sur divers groupes convenablement choisis d’intellectuels qualifiés, d’une toute spéciale méconnaissance, chez ces sujets, de la réalité d’autrui. » Voir l’annexe II. Une toute spéciale méconnaissance de la réalité d’autrui est ce que je vous fais remarquer.
Discussion clinique d’une dépersonnalisation et trouble de l’identité
Cet homme m’avait fait part d’un mal-être en se regardant dans le miroir. Il ne se reconnaît pas, il ne reconnaît pas l’homme qu’il voit dans son miroir. Il dit : « Je ne comprends pas que c’est moi. » « Ce que je vois, n’est pas ce que je ressens. » Il faut l’entendre littéralement. Je vais le développer.
Ce qu’il y a de plus spécifique encore, pour cet homme, apparaît en se miroitant avec une autre personne à ses côtés. Quand il est à côté d’une personne, il ne peut passer, dans le même plan du miroir, de son propre reflet au reflet à l’autre. Son regard doit quitter le plan du miroir, avant de pouvoir, à nouveau, voir le reflet de l’autre personne dans le miroir à côté de lui. C’est un impossible entre les deux reflets dans le même plan, dont il n’en dit pas plus. Il exprime un mal-être, il n’a pas le souhait de l’expliquer, il fuit, plutôt. Ainsi semble s’exprimer, telle quelle, la chose, de ce qui ne va pas, que ça ne va pas, de façon énigmatique et d’un ressenti pesant. Il ne fait pas de lien entre ceci et autre chose possiblement similaire et antérieure. Il parle seulement d’une autre scène, devant le miroir, adolescent, où il s’est vu en entier, dit-il. Monté sur un tabouret, il a pu voir tout son corps, dans le miroir, se sentant entier ayant l’expérience d’une de ses premières éjaculations. C’est un moment unique où jouissance et le corps vu dans le reflet est un tout ressenti. « Là, ça été. Une fois. » C’est lui, qui le souligne.
Ce que je vous apporte, je vous l’apporte pour le discuter avec vous. Les paroles que j’ai repérées, les dires de cette personne, orientent, ou peut orienter, une clinique et ainsi une cure. Je ne vous fais pas part de ce qui était sa demande initiale, puisque je ne vais pas, aujourd’hui, approfondir ce cas comme un cas. C’est le fait, de sa réponse au sophisme, que je mets en exergue. Je vais seulement cerner les moments, les dires, de cette personne, qui explicite une méconnaissance de la réalité d’autrui. C’est ce que Lacan dit ainsi, qui me semble utile pour orienter ce cas. Ce que dit Lacan me pose pourtant question, et je ne suis pas sûre de saisir son propos en son sens. Je propose pourtant une méconnaissance, pour l’instant. C’est ainsi pas un trait du cas exhaustif, je ne pose pas un diagnostic, à vous de le faire, si vous le voulez. Aussi parce que le diagnostic n’est pas une conclusion, cela n’est qu’une orientation à partir de laquelle il est possible de poser la question : qu’est-ce qu’on en fait ?
Juste pour le contexte, c’est un cas dont j’ai été invité à l’approfondir par Charles Melman et Marc Darmon il y a plusieurs années. Il me manquait une éthique, un Réel. Voici, avec ce séminaire sur le sophisme de Lacan, c’est l’expérience de cette réponse rapide, qui est alors d’actualité, et qui peut corréler identification et reconnaissance avec ce qu’est un trouble. Ainsi, ce que dit Jacques Lacan avec ce nouveau sophisme peut être orienté en fonction de ce cas, comme une question et une réponse possible.
Cette méconnaissance de la réalité d’autrui ; le fait de différencier ce qui est d’identifier ou de reconnaître, et ce qui justement est le fait de ne pas pouvoir identifier, ou ne pas pouvoir reconnaître ; est-ce alors un reniement, est-ce conscient ou inconscient, est-ce une négation, un déni ou une forclusion comme Lacan en parle ? Je vais y revenir.
Dans ma recherche, surtout jadis, j’ai parcouru plusieurs cas cliniques et les différentes théories qui peuvent orienter ce cas. Le domaine est vaste et mon propos aujourd’hui se limite au débat de la méconnaissance.
En référence, il y a l’ouvrage de Stéphane Tiebierge, Pathologies psychiatriques de l’image du corps[3], ouvrage qui parcourt un grand spectre, comme l’identification, la cénesthésie[4] et l’affectivité. Lacan nous le rappelle souvent qu’il s’agit d’affects. Il y a les références à Clérambault. Il y a l’intuition morbide et ce qui relève de l’imagination. Ils sont importants pour approcher de quelle méconnaissance il s’agit pour ce cas. Dans l’ouvrage de Stéphane Thiebierge, il y a une claire différenciation entre un diagnostic et ce qu’est alors le fait de nommer le cas et ainsi les conséquences de ce qui devient inhérent à une cure. Dans son autre ouvrage Clinique de l’identité, de Stéphane Thiebierge[5], sur la reconnaissance ou la méconnaissance, il y a les sosies, l’illusion ou le syndrome de Fregoli et d’autres références théoriques. Ces repères ne relèvent pas de ce qui est en jeu pour cet homme.
Dans Les Paranoïas de Charles Melman, (18 novembre 1999, Éditions de l’ALI, Paris, 2003, page 41) Stéphane Thiebierge dit : « [Lacan] appelle ça « connaissance paranoïaque » dans la mesure où la consistance de ce moi ne s’assure que dans la mesure où elle va donner la forme de la consistance de tout objet repérable pour la conscience. Et donc dès lors, à partir du moment où ce moi prend consistance, le sujet est condamné à littéralement ne plus pouvoir connaître sa perception. Cette aperception lui est donnée d’emblée […]. »
Ceci, semble bien correspondre à cette personne, à ce cas, à ce qu’est son aperçu, pour le dire comme ça.
Le Manuel de psychiatrie d’Henry Ey respecte la théorie de Freud et aussi celle de Lacan. Je cite cette façon de résumer Lacan à propos du miroir (Éditions Masson, 5ème édition, Paris, 1978, pages 16-17) : « Pour lui, le stade du miroir [vers le 6ème mois] fournit avec l’image spéculaire de soi et d’autrui la clé de l’identification affective ». Je remarque ici que le stade du miroir […] fournit […] la clé de l’identification affective. Henry Ey décrit, à propos Le signe du miroir et les états préschizophréniques (page 92 et en suite page 579) : « […] une sexualité impuissante à se fixer sur aucun objet autre qu’imaginaire. » C’est le texte Le signe du miroir dans les psychoses et plus spécialement dans la démence précoce d’Abély, de 1930, Abély et Delmas et leurs recherches. La personne, dont je fais référence, n’est pas attirée par un signe dans le miroir. Ce n’est alors pas une schizophrénie, mais plutôt le fait : d’une sexualité impuissante à se fixer sur aucun objet autre qu’imaginaire, qui semble vrai. C’est-à-dire que la réalité du désir de l’autre, une forme de Réel, n’y est pas. Ainsi nous avons pour l’instant l’affect et l’imaginaire. Ceci peut être amené à être saisi comme un délire d’interprétation. Je vais y revenir. Je ne vous apporterai pas plus sur la sexualité de cette personne, sauf par quelques remarques. Et ceci est au vu, comme déjà dit, de mon choix de limiter mon approche au champ d’investigation du nouveau sophisme de Lacan. C’est-à-dire la question porte sur ce quelque chose, conscient ou inconscient, qu’il est difficile à nommer dans une situation donnée, comme dans cette scène des prisonniers. Je vais essayer de le cerner.
Le stade du miroir et l’assertion anticipative
À partir du texte Le stade du miroir[6] de Lacan, c’est l’Innenvelt et l’Umwelt, les références de Freud, que Lacan reprend page 96 dans Écrits, qui orientent la question clinique et l’enjeu de la reconnaissance ou la méconnaissance. C’est-à-dire, comme nous le savons avec Lacan, chez Freud, Le principe de réalité et Le principe de plaisir n’ont pas suffi à élucider ce qui est un fondamental constituant une réalité, puis, un désir, le désir de l’autre. Ce n’est qu’avec un au-delà, un Jenseits, d’un autre côté, nécessaire, que Freud situe ce qui est en jeu au moment de lancer une parole, le « fort-da », comme le fait de dire : « Blanc ! ». Voici, l’être parlant, le parlêtre, ça passe par l’être, vis-à-vis d’un autre, d’un au-delà. C’est la lecture qu’en fait Lacan de Freud.
Il me semble que la question sur une logique du temps où logique est un qualificatif du temps, Le temps logique, nous oriente sur ce qui est un imaginaire de ce temps, et ainsi une logique de cette imaginaire.
Ce qui alors est une certitude d’une assertion anticipée, est-ce alors une parole déjà conçue au vu d’une expérience antérieure, expérience qui porte sur une défense envers l’autre. C’est-à-dire, ce qui est devenu, de ce qui a été ; de ce futur antérieur comme Lacan en parle ; est devenu nécessaire et obligé au vu de l’expérience passée. Une méconnaissance, cela peut être ça. Et si c’est un délire d’interprétation, c’est alors un délire qui maintient un semblant du moi en place. Mais je devance mon propos.
Ce qui pourrait sembler assez banal dans le premier exemple du miroir, semble être une simple désillusion, ou une dépersonnalisation, est-ce alors un trouble de l’identité ? Il y a un réel, un impossible à situer, impossible à symboliser, sauf dans, ou à partir de, ce que cette personne ressent comme vrai pour lui. Et ceci est un vrai vrai, ce n’est pas un mi-dire, mais un dire vrai univoque. Il n’est pas possible d’amener cette personne à développer ce qu’elle veut dire. Ainsi l’imaginaire est le ressenti. Cet imaginaire détermine le ressenti. Un imaginaire du désir de l’objet qui amène une logique des moments, mais pas forcément des temps. L’imaginaire semble ainsi absorber ou annihiler les temps. Est-ce alors le kaïros ? Le temps n’étant qu’imaginaire ne tient pas compte de l’inscription dans une réalité du temps, où ce temps est un entendement avec l’autre sur le temps et le contenu de ce temps.
Philosophie, langage et perceptions du monde
Revenons au sophisme de Lacan pour déplier ce cas. En prenant appui sur le sophisme, le champ de recherche est vaste, parce qu’à la fois philosophique, comme à la fois, inhérent au sophisme, n’étant pas philosophique. Les sophistes en faisaient un commerce, ils vendaient des sophismes. C’est-à-dire, qu’il s’agit de ce que Lacan qualifie de mensonge, le sophisme est un leurre pour tromper l’adversaire avec un raisonnement qui semble vrai, mais qui est faux. C’est dans L’éthique de la psychanalyse. Voir annexe III. Pour le dire de façon psychanalytique, ce champ de recherche est aussi langagier. C’est-à-dire que ce sophisme de Lacan pose aussi la question de quand est-ce l’homme parle et quel est ce hiatus inaugural à toute parole à partir d’un fait, à partir d’une idée. Comment se situent l’endogène et l’exogène ?
Ce que Jacques Lacan, et que Charles Melman, nous apportent, peut orienter ce cas, par ce qu’ils en disent des formes de paranoïa, ou de la paranoïa ordinaire dans la cité. Les ouvrages d’Eric Porge se réfèrent à plusieurs reprises au stade du miroir et à la paranoïa comme champ d’investigations vis-à-vis du sophisme de Lacan.
Dans L’agressivité en psychanalyse dans Écrits, Lacan revient avec plusieurs références sur Le stade du miroir[7], sur la jubilation, notamment. Lacan dit dans ce texte, page 114 : « dans les disruptions dépressives des revers vécus de l’infériorité, engendre-t-il essentiellement les négations mortelles qui le figent dans son formalisme : « Je ne suis rien de ce qui m’arrive. Tu n’es rien de ce qui vaut. » Aussi bien les deux moments, se confondent-ils où le sujet se nie lui-même et où il charge l’autre, et l’on y découvre cette structure paranoïaque du moi qui trouve son analogue dans les négations fondamentales, mises en valeur par Freud dans les trois délires de jalousie, d’érotomanie et d’interprétation. C’est le délire même de la belle âme misanthrope, rejetant sur le monde le désordre qui fait son être. »
Pour ce cas, comme je l’expose, c’est déjà de rejeter l’autre, pas seulement un autre, mais tout autre, c’est-à-dire même son propre reflet ; on pourrait le dire comme ça, par exemple. C’est-à-dire par le fait, que cette personne ne comprend pas lui-même, que c’est son propre reflet, où je mets comprendre en exergue. Il y a un trouble sur la distribution des places, pourrait-on dire, ce qui a son importance dans l’enjeu sophistique de Lacan.
C’est par une période de fatigue, de stress, de tourmente, d’hypocondrie, que le reflet n’est pas le sien. L’image amène, ou confirme, un tel mal-être, une forme de doute, où le Réel prend une ampleur dont il n’arrive pas à orienter ou à organiser sa réalité, Wirklichkeit, selon son propre désir. Je pourrais dire avec Lacan, que ce qui l’embête, cet homme, c’est ce qui lui est de structure. Puis en écrivant mon papier, il m’est venue : il est ce qu’il est, avec cette orthographe, comme Lacan le fait remarquer à plusieurs reprises : e.s.t. et h.a.i.t. Ainsi, il y a quatre possibilités, dont celle-ci : il est ce qu’il hait. Ce n’est que dans la langue française, que ceci est possible.
Son angoisse et aussi son agressivité aboutissent au mieux, des jours meilleurs, à des formes de perversion. Il n’est pas rare que la perversion apaise par son salut d’être une forme de semblant d’être, un investissement du moi semblant, qui fait office d’être, au moins, normal. C’est-à-dire la perversion ordinaire. La version du père. Je fais référence à Lacan et à l’ouvrage de Jean-Pierre Lebrun La perversion ordinaire, 2007. Dans ses défenses par la colère, il en dit ceci, qui semble être un moment de délire d’interprétation, il dit : c’est « de faire de moi quelque chose qui sort de sa bouche[8] ». Il s’agit de la bouche de la partenaire. Il n’y a qu’un ressenti absorbé, ingurgité. Le signifiant venant de l’autre l’identifie, non seulement il n’en veut pas, mais il se trouve dans un tel état de défaite, que sa seule défense, qui se situe au niveau du moi, un moi où il n’y a pas de coupure vis-à-vis de l’autre, l’amène à situer l’affaire comme un enjeu de vie et de mort, de sa vie et de la mort de l’autre, ou plutôt abolition et mort de ce qui n’est pas lui. Parce que ce qui lui vient de l’autre est la vérité. Il n’y a pas de manifestation à partir de son moi. L’objet ressenti est lui. Dans de telles circonstances pour cette personne, il n’y a aucune défense possible autre que le délire. Le délire lui donne consistance. C’est l’autre qui le met dans « cet état pas possible ». Il y a ainsi une méconnaissance de la réalité du désir de l’autre. Le fait de saisir ou de comprendre la situation, la différence des désirs, la différence, ne peut pas être assimilée comme ce qui vaille comme un différend entre personnes.
Dans l’après-coup qu’il s’est emporté, il n’y a pas de lieu de l’autre pour autant. L’autre est le coupable de tout ça. Le désir de l’autre, que l’autre à un désir, ne semble pas pourvoir être obtenu par expérience. Il n’y a pas d’autres du moi. Il n’y a pas d’autres de l’Autre. Il faut l’entendre chez quelqu’un qui semble pourtant apte à s’y plaire dans les relations sociales. Ainsi, ce qui peut en être dit de ses difficultés, dans la cure, pour apaiser et orienter des situations diverses, ces dits sont reçu comme des formules à adapter, son désir n’y est pas, parce qu’il ne comprend pas, il n’y a pas de savoir. Il organise seul son désir, quoi qu’on dise. On entend bien ici ce qu’en dit Lacan, que notre propre parole nous vient de l’autre sous une forme inversée. Quel est alors le rapport avec le sophisme ?
Mon propos est trop long, donc je survole seulement, que ceci semble avoir pour fond un traumatisme vis-à-vis de l’autre ou d’un autre. Cette personne peut parler de surtout deux scènes traumatiques auprès de son père. Les scènes ne sont qu’évoquées que de façon simple, automatique, dans le sens de son vécu, un vécu qui est le sien. Il n’y a pas de différenciation situationnelle possible, pas de possibilité de saisir ce en quoi son père avait agit ainsi ; pas de prise de conscience, avec le temps, qui change le point de vue sur les scènes vécues ou les scènes décrites comme vécues. Seulement une rancune manifeste donnant lieu à un impossible persistant ayant une fonction d’énigme de ce qui ne va pas, de ce en quoi le père était en colère, qui relève de ce qui reste énigmatique et qui porte sur la sexualité. Les scènes sont les preuves. C’est par le fait que cela a eu lieu, que ces moments de trauma, maintenus par leur récit, récités à chaque fois pareillement, presque mot à mot, sont comme des garanties, pas seulement de leur véracité, dite, mais aussi que c’est là raison, telle qu’elle, c’est là où cela s’est fait. C’est la raison du mal-être, c’est l’énigme du mal-être vrai. On pourrait qualifier ceci d’une tentation de symbolisation, qui pourtant n’arrange rien. Le vrai n’est pas un soulagement. L’objet ne tombe pas. Il n’y a pas de sujet divisé amené à se définir pour un temps, qui passe à autre chose, parce que compris. Ce qui est un manque à savoir, ce n’est pas un savoir qui pourrait être su ou compris. De ce manque à savoir, il n’y a pas de futur sauf imaginaire, c’est que c’est innommable ; et qui, dans ses rencontres intimes, on peut l’entendre comme un envers de « ça ne va pas », par ce qui devient alors : « ce n’est pas ça. ». Il n’y arrive pas. La division du sujet ne peut pas avoir lieu, puisqu’il n’y a pas de différenciation des temps. Je vais y revenir.
Nous sommes en plein, là, dans ce que Lacan qualifie de qu’il n’y a rien à comprendre, il me semble. Il n’y a pas à chercher à comprendre, cette personne ne sait pas ce qu’il y a à comprendre, dans le sens de différencier son propre désir, du désir de l’autre.
La personne lambda, il sait qu’il n’y a rien à comprendre, il n’y a rien d’autre que ce qu’il a déjà compris, c’est qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Le Réel a une fonction de pur trou, autant l’éviter, c’est comme ça, il s’agit de s’en accommoder et en même temps de ne pas céder sur son désir. Le sujet est clivé. Bon, je fais du lacanien avec des bottes de sept lieues, ce qui a au moins le mérite d’être métaphorique. Oui, le désir de connaître passe par le savoir, sinon il n’y a pas de désir. Cet homme, aussi, a déjà compris. Il a compris qu’il n’y a que sa façon à lui, qui est vraie ; sinon autant dire qu’il n’est pas, ce qui lui est un impossible. Dans des moments difficiles, ou lors des propos difficiles à saisir dans le sens de leur portée du désir des hommes, le fait de constater avec lui : « c’est comme ça » l’étaye bien. C’est-à-dire c’est de soutenir qu’il n’y a rien à comprendre.
Un dernier repère et repérage (on entend le mot père) sont les mots toujours et jamais qui lui sont insupportables. Un propos le concernant ne peut être qualifié par ces mots. Ces mots toujours et jamais, deviennent des absolus qui le désignent lui. Ce sont des absolus de temps, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’échappatoire possible sauf à interdire ces deux mots. Il ne conçoit pas ainsi, pourrait-on dire, le temps. Il n’y a que sa définition imaginaire du temps. Le temps est ce qui amène un autre, aussi en référence à Levinas, et lui, il s’en préserve. Vous l’avez entendu, dans ce que j’ai dit, qu’il n’y a pas d’historicité ; cette personne évite le passé, et il n’a pas de projets futurs qui organisent sa vie. Il évite, ou il est simplement désintéressé par, tout ce qui pourrait le définir, pour être au mieux dans son désir à lui. Ceci semble en soi pouvoir être d’apparence assez simple sans présenter trop de difficultés.
Un humanisme possible ou impossible
Nous l’avons entendu hier, que la solution parfaite a avoir, pour Lacan, avec le fait d’être homme parmi les hommes. C’est-à-dire que c’est « de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme » qui oriente la parole entre hommes. Selon ce cas, on entend bien, que la méfiance des hommes, pourrait le définir, par ce qui sort de leur bouche, par leur reflet ou simple présence, dans ce que l’affect ne lui renseigne pas de correspondance. Lacan le dit dans son texte sur le sophisme : « 1 Un homme sait ce qui n’est pas un homme ; 2 Les hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes ; 3 Je m’affirme être un homme, de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme. Voir annexe IV
Voilà le miroir, il me semble, entre hommes. Ne pouvant pas se refléter dans le miroir par peur de ne pas être homme, en tout cas de ne pas pouvoir se reconnaître comme homme parmi les hommes, de ne pas comprendre que c’est son propre reflet, il y a là déplacement, refus ou impossibilité de ce que l’image peut donner à savoir. Le reflet, représentation du moi, que le Je pourrait nommer, ne se fait pas, puisque ce qu’il ressent ce n’est pas ce qu’il voit. Innenvelt et umvelt. L’idée du monde et le monde comme idée. Le moi freudien, ne se réfléchit pas dans le miroir, il n’y a pas d’image du moi, il s’agit du langage courant comme Lacan le dit : c’est le Je, qui peut nommer ce qu’il voit, et se dire : « c’est moi ». C’est l’image de soi projetée dans le monde, vue par les autres. C’est un représentant de ce qui est ressenti. Il n’y a en effet pas de cohérence entre le ressenti et l’image représentant l’idée que l’on se fait de soi, ou que l’on peut avoir de soi. La jubilation exprime bien un Réel à surmonter, à symboliser. Le moi dans le miroir relève ainsi du langage courant. Le moi psychique, c’est autre chose. Puisqu’il n’y a pas d’énoncé absolu, c’est l’accord des énoncés qui fonctionne selon les convenances. Pour cet homme il voit littéralement un reflet qui n’est pas le sien. Il voit le reflet sans identification avec cet extérieur. Le ressenti n’a pas d’image, mais seulement un imaginaire.
Ce moment entre un fait et l’énonciation
Ainsi, pour faire le rapprochement avec le sophisme, comment est-ce que cette personne a su donner la solution parfaite ? Vous l’avez déjà saisi je suppose. J’en ai déjà dit quelques bribes. Comment savait-il ? Le fait de voir clairement ce qui lui est externe, il me semble, c’est son analyse l’habituelle qui oriente sa réponse à donner. Je vais l’expliciter un peu. Au vu de la réaction de cet homme, les trois temps, comme Lacan les amène : l’instant de voir, le temps de comprendre et le moment de conclure, peuvent nous renseigner sur l’imaginaire de ces temps, déjà. Par ces mots : instant, temps et moment, en quoi relèves-t-ils de l’imaginaire en tant que l’imaginaire est une interprétation de la réalité, Wirklichkeit. De quelle toute spéciale méconnaissance de la réalité d’autrui, s’agit-il ? C’est-à-dire, de quelle méconnaissance des hommes qui sont pourtant des intellectuels qualifiés, s’agit-il ?
L’instant de voir, je peux l’entendre comme l’instant chez Kierkegaard, øjeblikket, « parce que Lacan a lu Kierkegaard », c’est dans l’ouvrage de Rodolphe Adam. Øjeblikket, c’est l’instant du sujet, l’instant où il ex-iste ou ek-siste avec le k du danois ek–sistens. Le mot øjeblikket veut littéralement dire l’instant de l’œil, l’instant que l’œil voit. Œil et øje ont les mêmes origines étymologiques, eye en anglais, augen, augenblick en allemand. Cet instant, lié au fait de voir, il y a là un imaginaire de l’instant du sujet. C’est une prise de conscience pour quelqu’un qui n’est pas ce qu’il voit. Ou, c’est par ce qu’il voit, l’instant de ce regard de sa fiancée. Ici c’est Kierkegaard qui voit. Cet instant de ce regard d’elle, qui est devenu un point ou il n’est plus lui-même, son monde n’est plus le monde comme il le connaissait, l’instant d’avant. L’autre ex-iste chez Kierkegaard, il en a conscience, lui. Nous ne sommes pas loin de Descartes, aussi, comme Lacan en parle, entre penser et être, et leur distinctions. Mais je ne vais pas le développer.
Le temps de comprendre, nous l’avons vu, est alors, c’est ce que je propose avec ce cas, ce qu’il n’y a rien à comprendre, un temps de raisonner réduit au point d’être presque plus nécessaire, parce que le raisonnement va chercher dans du préconçu, ou est éliminé, inabordable, puisque la réalité de relation à l’autrui est spéciale. C’est alors que le temps de la compréhension n’est presque plus. C’est Lacan qui va le dire.
La personne m’avait renseigné que cela avait été par déduction, par des probabilités qu’il avait choisi blanc : « il y a plus de blancs que de noirs. » Je reste saisi par mon étonnement. Ce n’est ainsi pas par argumentation qu’il énonce la solution parfaite. Argumenter n’est pas une mise possible, puisque argumenter sera d’admettre un autre, sa différence, c’est-à-dire c’est ouvrir la béance sur le Réel, c’est-à-dire qu’il y a le risque, que quelque chose pourrait advenir, qu’il pourrait ne pas savoir. Dans la cure, il y a pourtant une orientation du Réel possible, qui peut apporter un apaisement. C’est le fait d’être un homme parmi les hommes, un homme intelligent, par exemple. Ainsi, l’instant et le moment de conclure peuvent être aussi rapprochés que l’anticipation l’ordonne.
Lacan dit, page 210 : « Mais à quelle sorte de relation répond une telle forme logique ? À une forme d’objectivation qu’elle engendre dans son mouvement, c’est à savoir à la référence d’un « je » à la commune mesure du sujet réciproque, ou encore : des autres en tant que tel, soit : en tant qu’ils sont autres les uns pour les autres. Cette commune mesure est donnée par un certain temps pour comprendre, qui se révèle comme une fonction essentielle de la relation logique de réciprocité. Cette référence du « je » aux autres en tant que tel doit, dans chaque moment critique, être temporalité, pour dialectiquement réduire le moment de conclure le temps pour comprendre à durer aussi peu que l’instant du regard. »
Je mets en exergue : dans chaque moment critique […] pour dialectiquement réduire le moment de conclure le temps pour comprendre à durer aussi peu que l’instant du regard. Voir annexe V.
Ainsi, L’instant de voir, pourrions-nous dire, pour ce cas, si vous voulez bien, rend nécessaire le moment de conclure. C’est une dialectique, ici, imaginaire basée sur aucune réalité de l’autre. C’est pourquoi la parole, qui assure le fait d’insister, c’est un insister qui relève du désir à priori inconscient. Cette parole amène alors à poser une question sur l’énoncé « Blanc ! » : est-ce qu’elle relève du fait que cette personne compte sur son inconscient, ou est-ce de ne pas pouvoir compter sur autre chose que ce qu’est une méconnaissance ?
Quand nous parlons, nous ne savons pas ce que nous disons. Même ayant fait un papier écrit. C’est notre inconscient qui parle à notre place, c’est notre désir, notre fantasme que nous exprimons. Nous sommes des analysants en parlant, même quand nous sommes des analystes en pratique. Ceci ne dit pourtant pas sous quel discours notre parole à lieu.
Pour finir, je ne vais pas conclure, mais poser une question
Y a-t-il une coupure possible pour cette personne, pour ce cas que je vous apporte ? L’objet ne tombe pas, symboliquement, dans des moments de demande vis-à-vis de l’autre. Pour cet homme, l’objet du désir ne tombe pas, que ce soit devant l’image dans le miroir ou dans la solution parfaite du sophisme. L’hiatus est rapidement, par la hâte, éliminé par l’anticipation. L’hésitation, et le doute, par peur de ne pas être reconnu et de pouvoir reconnaître, donne un impact à l’objet petit a, un petit tas, nécessaire à lui seul. Ainsi des trois temps il n’y a presque qu’un, son imaginaire. Au vu de ce qui lui est traumatique avec son père, il me semble qu’il y a forclusion sur : qu’est-ce qu’un désir et sa réalité admises parmi ses pairs.
Quel est le fil que Lacan tient, peut-être, depuis sa thèse en 1931 sur les paranoïas jusqu’à La Topologie et le Temps en 1978-1979 ; où il dit dans ce dernier séminaire : « Il y a une correspondance entre la topologie et la pratique. Cette correspondance consiste en les temps. La topologie résiste, c’est en cela que la correspondance existe. […] La topologie […] permet dans la pratique de faire un certain nombre de métaphores. ».
Ce fil de Jacques Lacan, est-il alors, que la résistance, ce qui insiste, l’inconscient, vis-à-vis des temps, permette des métaphores ?
Est-ce qu’une méconnaissance, c’est de ne pas parvenir à comprendre, et ainsi ne pas pouvoir saisir la portée du savoir des métaphores ?
Je vous en remercie de votre invitation.
ANNEXE I
Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée dans Écrits, de 1945, l’Éditions du Seuil, Paris, 1966, page 197 :
« Un problème de logique
Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de choix et leur communique l’avis suivant : « Pour des raisons que j e n ‘ai pas à vous rapporter maintenant, messieurs, je dois libérer un d’entre vous. Pour décider lequel, j’en remets le sort à une épreuve que vous allez courir, s’il vous agrée.
« Vous êtes trois ici présents. Voici cinq disques qui ne diffèrent que par leur couleur : trois sont blancs, et deux sont noirs. Sans lui faire connaître duquel j’aurai fait choix, je vais fixer à chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules, c’est-à-dire hors de la portée directe de son regard, toute possibilité indirecte d’y atteindre par la vue étant également exclue par l’absence ici d’aucun moyen de se mirer. « Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer vos compagnons et les disques dont chacun d’eux se montrera porteur, sans qu’il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l’un à l’autre le résultat de votre inspection. Ce qu’au reste votre intérêt seul vous interdirait. Car c’est le premier à pouvoir en conclure sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire dont nous disposons.
« Encore faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des motifs de logique, et non seulement de probabilité. A cet effet, il est convenu que, dès que l’un d’entre vous sera prêt à en formuler une telle, il franchira cette porte afin que, pris à part, il soit jugé sur sa réponse. Ce propos accepté, on pare nos trois sujets chacun d’un disque blanc, sans utiliser les noirs, dont on ne disposait, rappelons-le, qu’au nombre de deux.
Comment les sujets peuvent-ils résoudre le problème ?
La solution parfaite
Après s’être considérés entre eux un certain temps, les trois sujets font ensemble quelques pas qui les mènent de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit alors une réponse semblable qui s’exprime ainsi : « Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Étant donné que mes compagnons étaient des blancs, j’ai pensé que, si j’étais un noir, chacun d’eux eût pu en inférer ceci : « Si j’étais un noir moi aussi, l’autre, y devant reconnaître immédiatement qu’il est un blanc, serait sorti aussitôt, donc je ne suis pas un noir. » Et tous deux seraient sortis ensemble, convaincus d’être des blancs. S’ils n’en faisaient rien, c’est que j’étais un blanc comme eux. Sur quoi, j’ai pris la porte, pour faire connaître ma conclusion. »
C’est ainsi que tous trois sont sortis simultanément forts des mêmes raisons de conclure. »
ANNEXE II
LACAN, Jacques, Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée Un nouveau sophisme dans Écrits de l’Éditions du Seuil de 1966, page 199 :
« Valeur sophistique de cette solution
Cette solution, qui se présente comme la plus parfaite que puisse comporter le problème, peut-elle être, atteinte à l’expérience ? Nous laissons à l’initiative de chacun le soin d’en décider. Non certes que nous allions à conseiller d’en faire l’épreuve au naturel, encore que le progrès antinomique de notre époque semble depuis quelque temps en mettre les conditions à la portée d’un toujours plus grand nombre : nous craignons, en effet, bien qu’il ne soit ici prévu que des gagnants, que le fait ne s’écarte trop de la théorie, et par ailleurs nous ne sommes pas de ces récents philosophes pour qui la contrainte de quatre murs n’est qu’une faveur de plus pour le fin du fin de la liberté humaine.
Mais, pratiquée dans les conditions innocentes de la fiction, l’expérience ne décevra pas, nous nous en portons garant, ceux qui gardent quelque goût de s’étonner. Peut-être s’avérera-t-elle pour le psychologue de quelque valeur scientifique, du moins si nous faisons foi à ce qui nous a paru s’en dégager, pour l’avoir essayée sur divers groupes convenablement choisis d intellectuels qualifiés, d’une toute spéciale méconnaissance, chez ces sujets, de la réalité d’autrui. »
En exergue : d’une toute spéciale méconnaissance, chez ces sujets, de la réalité d’autrui.
ANNEXE III
L’éthique de la psychanalyse dans la leçon du 23 décembre 1959, pages 129-130 :
« Le paradoxe dit d’Épiménide, c’est celui qui avance « Tous les hommes sont des menteurs ». « Que dis-je, en avançant avec l’articulation que je vous ai donnée de l’inconscient, que dis-je ? répond le sophiste, sinon que moi-même je mens, qu’ainsi je ne puis rien avancer de valable [– 130 –] concernant non pas simplement la véritable fonction de la vérité, mais la signification même du mensonge. »
Revenons au sophisme. Le sophisme est une forme de mensonge, comme Lacan nous le rappelle, toujours, dans L’éthique de la psychanalyse :
« Je veux en venir à l’interdiction du mensonge, pour autant que vous la voyez rejoindre ce qui, pour nous, s’est présenté d’abord comme étant le rapport essentiel de l’homme, pour autant qu’il est commandé, à la Chose, par le principe du plaisir, à savoir ce rapport auquel nous avons affaire tous les jours dans l’inconscient et qui est un rapport menteur. Le « Tu ne mentiras point » est le commandement où, pour nous, se fait sentir de la façon la plus tangible le lien intime du désir, dans sa fonction la plus structurante, avec la loi. Car à la vérité, le «Tu ne mentiras point » est quelque chose qui, suspendu dans son projet, est là pour nous faire sentir la véritable fonction de la loi. Et je ne pourrais mieux faire, pour vous le faire sentir, que d’en rapprocher le sophisme par lequel se manifeste au maximum le type d’ingéniosité le plus opposé à celui de la discussion proprement juive et talmudique, c’est le paradoxe dit d’Épiménide, c’est celui qui avance « Tous les hommes sont des menteurs ».
« Que dis-je, en avançant avec l’articulation que je vous ai donnée de l’inconscient, que dis-je ? répond le sophiste, sinon que moi-même je mens, qu’ainsi je ne puis rien avancer de valable [– 130 –] concernant non pas simplement la véritable fonction de la vérité, mais la signification même du mensonge. » Le « Tu ne mentiras point », pour autant qu’il est un précepte négatif, est ce quelque chose qui a pour fonction de retirer de l’énoncé le sujet de l’énonciation. Rappelez-vous ici le graphe. C’est bien là, pour autant que je mens, que je refoule, que c’est moi, menteur, qui parle, que je peux dire « Tu ne mentiras point ». Et dans « Tu ne mentiras point » comme loi est incluse la possibilité du mensonge comme désir le plus fondamental. »
Pour rappel, le sophisme ne relève pas du vécu de quelqu’un. Nous pouvons ainsi le situer comme un mythe. C’est-à-dire qu’il y a des parties de vérité, du vraisemblable des hommes, mais le récit court-circuit le sens de, justement, ce qui a un sens pour les hommes en général et en particulier. Ce point a déjà été développé hier ou le sera aujourd’hui par les collègues.
ANNEXE IV
Lacan dit, LACAN, Jacques, Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée Un nouveau sophisme dans Écrits de l’Éditions du Seuil de 1966, page 213 :
« Nous montrerons pourtant, quelle réponse, une telle logique devrait apporter à l’inadéquation qu’on ressent d’une affirmation telle que « Je suis un homme », à quelque forme que ce soit de la logique classique, qu’on la rapporte en conclusion de telles prémisses que l’on voudra. (« L’homme est un animal raisonnable »…, etc.) Assurément plus près de sa valeur logique apparaîtrait-elle présentée en conclusion de la forme ici démontrée de l’assertion subjective anticipante, à savoir comme suit : 1, 2, 3 – Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation « humaine », en tant précisément qu’elle se pose comme assimilatrice d’une barbarie, et qui pourtant réserve l’indétermination existentielle du « je » […] »
En exergue : L’assertion subjective anticipante.
ANNEXE V
LACAN, Jacques, Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée Un nouveau sophisme dans Écrits de l’Éditions du Seuil de 1966, page 210 :
« Mais à quelle sorte de relation répond une telle forme logique ? À une forme d’objectivation qu’elle engendre dans son mouvement, c’est à savoir à la référence d’un « je » à la commune mesure du sujet réciproque, ou encore : des autres en tant que tel, soit : en tant qu’ils sont autres les uns pour les autres. Cette commune mesure est donnée par un certain temps pour comprendre, qui se révèle comme une fonction essentielle de la relation logique de réciprocité́. Cette référence du « je » aux autres en tant que tels doit, dans chaque moment critique, être temporalité, pour dialectiquement réduire le moment de conclure le temps pour comprendre à durer aussi peu que l’instant du regard. » E
En exergue : le moment de conclure le temps pour comprendre à durer aussi peu que l’instant du regard.
[1] Voir les ouvrages de Barbara Cassin, Jacques le sophiste et L’effet sophistique
[2] LACAN, Jacques, Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée Un nouveau sophisme dans Écrits de l’Éditions du Seuil de 1966
[3] THIBIERGE, Stéphane, Pathologies de l’image du corps, 1999, Les Éditions de PUF
[4] Sensibilité organique, émanant de l’ensemble des sensations internes, qui suscite chez l’être humain le sentiment général de son existence, indépendamment du rôle spécifique des sens. Tous ces conflits, même les plus spirituels et les plus raffinés, se peignent finalement dans la confuse cénesthésie (Ricœur, Philosophie de la volonté, 1949, p. 141).
[5] THIBIERGE, Stéphane, Clinique de l’identité, 2007, Les Éditions de PUF
[6] Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique de 1949, page 93, l’Éditions du Seuil de 1966, fût déjà prononcé en 1936 au Congrès international de psychanalyse sans rencontrer d’autre écho que le coup de sonnette de E. Jones interrompant une communication trop longue. Sa reprise à Zurich en 1949 ne suscita pas beaucoup plus d’enthousiasme.
[7] Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique de 1949, page 93, l’Éditions du Seuil de 1966[7], fût déjà prononcé en 1936Le stade du miroir comme formateur de la fonction du « je » fut présenté en 1936 au Congrès international de psychanalyse sans rencontrer d’autre écho que le coup de sonnette de E. Jones interrompant une communication trop longue. Sa reprise à Zurich en 1949 ne suscita pas beaucoup plus d’enthousiasme.
[8] Pour la cohérence du texte, et ne pouvant déplier toute la situation de la cure d’une parole adressée dans le transfert, c’est envers un partenaire imaginé, ou présent imaginairement en tant qu’idée et figure, que la parole est adressée lors d’une séance. Le dire relevé est : « de faire de moi quelque chose qui sort de ta bouche ».