Séminaire de préparation – Mardi 15 janvier 2019
La relation d’objet et les structures freudiennes
Leçon 11 Maria Belo – Discutants Marc Darmon, Pierre-Christophe Cathelineau
Maria Belo – Je commence par remercier le groupe qui travaille ici les mardis, de cette invitation parce que ça m’a fait travailler d’une façon différente et en fait, j’ai envie de poser certaines questions qui ont tout à fait à voir avec cette leçon, mais qui… parce que ça m’a fait travailler, ça m’a fait penser, au-delà des choses qui m’inquiétaient déjà depuis très longtemps, certaines sur lesquelles j’avais déjà réfléchi, beaucoup écrit là-dessus, d’autres je réfléchissais mais je ne savais pas très bien comment les prendre, ça ne veut pas dire que maintenant je le sais complètement, pas du tout, mais de toute façon c’est devenu quand même un peu plus travaillé grâce à cette venue ici.
Cette leçon du séminaire, je vais en parler en deux parties. La première concerne le moment où Lacan dit parler de la frustration, se sert de la boite à neuf trous qu’il avait proposé dès la quatrième leçon – leçon dont nous avons l’excellente transcription du commentaire qu’en a fait Martine Lerude – et où il commente et critique des écrits psychanalytiques qui sortaient alors, tout en se servant de certains morceaux de ces écrits ici et là. En deuxième lieu, dans le troisième tiers de son dire, la question du phallus.
I – Première partie.
Là je commence par une merveilleuse (à mon modeste avis) citation de Thomas Mann dans son livre sur Joseph et ses frères :
« Dans un certain sens, Abraham était le père de Dieu, Il Le Lui avait donné l’être en Le sentant et en Le pensant. Les puissantes particularités qu’Abraham Lui avait attribué lui étaient sans doute propres ne fusse Abraham son support. Mais d’une certaine façon ne l’aurait-il pas été quand il les a reconnues, prêchées et, méditant, les a rendues réelles ? Les puissantes qualités de Dieu étaient réellement choses objectives qui existaient en dehors d’Abraham mais qui simultanément existaient en lui. Le pouvoir de son âme même, à certains moments mal se distinguaient d’elles s’enlaçant et se confondant avec elles consciemment. Ce fut ce pouvoir l’origine du pacte que le Seigneur a fait avec Abraham. Et le pacte, constituant, de fait, la confirmation extérieure d’un fait intérieur, fut aussi à l’origine de la crainte qu’Abraham avait de Dieu. Car si la grandeur de Dieu était terriblement objective en dehors de lui, Abraham, elle n’était pas sans coïncider avec la grandeur de sa propre âme et en était le produit, ainsi que la crainte de Dieu était un peu plus que le sens commun que nous avons de ce mot. Ce n’était pas que de la crainte car elle provenait du temps de l’existence d’une alliance, familiarité, amitié. »
Pour moi, je ne sais pas si vous avez cette impression aussi, pour moi ça a tout à fait à voir avec la façon dont Lacan parle de l’enfant, et du bébé, et de ses relations avec sa mère et son père.
Deux pages plus loin, il dit :
« De Dieu, le premier patriarche en savait beaucoup plus, mais rien qu’il puisse raconter. Il n’existait pas des histoires sur Dieu comme il en avait sur les autres dieux. Et peut-être c’était cela le plus remarquable : le Courage avec lequel, dès le début, Abraham représenta et exprima l’essence de Dieu, en disant tout simplement et sans détours, Dieu.[1] »
C’est assez extraordinaire pour moi que telle qu’était alors la culture de l’époque, Lacan, ce jeune monsieur de la première cinquantaine, lui qui ne faisait pas que je sache du travail clinique avec des enfants (sauf, éventuellement d’observer les siens propres mais il ne s’y réfère pas) ait eu l’extraordinaire sensibilité, intuition de ce que c’est un enfant dans ses premières relations au monde tel qu’il en parle, en tout cas, dans les séminaires I, II et IV. Déjà dans le séminaire I il dit : « Il ne serait pas facile à vivre si à chaque instant on avait le sentiment de la présence à l’autre avec tout ce qu’elle contient de mystère. Mystère que nous éloignons et auquel on s’habitue finalement. » « Mais que les enfants ont de façon prodigieuse », avancera-t-il, plus tard.
Dans cette première partie il va essayer de faire une refonte de la notion de frustration. Là-dessus j’ai un doute que j’exposerai le moment venu et que j’espère que les discutants éclaireront. Frustration, dit-il, ne concerne pas le besoin. Freud insiste dès le début que le désir dans l’inconscient refoulé est indestructible et le besoin en soi ne l’explique pas. Déjà chez l’animal, la frustration d’un besoin n’engendre pas le maintien du désir comme tel, encore moins son insistance.
Freud, dit Lacan, ne parle pas de frustration (Vereitlund, Scheitern), mais de Versagung (promesse et rupture de promesse, ou aussi se priver, refuser). Il ne s’agit pas du refus d’un objet de satisfaction. D’ailleurs on se demande refus par qui, l’enfant ou la mère ? Cela ne sera jamais clair dans ce texte car, comme Martine Lerude nous avait fait remarquer, chez Lacan c’est le plus souvent le même et son contraire, la discordance. Ainsi ce refus peut apparaître comme venant de la mère, mais aussi comme venant de l’enfant qui, par exemple, dans l’anorexie mentale, mange rien. (Cf. note 36 p. 115-116)
Changeant complètement la façon de penser de l’époque, Lacan, suivant Freud, voit dans la relation primitive avec la mère que la frustration n’est pensable que comme refus de don, lui-même symbole de l’amour. Amour élaboré au troisième degré, c’est-à-dire impliquant devant soi, pas seulement un objet, mais un être. Un individu-sujet. Ça je crois que Marie-Christine [Laznik], qui est là, en a parlé assez. Relation qui est là dès le départ et qui suppose non que l’enfant fasse la distinction entre l’amour et le désir, mais que l’ordre du symbolique plane dans l’air.
La mère et le père, supposent dès le départ un sujet dans leur bébé (fils ou fille).
Et ce sera une de mes questions, plus en avant, c’est le fait que, en psychanalyse quand on parle de cette question fondamentale qui est la relation des parents avec l’enfant, et de ce qui s’y passe, très rarement on distingue si on parle d’un garçon seulement, ou si on parle ou d’un garçon ou d’une fille, ou si on parle des deux.
Il naît dans un bain de paroles[2] adressées notamment à lui, ce qui implique nécessairement l’existence d’un ordre symbolique. Ainsi le don implique tout le cycle des échanges, de l’immense circulation de dons qui prennent tout l’ensemble intersubjectif du point de vue du sujet qui y entre et de ses parents. Lacan introduit explicitement l’appel, la parole adressée (elle n’est jamais isolée) lequel est fondateur de l’ordre symbolique. Critiquant un analyste qui dit que des phobies primitives du noir chez l’enfant va sortir l’image du père, il dit que l’ordre du père existe (cf. Thomas Mann) que l’enfant vive ou pas les terreurs infantiles.[3]
Selon Lacan l’appel va en direction de l’objet réel (le sein) quand il n’est pas là. Quand il est là il est don, pas objet de satisfaction. Un rien qui peut être repoussé. Il y a un caractère fondamentalement décevant à ce jeu symbolique. Voilà pourquoi, il va dire des années plus tard, qu’il n’y a pas de rapport sexuel. En fait dès la naissance, le symbolique est maître des relations. On ne fait que parler à un enfant, dès la naissance, qui apprend à en jouir de ces paroles et dires, de ces mimiques, rires et relations qui n’ont rien à voir avec le besoin. Et il apprend à échanger au niveau symbolique.[4]
Je vais raconter deux petits faits. J’ai une arrière-petite-fille qui a cinq mois et qui, il y a deux, trois mois, je ne sais plus, c’est son père, quand il arrivait le soir et qui la prenait, qui commençait à parler avec elle de la façon dont gazouille un enfant et c’est comme ça que la petite a commencé à gazouiller. C’est marrant parce qu’en général, moi je pensais en tout cas, que c’était la mère qui faisait ça mais c’était vraiment, là, le père. Et une autre histoire, qui n’est pas disons exemplaire, ça n’est pas toujours nécessairement comme ça, mais qui était marquante, c’est qu’elle pleurait cette fille, il y a quelques jours, elle pleurait avec ces cris d’enfant qui, comme Lacan le dira, qui vous appellent bien, et sa mère lui a donné le sein et puis quand elle avait pris le sein et qu’elle avait un peu tété, elle a recommencé à pleurer et sa mère lui a dit « mais qu’est-ce qu’elle a cet enfant ? » et son père qui était là a dit « mais elle en a marre de toi, donne-la moi » et en fait elle s’est arrêtée de pleurer avec son père.
Ces deux moments sont bien démonstratifs de que, si le besoin qui évidemment existe et a à être satisfait, il n’est pas ce qui fait que, dès sa naissance, le bébé est regardé comme un sujet, parlé, appelé, nommé, en un mot symbolisé. En ce sens, l’oral, bien plus que la tétée ou la sucette et ce qui en fait fonction qui peuvent être rien face à l’appel, l’oral est parole, gazouille, appel. Et le don type est justement le don de la parole. Il vient (ou peut venir) de la mère comme du père. Lacan parlera plus avant de façon plus développée de l’appel. Il dit que le cri de l’enfant n’est pas un signal de faim ou de couches sales, mais un appel dans le registre humain. Ce n’est pas une réaction instinctive à la faim. Ce sont des cris organisés en système symbolique. C’est un cri, un pleur, dur, insistant qui va au-delà. Un cri pour qu’on prenne acte. Le langage y est déjà institué, l’enfant y baigne dès le départ. L’enfant se nourrit autant de paroles que de pain. Et cela par sa bouche.
Le langage est déjà institué, l’enfant y baigne dès le départ. Tout cela se passe avant que l’enfant ne comprenne ce que parler veut dire. Tout en ne cessant pas d’être parlé et de parler.
On comprend que ce premier temps de la parole, l’appel, « ne peut-être soutenu isolément », et Lacan rappelle l’image du Fort-Da. C’est pour autant que ce qui est appelé peut être repoussé, qu’il est déjà engagé dans l’ordre symbolique, dans la parole. Lacan parle là aussi du « caractère décevant de ce jeu symbolique » que, dira-t-il, peut ouvrir la porte â la régression. Pourquoi la parole là serait déception, frustration pour le bébé dans la mesure où la satisfaction ne viendrait qu’en compensation de cette présence/absence, dialectique de l’objet présent sur fond d’absence, absence en tant qu’elle constitue la présence.
Lacan parle là aussi du caractère décevant de ce jeu symbolique, dans le dernier paragraphe de la page 311, d’une façon justement que je ne comprends pas bien. Pourquoi la parole, là, serait frustration pour le bébé ?
Ce qu’il dit en fait, il « […] se manifeste essentiellement comme seulement signe du don, c’est-à-dire, en somme, comme rien en tant qu’objet de satisfaction – quand il est là, il est justement là pour pouvoir être repoussé en tant qu’il est ce rien –, le caractère donc fondamentalement décevant de ce jeu symbolique, c’est cela qui est l’articulation essentielle autour de laquelle et à partir de laquelle la satisfaction elle-même se situe et prend son sens. Je ne veux pas dire naturellement qu’il n’y ait pas chez l’enfant, à l’occasion, cette satisfaction accordée où il y aurait pur rythme vital. Mais je dis que toute satisfaction mise en cause dans la frustration y vient sur ce fond de caractère fondamentalement décevant de l’ordre symbolique, et qu’ici, la satisfaction n’est que substitut, compensation, [elle] est ce [dans] quoi l’enfant, si je puis dire, écrase ce qu’a de décevant en lui-même ce jeu symbolique, dans la saisie orale de l’objet de satisfaction – le sein en l’occasion –, de l’objet réel. »
Je comprends très bien – et je trouve d’ailleurs que c’est de plus en plus manifeste dans notre culture – que le jeu symbolique de la parole puisse être décevant mais ce que je ne comprends pas c’est que pour l’enfant, à ce moment-là, ça ne soit pas en fait quelque chose quand même, dont il peut jouir… enfin, qui le révèle à lui-même, qui le fait devenir un sujet… Évidemment, je dis ça, l’enfant n’a pas du tout ces mots, il n’a pas de mots d’ailleurs, il ne sait pas ce que parler veut dire à ce moment-là mais c’est dans ce bain de langage qu’il vit et je ne vois pas en quoi, ça, c’est décevant ? Si vous avez une petite idée là-dessus qui puisse…
Pierre-Christophe Cathelineau – Il cite « La petite Anna Freud dit : framboise, flan. »
Il dit, quelque chose de très important :
« Qu’est-ce que cela veut dire ? Tous ces objets-là sont des objets transcendants, voire d’ores et déjà tellement entrés dans l’ordre symbolique que ce sont justement tous des objets interdits en tant qu’interdits.
Rien ne nous force du tout à penser que la petite Anna fut inassouvie ce soir-là, bien au contraire. Ce qui se maintient dans le rêve comme un désir – sans doute exprimé sans déguisement certes, mais avec toute la transposition de l’ordre symbolique –, c’est le désir de l’impossible. (p. 313)»
Marc Darmon – Oui mais là, Pierre-Christophe [Cathelineau], c’est déjà le mouvement inverse que Lacan décrit, c’est-à-dire qu’au départ, il y a le jeu symbolique avec la mère et c’est ce jeu symbolique qui est décevant. Il est décevant parce qu’il n’a rien à croquer… donc il échappe à ce jeu décevant avec le sein et il s’endort sur cette satisfaction de l’objet réel.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Oui, il y a la satisfaction que fait Lacan de la frustration d’amour et la frustration de l’objet et il me semble que depuis le séminaire précédent, ce dont il est question, c’est qu’à la frustration d’amour, l’enfant va réagir, comblant la frustration d’objet. Dans le séminaire précédent, il explique comment l’enfant va se cramponner au sein de la mère, que pendant qu’il tète, il peut croire que ça lui appartient mais ce n’est que la satisfaction d’un besoin, c’est l’oralité qui se met en place et le séminaire va tourner autour justement de l’activité de l’oralité dans ce côté très fort d’être cramponné au sein mais comme satisfaction du besoin mais cette satisfaction du besoin vient suppléer à quelque chose de l’ordre de la frustration d’amour qu’il ne va jamais pouvoir combler en se cramponnant au sein. Il n’empêche que cette oralité en jeu en se cramponnant au sein, en s’accrochant à cet objet de satisfaction, va faire entrer en jeu l’oralité, la libido autour de la bouche, la parole, c’est-à-dire qu’il y a tout un développement… et l’activité comme étant pulsionnelle !
Pierre-Christophe Cathelineau – Le terme d’objet de satisfaction est nettement, dans le séminaire, mis à distance. Il est mis à distance parce que ce sont précisément les interlocuteurs de Lacan qui pensent et les collègues de l’époque qui ont fondé leur clinique sur la question de l’objet de satisfaction et, lui, il dit : non, ce n’est pas ça ! Ce qui est en jeu, c’est la fonction symbolique et c’est la question du rien. Là, quand il évoque la notion d’objet de satisfaction, il l’évoque en faisant une critique.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Il critique peut-être la place où le mettaient les autres ? Mais c’est l’ordre symbolique qui va faire rentrer cette opération de satisfaction du besoin dans quelque chose qui va inscrire la pulsion comme une frustration de l’amour.
Pierre-Christophe Cathelineau – On n’est pas du côté, en tout cas, de la réalité et, ça, c’est extrêmement important parce que les contemporains, eux, situent le truc du côté de la réalité.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Des frustrations d’objet. Il ne s’agit pas de frustration d’objet.
Bernard Vandermersch – Je ne comprends pas l’histoire du « fondamentalement décevant de l’ordre symbolique ». Mais il est fondamentalement décevant parce qu’un signifiant ne renvoie qu’à un autre signifiant mais il ne fait jamais qu’éventuellement, un jour, représenter un sujet pour un autre signifiant mais il n’attrape jamais l’objet. Du coup, il donne la notion du manque fondamental d’un être qui lui manque à lui-même et donc il est fondamentalement décevant l’ordre symbolique ! Alors, l’amour vient dans un deuxième temps mais s’il y a un appel à l’amour, c’est qu’il y a une demande d’être, [brouhahas]. Le signifiant donne l’idée d’un être qui manque puisqu’il ne renvoie toujours qu’à un autre signifiant d’où la répétition et c’est pour ça qu’il est fondamentalement décevant l’ordre symbolique mais, en même temps, c’est ce qui fait l’humain. (VH – Comment ?)
C’est en même temps ce qui fait l’humain, qui permet qu’il y ait un vide quelque part où le sujet puisse se loger parce qu’imaginons que cet ordre symbolique soit parfaitement, ne soit pas décevant du tout, il dirait par exemple l’être du sujet, il symbolise immédiatement, à ce moment-là, comme sujet puisqu’il ne serait plus divisé. Il y a, là, quelque chose de…(M B – D’accord ! Je vois ce que tu…)
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Mais alors que se passe-t-il au moment où la satisfaction en tant que satisfaction du besoin entre ici ou se substitue à la satisfaction symbolique ? Il me semble que cette leçon est passionnante parce qu’il montre comment, dans cette substitution, – c’est le terme employé par Lacan – il faut voir comment la question de l’objet va prendre feu si l’on peut dire, va allumer cette affaire ?
Marc Darmon – Il y a un renversement dans la leçon, s’ensuit le schéma : la mère symbolique, la frustration imaginaire comme opération et l’objet comme réel. À un moment, il y a un tournant – dont ne va peut-être pas parler Maria – c’est-à-dire que la mère de symbolique, du fait de s’absenter un peu trop longtemps, devient réelle. Et l’objet, de réel devient symbolique, don d’amour. Donc, ça apparaît… il y a ce mouvement de bascule qui apparaît dans la continuité de cette leçon qui peut nous perdre un peu.
Valentin Nusinovici – Il est bien avancé ici puisque c’est bien la question du don. C’est le fait que le don, comme il dit ici : il n’y a de don « que ce qui est constitué par cet acte qui l’a préalablement annulé. (p. 310)» C’est ça qui est insatisfaisant dans ce jeu du symbolique, c’est que s’il y a un don d’amour, quelque chose du réel de l’objet ou de cette satisfaction-là est annulée.
Alors, ce qui est extraordinaire c’est que, quand même, pour Freud, l’enfant qui s’endort heureux avec le sein, il a eu et la satisfaction de l’amour, puisqu’il dit que c’est un équivalent de la libido adulte, et la satisfaction de l’objet oral.
C’est ça qui est séparé, ici, radicalement. Cet enfant-là, il s’endort parce qu’il n’a pas eu la satisfaction de – comment dire ? – de l’amour. En tout cas, il n’y a pas, à la fois, le don d’amour qui annule d’une certaine façon, qui fait un rien d’une certaine façon, de l’objet. En tout cas, il y a là une césure entre les deux. Il n’y aura pas de totalisation, apparemment ! Vous ne pouvez pas compter sur la totalisation de l’amour et de l’objet ! Et, après tout, puisque c’est aussi déjà un objet qui va se sexualiser, ça mène peut-être vers ce que tu as dit, c’est-à-dire qu’il y aura un chiasme entre amour et objet. Je pense qu’elle est là l’insatisfaction symbolique à ce moment-là, par rapport à la demande d’amour et au don d’amour.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Il s’est accroché au sein. Cette image-là, Lacan dit :
« L’enfant donc, dans la satisfaction, écrase l’inassouvissement fondamental de cette relation, dans la saisie orale avec laquelle il endort le jeu. Il étouffe ce qui ressort de cette relation fondamentalement symbolique, et rien dès lors pour nous étonner [dans le fait] que ce soit justement dans le sommeil qu’à ce moment-là, se manifeste la persistance de son désir sur le plan symbolique : […] (p. 312) »
Il est évident que [pendant] la tétée d’un bébé, il tète et on pense [au] bonheur du bébé ! Paf ! Il s’endort et on se dit : ah, il est repu, il est heureux, il est comblé ! Pas du tout ! C’est tout le contraire ! (VN – Il réclame son papa.) Il a besoin de rêver pour mettre à jour ce qui a été étouffé par la tétée.
Maria Belo – Ce n’est pas tout à fait la même chose parce que les cerises ce n’est pas le moment de la tétée…
Marc Darmon – Non, non…
Maria Belo – Oui, ça ne veut rien dire. Je sais que…
Marc Darmon – C’est le désir qui s’anime dans le sommeil, dans le rêve.
Maria Belo – … parce que, oui, un bébé qui tète ne rêve pas de cerises et surtout il ne dit pas, dans son sommeil, cerise . Je crois que j’ai compris ce que vous avez dit…
Virginia Hasenbalg-Corabianu – [C’est de] la frustration. C’est comme ça qu’il commence la leçon.
Maria Belo – Oui mais je voyais la frustration d’une autre façon mais j’ai compris maintenant de ce que vous avez dit, que ça ne comble jamais le désir. Ça, je le comprends.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – C’était ta question, non ?
Pierre-Christophe Cathelineau – Il amène aussi – ça c’est le mouvement de la leçon – je ne veux pas anticiper mais l’insistance sur la fonction symbolique… (MB – Oui, tout à fait !)… de ce fait, amène progressivement et de façon de plus en plus insistante la question du père et du phallus. C’est-à-dire que le…
Virginia Hasenblag-Corabianu – C’est ce qui manque ! C’est la façon d’amener le manque !
Pierre-Christophe Cathelineau – … il amène le manque, c’est-à-dire qu’il part sur la fonction symbolique… (VH – Décevante !)… décevante et il arrive au manque lié au phallus et au père. Et la maladresse du père de Hans est quand même sévèrement critiquée par Lacan.
Maria Belo – À la suite de cela, comme vient de le dire Pierre-Christophe Cathelineau, Lacan élabore encore ce qu’il a déjà dit. Il dit que la vie de chaque enfant est totalement engagée dans l’ordre symbolique. Le don répond à l’appel à l’objet réel et la réponse par le don – comme rien dans l’ordre de la satisfaction – rend ce jeu symbolique décevant. Si le sein, est objet de satisfaction par sa saisie orale, la parole[5] – qui est une espèce de phallus – est aussi orale. Que se passe-t-il quand la satisfaction du besoin vient se substituer à la satisfaction symbolique ? Par une transformation, l’objet réel devient signe dans l’exigence d’amour, dans la requête symbolique. L’objet réel prend valeur de symbole, c’est-à-dire, ce qui est symbolique c’est l’acte de l’enfant pour saisir cet objet, l’appréhender. Ainsi l’oralité, disons-le encore, n’est pas seulement porteuse d’une libido conservatrice du corps propre, mais est aussi libido sexuelle, car le don de la mère fait d’elle exigence d’amour. En fait, comme on a vu, l’oralité suppose satisfaction du besoin, mais elle est entièrement prise dans l’échange de paroles ; l’appel du don. Ce n’est pas l’objet réel qui importe (sein ou biberon), mais le fait que l’activité a pris cette fonction érotisée sur le plan du désir qui s’ordonne dans l’ordre symbolique, dans cette dialectique d’exigence d’amour.[6]
Lacan nous parle ensuite de la toute-puissance que la mère fait surgir pour l’enfant. Dans la relation primitive à la mère, celle-ci devient donc simultanément un être réel car, pouvant tout refuser, elle peut tout, elle devient toute puissante, efficace, d’elle dépendant sans recours le don et le non don. Quelques pages plus loin il dira que le don type est justement le don de la parole.
Une chose aussi qui pour moi n’est pas très claire c’est quand il commente cette histoire de Mélanie Klein sur le fait que la mère a en elle tous les objets et il parle de néantisation symbolique d’où les objets vont tirer leur valeur symbolique. C’est vrai que le dictionnaire dit que toutes les choses sont sorties du néant, mais ce fait que la mère a en elle tous les objets qui vont après devenir symboliques, ça je ne peux le comprendre, pour moi c’est quelque chose…
Valentin Nusinovici – Ils sont devenus des signifiants. C’est ça la néantisation : ce sont des signifiants.
Maria Belo – Ce sont des signifiants… d’accord ! Bon !
Mme X – Il la critique d’ailleurs puisqu’il dit qu’elle rêvait.
Valentin Nusinovici – Ah, non, il dit qu’elle avait bien raison. Il dit : « … elle rêvait ; et elle avait raison de rêver… »
Virginia Hasenbalg-Corabianu – « Bien entendu, elle rêvait ; et elle avait raison de rêver, car le fait n’est possible que par une projection rétroactive dans le [sens] du corps maternel de toute la lyre des objets imaginaires. Mais ils y sont bien en effet, puisque c’est du champ virtuel […] »
Valentin Nusinovici – Ils n’y sont pas au départ, pour lui, mais ils sont rétroprojetés. Il parle toujours de la rétroaction de l’œdipe.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – « […] c’est du champ virtuel [de] néantisation symbolique que la mère constitue, que tous les objets à venir tireront chacun à leur tour leur valeur symbolique. (p. 317)»
Mme Y – Mais il y a une phrase : on a besoin du signifiant pour…
Maria Belo – Lacan reprend, là, le stade du miroir dans une discordance, la rencontre jubilatoire de sa totalité entraîne, par la toute-puissance maternelle, une position dépressive, sentiment de son impuissance. Le négativisme de cet âge en est en rapport.
Plus tard, le « manger rien », l’anorexie, renverse cette relation de dépendance en rendant la mère dépendante de son caprice à lui.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Là, c’est un vrai retournement de la situation…
puisqu’il dit bien comme on a le miroir, c’est l’image de la mère toute-puissante où il va trouver sa totalité à lui mais tout à coup,
Maria Belo – Oui, tout à fait.
Virginia. Hasenbalg-Corabianu – À ce moment, cette totalité en présence de laquelle il est cette fois, c’est-à-dire face à cette totalité spéculaire sous la forme du corps maternel mais il ne lui obéit pas ; c’est-à-dire qu’il se voit dans la totalité du corps maternel mais il n’y obéit pas.
Marc Darmon – Ce qui, après la jubilation, le plonge dans la dépression.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – Dans la dépression. Et c’est là qu’il se révolte et c’est là le passage que tu commentes comme une sorte de dire non.
II – Deuxième partie. Allons maintenant au texte sur le phallus. Je commence aussi par une citation du livre de Thomas Mann que j’ai référé.
« …Le rite de circoncision avait acquis depuis longtemps, dans la famille de Joseph, une signification mystique spéciale. C’était une liaison ordonnée et déterminée par Dieu entre l’homme et la divinité. Exécuté dans la partie de la chair qui semblait former le foyer de son être et sur lequel tout vœu physique était proféré. Beaucoup d’hommes allaient jusqu’à écrire le nom de Dieu sur l’organe reproducteur, ou il le faisait avant de posséder une femme. Le pacte de fidélité fait avec Dieu était de nature sexuelle et ainsi contracté avec un Créateur et Seigneur qui exigeait la possession exclusive, infligeant à la virilité humaine un affaiblissement moralisateur en ce qui concernait le sexe féminin. Le sacrifice sanglant de la circoncision n’a pas qu’une liaison physique avec la castration… la sanctification de la chaire signifiait non seulement le pacte de devenir chaste, mais aussi le don de la chasteté en sacrifice. En d’autres mots, elle avait une signification féminine… »
Plus loin Thomas Mann écrit : « Entre la stérilité absolue et la naissance d’un enfant du sexe féminin, la différence n’était pas grande. »
C’est une façon de dire qu’Abraham a créé Dieu et il a inventé le phallus aussi. Peut-être que si Abraham a créé Dieu et inventé le phallus.
Le phallus nous vient de cette culture que nous vivons tous depuis des millénaires qui est la culture monothéiste. Sur le phallus il commence par le stade du miroir ; je voudrais en parler un petit peu parce que j’ai une vision un petit peu peut-être différente par rapport à ça. [Brouhaha]
Je vais commenter ça très vite [présentation d’un document]. Ce que je veux vous montrer là c’est une difficulté que… au Portugal… moi je crois beaucoup que la psychanalyse est liée avec la langue, c’est un truc évident, et que la langue de chaque culture tient à la forme dont se structurent les sujets de cette culture. Alors je voudrais faire remarquer ici certaines questions par rapport à la langue portugaise.
J’interromps, avant de reprendre sur le phallus, pour vous parler de quelques signifiants en portugais que je reprendrais dans mon exposé.
le = o
la = a
le phallus = o falo
la parole = a fala
Je parle = (eu) falo
Il le fait, fais-le = fá-lo
L’enfant = a criança
Garçon/fille = rapaz/rapariga
En français il n’y a pas de mot pour dire le féminin de garçon, c’est fille. (MD – la garçonne). C’est autre chose.
Homme = Homem mais on peut entendre aussi oh mãe, oh mère. C’est un peu dans un appel.
Être = ser (sujet) et estar (place qu’on occupe), c’est aussi être provisoirement et être définitivement.
Virginia Hasenbalg-Corabianu – C’est être provisoirement si tu penses qu’une place est toujours provisoire. Ce que je veux dire c’est que estar c’est la place, et plus que la place c’est je suis là ; et ser ça peut être provisoire mais dans la mesure où on prendra la place comme toujours provisoire.
Maria Belo – Et l’autre, qu’il soit grand ou qu’il soit petit, on dit aussi des deux façons, au masculin et au féminin. Autre, neutre en français, est dit en portugais Outro (masculin) ou Outra (féminin) ce qui ne vas pas sans poser des problèmes non seulement de traduction de nos textes, mais conceptuels.
Autre = Outro/Outra
Mme X – Il y a en Argentine une loi qui va peut-être être votée qui est qu’au lieu de dire todos ou todas on va dire todis. Et ça se discute sérieusement.
Mme Y – C’est formidable ce que tu rapportes parce que ce que rapporte Hans aussi c’est qu’en allemand la confusion wagen/wegen [termes incertains, peu audibles]
Maria Belo – Oui, d’ailleurs Martine [Lerude] quand elle a fait ici son exposé que j’ai pris sur le site de l’A.L.I., elle parle aussi des différences que les enfants français et allemands font entre Fort-Da et ici-là. Bon mais je pense que c’est important parce que ça traduit des choses de la culture et donc…
Pierre-Christophe Cathelineau – Juste une remarque. Ce qui pose une question c’est effectivement le problème de l’universalité, d’une théorie qui serait universelle…
Maria Belo – Exactement !
Pierre-Christophe Cathelineau – …alors que la langue amène à penser que cette universalité se décline dans des termes et dans des articulations qui changent la donne pour des sujets engagés dans telle ou telle langue.
Maria Belo – Tout à fait. C’est ça que je trouve que… que je voudrais faire… Voilà. Tout à fait.
Pierre-Christophe Cathelineau – Et donc le fait que par exemple parole soit liée au phallus a des effets sociaux et subjectifs immédiats.
Maria Belo – Oui. Moi je ne sais pas si on exhibe ou si on refoule.
Pierre-Christophe Cathelineau – Exactement. Ça a des effets de levée de refoulement… ou pas. (MB – Ou pas !) Alors qu’en français on n’a pas ces…
Maria Belo – Alors je vais vous dire une histoire à propos de ça, une chose m’a fait penser à ça. Je suis allée il y a beaucoup d’années déjà, en 1983, dans un village du nord du Portugal passer le mois d’août parce que je voulais comprendre comment c’était les femmes portugaises parce que les hommes sont tous partis, les villages sont pleins de femmes.
Pierre-Christophe Cathelineau – Maintenant c’est plein de Français retraités.
Maria Belo – Bien sûr ! Ils ont tous débarqués. J’étais chez des agriculteurs et la dame là, la femme de la maison, la mère disons, j’ai fait une grande interview avec elle et une des choses qu’elle m’a dites c’est que pour qu’une femme soit séduisante, soit mariable, ce n’est pas du tout sa mascarade, son corps, etc. La parole (fala), c’est-à-dire, que la femme sache commander, qu’elle sache répondre qu’elle sache être-là par le parole (fala) et soit capable de faire (fá-lo), c’est-à-dire qu’elle sache travailler, qu’elle ait un bon corps pour le travail.
Pierre-Christophe Cathelineau – Qu’elle ait un bon corps…
Valentin Nusinovici – Pour travailler à la ferme quoi !
Maria Belo – Elles travaillent aussi chez vous. Maintenant elles ne travaillent plus, mais chez nous elles travaillent beaucoup à la campagne et ce sont elles qui font disons le gros du travail. Et je trouve que c’est ce que tu disais, on vit dans la langue et donc ça fait quelque chose de tout à fait différent de ce qu’on pourrait supposer sur la place de la femme.
Pierre-Christophe Cathelineau – Et les modalités du refoulement qui ne sont pas les mêmes selon qu’on utilise…
Maria Belo – Et le rapport à l’enfant. Le rapport à l’enfant n’est pas du tout le même non plus. Il y a une chose aussi, à propos du miroir, il y a une chose qu’on ne dit pas souvent qui est que dans ce rapport dont on a parlé entre les parents et les enfants, ce rapport qui est un rapport où les parents s’adressent à un sujet, s’adressent à un être, les parents ils savent très bien évidemment ce que c’est qu’un garçon et ce que c’est qu’une fille, ou plutôt que c’est un garçon ou que c’est une fille. Et quand on sait que c’est une fille on ne pense pas, une mère ne pense pas « elle n’a pas de phallus » ou « elle n’a pas de pénis ». Elle pense « elle a d’autres organes », « elle a à l’intérieur. » Il suffit de se rappeler, toutes les femmes qui… et même pas seulement les femmes se rappellent que quand on change les couches d’un bébé ou quand on lui donne le bain, la mère, si c’est elle qui le fait, ne s’occupe pas du sexe de son garçon ou de sa fille de la même façon, ne le regarde pas de la même façon. C’est en cela que je trouve que Lacan est très fort dans la sensibilité qu’il a de ces choses, peut-être pas explicitement pour celle dont je parle. Dans ce rapport des parents aux enfants il passe quelque chose. Lacan dit, à la fin d’Encore quelque chose de très joli à la fin d’un paragraphe très beau : l’amour c’est l’échange entre inconscients. Et cela se passe de façon très forte entre les parents et l’enfant.
Avant de continuer je voudrais faire intervenir une opinion sur le stade du miroir chez la fille. Depuis sa naissance son corps est traité nécessairement par la mère de façon différente de celui du garçon. Une mère sait que le corps de sa fille cache son sexe. Elle sait qu’elle a une intériorité que le garçon n’a pas. Elle s’en occupe de façon différente en lui donnant son bain, en changeant ses couches. Ses fantasmes sont différents. Et, comme Lacan l’a tout à fait bien saisi, l’enfant reçoit tout cela en lui.[7] Sa sensibilité à la relation à l’autre est totale. Ainsi, je crois pouvoir dire que la fille, devant le miroir « sait » (inconsciemment) qu’elle n’est pas toute là, dans le miroir. Elle va en jouer d’une parade et d’une parole, car son jeu est à jamais caché. Elle peut faire semblant. Alors que le garçon ne peut rien cacher et cela aide à sa position paranoïde et dépressive. On devrait peut-être là interroger comme le fait Lacan sur l’anorexie en disant que ce n’est pas surtout par le négativisme que se manifeste la résistance à la toute-puissance, mais surtout par l’annulation de l’objet en tant que symbolique comme un « manger rien » qu’on retrouve en général chez les adolescentes ; mais aussi sur l’obésité avec laquelle, l’une et l’autre cachent leur corps sexué.
Nous pouvons dire que toute parole est une double sublimation (symbolisation ?) du corps. Un corps qui se « sait » mais qui se méconnaît, qui s’adresse à l’autre. La parole occupe le lieu de cette méconnaissance, elle remplace la symbiose corporelle avec l’autre, crée la bonne distance, la réalise, régule et socialise et simultanément intègre l’expérience du corps comme sa base primitive, nécessaire et réelle. Le corps devient le vrai étrange familier. Ou, selon les mots de Freud, « das Unheimliche, cette catégorie d’effrayant qui renvoie à ce qui est connu, depuis toujours familier (…) l’endroit de tout ce qui aurait dû rester secret et caché, mais est venu au grand jour.» C’est ce corps intime, plein, primitif que le miroir refoule en nous imposant une identification imaginaire à un corps total extérieur, vide et clean.
« Un jour, de façon prématurée l’enfant voit son image dans le miroir et s’y reconnaît. » Prématurément, Lacan le souligne, c’est-à-dire avant d’avoir accès à son corps profond, intérieur, épais, dans sa dimension réelle, dans sa liaison progressive à une parole qui dit je. Ce corps ne se situe plus dans les réseaux complexes d’une langue, une histoire, une culture, une fonction, une dépendance. Il se centre sur le moi, imaginaire, individuel, qui demande tout le temps des utopies fusionnelles ou des libertés égotiques, dans un refoulement précoce du je en tant que sujet de parole qui vient du corps inconscient.[8]
Lacan disait : « Une femme, elle n’est pas toute. Elle y est en plein, mais il y a quelque chose en plus. Une jouissance du corps au-delà du phallus. Comme je l’ai dit plus haut, les mères et les pères regardent, travaillent le corps de leurs bébés, garçons et filles, de façon différente, avec des fantasmes différents. Ainsi, quand le miroir interrompt précocement, chez une fille-bébé, la conscience du corps propre, elle a une porte de sortie à son aliénation spéculaire : elle « sait » inconsciemment qu’elle n’est pas toute là, dans le miroir, il y a quelque chose en plus que beaucoup de cultures, par leurs rites, régulations et règles ne cessent de lui signifier. Mais dont elle sait rien.
Ce que j’aime bien dans cette histoire entre parole (fala) et phallus (falo), c’est que ça vient dire quelque chose de cela. Et je dirais que nous avons… par exemple les Africains, ils ont en effet un corps différent, ils ont de par leur culture une relation au corps différente de notre propre position. Et je pense que c’est par là que ce travail dont Lacan parle à la fin du stade du miroir en disant qu’il faut tout un travail pour aller au-delà de cette aliénation dans l’image, et il dit que nous, analystes, on peut commencer ce travail avec nos analysants, mais nous ne pouvons pas aller au-delà de ce qui est à eux… Je pense que quand ils disent qu’il ne faut montrer le miroir à l’enfant que quand il parle sinon il ne parlera pas, c’est évident qu’il parle, de toute façon nous parlons tous, mais la parole qui est ce que Lacan appelait la parole pleine est une parole qui vient du corps intérieur, qui vient de la vie, qui vient de la sensibilité, qui ne vient pas seulement du théorique universel. Et c’est cette parole-là que l’on risque d’empêcher de se développer et qui se développera éventuellement, dans les meilleurs cas, plus tard. Je crois que c’est ça que ça veut dire.
Voyons ce que Lacan élabore quand il dit le stade du miroir qui n’est pas ici sans relation avec le phallus.
Comment, demande Lacan, le phallus s’introduit dans cette dialectique de la frustration ? Il va commenter la phase phallique introduite par Freud et essayer de montrer « comment il se fait que le phallus qu’elle n’a pas, peut avoir une telle importance pour la femme ? »
Qu’est-ce que cela veut dire qu’elle n’a pas le phallus ? Ce n’est pas, dit Lacan, d’une quelconque constitution organique génitale qu’il parle. Nous sommes, nous, femmes, héritières d’une certaine façon de cette culture millénaire du monothéisme. Je vais vous dire pourquoi je vous parle de ça. Je n’ai jamais été féministe. J’étais là entre 1968 et 1974. Je n’ai jamais été féministe. D’ailleurs je dois dire durant cette période j’ai fait de la psychanalyse et même j’ai pas fait de la politique non plus. Je trouve que la parité est une stupidité parce que les femmes ne se comportent pas comme des numéros. Je trouve que le genre c’est une idiotie. Enfin c’est personnel. Mais je trouve qu’on n’a jamais pu aller là où est la femme c’est-à-dire que même nous, analystes, et pourtant le féminisme est plein de théoriciennes dès le début, qui sont des analystes. Par exemple Luce Irigaray a dit des choses vraiment intéressantes, mais je trouve qu’on est tellement fait de cette culture millénaire que nous-mêmes, femmes, nous avons beaucoup de mal à savoir où on est et ce qu’est être une femme vraiment. Il y a une chose dans le séminaire qui n’est pas… Je voudrais savoir si on dit d’une femme, ou de n’importe qui, qu’elle n’a pas de phallus ou qu’elle n’a pas le phallus. Qu’est-ce qu’on dit en français ?
Bernard Vandermersch – Ça n’est pas la même chose.
Marc Darmon – Elle en a deux ! [Rires]
Maria Belo – La mère n’a pas de phallus, dit Lacan ; parce qu’elle ne l’a pas, elle le désire. Et elle ne sera satisfaite que si on le lui donne. Et je pense que c’est une difficulté que nous avons, que nous avons envie de recevoir quelque chose qui est de l’ordre du phallus. Lacan dit que c’est une question de fait cette prééminence du phallus dans toute la prégnance imaginaire. La petite fille doit sentir quelque chose, dit-il, des émotions, etc. Mais, selon Freud, la femme a beaucoup plus de mal que le garçon à faire rentrer cette réalité de ce qui se passe du côté de l’utérus ou du vagin dans une dialectique du désir. Et là moi je ne suis pas d’accord. Moi je trouve que la petite fille, même d’une certaine façon, c’est déjà là pour elle.
Marc Darmon – La dialectique du désir est déjà là ?
Maria Belo – Pour elle, oui.
Marc Darmon – La dialectique du désir ?
Maria Belo – Le fait de savoir qu’elle a quelque chose qui n’est pas le phallus, qui n’est pas le pénis, mais qui est quelque chose à partir de quoi elle peut désirer.
Pierre-Christophe Cathelineau – D’ailleurs Lacan ce n’est pas tout à fait ce qu’il dit quand même parce qu’il est revenu… Dans RSI il est très clair qu’il revient sur cette position en disant que le savoir féminin sur le sexe est infiniment plus développé que celui d’un homme.
Maria Belo – Le savoir féminin sur le sexe…Je ne l’ai pas imprimé.
Pierre-Christohe Cathelineau – En tout cas il dit que le savoir d’une femme, il le dit, est bien plus effectif et déployé que celui d’un homme.
Maria Belo – C’est dans RSI ça ?
Pierre-Christophe Cathelineau – C’est au moment où il parle… je vous renvoie au passage où il parle de la Reine Victoria.
Maria Belo – De la Reine Victoria ? D’accord.
Valentin Nusinovici – Mais Maria [Belo], il dit bien qu’elle sait quelque chose de cette réalité. Il ne dit pas qu’elle ne sait pas. Il dit qu’il a du mal à le faire entrer dans une dialectique du désir qui la satisfasse. Tu disais tout à l’heure que la femme ne sait pas très bien où elle se situe… Je trouve que c’est quand même assez homogène. Non pas qu’elle méconnaisse son corps comme disait Freud, il admet tout à fait qu’elle ait ses sensations et tout ça mais que c’est difficile de faire entrer dans une dialectique du désir…
Maria Belo – Non. Il ne l’admet pas tout à fait. Mais c’est vrai que c’est la difficulté de la femme de sortir de cette civilisation où on est. C’est vrai que c’est notre difficulté. Mais c’est aussi vrai que…
Pierre-Christophe Cathelineau – Mais c’est plutôt le caractère insatisfaisant du phallus. Ce dont parle Lacan c’est du caractère insatisfaisant du phallus.
Maria Belo – Et je crois que pour une femme, pour faire rentrer ses sensations intérieures dans une dialectique sexuelle satisfaisante…
Pierre-Christophe Cathelineau – Il a changé après.
Maria Belo – Oui parce que je n’ai pas l’impression que ça parle du rapport sexuel, ça parle du désir. Dialectique du désir… C’est quoi la phrase ? La dialectique du désir qui la satisfasse. Il est question de satisfaction. [Commentaires inaudibles]
Moi ce que je voudrais faire ressortir c’est que d’une certaine façon dans notre culture la… cette méconnaissance, qui n’est pas ignorance, que la femme a éventuellement de son sexe, qui est une connaissance qui se méconnaît, ce n’est pas une ignorance, c’est refoulé dans notre culture et c’est refoulé dans nos dires, dans notre façon… Freud parlait d’un truc qui est que le corps devient un vrai Unheimlich, une inquiétante étrangeté en français. Comment on traduit en portugais ? [Échange avec Marie-Christine Laznik sur la traduction]
Il y a un écrivain portugais, Ferreira de Castro qui écrit sur les émigrants au Brésil, et quand ils reviennent, rarement d’ailleurs, ils sont vus comme des íntimos estranhos
Marie-Christine Laznik – Ça c’est joli. Des intimes étranges.
Maria Belo – Étranges pas seulement dans le sens d’étrange mais…
Le signifiant (phallus) existe, (on ne l’invente pas), le phallus imaginaire : la mère manque de phallus, c’est vrai, elle est dans une culture où la dialectique du vagin-utérus est refoulée[9] à la faveur d’un phallus imaginaire. Mais le signifiant existe et a un rôle sous-jacent. Il ne s’agit pas d’un manque réel, car le phallus chacun sait qu’elle peut en avoir ; elles les ont et les produisent.
Quand je dis que la dialectique du vagin-utérus est refoulée, ça c’est moi qui le dis, je le dis parce que dans la culture française tout autant qu’ailleurs le fait de ce que vous appelez en français les règles est quelque chose qui existe, qu’on connaît, et qui était d’une certaine façon complètement intégré dans la culture. Une femme qui avait ses règles ne pouvait pas aller au saloir, là où on mettait la viande pour saler, parce qu’on risquait de l’abîmer. Il fallait que ce soit l’homme qui aille chercher un petit morceau pour ce jour-là. La femme qui avait ses règles ne pouvait pas faire tout ce qui monte : la mayonnaise, etc. Tout ça c’est d’une certaine façon une forme de refoulé sans le refouler complètement. Comment ?
Virginia Haselbag-Corabianu – Non mais tu sais « ce qui monte », on faisait le commentaire… Tu vois la métaphore ?
Maria Belo – Tout à fait. Oui, oui. La métaphore est justement dans le sens où ce n’est pas un exclusif de l’homme. Ça monte aussi, elle sait aussi faire monter. [Rires]
L’autre jour j’ai entendu un analyste dire à propos de la femme, on parlait phallus, c’était un moment dans un débat, dans un colloque où il y avait des gens d’autres associations lacaniennes et il y a quelqu’un de l’A.L.I. qui a dit « les femmes, elles ont la cicatrice ». Je trouve que ça c’est une façon extrêmement…
Marie-Christine Laznik – Ça c’est le petit Hans qui n’a pas grandi ! C’est le petit Hans sans le travail du petit Hans.
Maria Belo – Oui. Parce que c’est pas… ce n’est pas une cicatrice ! Une cicatrice signifie qu’on lui a enlevé quelque chose.
Virginia Haselbag-Corabianu – Par rapport à ça… j’ai un patient italien qui m’expliquait que dans l’argot italien le sexe de la femme est nommé avec le terme blessure et que le mot employé pour désigner les règles en italien c’est la blessure, ça saigne.
Maria Belo – Oui, mais ça c’est autre chose. Ce n’est pas une cicatrice. C’est une chose, c’est vrai qu’il y a du sang et le sang c’est la mort. Lacan le dit d’ailleurs.
Lacan va par un autre chemin, l’anthropologie, avec Levi Strauss pour le dire : c’est que, quelle que soit la structure sociale, matriarcale ou patriarcale « le pouvoir politique est partout[10] androcentrique, représenté par des hommes et par lignées masculines, (…) l’ordre du pouvoir, quoi qu’il arrive, est très précisément l’ordre du signifiant, de la parole, l’ordre où se confondent sceptre et phallus.[11] » Les temps de 1957 ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Peut-on dire que maintenant l’argent remplace le sceptre ? On peut penser ça à propos de vos difficultés aujourd’hui avec les gilets jaunes. L’argent n’a-t-il pas pris cette place phallique ? Ce que je voulais signaler là, ma question, mon problème, c’est pas une théorie, c’est quand Lacan dit que la représentation est très précisément par les lignées, c’est l’ordre du signifiant, c’est le phallus et c’est androcentrique, moi j’ai fait de l’activité politique chez moi et cette activité politique je l’ai faite parce que j’étais analyste. C’est-à-dire que je suis arrivée au Portugal à un moment où il y a une culture du secret chez nous depuis des siècles, pour diverses raisons que je ne vais pas commenter là. Quand Salazar était là il a contribué à ça, toute sa dictature a été faite sur la censure. Beaucoup moins sur la violence qu’en Espagne, il y avait beaucoup moins de violence, c’était la censure. Quand je suis arrivée au Portugal, c’était au moment de la démocratisation, on ne pouvait pas parler, on ne pouvait pas dire. Et c’est parce que j’étais analyste, parce que j’avais fait mon analyse, que j’entendais des patients et tout ça, que j’ai dit : il faut que je parle, il faut que je dise. Et c’est comme ça que j’ai fait un chemin politique pendant une vingtaine d’années. Et, une chose marrante, peut-être à cause de phallus-falo, c’est que moi d’un côté c’était pas du tout parce que j’étais femme que je parlais, c’était parce que j’étais une analyste, et simultanément je travaillais avec un groupe politique assez connu à cette époque-là au Portugal où c’était pratiquement que des hommes et moi j’avais l’impression d’être une intruse. En tant que femme je n’avais pas de place là. Et je ne sais pas si j’avais… C’est une chose que je n’ai pas encore bien comprise, mais c’est vrai que je me sentais comme ça.
Donc Lacan prend ici le phallus en le comparant à l’ordre politique, à l’ordre du signifiant, à l’ordre où sceptre et phallus se confondent.
« Imaginaire symbolisé qui fait qu’on a ou qu’on n’a pas le phallus, prend l’importance économique qu’il a au niveau de l’œdipe et de la castration. » Lacan fait alors une rapide référence à la mère phallique. On pourrait en parler longuement en ce qui concerne la culture portugaise.
Quel rôle joue le phallus en ce qui concerne son exigence à elle, se demande Lacan ? Et il raconte l’histoire prise chez Karl Abraham de la petite fille de deux ans qui prend trois cigares dans la boîte, en donne un au père, un autre à la mère et en met un entre ses jambes. La mère remet les cigares dans la boîte mais la fille recommence. C’est quelque chose, je trouve, qui n’est pas facile à comprendre. Parce qu’elle donne aussi à son père. Est-ce qu’elle veut le recevoir de son père et que sa mère le reçoive aussi de son père ? Ou que sa mère le reçoive d’elle ? Lacan note que ce n’est pas seulement de manquer de phallus, mais de le donner comme un petit garçon à sa mère. Voilà, ça c’est un moment en analyse où on parle toujours du petit garçon. Ceci dit-il, pour montrer que pour concevoir la perversion il faut partir du phallus. Perversions qu’on trouve plutôt chez les sujets masculins. Comment l’enfant (garçon, fille ?) réalise que sa mère toute-puissante manque fondamentalement de quelque chose et par quelle voie lui donner cet objet dont elle manque ? Le garçon, malgré que tout phallique, sent honte de son insuffisance. C’est la période préœdipienne où les perversions prennent leur origine.
Ce phallus qui est fondamental en tant que signifiant dans l’imaginaire de la mère, qu’il s’agit de rejoindre car l’enfant se supporte de cette toute-puissance de la mère, où est-il ? C’est là que se jouent les perversions pour le garçon – travesti, fétichiste – l’objet est là justement où il n’est pas : chez la mère en toute rigueur. Il n’est pas tout à fait où il est et il est un peu où il n’est pas. Voilà. C’est là que se jouent les perversions pour le garçon. On ne parle pas du tout des petites filles. Qu’on ne peut le prendre qu’en tant que tel, en tant que supposé et méconnu. Phallus ce n’est qu’un objet imaginaire ou un signifiant (irréel ?) au sens où Lacan savait que la libido était iréelle. Pour tout dire toutes les perversions ont rapport avec cet objet signifiant, vrai, qui n’a pas la valeur faciale indiquée. On dit ça en français « valeur faciale » ?
Bernard Vandermersch – C’est « spatiale » là qui est indiqué.
Maria Belo – Là c’est marqué « spatiale » ?
Bernard Vandermersch – Oui, moi dans mon texte c’est marqué « spatiale ».
Pierre-Christophe Cathelineau – Ça a été corrigé.
Virginia Haselbag-Corabianu – Sur le nouveau, moi j’ai « faciale ».
Marc Darmon – Oui.
Maria Belo – C’est faciale.
Pierre-Christophe Cathelineau – C’est mieux « faciale ». « Spatiale » c’était la version…
Bernard Vandermersch – « Faciale » ça ne veut rien dire.
Valentin Nusinovici – Si ça veut dire quelque chose ! Il n’est pas tout à fait ce pour quoi il se donne, ce pour quoi il apparaît.
Maria Belo – Oui, un chèque a une valeur faciale.
Valentin Nusinovici – Bien sûr ! C’est « faciale » le terme.
Pierre-Christophe Cathelineau – Par rapport à la version… c’est judicieusement corrigé.
Virginia Haselbag-Corabianu – Vous avez la phrase pour qu’on la relise ?
Marc Darmon – À quelle page ? p. 332 [ nouvelle version]
Bernard Vandermersch – « Pour tout dire, toutes les perversions peuvent se placer dans cette mesure où toujours, par quelque côté, elles jouent avec cet objet signifiant en tant qu’il est, de sa nature et par lui-même, un vrai signifiant, c’est-à-dire quelque chose qui en aucun cas ne peut-être pris à sa valeur faciale […] »
Maria Belo – Voilà.
Pierre-Christophe Cathelineau – C’est la question de l’équivoque.
Valentin Nusinovici – Bien sûr. Il n’est pas ce qui est représenté.
Maria Belo – Il est même, quand on le trouve (dans le fétichisme par exemple) rien, c’est le fétiche (même dans l’homosexualité).
Donc à cette étape, entre la première frustration et l’œdipe, l’enfant (lui, elle ?) fait semblant pour satisfaire le désir (impossible) de la mère, se fait lui-même/elle-même objet trompeur de ce désir.
C’est aussi d’une certaine façon l’effet de la phase du miroir ou l’enfant apparaît comme ce qu’il n’est pas, se fait objet, le garçon. Car la fille elle « sait » le vide. C’est intéressant de rappeler que c’est les filles,[12] que les mères, déguisent, font la mascarade en les habillant comme si elles essayaient, dès la petite enfance, de leur donner une image phallique avec les robes, avec tout ça. Car la mère inassouvie, elle cherche ce qu’elle va dévorer. Le dévorer il apparaît ici, mais moi je pense que c’est un truc qui est tout le temps là entre la mère et le petit enfant, l’aimer et le dévorer, le prendre et le faire disparaître, elle lui dit « ce que tu es appétissant »… En portugais on dit beaucoup ça. Je vais te dévorer de baisers. Tu es à croquer… Cela renvoie aussi aux objets que par ailleurs le fétichiste se trouve.
Texte de Maria Belo, relu par Maria Belo.
Transcripteur : Véronique Bellangé, Marie Combet, Érika Croisé Uhl.
Relecteur : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.
[1] Pp 43 et 46, traduits ici à partir de la version brésilienne.
[2] Falas, cf. tableau plus loin.
[3] Lacan me semble, à ce moment, retirer la relation avec la mère de cet ordre symbolique. ( ?) pp. 301-311.
[5] Le phallus, parole en portugais se dit fala
[6] Dans le séminaire XI, Lacan dira : « La libido est l’organe essentiel pour comprendre la nature de la pulsion. Cet organe est irréel. Irréel ce n’est pas du tout imaginaire. Il se définit de s’articuler au réel d’une façon que nous échappe et c’est cela que justement exige que sa représentation soit mythique. Mais qu’un organe soit irréel cela ne l’empêche pas de s’incarner. » On comprend ainsi que l’oralité, la bouche et la parole aient pris cette fonction érotisée sur le plan du désir qui s’ordonne dans l’ordre symbolique au point qu’il ne peut y avoir d’objet réel du tout. Voir les notes de la nouvelle édition de l’ALI sur le manger rien..
[7] Je citerai Lacan, que je n’ai pas cité lors de cette présentation car je n’ai pas rencontré cette expression que plus tard, dans la leçon du 3 Avril : « …la résistance des sujets masculins à admettre bel et bien effectivement que les sujets féminins sont véritablement dépourvus de quelque chose, et à plus forte raison, qu’ils soient pourvus de quelque chose d’autre. » (Je souligne)
[8] Au Portugal des sentences anciennes populaires disent, à propos de la façon d’élever les enfants que « tant qu’un enfant ne parle pas, on ne doit pas lui montrer un miroir, sinon il ne parlera pas ». J’en ai trouvé les mêmes dans deux pays d’Afrique.
[9] Cf. Yvonne Verdier, “Façons de dire, façons de faire”. L’auteur décrit les interdits que la menstruation implique pour la famille et le village sans refoulement.
[10] Inclusivement dans les sociétés dites contre l’Etat, sans Un. Cf. Pierre Clastres, « Les sociétés sans État ».
[11] Sceptre et phallus qui peuvent être tenus par une femme sans que cela change l’ordre symbolique. Curieusement j’ai regardé trois séries actuelles à la télévision, une américaine (House Cards) se passe à la Maison Blanche, une française (Baron Noir), à l’Elysée et une anglo-africaine (Black Earth Rising) au palais présidentiel du Congo. Dans toutes les trois le président de la république est une femme. C’est intéressant de voir le rôle des hommes.
[12] Est-ce que pour la langue française, où il n’existe pas d’équivalent du mot garçon pour le féminin, une femme n’est toujours qu’une fille? De son père ? De sa mère ?