« Je ne me laisserai plus faire », c’est le titre du film. Comédie française, comme on les aime, légère et intelligente.
« L’épopée vengeresse d’une septuagénaire échappée d’un EPHAD et d’une femme de ménage… Yolande Moreau et Laure Calamy font vivre cette fable grinçante autant que revigorante » …
La dimension vengeresse de ce road-movie revisité n’est pas sans rappeler le féminisme actuel, celui qui caractérise le mouvement Me too.
Mais, ne devrons-nous pas dire plutôt un « Moi aussi », version française du dit mouvement ? Cela suscite quelques réflexions.
Les deux femmes vont se venger en se moquant de ceux qui ont laissé des traces aussi traumatiques qu’indélébiles dans leur mémoire des dizaines d’années plus tôt. Le trauma venant de ce qu’elles n’ont pas pu dire ou faire pour se défendre. Le point c’est qu’elles n’ont pas pu ou su réagir à ce qui fut la violence de ceux qui les ont abordées sans retenue ni considération.
Or, parmi les responsables des traumatismes, il y a aussi une femme. Et cela change l’interprétation des faits.
On perçoit certes le spectre de Me too, mais ce film nous fait sentir un Moi aussi version française dans le sens où il saisit qu’au-delà des traumatismes d’ordre sexuel, il s’agit plutôt de la violation de la loi symbolique.
La guerre de sexes suscite l’idée de deux fronts de bataille, et attribue malencontreusement l’ennemi des femmes aux hommes. C’est une maladresse, qui, pêchant de naïveté, est fâcheuse parce que lourde de conséquences.
La psychanalyse se fonde sur le pari que cette loi symbolique est éminemment pacifiante lorsqu’elle exige qu’autant l’homme que la femme consentent à une déception fondatrice.
La croyance dans un univers maternel qui octroie le Bien sans condition est un pari illusoire qui finit par être la source de revendications imaginaires. La psychanalyse rappelle que c’est le lot de tous de sortir de cette illusion.
Être mineur c’est vivre sans conscience de sa responsabilité, vivant à l’abri de cette instance d’amour inconditionnelle, enfin, si elle existe !
Être majeur nécessite de sortir de cet abri qui est somme toute imaginaire, afin de voir la lumière du jour… de l’existence.
Mais cette majorité-là, qui serait le but même d’une psychanalyse, n’est plus inconditionnelle et gratuite.
Elle exige qu’autant les hommes que les femmes consentent à l’entame qui les constitue.
Des mots classiques de la théorie psychanalytique sont aujourd’hui diabolisés : phallus, castration, penis-neid, hystérie… L’anathème tombe comme un couperet bâillonnant à cause de ce que le langage commun entend.
Il faudrait quand même mettre au goût du jour la névrose obsessionnelle parce qu’elle permet de saisir qu’être un homme est loin d’être un privilège.
La névrose obsessionnelle c’est la façon dont un sujet, en général masculin, se refuse inconsciemment, bien sûr, à renoncer au supposé bien-être du ventre maternel. Cette mère toute-puissante qui lui colle aux semelles n’aurait renoncé elle non plus à aucune jouissance, et va cautionner le sans toit ni loi de son mouflet, grand ou petit.
La notion de clinique médicale en France s’est toujours distinguée par la recherche de structures sous-jacentes pouvant rendre compte des faits cliniques. L’américaine se contentait d’énumérer des signes cliniques.
Il est possible qu’un parallèle du même ordre soit possible avec le Moi aussi français.
Il y a toujours un pacte symbolique qui attend chacun de nous s’il consent à payer le prix pour y accéder : celui de l’acceptation de la déception qui est à l’œuvre dans la vie et qui fait le quotidien d’une analyse.
C’est dommage que cette logique, qui est le propre de l’enseignement de Lacan ne soit pas reconnue à sa juste mesure en France. Ses intellectuels cèdent souvent la place aux discours qui séduisent avec ou par la bénédiction de l’oncle Tom.
C’est dommage. Beaucoup de malentendus seraient levés si on reconnaissait la force apaisante du pacte symbolique.
Le féminisme à la française n’est pas calqué sur le féminisme américain quand il fait place au dit pacte.