Melman l’air de rien
Charles Melman avec son air de ne pas y toucher était un grand « patron » de la psychanalyse, modèle unique et singulier.
« Élève fidèle et indomptable » de Lacan, son parcours l’a amené à créer et diriger, avec d’autres, l’Association Lacanienne Internationale et l’EPHEP.
Il nous laisse de nombreux ouvrages qui témoignent de son inventivité psychanalytique.
D’une clarté mystificatrice dans la transmission de son savoir théorique et dans le déroulé de sa pensée vive, je retiendrais surtout de ses écrits, le mystère, le casse- tête attendu de ses billets équivoques au possible toujours mordants, provocants ou ironiques.
Comme bien d’autres je lui dois d’avoir soutenu la légitimité que je me suis accordée autant au niveau personnel que professionnel puisque l’un ne va pas sans l’autre.
D’une part à travers ma formation théorique et d’autre part parce qu’il fut à la tête des quelques autres qui me permirent de m’autoriser.
M’autoriser à exercer, à écrire, à aimer.
Je ne peux rédiger sans imaginer à un moment ou un autre son regard ironique par dessus mon épaule.
La place des pairs supporte le poids des figures mythiques et la plus lourde revient à celle qu’on a connu de près ou de loin de son vivant.
J’aimais la profondeur non feinte de son écoute, la dérision douce et résignée dont il faisait preuve en premier lieu envers lui-même, cette distance amusée que je n’ai jamais reçu comme du mépris ou de l’indifférence.
Comme s’il n’était jamais seul mais toujours précédé d’un savoir sur l’inconscient
qui lui donnait une longueur d’avance sur les autres ou les événements, l’air de rien.
L’aura du vide salutaire qui l’entourait.
Son départ suit celui de Marcel Czermak pour lequel ses billets tout aussi énigmatiques furent alors emprunts de nostalgie, de regret et de fraternité.
Existe-t-il un au-delà du principe des relations humaines où la reconnaissance de l’autre n’ôte rien à soi…?
Il restera parmi les hôtes du panthéon personnel sur lequel je prends un cinglant élan vital.
Muriel Thiaude