La verticalité est la condition de l’appartenance : L’altération de la langue originaire est la condition du parlêtre.
2025

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Christine DURA TEA
Textes
Travail social

 

En lisant le textez de Nazir qui est parfois difficile à suivre mais qui reste son élaboration et son énonciation, je me suis d’une certaine façon laissée altérer, mais je me suis néanmoins demandé comment retrouver au cas par cas de notre travail clinique l’altération de la langue originaire et de ce fait, le rapport du sujet à son articulation signifiante, qui reste pour moi le fil à ne pas lâcher pour rester du côté de la psychanalyse.

 

Cette question est certainement toujours au travail pour chacun d’entre nous, même après la cure. Certainement cette question est au travail pour toi, Nazir. Tu as beaucoup travaillé sur la question de la langue dans le passage des frontières et justement le passage d’une langue à l’autre et tu nous as beaucoup appris. Dans ton intervention, tu t’appuies sur des exemples, les grands textes à l’origine qui font le socle de la culture de notre humanité, tu fais entendre la nécessité absolue de poser l’origine pour perpétuer le lien organique de l’homme à ses textes de référence.

 

Tu as pris comme point de départ, la verticalité et l’horizontalité que Jean-Pierre Lebrun a beaucoup développé dans son travail ici même dans la première intervention. Jean-Pierre Lebrun donne aujourd’hui la primauté à l’horizontalité dans le lien social qui est défié dans le rapport à l’autorité, mais pas seulement.

 

En nous appuyant sur l’Envers de la psychanalyse et la lecture des mathèmes des discours nous appréhendons qu’il il n’y a pas d’horizontalité sans verticalité, pas l’un sans l’autre. Le mathème du discours Agent /vérité, Autre/Production définit des places qui sont fixes ainsi que les lettres S1, S2, S/ et « a », lettres qui tournent dans les discours et produisent la logique signifiante d’un sujet, lettres nouant de ce fait la verticalité et l’horizontalité. Mais je laisse cela de côté qui sera repris largement dans le séminaire d’été à Nice, cette année.

 

 Dans ton texte, la définition du lien social organisée autour d’une jouissance commune, d’un objet de jouissance est abordée avec cet exemple des rollers ou des cyclistes que Charles Melman a repris dans un article que je n’ai pas retrouvé car je n’ai pas eu le temps de chercher. J’ai été surprise de lire qu’un tel sujet se définissait pour toi par « son faire » peut-être « son foutre » plus que par sa prise dans la parole et dans son dire. Donc c’est un sujet qui n’est pas divisé il s’agit plus de la définition de l’individu mais pas du sujet ? A moins que son « faire « relève du passage à l’acte ou de l’acting out ? Cet individu aura une chance de le subjectiver s’il trouve un lieu d’adresse.

 

  Tu mets l’accent sur le fait que la jouissance commune des rollers par exemple serait celle alors d’une communauté de faire ?  Et tu amènes là très rapidement la verticalité et la question de l’identité dans sa référence religieuse. Car tu reprends les référents qui sont toujours les mêmes quant à la construction de l’identité soit individuelle, nationale et communautaire, ces référents étant la religion, la race, la langue et la culture et tu en fais des ensembles, ouverts ou fermés ? Des ensembles que tu poses dans une verticalité sacrée ou idéalisée qui demeure le pilier principal de la structuration de l’appartenance identitaire.

 

D’une certaine façon en prenant comme point d’appui à la fois la verticalité et l’horizontalité, tu en fais une fonction affine (f(x), pour y poser des repères et écrire une fonction nécessaire pour penser le nouage de plusieurs registres de l’identité qui peuvent s’articuler à l’imaginaire, le symbolique et le réel. Et si le point de départ reste la verticalité tu donnes à l’horizontalité ses formes spatio-temporelles à lire sur la droite f(x) qui écrit le rapport entre les deux versants, que tu vas illustrer de façon différentes notamment avec la dimension spirituelle et la dimension biologique (l’organique) quand tu prends l’exemple du bon gouvernement ( le tableau de Lorenzotti),  même si nous savons que  gouverner, comme éduquer, analyser et faire désirer reste de l’ordre de l’impossible, et sont des métiers impossibles, ce que Lacan va reprendre dans sa conférence : Le triomphe de la religion, donc dans cette fonction a-fine tu y places de fait l’impossible.

 

La question de l’appartenance est également une notion mathématique en suivant ce nouage tu concluras sur l’altérité que produit la langue elle-même, altérité inscrite dès l’entrée dans le langage par cette irruption de jouissance qui peut être réduite au trait unaire qui se répète et qui est le point d’appui de l’identification. Est-ce ce trait unaire qui t’amène à poser la verticalité dans sa dimension spirituelle et organique ?

 

Ce trait unaire qui permet de se compter pour un absolument différent et singulier dans le registre du signifiant. C’est de ce côté que je placerai le Père réel qui continue à faire débat pour nous, le séminaire L’envers de la psychanalyse nous fait entendre, que le père du mythe freudien n’est qu’un habillage de cette perte de jouissance inaugurale. Ce père réel peut alors être porté par la parole, le désir d’une femme.

 

  La permission de jouir ne change rien à ce qui est la structure de la jouissance, car c’est la jouissance même qui comporte une béance, elle est traumatique, c’est un trou qui inaugure l’obligation d’une répétition qui ne peut pas trouver d’issue. Parce que, ce qui se récupère de cette répétition de jouissance, ce ne sont que des lichettes. Ainsi nous pouvons comprendre que ce « père » réel » que cherche Freud dans les mythes, n’est rien d’autre que la marque traumatique de la langue. C’est ainsi que je peux entendre, l’altération de la langue originaire est la condition du parlêtre.

 

La question de l’appartenance me gêne un peu, vous l’avez compris et donc je me suis demandé s’il s’agissait pour toi d’un ensemble fermé ou ouvert, à bien te lire, cet espace s’ouvre, ainsi peut-on être altéré ! Tu insistes pour faire entendre que penser l’Autre c’est l’altérer, il n’y a pas d’identité inaltérable. Je vous rappelle qu’un espace ouvert en mathématique est un sous ensemble qui ne contient aucun point de sa frontière, ces points de la frontière serait-elles les lettres en attente d’être signifiantiser ? Le psychanalyste n’est-il pas de ce fait un point de cette frontière qui n’appartient pas à l’ensemble, ni dedans, ni dehors ?

 

 En effet la question de l’appartenance pour penser l’identité me gêne et il me semble qu’il est important et tu le fais d’ailleurs, il est important de se dégager du soi -même, et de ce qui fait l’identique à soi auquel nous ramène la question de l’identité pour s’appuyer sur les mécanismes de l’identification et introduire une absence de coïncidence à soi pour penser l’altérité. Car l’identification contient une opération de différenciation radicale qui produit de la différence absolue et constitue l’articulation entre le singulier et le commun. Comme Freud tu cherches à penser l’identification dans le cadre d’une psychanalyse du collectif, qui nous permettrait d’élaborer le vivre ensemble en articulant les différentes identités, comme autant de symptômes pour s’agencer au lien social et tu soulignes que lorsque nous parlons de l’identité, nous sommes pris au piège de dire ce qui la constitue pour un sujet ou pour un groupe.

 

C’est ainsi que l’on saisit ta définition de l’Autre positivé que tu qualifie comme un moment dont tu ne donnes pas la temporalité, peut-on le retrouver dans le graphe du désir par exemple ? Un moment justement qui ne m’apparait pas un moment de différenciation radicale ?

 

L’Autre positivé, serait ce moment dis-tu où le sujet se consacre, s’unit à un Autre qui ne répond pas, pour faire triompher sa cause et tu mets ce moment du côté de la foi, où de la certitude ? Peut-on rapprocher ce que tu décris là, de l’aliénation /séparation qui met en place la division subjective et la question du rapport du sujet à l’Autre. Le sujet-individu semble ici fixé dans ce moment à une aliénation et une emprise dont il ne peut sortir pour se séparer, que dans la violence où la haine.

 

La foi que tu définies comme cet au-delà des voyelles pour le poète, cet au-delà de la jouissance phallique qui ouvre au signifiant du manque dans l’Autre pour l’analyste ou les mystiques et qui défait la croyance en un Autre méchant ou gentil ou secourable qui serait logé dans le lieu du Grand Autre auquel le croyant continue à se référer. Il ne s’agit pas là de la croyance en Dieu ! Car comme tu le dis le Dieu des croyants n’est pas le Dieu du dire, du Dieur, car le Dieur est inconscient !

 

Pour reprendre le texte sur lequel tu t’appuies le Triomphe de la religion, le questionnement de Lacan se fait entendre, c’est-à-dire de savoir si la psychanalyse viendra à bout de la croyance. Lacan n’ose dire que la science est une nouvelle religion qui nous promets de nous affranchir du réel. Voyons l’importance de l’écologie dans les élections européennes, les fous du roller ont remplacés les fous de Dieux. Et pourtant, les savants qui cherchent perpétuellement un savoir pour effacer le Réel, produisent en fait de l’angoisse, ils finissent par avoir les foies, ce qui attestent nous dit Lacan de la présence de l’objet. Alors côté religion, toujours plus de sens pour guérir l’homme de son malaise, côté science toujours plus d’équations, de fonctions a-ffines, car les mathématiques ou la topologie c’est encore un idéal !

 

 Et la psychanalyse comment opère-t-elle sur le Réel, quel acte de foi suppose-t-elle dans le signifiant et ses effets pour le sujet qui prend la parole et se sépare de sa langue originaire ?

 

Et à quel Dieu croit-on quand on a terminé son analyse ? Quelle est notre appartenance en tant que psychanalyste ? C’est une question qui concerne les associations analytiques ?  Lacan dans cette conférence nous dit qu’il faut une longue ascèse pour parvenir à l’athéisme, pour le citer concernant cette question il déclare « En un mot, avec du Pire, faire du rire, non du père ». Car l’athéisme est un enjeu pour la formation des analystes, cette ascèse qui permettrait de se dégager d’un Autre tout-puissant, Nazir l’appelle cet Autre Positivé.

 

Cet athéisme est-il possible à atteindre ? Il convoque le psychanalyste face à son acte, et l’analysant face à la castration de l’Autre bien plus qu’à sa propre castration. C’est toute la question de la chute du sujet supposé savoir et de la double Mort de Dieu. La double mort du Père qui tu reprends, celui de la horde et de Moise et qui conduira Lacan après un long développement que je ne ferai pas ici, qui en passant par le christianisme et le judaïsme va poser une barre sur le grand Autre, et écrire le signifiant du manque dans l’Autre pour dégager le trou dans le langage d’où sont recraché les Noms du père.

 

Mais si Dieu est Dire aussi longtemps que se dira quelque chose, l’hypothèse Dieu sera là nous dit Lacan, la croyance relève du langage lui -même ! Aussi l’horizon de l’athéisme reste bien loin. Et ceux qui se déclare athée se retrouve confronter à la dénégation, c’est à dire dans le mouvement du langage, il retrouve ce qu’il avait précieusement conserver alors qu’ils l’avaient rejeté. La religion est donc un symptôme, elle a valeur de retour de refoulé, est ce que la psychanalyse « peut être capable de faire un athée viable, c’est-à-dire quelqu’un qui ne se contredise pas à tout bout de champ ». (J. Lacan : Conférences et entretiens dans les universités nord-américaine, Silicet N° 6,7, Seuil, 1976, p.32)

 

Comment résonne la petite phrase de Lacan dans notre actualité, « avec du Pire, faire du rire, non du père ». Je pense à la guerre en Europe, la guerre en Israël comment cesser de croire et en rire pour passer du destin tragique et funeste qui se répète, à l’ouverture de la contingence et la comédie. Hélas, personnellement cela m’est difficile, Il me semble que dans ton texte tu aménages cette ouverture malgré le sérieux que tu cherches à faire entendre. Car force est de constater encore et encore et de manière tragique que si le monde va comme il va, c’est en raison de la puissance de Dieu, de la croyance nous dit Lacan dans le séminaire l’Angoisse, cette puissance de Dieu s’exerce à la fois dans tous les sens et sera redoublée par la puissance de la science ainsi les différentes formes que prennent cet Autre Positivé que nous propose Nazir, dont la mère toute puissante puisqu’elle est désormais seule avec son enfant. Cet Autre positivé est « increvable » comme la religion dans son effort de noyer le Réel par le sens et écraser l’hétérogène et l’altération de l’origine par la mise en place du langage.

 

Christine Dura Tea, le 8 juin 2024

 

 

 

 

Lire le texte de Nazir HAMAD : La verticalité est la condition de l’appartenance