Les quatre discours mis au jour par Lacan offrent bien des interrogations et paraissent en fin de compte des objets de recherche insuffisamment mis à l’épreuve. Sans doute parce qu’il est difficile d’être toujours très concluant avec ces lettres et ces places.
Partons plutôt d’une constatation contemporaine et tentons de remonter vers la structure des discours – plutôt que l’inverse.
Aujourd’hui les conditions d’exercice du pouvoir ont considérablement changé et l’ensemble des sociologues ont pu noter l’existence d’une classe dirigeante mondialisée, ne considérant plus l’attache locale dans ses symboles (l’Histoire, la Patrie, la religion, les mœurs d’un pays) mais s’affiliant plutôt à une référence acéphale, qui est de nulle part et de partout à la fois – tout comme cette classe nomade de cadres qui exerce ses emplois à travers le monde et célèbre des « valeurs communes », commune à cette classe s’entend. En face – mais où justement ? Est-ce devant, derrière, en dessous, au-dessus ? – vit une classe moyenne périphérique en voie de déclassement, au sein de laquelle un fort sentiment d’abandon se fait entendre, qui ne circule pas dans le monde mais le long des nationales, en payant le prix fort le gasoil au kilomètre et que la moindre taxe supplémentaire met au supplice et précipiter, ces pacifiques devenus violents, autour des ronds-points. On reconnait également les conditions sociales ayant permis le succès de Donald Trump aux Etats-Unis.
Lors d’un colloque tenu à l’EPhEP je me souviens que Charles Melman avait à peu près décrit ainsi les conditions sociales actuelles, qui favorisent le populisme qui était le thème de ces journées où Dominique Reynié, politologue, intervenait à ses côtés. En d’autres occasions il avait pu aborder un thème assez proche qui est le défaut d’une place symbolique – un lieu dans l’Autre – qui favoriserait pour les enfants comme pour les adultes une mise en mouvement permanente, la destination ne comptant pas, tandis que la nécessité de ce mouvement viendrait ainsi créer une circulation mondiale permanente, touristique comme migratoire. Il suffit de descendre dans le métro pour valider ces remarques. Celui qui ne circule pas, celui qui se fixe, c’est le déclassé moderne, tandis que l’autre – le viator – est accueilli comme la figure qui parle aux pouvoirs – la forme moderne de l’autorité.
Venons-en à la partie théorique. Quel agencement de discours permettrait-il d’en rendre compte ?
Nous émettons l’hypothèse qu’il s’agit d’un déplacement de S1, de la place en haut à gauche dans le Discours du Maître, à la place de droite, celle que Lacan désigne comme celle de l’Autre, c’est-à-dire de cet espace non limité qui accueille traditionnellement ceux qui ne relèvent pas d’une reconnaissance par l’instance Une, et où Lacan situe l’esclave mais aussi bien l’étranger et les femmes. Le Maître moderne s’y logerait à présent en cette compagnie avec laquelle sa solidarité s’exprimerait de façon privilégiée – ce qui parait observable dans l’action politique – lui-même du même coup revêtant les traits d’un maître au service de son peuple. Face – c’est à dire devant – ce maître en position Autre – ce qui est singulier – on trouve précisément les singularités subjectives précitées. Ces citoyens – en fait une classe de particuliers sans plus de relation au général – sont en place d’agent et ils souffrent d’un défaut de reconnaissance, leur place étant devenue aléatoire et variable et sont animés d’une revendication sans limite à l’endroit du maître qu’ils commandent de lui délivrer ce qu’ils exigent – puisqu’il est à leur service.
Si ces éléments – esquissés très rapidement et dont la clinique pourra être enrichie – sont exacts, il est possible d’y lire la ligne du haut du discours de l’hystérique : $ -> S1
$ en position d’agent est à chaque étape susceptible de se massifier, de coaguler pour se réunir en une force collective exigeant que le maître lui délivre enfin l’insigne décisif et correctrice de sa division subjective. C’est une écriture nouvelle donnée à la psychologie des masses que Freud avait abordé avec un immense talent.
Cette lecture simple permettrait de comprendre que le Discours de l’hystérique chez Lacan désigne moins une structure subjective (l’hystérie) que la mutation historique du discours du maître – alors que le discours du capitaliste en serait une sorte de régression, ou peut-être d’optimisation. Il se prête ainsi à une lecture qui pourrait éclairer de façon assez impressionnante certains aspects de la nouvelle économie psychique incluant les nouveaux visages que le pouvoir peut prendre.
Cette esquisse pourrait être poussée et notamment par l’analyse de la ligne du bas de ce discours qui abrite ce qui, du réel, l’organise.
A suivre donc.
Nathanaël MAJSTER