La haine est la meilleure source de motivation
2024

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NOIRJEAN Cyrille
Cartel franco-brésilien de psychanalyse

« La haine est la meilleure source de motivation » ainsi s’est écrit pour un collégien de 5e, lors d’un atelier de pratiques artistiques avec les enseignants de français et d’arts plastiques, une bribe de ce qui pourrait le représenter ou l’identifier (ces sont les mots des professeurs). La phrase vient en regard d’une image (abstraite), sorte d’autoportrait abstrait. Repéré pour être un trublion, il jette de nouveau un pavé dans la mare : l’œuvre, qui a la forme d’un folio, doit être exposée.

Cette petite histoire pour illustrer les effets, l’articulation du social et du singulier, de la subjectivité. Cette phrase est venue après un travail ; elle vient d’une construction. Mais il s’avère que sous une forme un peu différente, c’est une maxime qui traîne dans les jeux en ligne.

 

En partant des questions que nous posons pour la soirée : Quels points d’appui avons-nous pu dégager ? Avons-nous avancé sur la spécificité de la haine qui s’infiltre de nos jours partout dans notre lien social ? Si quelque chose a changé, pouvons-nous en proposer une écriture ? Je voulais rappeler quelques points d’appui classiques qui permettent d’avancer vers une écriture. La haine est un affect, en ce sens, elle doit être réprimée ; le refoulement est sans effet sur la haine, le refoulement porte sur le signifiant.

Gardez ce « sans effet » en tête. Il important, en quelque sorte, d’agir au bon endroit, dans la bonne dimension.

 

Ensuite, il convient de dissocier l’agressivité de la haine. Dans le numéro de la Revue lacanienne, paru à l’automne, que nous avons aussi accueilli ici, dans son article Jean-Paul Beaumont, nous donne des éléments : « – l’agressivité contre le semblable qui peut trouver une sédation dans la désignation du tiers imaginaire “ ennemi ”. À moins qu’une opération symbolique ne permette la relation pacifiée au prochain ; – la haine proprement dite qui permet l’approche de la Chose sans la reconnaître, par le processus imaginaire de projection. En cela elle est proche de la jouissance, finalement bien mieux que l’amour, dont elle serait, plutôt que le contraire, la rivale. » Prévalence, importance de l’imaginaire ici – j’y reviens dans un instant – mais avant, pour serrer d’un peu plus près la haine, en la prenant par un autre bord, par l’articulation du singulier et du collectif, de la subjectivité et du lien social, je vais me servir d’un petit extrait du texte de Marc Morali, dans le même numéro : « Brecht déjà, bien avant Lacan, nous avait averti : la bête immonde n’est pas morte, et pour cause, elle sommeille en chacun de nous, à la racine de notre être. L’impossible se déguise en interdit, ce qui crée la transgression »  L’impossible, soit le réel, se déguise…

 

C’est l’une des questions que je soulève régulièrement comment s’habille la structure ? De quels oripeaux se pare-t-elle ? Aujourd’hui le lien social dominant (soit le discours du capitaliste) ne vient pas doubler le symbolique :   pour faire vite, le social ne vient pas redoubler dans ses prescriptions le manque que constitue la prise dans le langage de chaque parlêtre. La castration, cette opération symbolique, s’interprète aujourd’hui comme une restriction de jouissance (cf. la conférence de Martine Lerude au Grand Séminaire). Cette arrêt de la doublure du symbolique par le social a un premier effet évident sur « l’animal imaginaire » (Valère Novarina) qu’est le parlêtre, c’est d’offrir à l’imaginaire l’extension de son champ, de ses puissances, d’effacer en apparence la dimension RSI de la restriction de jouissance…

 

Pourtant l’articulation borroméenne (RSI) – dans laquelle chacun est pris, que chacun a à écrire, empêche la relation duelle. R, S, I sont noués à trois mais pas deux à deux. Pour décrire l’habit contemporain de la structure RSI, je parlais souvent d’oubli de la fonction symbolique ; je vais rejoindre Martine Lerude dans son propos du Grand séminaire, pour parler plus simplement d’oubli du symbolique. On pourrait dire que communément aujourd’hui, dans l’usage, dans la circulation, dans l’habillage de la structure le symbolique est oublié. Dès lors c’est l’imaginaire qui prend le pas, la projection et ces corolles : l’agressivité et la haine.

 

Samedi dernier, à l’EPEP, qui avait pour thème « Des histoires d’amours et de haines » est intervenu Tom Husson, doctorant qui travaille sur « La haine dans les réseaux sociaux. » Il a parlé pour les réseaux sociaux de rivalité envieuse (on retrouve l’agressivité de l’envie). L’envie soutenue, sollicitée par le discours capitaliste : l’objet, la production dans le discours du capitaliste se trouve du côté de l’autre. Pour que le sujet la récupère, il doit faire tout le trajet du côte de l’autre, c’est l’ennemi qui possède ce que je veux. Mais Tom Husson a apporté une idée très intéressante : la haine comme dernier espoir… On entend la proximité équivoque, dernier espoir-désespoir, dernier rempart avant le désespoir.

 

Pourquoi prendre appui sur la haine ? Parce que le discours hystérique est sans effet sur le discours du capitaliste. Le sujet s’épuise à la recherche d’un impossible qui ferait basculer le discours capitaliste…  Épuisé, sans recours face à ce sans effet, sans recours à la ronde des discours, il reste la haine (qui peut-être borde la pulsion de destructivité). Ce qui viendrai faire arrêt c’est le recours au symbolique oublié… Il peut être sollicité  et entrer de nouveau dans la danse. Pour ça il vaut mieux rencontrer un analyste, mais il y a peut être d’autres voies, ce sera notre thème de l’année prochaine :

« Qu’est-ce qu’on fabrique, inventions et subjectivité. »