Introduction aux névroses de récusation
2024

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ROTH Thierry
Journées d'études

 

Nouveau monde, nouveaux sujets ?

 

            Les abords de la clinique contemporaine sont assez divers dans le milieu analytique. Mais nous nous accordons tous je crois pour reconnaître qu’en quelques décennies, les progrès scientifiques et technologiques, associés à la logique capitaliste néolibérale, ont modifié considérablement la vie de nos contemporains – leurs modes de jouissance, les liens qu’ils tissent entre eux, leurs manières de faire famille, d’éduquer les enfants, etc.

 

Parmi les repérages cliniques les plus évidents, nous pouvons noter que ce sont désormais des jouissances objectales qui s’imposent, des jouissances d’objets positivés, au détriment du sexuel et du semblant. Il s’agit de jouissances nouvelles qui s‘imposent depuis le marché et qui tendent par ailleurs à abraser le désir singulier et la différence de sexes.

 

Beaucoup de jeunes patients se sont libérés des contraintes qui s’étaient longtemps imposées à leurs aînés, liées à la fonction paternelle qui entraînait une dissymétrie des places, une sexualisation du manque structurel lié au langage, et un refoulement nécessaire des désirs les plus intimes afin de se conformer à la loi symbolique et à un certain type de lien social. Mais cet affranchissement, mauvaise surprise, entraîne de nouvelles difficultés… Le nouveau patron est désormais l’objet, l’objet plus-de-jouir positivé, avec en parallèle cette course permanente à la performance et à la visibilité du moi.

 

Ces nouveaux sujets, désarrimés du Nom-du-Père par la grâce de notre postmodernité, semblent avoir perdu ce qui pouvait constituer leur lieu subjectif (leur Heim, pour reprendre le terme de Freud). Leur liberté revendiquée, appréciable sous certains aspects, se paie de différentes façons, dessinant ainsi une nouvelle typologie clinique : des formes d’errance subjective, des phénomènes d’angoisse généralisée et permanente, des addictions parfois très rudes aux objets (seule perdure alors une contrainte réelle, plutôt que symbolique), ou encore une nouvelle forme de dépression au sens d’un repli, d’une panne, d’un refus de la course à la jouissance et à la performance.

 

Ces quatre grandes manifestations psychopathologiques (addiction, dépression, errance subjective, angoisse généralisée), qui occupent de plus en plus nos consultations et que je prétendrai nouvelles (je vais m’expliquer là-dessus), sont souvent soit rabattues sur un moment ou une organisation particulière d’une névrose ou d’une psychose « traditionnelle », soit regroupées sous l’étiquette « état-limite ». Ce diagnostic de borderline a certes permis de très justes descriptions cliniques mais il souffre d’un flou structural, restant présenté comme un état frontière entre névrose et psychose, qui peine à être défini avec la rigueur nécessaire, le terme de limite définissant alors davantage celle du praticien qui peine à se repérer, ou encore celle du cadre que ces patients mettent particulièrement à l’épreuve.

 

Divers auteurs lacaniens, tout en rejetant le plus souvent ce terme de borderline, ont tâché de prendre au sérieux cette clinique spécifique de plus en plus répandue. Plusieurs ont notamment montré qu’il n’était pas question, dans la majorité des cas, d’une forclusion du Nom-du-Père, la plupart de ces cas dits « limites » n’étant en effet pas des psychotiques. Il n’y a en général ni hallucination ni délire, même si le rapport particulier au langage et aux slogans peut interroger. Cependant, même si le Nom-du-Père n’est pas forclos, il ne s’agit pas non plus, dans cette clinique, d’une introjection névrotique du Nom-du-Père impliquant le refoulement des désirs œdipiens et une névrose de défense « classique ». Notre nouvelle économie psychique a donné naissance à des sujets affranchis de l’autorité symbolique propre à la fonction paternelle, pour lesquels le refoulement et la castration ne sont plus guère au programme de leur subjectivation.

 

Pour tâcher d’expliquer le caractère insuffisamment opérant d’un Nom-du-Père pourtant non forclos, Moustapha Safouan a proposé à la toute fin de sa vie une hypothèse intéressante : « Les cas limites ne sont pas dus à une forclusion du Nom-du-Père, écrit-il, mais à une absence de la métaphore paternelle, ce qui expliquerait leur fixation sur des phases libidinales régressives »[1]. Et Safouan de préciser : « selon moi, ces cas se caractérisent par cela : il n’y a pas forclusion du Nom-du-Père, mais absence de cette caractéristique du père comme signifiant du désir de la mère ». Il explique notamment de cette façon le cas borderline de l’Homme aux loups (selon l’expression même de Lacan, gommée dans l’édition du Seuil !), dont le père était alors très déprimé à l’époque œdipienne.

 

Cette forme de défaillance du père réel, notamment au moment œdipien, est quelque chose qui se vérifie souvent cliniquement avec ce type de patients. Parmi ces défaillances du père réel, il faut d’ailleurs mentionner aussi ces cas de pères incestueux, abuseurs ou violents, qui trahissent véritablement la fonction paternelle.

 

Cependant, cette proposition très juste de Safouan ne traite à mon avis qu’une partie du problème. Il y a certes des pères plus défaillants que d’autres à occuper la fonction, mais on sait aussi que leur autorité ne dépend pas tant de leur bonne volonté que du contexte social et de la façon dont leur parole va être relayée dans le discours de la mère. Mais j’ajouterai surtout qu’au-delà de l’absence ou de la défaillance du père, il y a une dimension essentielle à prendre en compte, qui est la responsabilité du sujet lui-même, du fils ou de la fille. S’il y a bien une leçon freudienne et lacanienne, c’est de toujours considérer le sujet comme responsable, comme inclus dans l’opération qui le concerne, quelques soient les aléas de son histoire, de sa généalogie, de ses rencontres, de ses événements de jouissance.

 

Récusation du Nom-du-Père

 

 

Il me semble que pour rendre compte du rapport particulier au Nom-du-Père de nombreux patients, il faut faire appel à ce mécanisme psychique de récusation, qui peut expliquer que ce Nom-du-Père ne soit pas forclos mais qu’il se révèle inopérant, insuffisamment opérant en tout cas pour la transmission phallique et la vectorisation d’un désir singulier. Certains sujets s’en sont en effet affranchis grâce notamment à l’influence des nouvelles conditions sociales et bien sûr du contexte familial. J’ai essayé de théoriser ce mécanisme de récusation du Nom-du-Père dans mon livre Les affranchis[2], je vais donc passer assez rapidement, pour pouvoir dire ensuite quelques mots sur ce que je crois être des nouvelles formes de névroses, que je nommerai névroses de récusation.

 

Cette récusation du Nom-du-Père peut nous permettre de saisir ce phénomène de reconnaissance, d’introjection a minima de cette dimension du Père – il n’est pas forclos – mais pour aussitôt s’en extraire. Le sujet s’y confronte mais se sent en même temps autorisé à ne pas s’y soumettre. « Ce qui aujourd’hui est à l’œuvre, propose notamment Charles Melman dans une de ses conférences sur ce thème, c’est non pas une forclusion, un refoulement ou un déni du Nom-du-Père, mais sa récusation. Autrement dit : « tu es là, dans l’Autre, on n’en a rien à cirer ! » »[3].

 

En neutralisant ainsi le Nom-du-Père, de tels sujets se retrouvent hors-dette, voire hors castration (puisque celle-ci est transmise par le Nom-du-Père qui sexualise le trou lié au langage), plongés dans un monde de sensations, d’expériences, où ils vont avoir la lourde tâche de devoir se construire sans référent autre que celui ou ceux éventuellement trouvés dans telle ou telle rencontre contingente.

 

Cette récusation n’est donc pas une forclusion, mais elle n’est pas non plus un déni, malgré la confusion à mon sens de certains collègues. Le déni implique de passer par la négation, il s’agit d’une reconnaissance et en même temps d’une négation de cette reconnaissance. Le déni, mécanisme central de la perversion repéré par Freud, en tant que négation d’une castration maternelle pourtant entraperçue, implique le recours au fétiche et à des scénarios dits pervers pour continuer de voiler, d’empêcher le retour de cette castration qui a été déniée par le petit sujet en construction. Le sujet de structure perverse n’est donc jamais tranquille – malgré ses apparences –, toujours en lutte pour éviter de se confronter à ce qu’il a dénié.

 

La récusation du Nom-du-Père ne vient pas nier la castration, elle la reconnaît tout en la jugeant optionnelle, accessoire, dérisoire, dépassée… « Rien à cirer ! », pour reprendre l’expression proposée initialement par Czermak et reprise par Melman. Pour le dire de façon imagée, le « oui et en même temps non » du déni diffère du « oui mais je m’en fiche » de la récusation. Pas de négation donc, et j’ajouterai même que la récusation rend le recours au déni sans grand intérêt… Le déni comme d’ailleurs le refoulement sont des mécanismes de défense induits par la confrontation toujours difficile au Nom-du-Père et à la castration. Mais lorsque celui-ci est récusé, ces opérations deviennent bien secondaires, il paraît inutile d’avoir recours à un déni de la castration dès lors que la récusation du Nom-du-Père lui a tranquillement réglé son compte. C’est ainsi que l’on assiste également, de plus en plus, à une levée du refoulement, car ce mécanisme de défense a lui aussi perdu son rôle princeps dès lors que la fonction paternelle a perdu sa légitimité, son autorité symbolique. « Il n’y a plus de refoulement, ils vous mettent les tripes sur la table », signale carrément Melman dans son livre La nouvelle économie psychique[4]. La récusation du Nom-du-Père soulagerait donc du recours au refoulement comme au déni, mais elle condamne le sujet à se trouver quelque peu démuni face aux exigences de l’existence, face à ses pulsions et aux nouvelles modalités de jouissance et de reconnaissance.

 

Je précise, d’une part, que ce mécanisme de récusation, comme pour les autres mécanismes psychiques, est à la jonction des dimensions sociale et individuelle, et d’autre part, qu’il en va de même que pour le déni, le refoulement ou la forclusion, nous sommes condamnés à prendre acte de la récusation du Nom-du-Père dans l’après coup, c’est-à-dire à en constater et à en traiter cliniquement les effets.

 

Le problème, par ailleurs, est surtout que cette récusation du Nom-du-Père risque d’impliquer une récusation des lois du langage.

 

Des nouvelles pathologies psychiques : les névroses de récusation

 

 

Une dizaine d’années après la publication de l’Homme sans gravité, Melman a encouragé ses élèves à essayer de repérer et de théoriser ce qu’il en serait de « nouvelles pathologies psychiques » (les NPP, issues de la NEP). Il me semble que les quatre pathologies que j’ai esquissées en commençant pourraient être estimées nouvelles, au sens où elles se structurent différemment de ce que l’on connaissait auparavant. Alors allons-y rapidement (il s’agit là d’une introduction et d’un travail en cours).

 

. La première NPP potentielle que je vais préciser est l’addiction, addiction de plus en plus généralisée, qui va d’une « nouvelle norme » jusqu’au plus pathologique (comme pour pour toute structure d’ailleurs, névrose ou même psychose). Melman à très justement fait des addicts les éclaireurs de la NEP et de ses conséquences. C’est à propos des toxicomanes qu’il a parlé pour la première fois, en 1997, du passage à « une autre économie psychique », basée sur le signe, la présence-absence d’un objet réel, et non plus sur le signifiant.

 

On peut, me semble-t-il, considérer ces addictions modernes comme constituant une nouvelle pathologie psychique, à différencier des addictions névrotiques ou psychotiques classiques. Les addictions dans les névroses de défense sont en effet le plus souvent accidentelles, transitoires, fruits d’une mauvaise rencontre, d’un moment particulier, etc. Ou alors il va s’agir d’une tentative d’échapper aux difficultés rencontrées au sein de sa structure névrotique, de fuir les coordonnées de sa structure en quelque sorte (« rompre le mariage avec le petit-pipi », avec le phallus, disait Lacan en 1975[5]). Quant aux addictions dans les psychoses, il va plutôt être question d’un mode de traitement de sa psychose, d’une lutte contre l’envahissement par la jouissance de l’Autre (les hallucinations, les voix, les délires) en tâchant de vectoriser, de recentrer la jouissance sur un produit.

 

Or, dans les cas dont je parle ici, il s’agit plutôt d’addictions liées au nouveau statut de l’objet et à la récusation du Nom-du-Père qui en libère radicalement la jouissance. Un type d’addiction structurelle donc, qui va du quasi normal au plus pathologique, et qui est directement liée à ce nouveau mode de jouissance objectale, ni phallique ni même Autre d’ailleurs. Une jouissance égalitaire (enfin !), hors sexe et hors altérité, conséquence directe de notre nouvelle économie psychique.

 

Ainsi, nous serions bien là dans un type d’addiction à la fois plus fréquente et nouvelle, et qui vise aussi à maintenir à distance une nouvelle forme d’angoisse (sur laquelle je vais revenir tout de suite), liée à la vacuité de l’Autre déshabité de l’Au-moins-Un. Une addiction, en tout cas, qui n’est plus celle que nous connaissons dans certaines névroses ou psychoses.

 

. La dépression est sans doute la deuxième grande nouvelle pathologie que l’on repère dans nos consultations, où l’on reçoit tant de patients qui ont perdu tout tonus (patients épuisés, désabusés, en burn-out, etc). Là encore, il est important de montrer (je ne peux que l’esquisser ici) qu’il ne s’agit pas non plus d’une classique dépression névrotique ni d’une mélancolie psychotique. La dépression dans la névrose est liée à un rapport devenu défaillant vis-à-vis de l’idéal, idéal lié au phallus dans la névrose (avec la NEP le phallus a au contraire perdu son rôle moteur). Dans la mélancolie psychotique, le sujet est identifié à l’objet a, à l’objet déchet, il est lui-même cet objet déchet, dans ce « délire de petitesse » comme disait fort bien Freud[6].

 

Dans beaucoup de dépressions actuelles, il s’agit plutôt d’une extrême fatigue, d’un refus de cette course à la jouissance et à la performance, d’une panne du désir, de toute énergie psychique. « A quoi bon ? » entend-on souvent dans la bouche de ces patients. C’est une forme de dépression liée à l’épuisement face à cette « jouissance à tout prix » prônée aujourd’hui dans le social, et aussi face à cette absence d’une reconnaissance pérenne par l’Autre et donc à la nécessité – je cite Melman dans L’homme sans gravité – « d’une quête incessante des marques d’une identité qui ne vaut plus que dans le regard du semblable, et exposée à tous les aléas ». C’est la combinaison de cette nécessaire course à la performance et de la valeur volontiers marchande et précaire de l’identité qui engendre, me semble-t-il, ces phénomènes nouveaux de déprime, sorte de ras-le-bol général. C’est un peu le pendant, l’autre versant, de la course addictive à la jouissance. Et c’est là aussi un type de dépression nouveau par rapport à ce qu’on connaît dans les névroses de défense classiques ou dans la psychose.

 

. Un mot maintenant sur une troisième pathologie psychique, qu’on pourrait résumer par ce phénomène d’errance subjective, qui va pouvoir prendre différentes formes. Il s’agit souvent de sujets qui ne tiennent pas en place, qui sont toujours en action, ou bien aussi prostrés, complètement perdus, des sujets en tout cas qui ne trouvent pas de domicile, aucun Heim, faute d’un lien à un « Un dans l’Autre », faute d’appui sur la castration sensée interprétée sexuellement le manque structurel.

 

On y retrouve souvent des problématiques de passages à l’acte répétés, certains types de délinquance aussi, ou de radicalisation. Ce sont aussi ces patients qui peuvent parfois être étiquetés hyperactifs ou TDAH (y compris chez les adultes), patients qui en effet ne tiennent pas en place, faute de repères symboliques. Même si on ne partage pas l’approche de ce diagnostic de TDAH, il correspond à un constat clinique évident. Cette structuration psychique peut aussi se manifester par des formes nouvelles d’errance dans la sexuation, à travers ces problématiques de plus en plus répandues concernant le genre et la transidentité. Il y a également tous ces patients dits « victimes », plus ou moins traumatisés, harcelés, abusés, qui sont si nombreux aujourd’hui. Quoi de mieux en effet, pour fixer une identité, que cette position victimaire (peu importe d’ailleurs qu’elle nous semble justifiée ou non par les choses subies) ? Il faudrait ici expliciter les différents types possibles de trauma (traumatisme réel, traumatisme hystérique, traumatisme importé depuis le social), et préciser aussi un certain nombre de points car ce statut de victime dépasse la seule question du traumatisme. J’ajouterai simplement ici que cette position de victime va souvent à l’encontre de la démarche analytique.

 

Pour reprendre une formule de Lacan, à propos de ces différents cas d’errance subjective, on pourrait dire que ces sujets ne sont pas dupes, mais qu’ils errent… Il me semble en tout cas qu’avec ces patients errants et leurs diverses manifestations, nous sommes là encore dans un type de psychopathologie particulier.

 

            Une dernière problématique psychique, enfin, que l’on voit aussi de plus en plus, est celle qu’on pourrait désigner comme un phénomène d’angoisse généralisée, sorte d’angoisse permanente, inexplicable de prime abord, liée à l’absence dans l’Autre, ce lieu qui ne serait plus désormais porteur d’aucun message, et qui ne laisserait plus qu’un réel angoissant, énigmatique, traumatique, non sexuel.

 

Peut-être pourrions-nous considérer cette forme d’angoisse comme une plaque tournante de ces NPP, au même titre que l’on considère l’hypocondrie comme un plaque tournante des psychoses et les phobies comme une plaque tournante des névroses de défense… Cette angoisse, qui peut occuper parfois tout le tableau clinique, va aussi pouvoir se retrouver à des degrés divers dans les trois autres types de pathologies évoquées à l’instant.

 

C’est une angoisse qui peut être très paralysante, et qui viserait plutôt à faire exister le grand Autre en quelque sorte. Ce nouveau type d’angoisse, dépourvue d’objet phobique, diffère là encore de celle du névrosé pris dans le conflit psychique avec l’Autre justement. Elle diffère aussi de l’angoisse typique du psychotique, écrasé par l’objet, envahi par l’Autre qui se met à lui parler.

 

Melman parle de cette nouvelle angoisse dans son dernier livre avec Jean-Pierre Lebrun, La dysphorie de genre. « L’angoisse traditionnelle consistait à interroger le désir de l’Autre, nous dit-il, la nouvelle angoisse est le dernier moyen possible pour le maintenir à l’existence. [Elle] n’est pas le fruit d’une négociation avec l’Autre, ou le fait que j’aurais voulu tricher avec l’Autre, ou que je jouerais avec l’Autre en refusant le sacrifice qu’il attend de moi. Là c’est simplement l’angoisse liée au fait que je ne sais plus qui il est, ni ce qu’il attend de moi. Et si je ne sais plus qui il est, c’est évidemment la figure du monstre qui réapparaît »[7].

 

Vous voyez donc qu’avec ces patients dont l’angoisse n’a pas la même structure que celle du névrosé, et qui peut venir occuper la quasi-totalité de leur vie psychique, nous avons affaire à une possible nouvelle pathologie psychique, une sorte de nouvelle névrose d’angoisse, liée là encore à ce phénomène initial de récusation du Nom-du-Père et à ses différents types d’effets possibles.

 

Pour conclure, je dirai que cette présentation succincte de quatre nouvelles pathologies psychiques, sur lesquelles nous aurons je crois à revenir, permet de rendre compte de la situation de nombreux patients. Elles me semblent toutes liées à ce mécanisme psychique de récusation du Nom-du-Père, qui donne certes à de nombreux sujets – ou néosujets ? – une forme de liberté nouvelle, qui peut nous paraître bienvenue, encourageante, mais qui se paie logiquement de nouveaux symptômes, de nouvelles impasses.

Nommer ces pathologies névroses de récusation, permet de cibler l’un de leurs fondements communs, et aussi de mettre ce type de patients du côté des névroses plutôt que des psychoses (le Nom-du-Père n’étant pas forclos dans la majorité des cas), mais des névroses clairement différentes, plus archaïques peut-être mais aussi affranchies de leur pesanteur habituelle.

Il ne s’agit pas des névroses de transfert freudiennes, des névroses de défense contre la castration, liées au conflit avec ce Un dans l’Autre et à l’imposition phallique, mais bien plutôt de névroses au-delà – ou plutôt en-deçà – de la castration symbolique, du fait de la récusation. Ces patients nous arrivent alors plutôt en raison d’un trop plein de jouissance qui vient étouffer leur subjectivité, d’un vide de sens et de désir… C’est leur errance qui nous marquera souvent le plus (l’errance de la liberté ?) et non leur plainte répétitive devant telle ou telle contrainte. Le trajet de la cure et le type de transfert en jeu auront des cheminements quelque peu différents, qu’il va nous falloir mieux étudier.

 

 


[1] Moustapha Safouan, in Roland Chemama et Christian Hoffmann, Que nous apprennent les cas limite ?, Toulouse, érès, 2023.

[2] Thierry Roth, Les affranchis. Addictions et clinique contemporaine, Toulouse, érès, 2020.

[3] Charles Melman, « Pourquoi n’y a-t-il pas de « Nom de la Mère » ? », in freud-lacan.com, 2010.

[4] Charles Melman, La nouvelle économie psychique, Toulouse, érès, 2009.

[5] Jacques Lacan, conférence sur les cartels, 1975.

[6] Sigmund Freud, « Deuil et mélancolie » (1917), in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968.

[7] Charles Melman, Jean-Pierre Lebrun, La dysphorie de genre. À quoi se tenir pour ne pas glisser, Toulouse, érès, 2022, pp. 136-137.

 

 

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