Intervention de Wilfried Gontran à la table ronde du séminaire d'hiver 2022
2022

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GONTRAN Wilfried
Séminaire d'hiver

LOGO ALI RUP

Séminaire d’hiver 2022 
Nos inhibitions, nos symptômes, nos angoisses
Dimanche 23 janvier 2022
Table ronde autour du livre de Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun, La dysphorie du genre. à quoi se tenir pour ne pas glisser ? (Ed érès, 2022)
Intervention de Wilfried Gontran

Il est notable que ce livre traite autant de la question du phénomène de cette promotion forcenée à la référence au genre, au détriment du sexuel devra-t-on préciser, que du contexte de la survenue de ce phénomène. Aussi, il y a un certain nombre d’enseignements dans votre ouvrage. Je me limiterai à en rapporter deux :

  • L’objet ne peut être appréhendé comme semblant d’objet, c’est-à-dire symbolisé, que s’il est sexualisé, sans quoi c’est le collage à l’objet réel ce qui va faire le bonheur des maitres des marchés. Donc l’ennemi du capitaliste, si je puis dire, c’est le semblant. Nous en déduisons qu’il y a donc un intérêt plus que probable à ce que les citoyens, en tant que réduits à des consommateurs, ne s’éduquent pas trop c’est-à-dire ne soient pas trop à l’aise avec le symbolique. Ça, c’est une évidence. Et je pense qu’il faut oser le dire ouvertement aujourd’hui : il n’y a pas d’enjeu majeur de société pour nos dirigeants en ce qui concerne une « bonne éducation » des enfants, bien au contraire. Et Parcoursup en est un nième exemple : produire des individus dont la situation, ici sociale à travers le « choix » d’un travail, a de plus en plus de chance de se retrouver éloignée de ce qui constitue leur désir. Toujours plus éloigné de son désir, dans l’exercice au quotidien de son métier que parcoursup se sera chargé de lui choisir, le citoyen devra venir limiter sa jouissance autrement que par le désir dont c’est la fonction première. Et sur cette nécessité structurelle, nous retombons sur l’incontournable consommation pour venir traiter, directement, cette jouissance laissée en rade par le désir empêché. C’est un peu rapide, je vous l’accorde, mais cela fait longtemps qu’il n’est plus un mystère que les petites consommations du week-end sont de plus en plus des lots de consolation des servitudes de plus en plus féroces de la semaine.
  • La prédominance du narcissisme : l’avatar devient un paradigme du narcissisme dans sa version contemporaine . Comment peut-on en venir à se sentir plus affecté quand il s’agit de compliments ou récriminations concernant son avatar ou toute autre forme de profil assimilé, plutôt que directement soi-même? Ce narcissisme est en quelque sorte déconnecté du réel du corps. Cet ancrage du narcissisme, certes via l’image mais tout de même dans le réel du corps, est certainement ce qui vient le contenir, le narcissisme, et empêche sa désintégration. Il y a donc certainement des questions à approfondir concernant les effets de cette déconnexion de l’imaginaire et du réel du corps, notamment dans l’investissement dont un sujet peut faire preuve vis-à-vis de son avatar. Le métavers à venir promet donc encore plus de narcissisme débridé, et les conséquences qui vont avec. Alain Rozenberg et Alexandre Beine nous avait rappelé, à Toulouse l’an dernier, l’histoire de la naissance de facebook dont le père, ou la mère – je ne sais pas trop bien quoi choisir – Mark Zukerberg, avait fait une fâcheuse expérience avec l’Autre sexe et les dommages collatéraux sur son narcissisme. C’était juste un petit exemple concernant celui qui entend monter en charge avec Meta.

Il y aurait bien d’autres enseignements à rapporter. Et je passe donc à mes 2 questions :

  • Charles Melman, vous dites p.47 que ce thème du genre n’a pas d’avenir. Bien sûr, avancer cela éveille immédiatement notre intérêt, à nous qui pouvons nous en inquiéter autant – enfin je dis « nous » mais peut-être devrai-je dire à ceux que cela inquiète. Vous développez votre raisonnement là-dessus à partir de quelque chose qui peut paraître un peu inattendu de prime abord : le binaire transgression-sanction. Ce serait une sanction que de se voir attribuer ou bien de se ranger derrière un genre : « Pourquoi devrais-je supporter cette restriction, cette privation, cette intolérable sanction qu’implique l’attachement estimé sacré à un genre précis ? Pourquoi est-ce que je n’aurais pas la possibilité de goûter au plaisir, d’un côté et de l’autre, en même temps ? » Puis vous parlez de cette sorte de non choix d’un genre, à opposer à un autre, comme une « transgression » qui n’aurait finalement de valeur qu’en tant qu’elle consisterait dans le fait de défier l’« instance » qui l’interdit, l’interdiction portant sur le fait de ne pas choisir. Vous dites : « je ne veux [le sujet en question] que ce que cette instance m’interdit ». Et lorsque cette instance disparaitra, dites-vous – on comprend : du fait de la domination aboutie de la référence du genre sur l’instance je dirais symbolique, phallique qui impose quant à elle un choix – alors il n’y aura plus rien là-dedans à défier pour le sujet et les choses retomberont comme un soufflet. Alors cela m’a un peu étonné, cette idée que le fait qu’un sujet emprunte la référence au genre pour rendre compte de sa dimension sexuée – au sens où il pourrait avec le genre passer d’un genre à l’autre – se révélerait en fait une sorte d’adresse à l’autre, sous le mode de la provocation, comprend-on. Et ces positions genrées, et non pas sexuées à proprement dites, appelleraient donc une réponse de l’autre interdicteur et non pas un acquiescement comme préalable, ce qui est plutôt ce qui circule comme représentation – au regard de sa conviction de genre, la personne attendrait comme préalable une validation, validation par son interlocuteur qu’il s’agit bien là de son être sexué, et ensuite on pourrait poursuivre la discussion. Donc votre développement est assez déroutant, car ça fait redescendre de son piédestal le genre pour être rabattu sur ce que j’aurais tendance à appréhender du côté d’une défense au sens d’une stratégie du Moi, et non pas une position du sujet. Donc ma question est tout d’abord : ai-je bien compris ? Et pensez-vous vraiment que la consistance pour une personne, que vient prendre la référence au genre pour rendre compte de ce qu’il est comme sexué, que cette consistance tient principalement à cette dimension de défi, comme vous semblez le proposer ? Et que signifie plus précisément la disparition de l’instance interdictrice ? De quoi s’agit-il plus précisément, concernant cette instance et concernant cette interdiction ? En tout cas, en effet, si c’était le cas, alors la conviction de genre serait pour le coup un défi clinique beaucoup moins ardu qu’il semble l’apparaître. Et puis comment comprendre cette sorte de prédiction d’un laisser-tomber de cette référence au genre avec le fait que quelques lignes plus loin vous envisagez en même temps un renforcement de la castration, des modalités de castration ce qui signifie pour vous un renoncement des personnes à la jouissance sexuelle ? Ce serait donc plus profondément quand même qu’au niveau de son moi qu’une personne serait affectée par ce qui se passe pour elle dans sa référence au genre. Cette remarque va au passage tout à fait avec les témoignages qui ont été faits hier.
  • Jean-Pierre, p60, tu parles d’une « jouissance du signifiant » à opposer à une jouissance de l’objet, celle qui s’ancre dans la jouissance organique, celle-ci je la comprends. Et tu nous dis que le sujet reste dans cette oscillation perpétuelle entre ces deux jouissances sans pouvoir choisir. Tu nous expliques qu’aujourd’hui ces 2 jouissances peuvent co-exister pour un sujet sans même entrer en contradiction. Tu nous dis que choisir entre les 2 ne vient pas l’apaiser. Pour ma part, cela veut dire en fait que ce n’est pas véritablement un choix : le sujet n’arrive pas à choisir sinon il s’apaiserait et passerait à autre chose, quitte à y revenir dans un 2ème temps. Peux-tu développer un peu ce point ? Ta proposition d’une coexistence de ces 2 jouissances est à mettre en perspective avec ce que précise M. Melman plus loin là-dessus au sujet du « Wunsch » : « Je crois que ce que Freud avait déjà isolé à son époque, c’était la dimension de l’appétit. C’est-à-dire d’une tension qui ne sait pas encore de quel côté elle va basculer. Elle est en revanche entretenue. Va-t-elle vouloir satisfaire comme un besoin ce qui est de l’ordre du désir, ou inversement vouloir traiter comme étant du domaine du désir ce qui est de l’ordre du besoin, ce qui veut dire sacrifier le désir ? Et les aberrations aujourd’hui de la vie sexuelle me paraissent attachées à cette incertitude. » Vous décrivez tous-deux un sujet suspendu, en sursis a-t-on presque envie dire. Comment un sujet peut-il en quelque sorte rester au seuil de la prise dans le langage et ses conséquences ? Je ne comprends pas bien comment on peut être dans cet entre-deux : il me semble que soit on est pris dans le langage et on s’établit alors comme sujet du langage et les lois de celui-ci, ce qui nous conduit à ne pas pouvoir échapper à la question d’un réel du choix, c’est-à-dire à un réel d’un « tout n’est plus dès lors possible » – à considérer tout de même l’exception psychotique au regard de la question du choix; soit on n’entre pas dans le langage. Comment peut-on rester sur ce seuil qui conduirait à ce balancement perpétuel entre 2 possibilités, balancement qui constituerait, on le comprend, l’aspect dramatique – ira-t-on parler de nouvelle tragédie ?- de la condition de certains sujets de la modernité ? Au fond, dis plus simplement et résumé, en tant sur sujet du langage, peut-on ne pas choisir – encore une fois, mise à part le psychotique? J’ai du mal à comprendre ça. Je le comprends du côté du Moi qui peut ne pas choisir mais selon moi le choix (subjectif) est du côté du sujet. A moins que l’action du Moi parvienne à « désamorcer » ce qu’il en est du sujet en exercice – je ne serais pas loin de cette hypothèse pour ce qui concerne la conviction de genre comme effet hégémonique du Moi sur le sujet divisé par le sexe.

Je termine en manifestant mon profond intérêt pour ce que M. Melman vient de nous apporter concernant l’importance de s’intéresser aux nouveaux usages de la syntaxe. Je suis sensible à ce point que j’ai pour ma part particulièrement travaillé en ce qui concerne la « démarche qualité » qui est placée en position hégémonique parmi les modalités d’évaluation. Cette DQ promeut des syntagmes qui sont des significations vidées de leur sens, c’est-à dire des significations qui doivent fonctionner en dehors de leur prise subjective par le sujet qui les énonce. Ce n’est plus le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant mais : le vocable de la démarche qualité est ce qui fait disparaitre le sujet derrière le mot d’ordre de la « qualité » à tout prix. Cela ressemble à une version remasterisée d’un bouquin qui m’avait beaucoup intéressé quand j’étais rentré d’un pays d’ex-URSS au moment de l’éclatement de celle-ci : «La grammaire politique de Lénine, formes et effets d’un discours politique» (Charles Roig, l’Age d’Homme, Lausanne, 1980). Si Lénine a disparu, peut-on en dire autant de sa grammaire ?