BREUER – CHARCOT – CHROBAK
Cette problématique du transfert interroge Freud, sans qu’il le sache, depuis 1882, année où un de ses maîtres et amis, J. Breuer, lui parle d’une de ses patientes, la célèbre Anna O.
Breuer exerce une influence considérable sur Freud, surtout en tant qu’homme. Il l’influence d’une moindre manière en tant que scientifique. Pour la société viennoise de l’époque, Breuer est un médecin réputé et un savant jouissant « d’une situation sociale considérable ». Aujourd’hui, Breuer n’est connu que pour ses travaux publiés avec Freud : Etudes sur l’hystérie en 1895. Dans Ma vie et la psychanalyse, Freud écrit : « Breuer devint mon ami et mon soutien dans les conditions de vie difficiles où je me trouvais. Nous nous étions accoutumés à mettre en commun tous nos intérêts scientifiques. Naturellement dans ces rapports, c’était moi la partie gagnante ». (1) Anna O., célèbre patiente de Breuer et de Freud, permet à ce premier de découvrir et d’utiliser la méthode cathartique. A ce procédé, elle avait donné le nom « bien approprié et sérieux de talking cure » et le nom humoristique de « chimney sweeping ». Voici comment cela s’est passé d’après Jones dans son livre La vie et l’œuvre de S. Freud : « Un beau jour, elle lui narra les détails de la première apparition d’un certain symptôme et ce récit, au grand étonnement de Breuer, provoqua la totale disparition du symptôme en question. Consciente de l’importance du fait, la malade continua à parler ainsi de chacun de ses symptômes et donna à cette façon de procéder le nom de « cure par la parole » ou de « ramonage de cheminée ». N’omettons pas de dire qu’à cette époque, ayant oublié sa langue maternelle, l’allemand, elle ne pouvait s’exprimer qu’en anglais. De plus, lorsqu’on lui demandait de lire à haute voix un texte italien ou français, elle le traduisait extemporanément et couramment en anglais. » (2)
Breuer était très absorbé par cette patiente. Sa femme était devenue triste et soucieuse. Quand Breuer comprend les motifs de cet « état d’âme », il décide de mettre fin au traitement : « Il annonça sa décision à Anna O. dont l’état s’était beaucoup amélioré. Il prit donc congé d’elle. Mais le soir même, il fut rappelé et la trouva très agitée et semblant plus malade que jamais. Breuer avait toujours soutenu que sa cliente était asexuée. A aucun moment de son traitement, elle n’avait fait la moindre allusion à un sujet aussi interdit. Or il la trouva cette fois en proie aux douleurs d’un accouchement hystérique (pseudocyesis), fin logique d’une grossesse imaginaire passée inaperçue et qui s’était produite en réponse aux soins donnés par Breuer. Bien que profondément bouleversé, celui-ci la calma en l’hypnotisant puis, pris de sueurs froides, s’enfuit de cette maison. Le jour suivant, sa femme et lui partirent pour Venise afin d’y passer une seconde lune de miel dont le résultat fut la conception d’une fille. L’enfant, née dans ces curieuses circonstances, devait, près de soixante ans plus tard, se suicider à Vienne pour échapper aux nazis. » (3)
Nous avons là, in vivo, les premières manifestations de transfert. Face à celles-ci, Breuer éprouve une grande culpabilité et ne raconte pas à Freud la fin de l’histoire. Mais Freud va reconstituer la fin du traitement par des confidences et ensuite soumettre sa reconstitution à Breuer qui la reconnaîtra comme exacte. En effet, Anna O. avait eu une crise de crampes abdominales (causée par un fantasme d’accouchement) et Freud se rappellera bien plus tard les paroles que Breuer lui avait rapportées de la patiente et qu’il n’avait pas comprises à ce moment-là.
Elle avait dit : « maintenant c’est l’enfant de Breuer qui arrive ». Freud écrit à Stephan Zweig en 1932 : « A ce moment-là, Breuer tenait en main la clef qui ouvre (ce que Goethe appelle) la porte des Mères, mais il la laissa tomber… Saisi d’une horreur conventionnelle, il prit la fuite et abandonna sa patiente à un collègue. Elle passa les mois suivants en clinique luttant pour retrouver la santé ». (4) Cette clef qui avait échappé à Breuer, Freud ne la découvre que bien plus tard après l’apport de Charcot et de Chrobak.
Quant à Freud, Anna O. lui permet de dégager les fondements de la « talking cure ». D’une part, la sexualité et d’autre part, le transfert. Mais avant de pouvoir prendre en compte les phénomènes de transfert, Freud, sans le savoir, établit la cause de ces phénomènes et le statut du savoir de l’inconscient. Savoir que le sujet sait sans savoir. C’est ce qu’il dit dans les Études sur l’hystérie lorsqu’il parle de « cet état singulier où le sujet sait tout sans le savoir… de cet aveuglement qu’on s’étonne de constater chez les mères quand il s’agit de leur fille, chez les maris quand il est question de leur femme, chez les souverains à l’égard de leur favori… ». (5) Cet aveuglement, Freud le constate aussi chez ses maîtres. Nous venons de citer Breuer, qu’en est-il de Charcot ?
Charcot savait ce qui cause l’hystérie et il l’a rendue respectable comme maladie parce qu’il savait. Charcot savait que les troubles de l’hystérie sont causés par la « chose génitale » comme il disait à Brouardel au sujet d’une femme qui souffrait gravement et dont le mari était « impuissant ou tout à fait maladroit ». Charcot avec sa vivacité coutumière avait dit : « dans des cas pareils, c’est toujours la chose génitale… toujours… toujours ». Freud était resté stupéfait pendant un temps et s’était posé la question suivante « puisqu’il le sait, pourquoi ne le dit-il jamais ? ». (6) Mais l’impression fut vite oubliée, « l’anatomie du cerveau et la production expérimentale des paralysies hystériques absorbèrent toute mon attention. » Charcot ne dit pas ce qu’il sait. Pourquoi ?
Nous pouvons quelque peu percevoir comment Freud a influencé Lacan dans sa conception de la dialectique du transfert fondée sur le rapport du sujet au savoir inconscient. Lacan en désignera le pivot par le concept de sujet supposé savoir (S.s.S.).
Une troisième personne a fortement influencé Freud, c’est Rudolf Chrobak. Eminent gynécologue, il demande à Freud de s’occuper d’une de ses patientes qui souffre de crises d’angoisse inexplicables, qu’elle n’arrive à apaiser, nous dit Freud, « qu’à condition de savoir exactement où se trouve son médecin à toute heure du jour ». Voici ce qu’écrit Freud : « Un jour, Chrobak me prie amicalement de me charger d’une de ses patientes dont, étant devenu professeur titulaire, il n’avait pas le temps de s’occuper. Je me précipite chez la malade, j’arrive auprès d’elle avant lui et j’apprends qu’elle souffre de crises d’angoisse inexplicables qu’elle n’arrive à apaiser qu’à la condition de savoir exactement où se trouve son médecin à toute heure du jour. Chrobak arrive à son tour et, me prenant à part, m’apprend que l’angoisse de la malade provient de ce que, tout en étant mariée depuis 18 ans, elle est encore vierge, son mari étant atteint d’impuissance absolue. Dans des cas pareils, ajouta-t-il, il ne reste au médecin qu’à couvrir de son autorité le malheur domestique et à se contenter de hausser les épaules, lorsqu’il apprend qu’on formule sur son compte des appréciations dans le genre de celles-ci : « Il n’est pas plus malin que les autres, puisqu’il n’a pas réussi à guérir la malade, depuis tant d’années qu’il la soigne. » Ce mal ne comporte qu’un seul traitement ; nous le connaissons bien, mais, malheureusement, nous ne pouvons l’ordonner. Le voici :
Rp. Pénis normalis, dosim Reparatur ! Je n’avais jamais entendu parler d’une pareille prescription et j’étais tout prêt à blâmer le cynisme de mon protecteur. »(7) Cependant ceci fait dire à Freud : « Ces trois hommes m’avaient transmis une conception qu’à proprement parler ils ne possédaient pas. » (8)
1. La conception de l’étiologie des névroses : la sexualité que Breuer appelle « secrets d’alcôve – lit conjugal », Charcot « chose génitale », Chrobak « pénis normalis, dosim Reparatur ! »
2. La conception du transfert « sexuel » (tendre ou hostile) qui s’observe toujours au cours du traitement des névroses (rappelez-vous la patiente de Chrobak et de Breuer …). Freud observe que ce transfert « sexuel » n’est pas provoqué par l’une ou l’autre des parties en présence. En d’autres termes, il n’est pas imputable à la personne, à l’ego de l’analysant ou de l’analyste. Cette émergence du transfert représente pour Freud « une preuve irréfutable de l’origine sexuelle des forces impulsives des névrosés » (9) et permet de constater qu’il est un processus inconscient qui met en acte le savoir inconscient. Freud nous donne à entendre déjà plusieurs caractéristiques du transfert :
1. Le transfert est un processus qui se constitue par la parole (talking-cure) adressée à l’analyste.
Pour Lacan le transfert est un transfert de la parole sous forme d’une demande du fait de la présence réelle de l’analyste.
2. Ce qui se transfère, nous dit Freud, est un savoir sexuel inconscient, un savoir sur l’objet. Le transfert est un phénomène inconscient.
Ce qui se transfère, pour Lacan, est un savoir supposé à un sujet- supposé-savoir. Ce S.s.S. se fonde du fait que l’analyste déplace, transfère la demande qui lui est adressée.
3. Ce savoir du transfert est un savoir insu du sujet du transfert mais supposé à l’analyste, par celui qui ignore. Pour Freud, il y a un désir de savoir.
Pour Lacan, ce savoir insu n’est garanti par rien mais, par l’analysant, il est supposé à l’Autre. Pour Lacan, il n’y a pas de désir de savoir parce que le désir n’est pas causé, fondé par un savoir. Pour Lacan il y a le S.s.S.
4. Ce savoir inconscient s’adresse à la personne du « médecin » et se produit dans la cure par la remémoration et la répétition.
Pour Lacan, ce savoir s’adresse à l’Autre et est aussi le savoir de l’Autre, c’est pourquoi Lacan parle d’un sujet supposé.
5. Le transfert fait obstacle à la cure (rappelez-vous, Anna O. était pour Breuer asexuée), il fait résistance, mais du côté du médecin, de l’analyste.
Ce qui fait dire à Lacan que la résistance est la résistance de l’analyste, résistance à mettre en acte qu’il n’y a pas de rapport sexuel.
Nous constatons donc, que la situation transférentielle modifie les rapports que le sujet entretient avec le savoir inconscient, que les premières avancées de Freud seront celles sur lesquelles Lacan va prendre appui pour développer ses conceptions.
Qu’est-ce qui va produire un tournant dans l’appréhension du transfert par Freud ?
1. La résistance de Breuer à l’égard du transfert érotique d’Anna O.
2. Sa rencontre avec l’oto-rhino W. Fliess et l’analyse que Freud va faire avec lui, analyse, qui contrairement à ce qu’on en dit parfois n’est pas une auto-analyse.
3. L’interprétation des rêves où Freud constate que le processus primaire est au service du désir inconscient.
FREUD – FLIESS.
L’amitié entre Freud et Fliess commence sur « un coup de foudre ». Freud traite Fliess comme un sujet supposé savoir et voit en lui et sa science une image idéalisée de lui-même. Il l’appelle d’ailleurs « mon autre moi-même ». Ce transfert de Freud sur Fliess, transfert par identification, est plutôt surprenant. Fliess contrairement à Breuer n’est pas un homme de science. Plus exactement, sa science est guidée par son inconscient. Nous pouvons nous poser deux questions : pourquoi Freud quitte un guide pour un égaré ? selon la formule de O. Mannoni. Ensuite, pourquoi Fliess ? Si nous sortons des clichés trop souvent évoqués, tel que celui du substitut paternel, nous constatons que Fliess se substitue à un autre nom, celui d’un homme admiré, vénéré, idéalisé par Freud, celui de Fleischl, qui à ses yeux convenait mieux à Martha comme mari que lui-même. Nous devons également constater que le statut du savoir de Fliess est différent puisqu’il est fondé sur les avatars du désir inconscient, comme le fait remarquer Octave Mannoni dans un article tout à fait remarquable. Analyse originelle. Ce savoir-là ne se développe que lorsqu’on attend d’un autre qui ne le donne pas, soit qu’il n’en possède pas le premier mot, soit que d’autres raisons le poussent à agir ainsi, c’est-à-dire qu’il naît dans une situation transférentielle … C’est la seule solution où ce savoir puisse se modifier dans son rapport à l’inconscient. (10)
Est-ce le statut du savoir chez Fliess, fondé sur les avatars du désir inconscient qui va faire passer Freud d’une identification anaclitique à Breuer à une identification narcissique, autrement dit à une identification à l’amour idéalisé ? Je fais référence ici aux identifications de Freud puisque cette identification narcissique à Fliess nous dévoile le style de la cure de Freud mais aussi une modalité de la conception du transfert chez Freud, qui va, pourrait-on dire, obscurcir sa conceptualisation. Dans sa conception future, il va en effet confondre l’identification au signifiant de la demande d’amour et l’identification à l’objet de cette demande. C’est bien pourquoi Lacan indiquera dans son Séminaire sur l’Identification que « l’identification est nécessaire à concevoir pour marquer le lieu où le transfert trouve et sa limite et son pivot ». L’identification à l’objet de la demande d’amour ouvre la séquence du transfert mais elle doit être analysée dans le transfert. Le transfert dans sa séquence d’ouverture est, pour Freud, transfert sur la personne de l’analyste, personne que l’on aime et qui sait. Le sujet déplace, transporte, transfère sur le médecin, sur le psychanalyste, les représentations inconscientes, les fantasmes, les souvenirs infantiles, les images de sa « série psychique ». Dans cette perspective, le transfert occupe la place de l’hypnose (et c’est même cela qui va donner les explications à Freud des effets de l’hypnose).
Nous voyons ici, ponctuée, dans ce rapport à Fliess, la dimension imaginaire du transfert (précédemment nous avons développé la dimension symbolique du transfert), dimension imaginaire qui va guider toutes les conceptions du transfert qui vont s’élaborer dans la suite. Cependant, Freud n’omet pas la dimension symbolique, puisqu’avec Fliess il passe d’un désir de savoir fondé sur la science (Breuer-réel), à un savoir fondé sur les rapports du savoir avec les effets du désir inconscient. Ces effets ne sont pas sans périls (comme toute psychanalyse), pour Freud comme pour Fliess, pour l’analyste comme pour l’analysant. En effet, ces effets vont profondément modifier leur rapport au savoir. Comme vous le constatez, la situation transférentielle modifie les rapports que le sujet entretient avec le savoir inconscient. Fliess est sorti de cette situation avec un délire du savoir. Freud va y trouver le savoir sur le délire sous la forme de l’interprétation des rêves. Je vous rappelle que pour Freud le rêve est une psychose de courte durée.
L’INTERPRÉTATION DES RÊVES
C’est dans l’Interprétation des rêves qu’apparaît pour la première fois le terme du transfert. Freud y repère des rêves de transfert, c’est-à-dire des rêves qui impliquent ou manifestent un transfert sur l’analyste (sept dans la Traumdeutung, ex. La belle bouchère, jeune femme au marché, etc.). Ce transfert sur l’analyste y est traité comme le serait n’importe quel autre déplacement. « Cela ne fait pas de différence pour le médecin, dit Freud, qu’il ait à surmonter une pulsion particulière du malade relative à lui-même ou relative à quelqu’un d’autre ». Pour Freud, dans la Science des rêves, le transfert est constitué des restes diurnes vidés de leur sens. (C’est donc un pur matériel signifiant et non un affect, un émoi. C’est cela la fonction symbolique du transfert comme du rêve). Mais aussi : ce qui se passe dans un rêve reste tout à fait à part de ce qui est relation interpersonnelle ou communication, nous dit Freud. Là, Freud découvre sans pouvoir en tirer toutes les conséquences que le transfert n’est pas une relation intersubjective et donc que le transfert ne peut plus être constitué simplement par les avatars et les accidents d’une relation interpersonnelle, ni par de simples déplacements dans les représentations du rêve.
Les rêves fournissent les indices les plus précieux sur la situation transférentielle, ils sont rêves de transfert mais aussi rêves dans le transfert. Les rêves permettent de repérer les positions transférentielles du sujet dans la cure, autrement dit, la place qu’il fait occuper à l’analyste. Comme nous le montre Dora, le rêve peut aussi dire l’issue qui sera donnée à la cure.
On pourrait ici se poser la question : quelle nécessité fonde ce phénomène du transfert ? Freud répond en disant que « cette nécessité est constituée par le fait que pour certains désirs refoulés il n’y a pas de traduction (de représentation) directe possible ». En termes lacaniens : le réel ne s’appréhende pas sans médiation, sans représentation, sans inscription dans une chaîne signifiante. Comme vous pouvez le constater, la Science des rêves est d’un apport décisif dans la conception du transfert chez Freud :
Le transfert n’est pas un rapport intersubjectif.
Le transfert se fait sur la personne de l’analyste, et la question est posée de ce qui est transféré.
Freud nous dit : de ce qui, du désir refoulé, ne peut être traduit, représenté.
Lacan nous dit : transfert de l’indice du réel, l’objet a cause du désir.
DORA
Dora apporte à Freud un élément supplémentaire pour sa conceptualisation du transfert (11). Dans sa cure elle transfère un X, comme en mathématiques Dora transfère une inconnue, ce X qui fait qu’elle assimile Freud à M.K. (Mr K. substitué lui-même à Mme K.). Face à cet X, Freud est stupéfait. Il écrit : « Ainsi je fus surpris par le transfert et c’est à cause de ce facteur inconnu par lequel je lui rappelais M.K…., qu’elle se vengea de moi, comme elle voulait se venger de lui ; et elle m’abandonna comme elle se croyait trompée et abandonnée par lui. Ainsi, elle mit en action une importante partie de ses souvenirs et de ses fantasmes, au lieu de la reproduire dans la cure. Je ne puis naturellement savoir quel était ce facteur inconnu ; je suppose qu’il se rapportait à l’argent ; ou bien c’était de la jalousie à propos d’une patiente restée en rapports avec ma famille après sa guérison. Là où l’on arrive de bonne heure à englober le transfert dans l’analyse, celle-ci se déroule plus lentement et devient moins claire, mais elle est mieux assurée contre de subites et invincibles résistances. Le transfert est représenté, dans le second rêve de Dora, par plusieurs allusions claires. » (12)
Freud, en tirant conséquence de cet X que Dora introduit dans la cure, dit que le transfert est la répétition dans la cure des faits de la réalité, des souvenirs, fantasmes…, en lieu et place de les agir dans la réalité actuelle (ce n’est pas la reproduction — Reproduzieren — par la catharsis, mais la répétition — Wiederholen). Ici, pour Freud, le transfert est la répétition dans la cure. Ce concept de répétition est fondamental pour Freud comme pour Lacan (Sém. XI). Ce concept est difficile et complexe. Disons simplement ceci : il faudrait mettre la conception de Freud sur le transfert comme répétition en rapport avec l’automatisme de répétition et également articuler transfert et répétition en démontrant ce qui fait dire à Lacan dans le séminaire XI : «Je dis que le concept de répétition n’a rien à faire avec celui du transfert » !!
LA DYNAMIQUE DU TRANSFERT : 1912
Si vous avez lu ce que Freud écrit sur la dynamique du transfert, vous avez retenu qu’il soumet le transfert à la façon dont le sujet vit sa vie amoureuse et que le sujet va : « … intégrer le médecin dans l’une des séries psychiques qu’il a déjà établies dans son psychisme. Tout concorde avec les relations réelles entre le patient et son médecin quand, suivant l’heureuse expression de Jung, c’est l’imago paternelle qui donne la mesure de cette intégration. Mais le transfert n’est pas lié à ce prototype et peut se réaliser aussi suivant les images maternelles, fraternelles, etc. Ce qui donne au transfert son aspect particulier, c’est le fait qu’il dépasse la mesure et s’écarte, de par son caractère même et son identité, de ce qui serait normal, rationnel. Toutefois ces particularités deviennent compréhensibles si l’on songe qu’en pareil cas le transfert est dû non seulement aux idées et aux espoirs conscients du patient, mais aussi a tout ce qui a été réprimé et est devenu inconscient. » (13)
Le transfert comme agent d’intégration à une « série psychique » est donc un agent positif et nécessaire au traitement, mais n’oublions pas que s’il n’est pas repéré rapidement par l’analyste, il devient, comme Dora l’a prouvé, agent de résistance. Freud avance dans cet article que la résistance concerne une « idée se rapportant à la personne du médecin ou à quelqu’un qui… » A mon avis, cette indication technique ne se vérifie pas toujours. Le silence peut être silence sur fond de parole et donc ponctuation, scansion de cette parole. Comme le rappelait C. Melman, pour certains sujets et à certains moments du processus de subjectivation, le silence est la seule parole possible pour un sujet en position d’aphanisis.
Question de Freud : pour quelle raison le transfert devient-il, dans la cure, une résistance ? En termes freudiens, on peut répondre brièvement: il est résistance à la répétition de ce qui a présidé à la formation des symptômes. En termes lacaniens, le transfert est résistance à la constitution subjective au lieu de l’Autre en tant que l’Autre n’existe que comme pur lieu topologique, pur espace où l’objet cause du désir trouve sa demeure. Je pense que vous pouvez constater pourquoi il est dit que le transfert est une névrose, la névrose de transfert, et donc qu’il faut en faire l’analyse, l’interprétation, voire le « détruire », comme dit Freud, le liquider. Nous savons que Lacan, dans une proposition d’Octobre 1967, qualifiait ce terme de liquidation de « futile » et il n’y voyait que « dénégation du désir de l’analyste ». Ce désir de l’analyste est un autre concept qu’il va formaliser pour appréhender ce phénomène du transfert.
COMMENT LACAN VA-T-IL INTERROGER, SITUER CE CONCEPT DE TRANSFERT ?
Il ne l’attrape pas comme Freud d’un point de vue phénoménologique ou descriptif mais bien d’un point de vue structural. Comment définir la structure ? C’est ce qui du langage, du symbolique, fait discours pour un sujet à partir de la castration, fonde et organise pour ce sujet sa modalité de lien social.
Le transfert, dans cette référence structurale, relève d’une expérience dialectique et se substitue à ce qui du discours résiste. Dans cette perspective, le transfert comme résistance prend un autre sens : ce n’est pas le transfert qui fait résistance mais bien là où du discours quelque chose résiste au dire, résiste à la parole, s’avère pour le patient infranchissable, le tourmente, le fait souffrir et produire des symptômes. Ceci nous permet d’avancer que la névrose de transfert est un symptôme, mais un symptôme produit dans la cure puisque le transfert se structure par la parole, par la demande actualisée dans la cure. C’est ce que Lacan inscrit dans son mathème du S.s.S. par le signifiant du transfert (S).
Transfert est un symptôme de la parole, de la demande qui véhicule le désir inconscient.
Cette actualisation dans la cure va rendre possible la réactualisation de l’historicité du sujet, parce que celui à qui le sujet s’adresse, adresse sa parole, prend une place spécifique, celle à qui s’adresse les formations de l’inconscient dont il est supposé qu’il en détient la clé. La mise en place du S.s.S. ouvre la séquence du transfert :
un savoir se sait
un savoir se fabrique
un savoir s’invente
Nous pouvons dire qu’à ce point de notre réflexion, le transfert est une expérience dialectique, qu’il est une substitution à ce qui, du discours résiste. Le transfert est un transfert de la parole, de la demande, qui place dans un premier temps le S.s.S. comme allocutaire de l’analysant. Mais revenons aux premières avancées de Lacan sur cette question :
1951 : Intervention sur le transfert.
1953-1954 : Quelques leçons importantes sur le transfert dans son Séminaire I.
1955 : Variantes de la cure-type.
1958 : La direction de la cure et les principes de son pouvoir.
1961-1962 : Séminaire sur Le transfert dans sa disparité subjective, sa prétendue situation, ses excursions techniques.
1964-1965 : Sém. XI du ch. X au ch. XIX, consacré à la question du transfert.
1967 : Proposition du 9 Octobre 1967 : Sur le psychanalyste de l’Ecole.
Dans son intervention sur le transfert, Lacan énonce que le transfert comme la psychanalyse est une expérience dialectique. Que cette expérience énoncée en termes de dialectique doit « prévaloir », doit l’emporter quand on pose la question de la nature du transfert. Autrement dit, un sujet, le sujet de l’inconscient se constitue par un discours dans lequel la seule présence du psychanalyste apporte, avant toute intervention, la dimension du dialogue, c’est-à-dire la dimension symbolique, la dimension de la demande. La présence de l’analyste est une présence réelle, une présence qui fait acte, qui prend en compte le réel par un acte, l’acte psychanalytique. Ce qui définit l’acte, c’est d’être signifiant. Signifiant apte à supporter l’inconscient. L’acte psychanalytique est celui dont l’incidence est constituante du sujet et non de l’objet, (ceci peut vous faire entendre que toute parole n’est pas un acte, pas plus que toute action, d’ailleurs), pour exemplifier cette constitution du sujet dans le dialogue psychanalytique, c’est-à-dire dans le transfert, Lacan, dans ce texte, se réfère à la cure de Dora. Il nous fait remarquer la méthode par laquelle Freud nous expose ce cas et rend compte du transfert ou plus exactement de ce qui a fait obstacle à la cure et la difficulté de Freud à manier le transfert de Dora, alors que sa mise en place était plutôt effective, (rappelez-vous ce que nous disait Freud à ce propos, « je fus surpris par le transfert… »).
Qu’est-ce que ce renversement dialectique utilisé par Freud ? Par cette méthode, Freud introduit le patient à un premier repérage de sa position dans le réel. Le repérage de cette position par le sujet, ou plus exactement la possibilité que le sujet a de s’y repérer est une des conditions pour que l’analyse soit possible (nécessité donc de repérer au cours des entretiens préliminaires, si le sujet en a la possibilité), et que le transfert se mette en place, le transfert non pas dans sa dimension imaginaire mais bien dans sa dimension symbolique et dans son nouage avec le réel. Dans ce renversement dialectique, ce que Freud met en place sans le savoir et que Lacan pointe dans cet article, c’est la primarité du symbolique, de la parole de Dora et non son imaginaire. Par ce renversement dialectique, qu’est-ce que Freud fait constater à Dora ?… « que ce grand désordre du monde de son père, dont le dommage fait l’objet de sa réclamation, elle a fait plus que d’y participer, qu’elle s’en est faite la cheville ouvrière et qu’il n’eût pu se poursuivre sans sa complaisance… ». Lacan souligne et renverse ce qu’il appelle la position de la belle âme quant à la réalité qu’elle accuse et, poursuit Lacan « il ne s’agit guère de l’y adapter, mais de lui montrer qu’elle n’y est que trop bien adaptée, puisqu’elle concourt à sa fabrication. » (14)
Lacan définit le renversement dialectique comme la « scansion des structures où se transmute pour le sujet la vérité et qui ne touchent pas seulement sa compréhension des choses, mais sa position même en tant que sujet dont sont fonction ses objets », et, poursuit Lacan, « c’est dire que le concept de l’exposé est identique au progrès du sujet, c’est-à-dire à la réalité de la cure. » (15) Reprenons les termes en présence dans ce procédé dialectique puisqu’ils sont ceux du transfert :
« scansion des structures où se transmute la vérité… »Dans le discours de Dora, ce qui est transmuté, transformé par ses plaintes, ses dénonciations du désordre du monde de son père et de Mr K., ses symptômes, c’est, entre autres choses, son identification à son père, au trait de l’impuissance de son père (cf. le signifiant Vermögen) (16). Cette identification nous indique sa position subjective d’hystérique. Cet amour pour son père se transfère sur Mr. K. et sur Freud. Mais aussi, « la vérité sur l’objet qui cause son désir », sur ce « qui fonde ses objets », nous dit Lacan, est transformé, transféré sur Mr. K. et son père, c’est-à-dire son attrait pour Mme K. C’est elle qui est la cause de son désir et non Mr. K., comme Freud le pense et se laisse figer dans la situation transférentielle, et donc fige Dora dans cette identification à l’objet de sa demande d’amour. Ceci démontre bien ce que Lacan avance dans son Séminaire XI sur l’identification et son rapport au transfert. L’identification n’est qu’une fausse terminaison de l’analyse « qui est très fréquemment confondue avec sa terminaison normale. Son rapport avec le transfert est étroit, mais précisément en ce par quoi le transfert n’a pas été analysé. » (17)
C’est bien son « insuffisance », sa résistance (comme Breuer vis-à-vis d’Anna O.) « à apprécier le lien homosexuel qui unissait Dora à Mme K. », à apprécier, à repérer l’objet du désir de Dora qui obligera Dora à interrompre la cure puisque Freud situe son désir dans l’objet du trait identificatoire. Ceci nous montre que la nature du transfert (plus ou moins homo ou hétérosexuel) est déterminée par le choix de la névrose du sujet et donc que surgit dans la cure une névrose de transfert.
Dans cette perspective, le transfert n’est plus une actualisation sur la personne de l’analyste d’affects, d’émois, de fantasmes infantiles répétés dans la cure, mais une actualisation affectée de la présence réelle de l’analyste ou le « transfert n’est rien de réel dans le sujet, sinon l’apparition, dans un moment permanent selon lequel il constitue ses objets » (18). Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’affects, d’émois, mais ce qui importe avant tout, c’est non leurs contenus mais le moment dialectique où ils se produisent.
Une question importante se pose à nous : qu’est-ce alors qu’interpréter le transfert ? Y a-t-il une analyse du transfert, comme le dit Freud, ou une analyse dans le transfert ?
Axer le transfert dans cette perspective, dans cette dialectique de la parole, c’est indiquer que c’est seulement sur le plan symbolique (par la parole) que la fonction du transfert peut être comprise. C’est rompre avec la conception du transfert comme relation entre l’analysant et l’analyste, comme relation duelle, c’est donc avancer que le transfert fonde un espace, l’espace de la parole où se mesure ce qui sépare l’objet a cause du désir de l’image spéculaire produite à partir de la première identification (identification narcissique, qui fonde l’idéal du moi, héritier de la renonciation à l’objet d’amour par l’identification à cet objet).
Ceci indique que les composantes « primaires » du transfert, comme le dit Lacan dans son séminaire I, sont identiques aux « trois lignes de partage » dans lesquelles se réalise le sujet quand il se réalise symboliquement, c’est-à-dire par la parole et non plus par l’objet. Ces trois lignes de partage sont l’amour, la haine et l’ignorance. Comment « ces passions de l’être » se situent-elles au niveau des instances, des modes dans lesquels le sujet se manifeste et donc se structure.
– l’amour : jonction de l’imaginaire et du symbolique
– la haine : jonction du réel et de l’imaginaire
– l’ignorance : jonction du réel et du symbolique
Le sujet névrosé qui vient en analyse se met en position de celui qui ignore (le pervers se met en position de celui qui sait, comme le psychotique mais, pour ce dernier, de ce savoir le sujet est forclos), et met l’analyste en position de sujet qui sait, qui a le savoir. Ceci est la mise en place du S.s.S. par cette position d’ignorance que prend le névrosé. Dans son séminaire I, Lacan rappelle l’importance de cette ignorance du névrosé : « pas d’entrée possible dans l’analyse sans cette référence, on ne le dit jamais, on n’y pense jamais, alors qu’elle est fondamentale ». Nous pouvons aussi constater que dans cette conceptualisation du transfert s’abolit l’opposition faite par certains entre l’affectif et l’intellectuel. Car ce dont le sujet est affecté ce sont de ses paroles, ses pensées, ses demandes adressées à un Autre en chair et en os. Le repérage de la position du sujet dans le réel, c’est-à-dire dans son corps, permet à Lacan de formuler dans son texte de la Direction de la cure et les principes de son pouvoir de 1958 (19), d’une part une pétition de principe : « la capacité de transfert (il n’écrit pas du transfert) mesure l’accès au réel » et non comme le laissait supposer Freud l’accès à l’objet réel. D’autre part, la nécessité d’un principe éthique, celui qui « intègre les conquêtes freudiennes sur le désir : pour mettre à sa pointe la question du désir de l’analyste. » (Ici, Lacan laisse entendre où il veut en venir, à savoir en arriver à articuler le transfert dans son rapport au désir de l’analyste).
Pour ce faire dans ce texte, il va d’abord nous dire ce que le transfert n’est pas en critiquant 3 conceptions de la cure et donc trois conceptions du transfert, autrement dit 3 théories psychanalytiques. Il faut rappeler que ces trois conceptions ont leurs origines « nobles » et qu’elles sont induites par la pensée de Freud.
1. Le génétisme ou la théorie des phases de la libido qui prend son point d’appui sur une tentative de Freud de répondre, de joindre l’émergence des pulsions et la physiologie. Cette théorisation a pour effet au niveau de l’analyse de centrer celle-ci sur l’analyse des défenses, des mécanismes de défense du moi. Ici le sujet de l’inconscient est assimilé au moi. Le travail d’Anna Freud pour Lacan est un « travail postiche ». Dans cette perspective on ne voit pas la place que peut occuper le transfert hormis celle d’un mécanisme de défense.
2. La relation d’objet dont Abraham est le fondateur par sa notion d’objet partiel (objet partiel qui suppose un objet total).
Le glissement qui va s’opérer se produira par une conception « ectoplasmique de l’objet » qui en se dégradant opère une dichotomie grossière entre le caractère prégénital et génital de l’objet. Dans cette conception l’objet a une consistance réelle et donc la personne de l’analyste sera un objet de réalité promu comme objet génital idéal. Le transfert est un transfert d’amour objectal. Cet objet génital idéal, promesse d’une harmonie génitale, vous pouvez facilement deviner lequel sera dans le champ du transfert. Il sera l’analyste lui-même, qu’il faudra introjecter dans cette relation intersubjective qu’est dans une telle mouvance la relation analytique. Lacan subvertit cette conception en disant : ce n’est pas l’objet qui est partiel mais l’amour pour l’objet qui est partiel.
3. La troisième conception qu’épingle Lacan installe le transfert dans une relation duelle, Moi-Toi, tous les deux promis à un amour éternel et unifiant. Cette erreur se promeut sous diverses métaphores suivant les auteurs ; pour Ferenczi ce sera l’Introjection, pour Strachey l’Identification au surmoi de l’analyste et pour Balint l’Identification narcissique produite par une « two body psychology » où le sujet devient le Moi.
Ceci produit une conception dans laquelle le transfert est l’aménagement à faire d’une bonne distance entre le psychanalyste et le patient pour que l’analyste ne soit pas, par le patient effectivement mis sous ses dents !
Lacan veut par ces critiques indiquer que :
– le transfert n’est pas un mécanisme de défense du moi, mais bien du réel.
– le transfert n’est pas la mise en acte de la réalité de l’objet mais de la réalité de l’inconscient.
– le transfert n’est pas un mécanisme de distanciation dans une relation duelle d’incorporation mais un discours où l’assujettissement du sujet au signifiant de sa demande se transfère en subjectivation de ce qui cause son désir. Pourquoi s’opèrent ces glissements ? Ces glissements s’opèrent notamment parce que les analystes ne distinguent pas suffisamment le sujet, ses objets et l’objet cause du désir. Ils s’opèrent aussi, ces glissements, parce que les dimensions imaginaire symbolique et réel ne sont pas suffisamment distinguées dans le discours du sujet.
Nous voyons là la nécessité, la pertinence, voire l’indispensabilité qu’une pratique analytique soit exercée à partir du principe éthique que je vous rappelai tout à l’heure. L’impasse de la dualité, de l’intersubjectivité était telle que Lacan intitule son séminaire de 1961-1962 : « Le transfert dans sa disparité subjective, sa prétendue situation, ses excursions techniques ».
« … disparité subjective… » : Cette expression nous indique que le transfert est pour Lacan un phénomène subjectif, c’est-à-dire relevant du sujet, mais ne s’inscrivant pas dans le cadre de l’intersubjectivité. Donc, comme tel il n’est pas l’amour. Lacan avancera dans la première leçon de son séminaire que l’intersubjectivité est ce qu’il y a de « plus étranger à la rencontre psychanalytique ». En effet, même si le transfert met en place un couple, celui de l’amant et de l’aimé, celui de l’analysant et de l’analyste, ce couple réunit qui ? « … quelqu’un à qui il manque quelque chose et ne sait pas qu’il l’a, mais (et c’est là l’imparité subjective qui s’oppose à l’intersubjectivité), mais ce qui manque à l’un n’est pas ce que l’autre a ». Cette disparité subjective est un fait de structure, car le sujet n’est pas représenté par un autre sujet mais par un signifiant et ce non pour un autre sujet, mais pour un autre signifiant (S.s.S.).
L’analysant parle d’abord de lui à un X, à une image. Il fait une demande (S) à un supposé, à l’image qu’il se fait de l’analyste (I). L’analyste par sa présence réelle et sa parole s’adresse non à l’image de son analysant mais à un sujet représenté par les signifiants énoncés et l’analyste ramène l’adresse de l’analysant (I) à l’Autre (S), ceci fait rupture dans cet axe imaginaire. L’analyste, par ce transfert de lieu de la parole, n’authentifie pas l’imaginaire, il lui renvoie plutôt son message sous une forme inversée (cf. Dora). C’est bien cette impossibilité à nouer le réel qui va se répéter dans le transfert. C’est bien parce que le sujet de l’analyse, le sujet du transfert, du fait de la présence de l’analyste, est confronté à ce réel comme impossible, qu’à ce réel il substitue l’amour. Il donne aussi une signification à ce réel et donc le voile. Mais même avec cet amour de transfert, jamais d’équivalence possible dans la position des sujets en présence. C’est bien pourquoi Lacan parle de « prétendue situation », de pseudo-situation, puisque cette situation est fausse, expérimentale, loufoque, scandaleuse, voire extravagante et ne comporte aucune réciprocité.
« ses excursions techniques … », la technique psychanalytique, les règles, les variables (ex. la neutralité bienveillante, la règle de l’association libre, etc …) est-ce cela qui permet le déroulement d’une cure ? Non,… parce que ce n’est pas cela l’enjeu de la cure. La technique psychanalytique permet l’entrée dans la cure mais pas son aboutissement. Cet aboutissement, cette effectuation, Lacan les situe dans une topologie du sujet dont l’enjeu est son désir. Dans cette topologie subjective, l’amour n’est qu’un épiphénomène, comme l’indique C. Melman, épiphénomène qui vient là recouvrir ce que le transfert crée : une disparité subjective qui fonde le savoir inconscient (cf. Breuer, Anna O., Freud), dans un lieu où ce qui cause le désir de l’un n’est pas ce qui cause le désir de l’Autre et où la position de l’analyste (avec tout ce que cela implique) oblige, dicte au sujet que son désir est le désir de l’Autre. Pendant le temps de la cure, par le transfert au désir de l’Autre va se substituer le désir de l’analyste qui ainsi met en acte la réalité de l’inconscient, le savoir inconscient.
Dans le Séminaire XI, Lacan donne cette définition : « Le transfert est la mise en acte de la réalité de l’inconscient », réalité qui est toujours sexuelle, qui ne pourra se démêler qu’à partir de la fonction du réel dans la répartition. Un second temps est nécessaire pour poursuivre l’exposé de l’élaboration lacanienne du mathème du sujet supposé savoir, et de la topologie du transfert produit par la figure du huit-intérieur.
Un des analysants de Lacan lui dit après une séance de Séminaire centré sur le transfert : « J’aurais aimé que vous me parliez du transfert quand même ». Lacan dit : « Ils sont durs, quand même, je ne leur parle que de ça, et ils ne sont pas satisfaits. Il y a des raisons profondes pour lesquelles vous resterez toujours sur votre faim sur le sujet du transfert. » (20)
Quelles sont ces raisons ?
NOTES
(1) FREUD S., Ma vie et ta psychanalyse, Paris, Gallimard 1949, pp. 27-28.
(2) JONES E., La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, P.U.F., 1958, p. 247.
(3) Ibidem, p. 248. Il y a erreur de la part de Jones E. dans l’interprétation des faits. Le Dr. J.P. Rousseaux nous le démontre dans son article Le cas d’Anna O. dans le destin de Bertha Pappenheim, in Psychiatries.
(4) Cité par O. MANNONI in Freud, Collection Ecrivains de toujours (Seuil, 1968, p. 44).
(5) FREUD S. et BREUER J., Etudes sur l’hystérie, P.U.F. 1956, note 1 des pages 91-92.
(6) FREUD S., Cinq leçons sur la psychanalyse suivi de Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique. Petite Bibliothèque Payot, p. 78.
(7) Ibidem, p. 79.
(8) Ibidem, p. 77.
(9) Ibidem, p. 76.
(10) MANNONI O., Clefs pour l’imaginaire. Seuil, Paris, 1969, p.I16.
(11) Et nous confirme la position de Lacan — indice du réel.
(12) FREUD S., Cinq psychanalyses, P.U.F., 1967, p. 89.
(13) FREUD S., La dynamique du transfert, in La technique psychanalytique, P.U.F., 1953, pp. 51-52.
(14) LACAN J., Écrits, Seuil, 1966, p. 596.
(15) Ibidem, p. 218.
(16) FREUD S., Cinq psychanalyses, P.U.F., 1967, p. 33.
(17) LACAN J., Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux, Paris, Seuil, 1973, p. 133.
(18) Ibidem, p. 225.
(19) In Écrits, p. 605
(20) LACAN J., Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975, p. 301.