Hikikomoris. Un symptôme entre mère et polis
2022

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PIGOZZI Laura
Séminaire d'hiver

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Séminaire d’hiver 2022 
Nos inhibitions, nos symptômes, nos angoisses
Samedi 22 janvier 2022
Intervention de Laura Pigozzi

Hikikomoris. Un symptôme entre mère et polis

L’hikikomori – jeunes gens qui se retirent du monde – est un des condition contemporains dramatiques et angoissants. On le considère comme des schizoides dans un continuum qui part de la névrose jusqu’à la psychose où comme de phobic scolaire. Le phénomène hikikomori est une forme de psychotisation du monde juvénile: l’hikikomori n’est pas nécessairement psychotique mais il vit, souvent submergé par les ordures, comme s’il l’était. Lacan parle de psychotisation à propos d’enfants avec handicap : psychotiser les enfants c’est les traiter comme des infans à qui on ne pourrait pas déléguer une tache – comme arrive parfois dans les maison contemporaines – comme s’ils étaient atteints de débilité ou d’impuissance.

Le web n’est pas le responsable de la retraite des hikikomoris, evidement pourrait, au contraire, peut être la dernière ressource, l’ultime tentative pour garder un lien ténu avec un dehors.

Un des aspects du phénomène est qu’il se présente comme une souffrance apparemment sans un objet: pas de drogue, d’alcool, pas question de nourriture. Dans ce cas, au contraire, l’objet est le sujet lui-même, son propre corps.  Son propre vide, le vide abyssale que les envahissent, comme disait ce matin Hoffman. C’est son corps qui est émacié, muré vivant, devenu mort au lien. Vivant et mort, non vivant, non mort, telle est l’icone que l’hikikomori partage avec le vampire et le lycanthrope, des figures des séries dark très aimées par les plus jeunes.
Sans objet, à moins de le considerer, comme au Japon, un “phobique scolaire” et donc l’école comme objet et signal d’angoisse. Mais la fobie, comme le dit Melman, est une maladie de l’imaginaire où le phobique invente un montage pour éviter la castration: donc se retirer plutôt que se castrer dans la rencontre d’un Autre qui ne soit pas la mère.

L’hikikomori nous parle de l’inquiétude de tout adolescent, reclus ou pas, face à ce seuil entre la vie et la mort ou, plus précisément, ce flirt avec la mort qui ne se manifeste plus à travers les vives épreuves de courage, mais sous la forme d’une non-animation solitaire. Il y a des jeunes gens, ni morts ni vivants, qui tournent en rond dans la maison, murés dans l’intime, apparemment non désireux de relations, claudicant comme de grands ìnfans, pas encore nés à la parole, restez, comme le disait une patiente, entre le “Gorgo de la mère”, une mère, lieu hors-sexe et avant articulation.

Un hikikomori se heurte à un impossible lors du passage de l’enfance à la vie adulte. Entre parenthèse:  L’Adolescence c’est un invention contemporaine, qui date pas plus de 3 ou 4 décades, et c’est seulement aujourd’hui qu’il y a une clinique de l’adolescence. Peut être parce que il n’y a plus d’initiation? Et cette Adolescence comme invention contemporaine, à quelle angoisse adulte correspond? On pourrait dire à l’angoisse de parent face de la séparation: en effet l’angoisse de la séparation ne semble plus placé de la part de l’enfant, mais plutôt de la part de parent, surtout de celui qui occupe une place maternelle. Le plusmaternel est la chute de la function maternelle, envahie par cette angoisse de séparation. Le monde asexué de mamans et bebés dont on est, à nos tour, envahi, est un moyen pour se dégager de la sexuaxion. Rappelons que en tout cas, et surtout à défaut du père, la tâche de la séparation (l’onere e l’onore, on dit en italien, le fardeau et l’honneur) est en charge à la mère.

La jeunesse, donc, n’est plus une jeunesse adulte et n’est plus une conquête, un tel passage est perçu uniquement comme une perte impossible : le sujet n’arrive pas à élaborer le deuil de l’enfant qu’il a été. Deuil pas faits comme racine d’une angoisse diffusée et des symptôme éparpillées, moins clairs. En effet, la relation entre plus-value, plus-de-jouir et plusmaternel est fondé sur la commune forclusion de la dimension de la perte.

Un sujet, à un certain moment, passe par une sépartition, une forme de séparation originaire sur laquelle la séparation elle-même se fonde et qui est aussi à la base de la séparation d’avec la mère, où l’enfant perd une part de lui-même pour pouvoir vivre. Nous dit Lacan que le moment de la naissance – on a parlé de l’angoisse de naissance à partir de Rank – est aussi une partition de soi: l’œuf, représenté par le système fœtus-placenta, se déclot et l’enfant naît. Donc, au début de la vie se produit une sépartition, une séparation qui, dit Lacan, « s’accomplit à l’intérieur de l’unité constituée par l’œuf. » La sépartition est la matrice de la future séparation de la mère et du sein. Mais, si le sujet ne peut pas perdre quelque chose de lui, tout en restant enfermé dans sa chambre, dans son oeuf-placenta, il ne pourra pas perdre la mère et entrer dans la polis.

La psychanalyste Françoise Dolto a interprèté le meurtre d’Abel par Caïn d’une façon originale, en l’envisageant comme une sorte de sépartition de Caïn de sa part infantile, représentée par Abel. La question d’où part Dolto est la suivante : comment se fait-il que Dieu donne à Caïn le rôle de chef de la cité, après qu’il ait tué son frère ? Le fratricide peut être une épreuve initiatique: Caïn est l’homme actif qui travaille la terre, et en tuant Abel, il a tué l’enfant passif et paresseux qui dort, pendant que le troupeau paît.
Caïn est prêt pour la polis : «S’il n’y avait pas eu Caïn, affirme Dolto, jamais l’être humain serait devenu un homme social»
Un recul devant les devoirs de la vie, comme l’hikikomori le fait, peut aussi se manifester chez des enfants qui ne sont pas hikikomori: si nous acceptons de leur part des comportements domestiques asociaux, nous en faisons des Abeles.

L’hikikomori ne supporte pas la séparation d’avec la mère et, en même temps, il ne veut pas qu’elle le dévore, et de fait il procède à un détachement ambigu qui consiste à éloigner sa mère en l’empêchant d’entrer dans sa chambre et, simultanément, il la représentifie en habitant un espace «utérinisé». Nous retrouvons cette ambiguïté – de symbiose et de refus – chez l’anorexique. Tous deux, l’anorexique et l’hikikomori, à la fois, adoptent des solutions de type larvaire et en même temps voudraient se démarquer de cette prison. Chez l’hikikomoris, nous pouvons parler d’anorexie sociale.

Dans les famille hikikomorisés – tout la famille en un certain sens s’hikomorise, personne ne vient plus diner à la maison, on décline les invitation des amis et parents – nous avons observé que si les pères cherchent par tous les moyens, y compris ceux d’une efficacité douteuse, à faire sortir leur enfant de la ségrégation, les mères sont plutôt soucieuses du « bien être » quotidien de l’enfant, un bien être qui n’implique pas forcément sa sortie de sa chambre mais, plutôt, sa «tranquillité». La solution maternelle tend plutôt à aménager le tunnel clos, à le rendre moins rude. La famille participe à la construction d’un hikikomori parce qu’elle accepte de le nourrir et de le maintenir. Les adultes qui ne font rien, se situent dans le registre des abus.

Le psychiatre japonais Takeo Doi situe dans le concept de l’amae – le «dépendre de» – le signifiant hyper valorisé qui imprègne les japonnais dans ses relations, jusqu’aux relations de travail, et qui plonge ses racines dans le lien mère-enfant. Pour les japonais, l’amae est un idéal vers lequel tendre : le sentiment de dépendance est, pour eux, harmonieux, au point qu’une relation va être considérée comme réussie si elle revêt les traits pré-linguistiques d’une entente sans paroles, typique de la relation dyadique mère-enfant. Les pays confucéens, nous dit Saito Tamaki, ont assimilé à l’excès « le concept de piété filiale qui est une valeur très exaltée. Beaucoup d’adolescents japonais, toujours selon Saiko Tamaki, sont tenus – et ce n’est pas une image – entre les bras de la mère en un amour secret où personne ne peut entrer, pas même le thérapeute.
Dans ce trop de proximité, il n’est pas rare qu’un garçon hikikomori frappe sa mère, surtout « la mère qui a pu véritablement – nous dit Saito – devenir l’esclave de son fils.» La relation qui s’instaure dans un espace clos peut facilement tourner à une relation sadomasochiste : ce couple mère-fils est isolé, car souvent le père part si non il n’est pas déjà parti avant. Comme ça un mécanisme pervers peut aisément s’installer. Le Hikikomori montre que la fusion est aussi le résultat de l’isolement que l’isolement est le résultat de la fusion.

L’exil de la figure masculine dans la famille japonaise est évident, y compris au niveau linguistique : les maris qui, en fin de semaine, trainent d’une pièce à l’autre dans la maison – étrangers chez eux car très pris tout long de la semaine par leur travail – sont appelés la grande immondice, comme ce que l’on déplace d’un coin à l’autre de la maison avant d’être jeté définitivement. Dit un jeune japonais. « Avec la perte de la dignité du père, on a perdu la dignité de la famille »
Où un adolescent peut-il s’exercer avec le masculin – un masculin constitutif aussi pour la structuration féminine de la fille – si, en famille, le discours du père est de plus en plus moins incisif que celui de la mère ?
La question que l’on pourrait rencontrer au cours des prochaines décennies pourrait être « comment repenser le masculin ? » en tant que point d’appui de toute existence humaine. L’immaturité est évitement d’une rencontre avec un agent phallique, un masculin qui n’est ni à redouter ni à mépriser. C’est comme si la pensée contemporaine sur le masculin manquait d’articulation et d’idées, à la différence de ce que l’on a appris à tisser à propos du féminin. Si le masculin n’avait plus de place symboliquement, ce serait une tragédie pour l’organisation du monde: pouvons-nous nous permettre d’éliminer un sexe ?

Le symptôme est politique. Il naît de la rencontre avec la parole de l’Autre et se manifeste dans le corps d’un sujet immergé dans la polis. Le symptôme du retrait est, aujourd’hui, responsable d’un grand nombre d’anomalie, par exemple nombreuses sont les personnes qui interpellent un psychanalyste parce qu’elles n’arrivent pas à aimer. Une sexualité hikikomoris s’installe pour eux, où, en fait, la saison de l’amour s’est terminée avant de s’ouvrir.

Les grands absents dans l’existence de beaucoup d’adolescents sont la socialité et la sexualité: les deux questions sont liées parce qu’on ne donne pas l’une sans l’autre : on ne rencontre pas le corps de l’Autre dans la tanière domestique. Comme le pensait Hannah Arendt, les hommes savent qu’ils ne sont pas heureux seulement dans leur vie privée: le bonheur humain est un bonheur social.

Le plusmaternel contemporaine – c’est-à-dire la façon de maximaliser les avantages  matériels  et  immédiats  de  son  propre  noyau familial  au  détriment  du  lien  social – produit le  clan comme modalité  de  functionnement  de  la  famille d’aujourd’hui. Une famille qui produit de citoyen- enfant, submergés par l’apathie, plongés dans le canapé comme des retraités, et qu’ils passé la journée au lit comme les hospitalisés. (Le Covid a enphatisè mais il n’a pas inventé ça).Comment peut-il introjecter une loi ou respecter un pacte si le corps de l’enfant  et  de  la  mère par exemple  dorment ensemble et partagent  rêves  et  humeurs ? 

Et encore, combien, dans les pensées des adultes,  les  enfants  ont  été  imaginés  comme citoyens ?  N’a-t-on  pensé  qu’à  leur  seule réussite individuelle à l’encontre de tous , ou bien les a-t-on considérés comme une partie d’un ensemble plus grand, les préparant  ainsi  à  un  engagement  communautaire  ?  Leur

avons-nous seulement demandé inconsciamment d’être fidèle à la famille ou bien lui avons montré une éthique sociale ?

Il  est  nécessaire  de  penser  d’une  façon nouvelle les droits des enfants et des adolescents : pas les accompagner uniquement en tant qu’enfants, mais aussi en tant que citoyens. On oublie trop souvent que les  mineurs  ne  sont  pas  une  propriété  privée  mais,  en  un certain sens, ils sont de la polis.

Nourri  de  lait  et  de  transgression, le citoyen- enfant dont l’hikikomoris est le précipité, le reste – répand autour  de  lui,  comme  une  infection  virale,  la  jouissance mortifère  dans  laquelle  il  a  été  élevé.  Il  est  le  produit  d’une (in)culture  sans  pères,  d’un  temps plusmaternel qui l’autorise  à  vagabonder  sur  un  chemin  sans loi.  Hors de la polis.