Angela JESUINO : bonsoir, bonsoir à tous. Nous voilà à la dernière séance de travail de l’année. Ça tombe bien parce que ça correspond au moment du séminaire où Lacan va clore en tout cas provisoirement les travaux sur le transfert pour ouvrir la question de la pulsion. Donc à la rentrée nous allons travailler sur la pulsion et peut-être qu’on peut annoncer d’ores et déjà que la première séance de travail l’année prochaine ça ne va pas être le texte de Lacan, ça va être « Pulsions et destins des pulsions » de Freud. Donc on va commencer en travaillant Freud, c’est une proposition de David qui nous a semblé très juste puisqu’ on va beaucoup travailler sur la pulsion après et il faut qu’on sache d’où est-ce qu’il est parti (Lacan). Donc voilà, j’annonce le programme pour la rentrée.
Donc leçon XII, les dernières leçons sur le transfert et je vais pour commencer vous lire un court extrait de la correspondance de Freud avec Stefan Zweig. Vous allez comprendre au fil de mes propos pourquoi. Donc c’est une lettre que Stefan Zweig adresse à Freud, il était à Salzbourg, il lui écrit le 15 avril 1925 : « Monsieur le Professeur, je suis très touché de l’honneur que vous m’avez fait d’avoir aussitôt ouvert mon livre alors que vous êtes tellement occupé par des choses d’une toute autre importance et vos commentaires me sont les plus précieux. Si j’ai mis votre nom en tête de ce livre, ce n’était pas uniquement pour exprimer mon admiration et ma reconnaissance envers vous. Plusieurs chapitres tels que la pathologie du sentiment chez Kleist ou l’apologie de la maladie chez Nietzsche n’auraient pu être écrits sans vous. Je ne veux pas dire par là qu’il s’agit du résultat d’une méthode psychanalytique mais vous nous avez enseigné à avoir le courage d’approcher de près les choses, d’approcher sans peur et sans fausse honte même la partie la plus extrême et la plus intime du sentiment. Et il faut du courage pour être sincère. Votre œuvre en témoigne comme peu d’autres à notre époque. J’espère pouvoir vous rendre visite une nouvelle fois à Vienne, j’en éprouve grande envie mais la peur d’abuser de votre temps est toujours plus grande encore. Avec mes hommages pour Mademoiselle votre fille (il s’agit De Anna Freud) et la considération de votre fidèle, Stefan Zweig ».
Voilà, je trouvais que c’était intéressant de démarrer par-là, quand même par une lettre qui témoigne d’un certain transfert. On va dire ça comme ça. Et puis qui nous parle du courage.
Alors, comme c’est la dernière leçon de l’année, le fil que je veux prendre ça va être un fil encore plus resserré et je vais certainement laisser beaucoup de choses de côté mais on pourra en reparler dans la discussion. Et ce fil se tisse entre $, objet a, désir, autour du transfert. Donc, si dans la leçon précédente comme Stéphane nous disait, il s’agissait d’une reprise, d’un nettoyage du champ, d’une préparation du terrain, Lacan avait quand même proposé une nouvelle définition du transfert : « le transfert est la mise en acte de la réalité de l’inconscient » et aussi une nouvelle lecture de ce qui fait la pulsation temporelle de l’inconscient, sa fermeture, son ouverture, avec le dessin de la nasse comme vous vous souvenez, en nous disant clairement lors de la discussion que l’objet a est l’obturateur. Et il finit cette leçon en disant : mais il s’agit quand même de savoir comment. Il nous dit aussi, Stéphane l’a souligné également, qu’en opposition à i(a) c’est le a ici qui pour nous est en cause. Je restitue comme ça très brièvement le fil de la leçon précédente, car ces deux points vont être développés et s’avérer majeurs dans la leçon XII. Alors Lacan repart donc de la définition du transfert comme une mise en acte de la réalité de l’inconscient. C’est une phrase à déplier, n’est-ce pas ? Je vous rappelle qu’il a fini la leçon précédente avec ces jolis mots en disant « une mise en acte est un mot promesse ». Et ça m’a beaucoup intéressée, et vous aussi je pense, ce terme de mise en acte qui n’est pas tout à fait…comment dire ça, j’ai essayé de dire c’est au-delà, c’est à contre-courant mais la mise en acte n’est pas en tout cas la répétition, ni la remémoration, mais la mise en acte de la réalité de l’inconscient ici et maintenant. Et l’acte, Lacan insiste, se situe au niveau de ce qui est constituant du sujet. Et ça c’est intéressant de vous rappeler ce qu’il dit toujours dans la leçon XI (c’est à la page 172). Il dit « pourquoi, de l’inconscient, j’ai tenu en somme à vous rappeler l’incidence que nous pourrons appeler de l’acte constituant du sujet au niveau de l’inconscient : parce que c’est lui qu’il s’agit pour nous de soutenir ». Ça c’est très important. Et je pense que soutenir cet acte constituant le sujet au niveau de l’inconscient, c’est quand même quelque chose qui a pris peut-être d’autres tournures aujourd’hui. Mais on pourra en parler dans la discussion. Quand Lacan parle de cet acte qui se situe au niveau de ce qui est constituant du sujet, il ne perd pas de vue ce que lui-même a avancé. Il a dit : « qu’est-ce que mon enseignement a avancé concernant l’inconscient ? L’inconscient ce sont les effets sur le sujet de la parole …. L’inconscient est structuré comme un langage ». A ce moment-là, il rappelle ça pour dire justement que c’est une direction bien faite pour arracher toute saisie de l’inconscient à une visée des réalités autres que celles de la constitution du sujet donc que celles du signifiant. Donc ça éclaire aussi la question : à quelle réalité nous avons à faire ?
Il y a quelque chose qu’il avance ensuite qui me semble utile de souligner ici qui est la question de l’enseignement et du transfert. Et à propos de ça, on peut dire rapidement qu’il n’y a pas d’enseignement en psychanalyse hors transfert. Il dit quand même deux choses qui me semblaient importantes. L’enseignement a une visée transférentielle, c’est-à-dire qu’il doit tenir compte d’à qui il s’adresse, tenir compte de l’adresse de celui qui est là, de l’auditeur, du récepteur et des effets de la parole sur celui qui reçoit cet enseignement. Et « tenir compte de la réalité de l’inconscient, être en rapport avec la réalité de l’inconscient que mon intervention non seulement met à jour mais engendre ». C’est quand même quelque chose… moi je pense, si on tient compte de la définition du mot « engendre », du verbe engendrer, enfanter, créer, produire, n’est-ce pas ? Donc l’intervention engendre quelque chose de la réalité de l’inconscient. La réalité de l’inconscient non seulement elle est déjà là, doit-être mise à jour mais engendrée par l’intervention de l’analyste. C’est quelque chose qui nous permet de faire une petite précision, s’il en fallait, sur la question de l’inconscient lui-même comme opposé de la besace. L’inconscient n’est pas dans les profondeurs, il est à la surface, surface d’une parole adressée, engendrée par la parole en acte ou par la mise en acte de la parole. Donc ça, ça me parait important et c’est cette phrase de Lacan, transfert comme une mise en acte ou le transfert est la mise en acte de la réalité de l’inconscient, qui nous permet de préciser, que c’est en adressant la parole en séance que l’acte manqué se produit, il n’était pas là avant, n’est-ce pas ? Ça c’est un premier point important de la leçon.
Le deuxième point va arriver très vite. La réalité de l’inconscient c’est la réalité sexuelle. Alors, comment est-ce que Lacan va prendre cette question, renouveler cette question, qui est déjà là dans les études de l’hystérie, dans l’étiologie sexuelle des névroses. Comment Lacan va traiter cela ? Je voulais faire une petite remarque au passage sur ce texte parce que c’est intéressant qu’il ne soit pas traduit de la même façon en portugais ou en anglais d’ailleurs qu’en français. Parce qu’en portugais, c’est « l’étiologie sexuelle des névroses ». Et en français c’est « la sexualité dans l’étiologie des névroses ». Ce n’est pas la même chose du tout, hein ? C’est beaucoup plus direct. Qu’est-ce qu’il va en faire Lacan ? C’est très étonnant toute cette partie de la leçon où il repart du substrat biologique, toute la question de la mitose, des cellules et il part de ce substrat biologique presque comme Freud a pu faire par moments, mais pour poser une question inouïe qui est : « par où le signifiant entre dans le monde ? ». Et sa question par rapport à tous ces substrats biologiques, c’est quelque chose qui va complétement se décaler, se décoller justement. Il va parler des combinoires, des combinoires (rire)… c’est joli ! Je ne sais pas d’où je sors ça… combinatoires, de lettres et de restes. Il va parler de l’écriture du DNA c’est ça sa question mais il va parler de ça en prenant appui sur la mitose des cellules au moment de la conception, au moment de la reproduction sexuée.
C’est ça qui l’intéresse, c’est ça la question, ce qui l’intéresse c’est rendre légitime de dire que c’est par la réalité sexuelle que le signifiant est entré dans le monde. Et il va accentuer ça, que la question de la génétique, l’écriture du DNA, ce qui en sort d’une combinatoire qui opère en laissant des restes, des éléments sont expulsés pour indiquer ceci, « une affinité en apparentement avec ce qu’il en est des énigmes de la sexualité avec le jeu du signifiant avec la combinatoire et production du reste », on pourrait penser à l’objet a ici.
La question de Lacan est celle-ci : est-ce que le signifiant s’appuie sur la sexualité ? Et il va poursuivre cette question en examinant la question de la pensée et de la sexualité pour arriver, vous voyez j’y vais très vite, pour arriver à cette séparation, à ce partage des eaux entre Freud et Jung autour de la question de la libido. La libido encore une fois ce n’est pas de la substance, ce n’est pas l’énergie psychique comme Jung va le dire. Lacan, quant à lui, va se saisir de la libido freudienne mais comme présence effective, et comme telle, du désir. La libido n’est pas de l’ordre des vestiges archéologiques, elle n’a pas de rapport avec l’archaïque, « un mode d’accès primitif des pensées, un monde qui serait là comme ombre subsistante d’un monde ancien à travers le nôtre ». C’est la présence effective et comme telle du désir. La libido n’est pas substance, le désir n’est pas substance. Il y a là, dans cette articulation de la libido avec le désir un premier tournant de la leçon. « Je soutiens que c’est au niveau de l’analyse que peut, que doit se révéler ce qu’il en est de ce point nodal par quoi la pulsation de l’inconscient (son mouvement d’ouverture et de fermeture) est liée à la réalité sexuelle. Ce point nodal s’appelle désir ». Donc ce point nodal, responsable de la pulsation, ouverture et fermeture de la nasse, obturation, présence opaque de l’objet, est-ce que l’on peut aller jusque-là ? En tout cas, Lacan va dire cette chose assez intéressante parce que complètement… en répondant au cogito cartésien, « desidero, c’est le cogito freudien ». Donc là il pose ça, c’est le tournant de la leçon. Mais de la même façon qu’il va dire que l’acte constitue le sujet de l’inconscient, a affaire avec les signifiants, de la même façon que la question de la sexualité l’intéresse dans le sens où elle peut être la porte de l’entrée du signifiant dans le monde, il va dire « double face de la fonction du désir en tant qu’elle est résidu dernier dans le sujet de l’effet du signifiant. C’est dans le transfert que nous devons voir s’inscrire le poids de cette réalité sexuelle donc de ce désir ». La ligne du désir, c’est une ligne, « il y a la demande d’une part, et d’autre part c’est par son incidence que se présentifie dans l’expérience….
Là je dirais qu’il y a un deuxième tournant de la leçon parce qu’il va poser cette question mais de quel désir s’agit-il ? Ce désir qui se présentifie dans l’expérience. Or ce désir est le désir de l’analyste nous dit Lacan. Comment entendre ça ? Je vais essayer de m’arrêter un petit peu là-dessus. Il va repartir voyez, de 1895, Études sur l’hystérie, le cas de Anna O.
Il va reprendre ce cas pour dire quoi ? Pour dire que l’entrée dans la sexualité se fait par Breuer mais le problème c’est que quand bien même c’est par Breuer que la sexualité rentre en scène, lui il ne veut rien en savoir ni du transfert ni de la sexualité, à la différence de Freud. C’est ça qui les oppose. C’est ça qui les oppose et Freud trois ans après les Études sur l’hystérie, donc 1895, lui oppose en 1898, L’étiologie sexuelle des névroses. Ce sera le champ de Freud, il y va seul avec son désir et son courage comme disait Stefan Zweig dans sa correspondance. Breuer le lâche là-dessus. Breuer n’avait aucun désir de savoir ça, Freud savait que le désir de savoir n’était pas une chose aisée. Je vais vous faire part de quelques lignes que j’ai trouvées dans un texte de Christiane Lacôte-Destribats qui est sur internet actuellement où elle parlait aussi de cette question du désir de savoir et la critique que Lacan faisait de Freud et elle va parler un petit peu de ça d’une façon qui m’a intéressée. Elle dit « il marque bien Freud le désir de savoir comme embarrassé.
Le désir du savoir freudien était sans doute ce qui poussait son investigation, ce qu’il faisait qu’il y allait et avec courage. Vaudrait mieux ici peut-être en effet parler de courage que de désir de savoir ». Pourquoi ? Quant au désir de savoir, Lacan dans le séminaire Encore qu’on est en train de travailler, enfonce le clou : « L’inconscient n’est pas que l’être pense. C’est que l’être en parlant jouisse et ne veuille ne rien en savoir plus. Cela veut dire ne rien savoir du tout » Alors avec ces réflexions, faisons un peu d’histoire de la psychanalyse et cette question qui fait séparation entre Freud et Breuer. Alors je ne sais pas si vous avez eu la curiosité d’aller voir ça mais dans ce texte qui s’appelle « L’histoire du mouvement analytique » Freud s’épanche un petit peu sur les motifs de la rupture avec Breuer. Et il dit que ce sont des raisons profondes. Breuer a dit de sa première patiente Anna O. que l’élément de la sexualité n’était pas développé chez elle et que cela n’avait contribué en rien pour la richesse du cas clinique. Breuer met la sexualité dehors, il ne peut pas affronter ça, ni le transfert, ni la réalité sexuelle de l’inconscient. Freud par contre il interprète les symptômes d’Anna O., il y a un symbolisme évident selon lui, le serpent, la paralysie du bras, les raidissements. Breuer, dit Freud, s’est servi dans ses traitements d’un rapport de suggestion, prototype de ce qu’on appelle aujourd’hui transfert. Après avoir soulagé tous les symptômes d’Anna O., Breuer a dû découvrir la motivation sexuelle de ce transfert. Et surpris par un fait inconvenant dit Freud, il met fin au traitement. « Les surgissements du transfert sous une forme franchement sexuelle, amour ou hostilité, dans le traitement des névroses malgré le fait qu’il n’est pas désiré ni du patient ni du médecin, m’a paru comme une preuve irréfutable que l’origine des forces fondatrices de la névrose se trouve dans la vie sexuelle ». Et là il y a quelque chose de très intéressant. C’est que Freud va citer Breuer, Charcot et Chrobak. Les trois hommes ont transmis un savoir dit Freud que rigoureusement ils ne possédaient pas eux-mêmes. C’est très intéressant qu’il puisse dire ça (rire). Et il rappelle les rencontres avec Charcot et Chrobak.
Charcot dans ses leçons sur l’hystérie, que Freud est allé voir à la Salpêtrière comme vous savez peut-être, a dit à son auditoire dans des cas pareils « c’est toujours la chose génitale, toujours, toujours, toujours » et Freud s’est demandé : mais si c’est ça, pourquoi il n’en parle jamais ? À un moment donné, Freud, avait une patiente commune avec Chrobak, qui souffrait d’anxiété. Il s’agissait d’une femme qui était vierge après 18 ans de mariage avec un mari impuissant. Et Chrobak lui dit, la seule recette pour cette maladie nous est familière mais on ne peut pas la prescrire : « Penis normalis, dosim repetatur (pénis normal à dose répétée) ». Donc vous voyez que question courage, ils n’y étaient pas non plus. Lacan lui, parle de la grossesse d’Anna en disant : mais pourquoi vous ne pouvez pas prendre ça comme je vous ai appris, le désir de l’homme c’est le désir de l’Autre, au lieu de culpabiliser Anna dans cette affaire ? Vous avez lu la leçon, vous savez ça, Breuer, il va faire un enfant ailleurs, il vire Anna et il va faire un enfant à sa femme en Italie. Lacan interprète, rappelle : Freud dit à Breuer, (il le prend pour un hystérique,) ton désir c’est le désir de l’Autre. Comme si les deux choses se répondaient.
Mais revenons à la question, le transfert est le désir de l’analyste comment l’entendre ? Comment entendre ça ? Est-ce que c’est simplement parce que Breuer avait envie d’un enfant que Anna O. a fait une grossesse nerveuse ? Lacan va reprendre Szasz, le transfert n’est qu’une défense de l’analyste. Lacan va faire basculer cet extrême. Le transfert ce n’est pas une défense de l’analyste, le transfert c’est le désir de l’analyste. Il nous balance ça et puis après il nous rassure en nous disant tout cela est pour vous mener quelque part. Où ? Il fait un détour presque comme Freud a fait avec Charcot, Breuer et Chrobak parce qu’il va parler de ces analystes qui apportent chacun comme contribution, au ressort du transfert, à part Freud, ils apportent quelque chose où leur désir est parfaitement lisible : Abraham/désir d’être une mère complète, Ferenczi/je suis fils-père, Nunberg/aspiration à une position divine. On pourrait se demander où est la réalité sexuelle de l’inconscient dans ces positions-là. On ne la trouve pas.
Qu’est-ce que Lacan oppose à ça ? Le sujet, ce qu’il peut de sa petite affaire vient s’y profiler à titre d’obturateur. C’est-à-dire l’objet a. Et là je pense que ce serait intéressant que l’on reprenne cette discussion quand on a fait le dessin de la nasse avec l’objet a et on a eu cette discussion qui me semble importante, c’était l’objet cause du désir ? c’était l’objet de la pulsion ? On a eu cette discussion et je pense que là il me parait plus clair qu’il s’agit de l’objet du désir. Il va faire appel au schéma optique pour montrer comment cet objet a vient, apparait comme enveloppé par l’image.
« Que savons-nous de tout cela (nous dit Lacan), si ce n’est qu’au gré des oscillations, des flottements [dans l’histoire de l’analyse] de l’engagement du désir de chaque analyste, nous sommes arrivés à ajouter tel petit détail, telle observation de complément, telle addition ou raffinement d’incidence qui nous permet de qualifier la présence, la présence au niveau du désir de chacun des analystes …. » et là, il y a une phrase sur laquelle je vais m’arrêter d’ailleurs, une phrase qui n’est pas dans l’édition du Seuil, parce que je suis allée la chercher, parce que cette phrase me posait problème, il dit « …. Et pour autant qu’en la matière il fait œuvre recevable, incidence de la réalité sexuelle … ». Et j’étais intriguée par cette phrase au point que j’ai appelé Jean-Paul Beaumont cet après-midi en lui disant mais toi tu as transcrit le séminaire, il ne manque pas quelque chose dans cette phrase ? Parce que moi j’aurais écrit « et pour autant qu’en la matière il fait œuvre recevable de l’incidence de la réalité sexuelle ». Je n’arrivais pas à comprendre cette phrase sans ce petit « de » là. Pourquoi ça m’a tracassée ça, parce que je pensais que cette phrase permettait de nous aider à comprendre cette histoire que le transfert c’est le désir de l’analyste. Le transfert c’est le désir de l’analyste. Moi, je compléterai avec cette phrase en quelque sorte, c’est le désir de l’analyste de recevoir la réalité sexuelle de l’inconscient, d’en faire œuvre recevable. Et on a vu que dans ce petit parcours que j’ai fait pour vous, même ceux qui possédaient ce savoir ne le savait pas et il a fallu le courage de Freud. Lacan va nous laisser, va conclure la leçon avec cette question qu’il va reprendre à la leçon suivante mais par le biais de la pulsion, vous voyez là il y a une articulation, il y a un passage. La question est et c’est avec cette question que je vais vous laisser : quelle est la prégnance de ce désir de l’analyste dans le transfert bien sûr ? Voilà je voulais qu’on puisse discuter, ça mérite discussion.
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Stéphane Thibierge : Je vais te proposer bien sûr quelques remarques en retour de ce que tu nous as très bien évoqué comme tu le fais toujours, un dépliement de la leçon très juste dans ses accents même si ce n’est pas toujours exhaustif mais ça ne peut pas l’être de toutes façons. En fait c’est une leçon, tu l’as très bien montré qui part de l’incidence du langage à la faveur de la réalité sexuelle c’est-à-dire que la réalité… il passe vite là-dessus Lacan mais enfin disons je vais peut-être vous rappeler en quoi, dans quelle mesure, à partir d’où mais il dit voilà, l’animal-humain, enfin il ne le dit pas dans ces termes-là mais enfin l’espèce humaine, elle parle.
Et il ne dit pas, qu’elle parle parce qu’il y a la réalité sexuelle mais il lie ensemble la réalité sexuelle et le fait que l’homme parle c’est-à-dire qu’il y a dans. … La réalité, Lacan dans cette leçon, je ne sais si ça vous a été sensible mais Angela l’a fait ressortir, la réalité évidemment n’est pas du tout quelque chose qui se présente à nous comme réalité justement comme réalité objective. La réalité pour quiconque c’est la réalité sexuelle et la réalité sexuelle c’est une réalité qui fait parler ;
Alors est-ce qu’on va dire, oui c’est parce que la réalité sexuelle c’est un manque, et du coup la parole vient sur ce manque ? Eh bien non, ce n’est pas une question de chronologie, il n’y pas le manque d’abord et la parole ensuite. La parole, elle-même, indique, cette faille initiale. Les deux sont strictement contemporains, ou, pas à prendre dans la dimension d’une succession historique. Alors, c’est assez intéressant la façon dont Lacan l’amène, parce qu’il le fait assez rapidement, et sans tellement souligner, c’est là la difficulté. Vous savez à un moment il dit, alors oui on sait le sexe et la mort c’est très lié. Il évoque la division sexuelle, et alors il dit bon alors avec Platon, on peut imaginer qu’il y a d’un côté un être comme une idée, et de l’autre côté les individus ou bien on peut imaginer avec Aristote l’idée n’est nulle part ailleurs que dans les individus, peu importe. Ce qui est sûr c’est que les individus meurent, l’espèce perdure. Et donc, la pérennité, la perdurance, le fait que perdure l’espèce, le fait que l’espèce dure si l’on peut dire est lié au fait que les individus qui la composent meurent. Et tout de suite après, Lacan fait cette remarque, l’espèce disons subsiste sous la forme de ses individus, « il n’est reste pas moins que si la survivance du cheval comme espèce a un sens », si là il y a quelque chose que l’on peut attraper d’un peu substantiel dans l’espèce du cheval- – c’est vrai que l’espèce du cheval, elle tient la route, elle dure, alors que les chevaux eux, ils ne durent pas- « L’espèce, si elle subsiste, il n’en reste pas moins que si la survivance du cheval a un sens comme espèce, il reste que chaque cheval est transitoire et meurt. » Il ajoute «, et le lien du sexe à la mort, à la mort de l’individu est fondamental, essentiel », et il ajoute la phrase où l’on entend la question qu’il amène, et il ne la donne précisément que dans cette phrase, donc il faut être attentif sinon, « et que se suspend » se suspend, « …l’existence »- se suspend c’est ce point d’arrêt suspendu avant de tomber- « se suspend l’ex-sistence sous forme perdue » est-ce que c’est perdue, perdure ? peu importe, « sous forme… grâce à la division sexuelle » « l’ex-sistence, grâce à la division sexuelle, repose sur la copulation, une copulation accentuée en deux pôles » s’il y a copulation, c’est qu’il y a deux pôles, mais cela ne nous dit pas pour autant ce que c’est la copulation, ce que cela fabrique comme substance, d’où ça sort, qu’est ce qui lie ces deux trucs. « Une copulation accentuée sur deux pôles que la tradition séculaire s’efforce de caractériser. Le pôle male et le pôle femelle et que là git le ressort de la reproduction. » Seulement ce qu’il va tout de suite ajouter c’est que là git aussi les traditions antiques séculaires.
Il évoque la tradition chinoise notamment, qui a tenté, articulé sous la forme de balance comme ça, l’opposition de couple signifiants, c’est-à-dire que très vite la combinatoire signifiante, même pas très vite, la combinatoire signifiante, il la lie Lacan, au fait que notre réalité, la réalité humaine, la réalité parlante, c’est la réalité sexuelle, c’est-à-dire l’articulation de ces deux pôles, l’articulation en tant qu’elle laisse justement en suspens l’ex-sistence. L’ex-sistence de quoi ? Eh bien de l’individu, mais de l’individu, comment dire, complétement ahuri, si je puis dire, l’individu humain complétement ahuri de son propre suspens dans l’existence là, certes produit d’une espèce qui perdure, mais lui-même voué à disparaître. Vous voyez cette espèce d’éclat fugitif comme ça de suspens de l’existence, tel qu’il se manifeste dans l’existence humaine, eh bien c’est étroitement lié au fait que cela vient faire joindre et disjoindre en même temps, parce qu’on ne peut pas dire que cette jointure soit pleine. Ça vient joindre deux pôles, que dès le début, tout de suite la parole a tenté d’articuler dans des effets de balance, enfin de contraste, d’opposition signifiante. Et là Lacan dit vous prenez la science chinoise, elle ne parle que de ça. Et il va même jusqu’à dire que la science tout court part de ça et qu’à un moment donné, notamment dans la tradition occidentale, elle se détache de ça. Mais ce qui nous importe et ce qu’Angela a très bien fait valoir et entendre, c’est que la réalité n’est pas réalité, je veux dire la réalité tout court, cela n’a absolument aucun sens. La réalité c’est la réalité sexuelle. C’est pour cela que tu as raison à un moment d’insister sur la fin de la leçon quand Lacan va reprendre la nasse, l’objet a et derrière l’objet a dans son schéma. (Stéphane Thibierge cherche un feutre près du tableau) Je ne peux pas vous l’écrire malheureusement parce qu’il y a une espèce de malédiction (rires) oui oui, on ne peut pas écrire. (On tend un feutre) Ah merci, vous êtes un ange comparé à cette malédiction.
Alors la réalité n’a de sens que sexuel. Sauf que sexuel, habituellement et tu l’as très bien montré, Breuer par exemple il a laissé sexuel complétement entre parenthèses, et tout le monde laisse sexuel complètement entre parenthèses, avec le refoulement dont nous sommes marqués, la réalité, nous croyons dur comme fer que c’est la réalité. Eh bien sûr nous refoulons que c’est la réalité sexuelle, autrement dit l’incidence du désir sur le corps et sur le parlêtre. Toute la leçon d’une certaine manière c’est une tension entre, qu’est-ce que c’est que cette réalité sexuelle, qui est tout de suite liée à l’articulation signifiante, qu’est-ce que c’est que cette réalité sexuelle ? et bien toute la leçon va aller jusqu’au terme que tu as très bien souligné, le terme, c’est le désir de l’analyste qui vient questionner cette réalité sexuelle. Il n’y a rien d’autre que le désir de l’analyse, rien d’autre. Et il va même jusqu’à dire, il dit dans la phrase que tu as interrogée, que l’on reconnait l’incidence, enfin ce qu’a apporté l’analyste, à la façon dont, dans ce qu’il laisse comme ouvrages dans son œuvre, se fait entendre la dimension du désir. Ce désir de l’analyste. Et c’est vrai que ce désir de l’analyste témoigne de cette réalité sexuelle dont Freud a été le premier témoin. Le premier et remarquable témoin.
Et Lacan a des remarques, tu ne pouvais pas tout dire évidemment, on ne peut jamais tout dire, surtout quand on évoque une leçon de ce séminaire, on est obligé de, comme tu l’as dit, de laisser tomber des choses. Lacan dit d’une certaine façon, la bande, bon ce n’est pas pour rien qu’il parle de la bande, mais la bande à Freud, « c’te » bande, c’est-à-dire qu’ils étaient tous plus ou moins siphonnés, cinglés. La bande, la bande de Freud… Mais plus la bande est composée de gens innocents, c’est-à-dire pas spécialement futés, ni doués et reluisants, mieux on a le témoignage pur de ce dont il s’agissait. Et il dit, après tout, Freud il était un peu comme le Christ, et le Christ il n’était pas entouré par des lumières. Mais du coup, ça nous donne un témoignage extrêmement vif de ce qu’il faisait entendre, comme Freud avec sa bande. Et c’est très intéressant parce que cela montre, enfin Lacan souligne là combien, ce dont il s’agit là, dans ce qu’il essaie de nous faire entendre, combien ça se joue évidemment, à un tout autre niveau que celui de la réalité tout court, c’est-à-dire la réalité de la conscience, la réalité de l’image spéculaire. Tout se joue ailleurs, au niveau de la réalité sexuelle. Et là dans cette leçon il fait vraiment résonner ce sexuel, d’une façon qui va tout droit au désir de l’analyste. Eh bien alors, effectivement, on peut penser que l’auditoire qui écoutait Lacan, ils étaient surement fascinés, parce qu’il y avait tout une mode, ce n’était pas comme aujourd’hui. La psychanalyse, c’était le top du top, du « up to date ». Donc, il y avait tout cet effet de suggestion et tout ça. Mais enfin, Lacan devait avoir quand même conscience, qu’il leur apportait des trucs qui devaient leur paraître complètement siphonnés. Parce que, c’est pas du tout évidemment siphonné ce que dit Lacan, c’est très articulé, mais à un moment donné, il le dit d’ailleurs, tu l’as souligné brièvement, j’ai trouvé que c’était intéressant de le noter « je fais basculer cet extrême » dit Lacan, parce qu’il reparle de Szasz, Szasz qui dit, il a tellement de pouvoir de suggestion cet analyste qu’il devrait avoir une interdiction de susciter le transfert, défense de. Je vous avais parlé d’ailleurs de Grumberg qui littéralement entrait en insurrection devant cette histoire de transfert freudien. Lacan ré-évoque Szasz, du fait que Szasz est scandalisé, comme Grumberg par cette histoire, cette puissance, cette toute-puissance de l’analyste. Et Lacan dit « je fais basculer cet extrême, j’en montre exactement l’autre face », mais une face qui peut, elle, peut-être nous conduire quelque part, en vous disant, c’est le désir de l’analyste. C’est ça le point pivot, le point qui questionne, et en même temps qui articule cette réalité sexuelle. Et il ajoute, et là je pense qu’il devait voir devant lui des têtes un tout petit peu sidérées, « il faut me suivre » dit-il, « tout cela n’est pas fait simplement pour mettre les choses sans dessus dessous, c’est pour vous mener quelque part. » Il rappelle quand même ça, à un auditoire qui devait être quand même je pense assez légèrement stupéfait. Mais déjà, depuis le début du séminaire. Mais c’est vrai c’est un peu énorme, nous on commence à avoir l’habitude, enfin, un peu, on commence un petit peu à essayer de lire Lacan et Freud, comme l’a fait d’ailleurs Lacan lui au départ, on commence à être un petit peu accoutumé.
Mais là, ils n’étaient pas accoutumés, donc, c’était pas évident pour eux d’entendre que, le point d’articulation pour nous, qui sommes dans l’analyse, le point d’articulation de cette réalité sexuelle, eh bien c’est le désir de l’analyste. Et il donne comme exemple Freud, et il donne comme exemple Jésus, ce n’est pas totalement attendu, vous ne pouvez pas deviner qu’il allait le faire ; et puis il ajoute « Viridiana », qui prend une photo avec son petit appareil. Elle dit « Oh je vais vous prendre avec mon petit appareil », et elle relève sa jupe sur sa tête et elle se marre pendant que les autres sont complètement sidérés. C’est quand même extraordinarement parlant justement.