Et pourtant je l’avoue, résigné je m’y trouve parfois associé, il est si simple et facile, en un clic, de me joindre à quelque multitude qui pour l’occasion, pense comme moi, belle affaire, et se persuade que la face du monde s’en trouvera changée.
Voici que celle-ci a pour visée l’une des figures politiciennes qui, du plus profond de mes convictions représente le plus grand danger pour ladite démocratie comme pour ladite nécessité de l’hypothétique « vivre ensemble ». De plus, elle est initiée soutenue et promue par « des psychanalystes ». La réponse s’impose à moi, dans mon élan militant, emporté par un esprit de corps (!) et surtout l’argumentaire implacable qui l’accompagne, vais-je accoler ma légitime signature aux leur(re)s ?
Car c’est bien de leurre qu’il s’agit et je ne signerai pas, je me priverai de cette bonne conscience à vil prix comme de cette idée perverse d’un bien dire conduisant « l’opinion éclairée ». Je pourrais adhérer à nombre d’arguments cités dans cette tribune(*) du journal « Le monde » le 19 mars, l’un d’eux m’indispose, j’y reviendrai. Cependant la raison principale de mon refus en est la qualité revendiquée des premiers et plus éminents signataires : « Des psychanalystes prennent position publiquement dans le débat électoral ».
Revendiquer la position de psychanalyste sur la place publique ne donne à priori à son prétendant aucune qualité d’exception, ne génère aucun statut particulier, ne le projette ni porte drapeau ni référence morale ou politique, ne le situe pas hors de la mêlée du monde, excepté, c’est là sa seule revendication, face à son analysant. Il est une singularité qu’il revendique et c’est dans le transfert, avec la place si délicate à assumer de porteur d’un supposé savoir que l’analysant lui prête, c’est alors sa seule et sa plus grande compétence dont seul l’analysant pourrait témoigner. L’analyste n’est analyste que par et dans sa relation à l’analysant. Cette posture impose la plus grande prudence quand au maniement de ce savoir au risque d’en faire un pouvoir : grave dérive. La pratique analytique est un exercice délicat, et proclamer publiquement au nom de cette pratique un « moi je sais et je vais vous dire » est plus que dangereux, c’est une inversion complète, un renversement éthique, car ce faisant l’analyste devient maître à penser, gourou ; déviations qui sont de facto, de véritables détournements de sens de la cure analytique …
Enfin, le texte de cette pétition argumente d’un « ordre symbolique remanié », tarte à la crème de tous les conservatismes et pur contresens lacanien. L’ordre symbolique présenté et travaillé par Lacan tout au long de son enseignement n’a rien d’une entité isolable analysable ni repérable, il n’appartient en rien au monde platonicien des idées et le qualifier de « remanié » voire menacé est le confondre avec ce qui relève des idéologies multiples qui animent toute société. S’il y a un ordre symbolique, il n’a pas de valeur universelle, il est à considérer dans un nouage pour chaque Un et il est impossible à séparer des deux autres de la trilogie Réel Symbolique Imaginaire. C’est là un vaste débat qui met en jeu la presque totalité de l’enseignement lacanien.
Décidément non, quelle que soit mon aversion pour la dame, je ne signerai pas cette pétition établie au nom de la psychanalyse.
Olivier Lenoir
(*)« La psychanalyse, c’est l’exact envers du discours du Front national »