Vous avez certainement souri en lisant les lignes où Lacan nous invitait à aimer les femmes – quel que soit notre sexe. Pourquoi les aimer ? Que représentent-elles ? Les schémas lacaniens indiquent une place pour les femmes en tant qu’altérité : le côté dit femme, c’est l’autre côté. C’est un constat de structure pour tous les êtres parlants – êtres parlés, dira Lacan quelques fois – qui s’appuie sur le fait qu’ils n’ont pas le même rapport au réel.

Si nous entendons ainsi la tolérance, voire le goût pour l’altérité, nous pouvons dire qu’aimer les femmes a toujours permis de construire un lien social, de le maintenir et même de le faire progresser. Un lien complexe entre deux places, considérant que la différence entre ces places est la condition même du désir. D’ailleurs les demandes adressées aux psychanalystes ne parlent pas d’autre chose : la tension entre S1 et S2, entre la place qui commande et cette place autre. Cela se joue dans la fratrie – Charles Melman, parti il y a deux ans exactement, disait qu’il n’y avait qu’un S1 et qu’il ne se partageait pas au sein de celle-ci. Pour le couple, un peu différemment, nos patients disent combien l’attention est devenue la tension entre les deux partenaires, les deux places. Et cela se joue même pour le sujet qui aura, à la faveur d’un rêve, d’un acte manqué ou d’un lapsus, aperçu une altérité interne.

Que dire enfin du social ? De notre lien social actuel ? Comment aimons-nous les femmes aujourd’hui ? Quelle attention prêtons-nous à cette place autre et à celles et ceux qui l’incarnent occasionnellement ? On peut dire que l’heure est à l’homogénéité : soit on est même, soit on n’aime pas. Et ce ne sont pas les réseaux sociaux qui vont nous contredire. Entre mêmes, intra-muros, il se produit une indifférenciation de sexes et de générations. On met dehors la pas-toute, la place qui vient décompléter nos certitudes. Il arrive que même la psychanalyse soit poussée vers la porte, mais cette mauvaise presse est une autre histoire…

Le psychanalyste serait-il nostalgique d’un passé idéalisé ? Nul besoin ! – mais il peut être inquiet, parce qu’il connaît les effets violents, à petite ou à grande échelle, d’une abolition de l’altérité. Il sait que, quand cela arrive, c’est cette place des femmes qui trinque en premier.

Omar Guerrero

Vice-président de l’ALI