Si j’avais une plaidoirie à prononcer pour que l’on confie en France les enfants souffrants d’Autisme ou de Troubles Envahissants du Développement, aux soins mis en place par le secteur public de Psychiatrie Infanto Juvénile, je dirais les choses suivantes.
Je demanderai d’abord : qu’est – ce qu’un enfant, quel est son statut ?
Et je dirai qu’il vient au monde comme témoin que la rencontre entre un homme et une femme a été bénie.
Freud avait nommé cela Behajung primitive. Jacques Lacan a préféré le terme de Symbolisation. Symbolisation parce que ce « oui ! » de la bénédiction implique logiquement un « non ». Le fameux « Oui, mais pourvu qu’il ne ressemble pas à la tante Adèle ! »
Tous ces propos dans l’attente d’un enfant, nous les connaissons et ils sont nécessaires à ce que l’enfant à venir soit pris dans un processus non seulement vital mais aussi langagier.
Ce non de la symbolisation sera refoulé , c’est ce qui fait qu’une mère , qu’ un père, sont en mesure d’accueillir leur enfant à sa naissance et l’investiront , y compris s’ils sont dépressifs.
En ce sens nous pouvons tout à fait dire avec Lacan que l’enfant, avant sa naissance et à sa naissance, est inscrit dans un processus langagier, naît dans un bain de langage, même s’il ne parle pas encore. Un enfant de quelques heures tourne la tête en direction de sa mère quand cette dernière rentre à voix haute dans la pièce où il se trouve, alors même qu’il ne possède pas la maturité neurophysiologique de la vision.
L’autisme, les troubles envahissants du développement, mettent à mal ce tableau que je viens de décrire. Parce, que cet enfant pour des raisons que l’on appréhende que peu encore, semble indifférent aux effets de cette symbolisation primitive …
Qu’est ce qui se passe malgré les soins intensifs, les stimulations intensives des parents ?
L’enfant, le bébé ne répond toujours pas…ou peu .Il ne regarde pas son père, sa mère. Il semble ne pas les entendre au point que des examens concernant l’audition et la vue seront pratiqués … C’est à dire que le fonctionnement de la fonction des orifices (œil, oreille) que les psychanalystes rattachent à la sphère pulsionnelle, dysfonctionne.
Je dirais, à la suite de Marie-Christine Laznik qui nous démontre avec les films familiaux que ces parents sont sidérés sans pouvoir se le dire et que l’inquiétude gagne au fil d’interactions qui ne se passent pas, eu égard au processus engendré par les troubles de l’enfant, troubles que l’enfant ignore lui même. La mère de Sean Baron raconte comment Sean pleurait continuellement sans que l’on puisse le consoler de la moindre des façons.
A cet endroit là, j’oserais parler de traumatisme chez les parents et l’enfant.
Le traumatisme pour le psychanalyste, c’est un réel que le sujet ne peut pas dialectiser.
Cela a des conséquences sur la lecture qu’il va faire de la vie qu’il mène.
Concernant l’enfant, malgré tout et sans le savoir, il a investi ses parents .C’est tout à fait vérifiable dans l’après coup, que l’enfant investissait ses parents, bien avant tout traitement et contre toute apparence, et ce, dès le début de la vie.
C’est sur cela que le psychanalyste va s’appuyer dans le traitement de ce traumatisme transitif entre les parents et leur enfant.
Ça n’est pas une démarche de la part du psychanalyste qui consisterait à s’appuyer sur « la partie saine du moi » Sa démarche va être celle de prendre appui sur la symbolisation primitive dont je parlais plus haut, celle qui fait que cet enfant est pris dans un processus vital et langagier, et qu’il a à le vivre … malgré le réel de sa pathologie.
Tout cela, je l’ai appris, je l’apprends tous les jours de la bouche de mes jeunes patients et de quelques uns de mes maitres, Freud, Lacan, Melman, Laznik.
Pour garder toute confidentialité et anonymat, je parlerai d’un jeune homme de 22 ans séjournant à présent dans un lieu de vie communautaire et catholique.
Dans cette communauté où l’on arpente au printemps les chemins de Compostelle, les relations humaines entre homme et femme ne sont pas interdites mais bénies à la condition qu’elles revêtent le sérieux et les sacrements qui s’y rattachent au regard de la religion catholique.
Ça n’a pas été sans mal de le faire admettre dans cette institution, précisément à cause de sa singularité dans les rapports humains et de ses « passions » peu communes.
Cet enfant comme beaucoup d’autres que j’ai accompagné avait six ans quand j’ai commencé à m’occuper de lui. Il ne pouvait pas, sinon à lui faire grande violence, me rencontrer en dehors de la présence de sa mère qu’il ignorait par ailleurs du regard et qu’il instrumentalisait, par exemple, lui prenant la main pour qu’elle fasse à sa place ce qu’il était parfaitement capable de faire lui même.
Huit ans ont passés où nous nous rencontrions tous les trois, jouions, discutions, dessinions, écrivions, lisions, à raison de deux fois par semaine. Il rencontrera plus tard ma collègue orthophoniste, seul, et je crois pouvoir dire que notre travail avec sa maman lui a permis d’accepter de rencontrer les autres et de se laisser déranger de ses « manies » ou « obsessions » où encore « stéréotypies… »
Pendant près de deux ans, nous avions joué avec une petite famille d’éléphants en feutrine. Ce jeu, en parlant avec lui, en riant parfois de ses trouvailles, devenait de plus en plus symbolique et s’enrichissait de personnages nouveaux. De fait, il arrachait systématiquement la patte du grand éléphant. Nous la recollions jusqu’à la séance suivante et nous construisions des histoires avec sa maman et lui. Il voulait sans cesse mettre dans une petite maison sa mère et lui, uniquement tous les deux…excluant son père et sa sœur…
Croyez vous qu’un psychanalyste, avec un enfant dans cette situation, soit assez bête pour interpréter je ne sais quoi à la mère ? Non…pour ma part, j’étais plutôt ravie qu’il compte déjà sa mère parmi les siens… d’une certaine façon, qu’il arrête d’être comme seul au monde et cela avait des effets sur sa mère, pas des effets culpabilisants comme on se plaît à le souligner mais des effets sur ce que j’ai appelé plus haut ce traumatisme qu’elle avait subi et lui aussi.
Cet enfant, quand il avait quatre mois détournait la tête pour ne pas croiser son regard.
Elle en était venue à lui coincer la tête entre ses mains pour qu’il la regarde.
Elle avait su dès la naissance que son bébé n’allait pas bien. Il n’était pas forcément indifférent aux stimulations d’un étranger et pouvait répondre par un sourire absent. Cela avait été certainement trompeur pour le pédiatre.
J’ouvre une parenthèse. Le pédiatre n’avait pas prêté attention à ce qui s’était sans doute passé quand il avait arrêté de stimuler l’enfant. A coup sûr, il aurait alors pu constater que ce bébé était retombé dans son repli d’indifférence… Ce bébé là n’aurait pas pu relancer ce jeu que font les enfants, les bébés, jeu qui consiste à aller relancer l’interaction où ils prennent plaisir à faire plaisir à l’autre.
C’est sur ces signes autour de la relation, dans la toute première enfance que nous travaillons. Ils sont à notre sens, prédicteurs de troubles du spectre autistique.
Nos recherches vont dans ce sens depuis des années et sont validées par une étude des plus scientifiques : la recherche pratiquée par l’association PREAUT qui porte sur deux signes observables très tôt dans la vie :
1) L’absence de regard du bébé à l’endroit des siens avant l’âge d’un an.
2) Le troisième temps de la pulsion. C’est ce que je viens de décrire plus haut concernant l’interaction : Marie –Christine Laznik a dégagé de ses travaux, ce point fondamental dans la relation aux autres qui est que nous ne retrouvons pas ce troisième temps de la pulsion chez les bébés souffrant de troubles du spectre autistique.
Mais aussi, pourquoi les parents, la mère, le père, n’ont même pas droit parfois à ce « trognon » de relation consistant en un semblant de sourire lors d’une stimulation,
auquel peut avoir droit, le pédiatre par exemple… J’évoquerais l’hypothèse que ce bébé là a identifié sans le savoir, sa mère, son père, alors qu’il traite les autres visages humains, comme les objets inanimés qu’il commence à investir.
Pour être plus précise, il traite le reste des humains comme il traite les sources lumineuses ou le porte clés avec son bruit de cliquetis…qui peuvent être source d’une sorte d’intérêt.
Je ferme la parenthèse pour en revenir au jeune homme dont je parlais.
Je l’ai rencontré encore quelques années, jusqu’à ses dix neuf ans.
Tout seul, à sa demande, et aussi à celle de sa mère, à partir de l’âge de treize ans.
Passionné d’histoire des civilisations, de la Bible, il a pu se mettre à la lecture et l’écriture et a pu faire un parcours scolaire malgré sa grande difficulté à parler distinctement. Ce symptôme là, il l’a gardé, mais s’est toujours efforcé de bien se faire comprendre…
Il a des talents en informatique qu’il a mis au service de ses camarades dans son lieu de vie…Rien d’exceptionnel me dira t-on, sinon que tout ce qu’il a pu faire, il l’a adressé, à ses parents, à sa sœur puis à lui, et enfin à son entourage plus élargi.
D’un point de vue juridique, il n’est pas sous tutelle mais sous curatelle simple et peut donc voter. Il a ses idées politiques bien sur et la liberté d’unir sa vie à quelqu’un si il le désire.
Il n’est pas à ce jour dégagé de toute angoisse mais vit, parmi et avec les autres, avec sa singularité.
J’évoque le cas de ce patient par ce que je viens d’avoir de ses nouvelles et qu’il a demandé à me rencontrer prochainement.
J’ai toujours accompagné ses parents dans leurs démarches et me suis déplacée toutes les fois qu’il a fallu aller plaider sa cause…
Travail singulier pour un psychanalyste. Il n’a pas profité seulement de mes soins.
Je travaille dans une équipe pluridisciplinaire. Je n’interviens pas dans les apprentissages…Je rencontre des enfants avec leurs parents. Dernièrement, je répondais à un père qui me faisait remarquer que je considérais l’autisme comme une maladie puisque j’y apportais des soins qui plus est, psychanalytiques…et qui me demandait aussi ce que je visais dans le travail que je pouvais proposer pour son fils. Ainsi, lui ai-je répondu : C’était peut-être que l’enfant et ses parents souffrent moins de ce traumatisme causé par l’absence de relation entre eux et cela souvent depuis la naissance.
Qu’un enfant autiste, qu’un adulte autiste soit quelqu’un de singulier et il l’est… pour ma part, ce qui me soucie le plus, du point de vue de mon travail bien sûr, est qu’il ait un rapport aux autres, parmi les autres, si singulier soit-il.
J’ajouterai, que plus les enfants sont soignés tôt, c’est à dire bébés, plus on évite que s’installe toute la psychopathologie que nous rencontrons plus tard…
C’est dans ces termes que travaillent les psychanalystes depuis bien longtemps…
La forteresse vide n’a jamais été vide, c’est le pari que nous tenons.
Si nous écartions toute dimension psychique de cette première relation entre un enfant souffrant de troubles autistiques et ses parents, c’est un peu comme si nous l’enlevions à ses parents.
Dans ma pratique clinique, je me suis battue pour que les enfants autistes ou psychotiques aient une instruction, apprennent comme tous les enfants et l’équipe pluridisciplinaire dans laquelle je travaille, y compris avec des collègues issus d’autres formations, s’y emploie.
Il ne nous est jamais venu à l’esprit qu’il y avait d’un côté le psychisme et de l’autre côté l’apprentissage. Il ne nous est jamais venu à l’esprit que seul le travail psychique suffisait ou même que seul l’apprentissage constituait un traitement.
Ce qui m’ apparaît, au fil des années et de l’expérience dans mon travail avec les tout petits (parfois neuf mois lors de la première consultation) c’est qu’il faut sortir les parents de la sidération et du traumatisme dans lesquels ils se sont trouvé avec cet enfant là. Cela a des effets importants sur l’enfant.
Parce que ce qu’il y a d’extraordinaire avec de tels enfants, c’est que la façon dont l’environnement va réagir, ce qui va pouvoir se mettre en place en collaboration avec les parents de l’enfant va avoir des effets bénéfiques tant sur son retard de développement que sur son intelligence. Nous allons travailler sur tout ce qui a trait à la relation aux siens : regarder l’autre, se déplacer pour aller vers lui, se lever, marcher vers l’autre, s’intéresser à sa voix et enfin parler à l’autre…
Cela participe d’un développement neurobiologique bien sûr mais ne va pas sans cet environnement dont nous faisons le pari que l’enfant, lui, le privilégie et particulièrement celui de ses parents. Ils vont nous aider et nous allons les aider à reconstruire cette relation au monde, et pas seulement à son monde, relations dont l’enfant ne semblait pas vouloir.
Tout cela nécessite naturellement des connaissances cliniques et un savoir faire thérapeutique.