Discussion du Grand séminaire de la séance du 10 décembre 2024
2024

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COLLECTIF
Le Grand Séminaire

Claude Landman : discutant  

 

Merci, merci beaucoup Valentin pour cet exposé à la fois très riche et très articulé, sur lequel je ferai quelques remarques.

La première concerne ce signifiant « externe à l’Autre », la question de l’ extrusion des S2, qui n’est peut-être pas si facile à saisir, d’autant qu’après, comme tu couples intrusion et extrusion, le S1, c’est une intrusion qui procède de l’extrusion. Je me suis posé la question en t’entendant, sur ce que pouvait être cette extrusion du S2, cette extrusion d’un signifiant dans l’Autre, et je me disais, en référence à ce qu’avançait Lacan, dans L’Envers de la psychanalyse, le savoir dit-il, est déjà là, avant même qu’advient le couplage S1-S2, le S1 sur S2, le S2 est un savoir qui est déjà là. Je me posais la question de savoir s’il ne s’agissait pas d’un savoir dans l’Autre, mais ce savoir dans l’Autre, il est en quelque sorte à externaliser. Parce que ce savoir dans l’Autre, qui précède le sujet d’une certaine façon et l’articulation S1-S2-Sbarré-petit a, ce savoir dans l’Autre. Lacan nous dit que dans l’Autre il y a un savoir, ça parle dans l’Autre avant tout, il y a la voix dans l’Autre, il y a une voix qui parle, avant même que le sujet puisse exister. Et cette voix dans  l’Autre, il nous dit : regardez, il y a la phénoménologie, par exemple il y a une voix psychotique, par exemple le Surmoi.

 

C’est quelque chose d’un savoir du fait que l’Autre parle, et il faut quand même qu’il puisse y avoir extrusion de ce savoir qui autrement est un savoir qui est complètement persécutant. Il y aurait comme ça une première extrusion, avant même ce que tu évoques concernant l’intrusion, qui permet un nettoyage de la jouissance dans l’Autre. Cette Jouissance de l’Autre, cette jouissance dans l’Autre c’est quelque chose qui renvoie à la psychose, à cette voix du Surmoi éventuellement archaïque, donc cette extrusion elle est première, en effet.

 

Valentin Nusinovici : Cette extrusion elle est première, mais est-ce que S(Ⱥ) est une donnée première ? Mais dans ce S2, là-dedans qu’est-ce qui est premier, qu’est-ce qui n’est pas premier ? Mais si, je te suis bien, j’ai écouté un  psychotique tout à l’heure, jamais je n’avais entendu aussi fortement qu’il n’avait pas de place dans l’Autre. Pour avoir une place dans l’Autre, il faut évidemment cet intervalle bordé par le phallus, là on a tous les éléments, cette intrusion originelle, celle qui va donner lieu au refoulement originel, ça aussi ça participe à cette mise en place de ce trou et d’un trou bordé. Alors qu’est-ce qui est premier là-dedans ça…C’est vrai que je ne me suis pas mis là dans les conditions de la psychose.

Cl. L. : Ecoute,…

V. N. : A propos de ce que tu disais, c’est au moins deux fois dans l’Envers que Lacan parle d’un savoir primitif. Oui, je ne me souviens plus, mais un savoir primitif est là bien avant le sujet, il passe dans les générations aussi. Est-ce que ce savoir primitif il est déjà organisé, je pense que s’il circule il doit y avoir cette incomplétude, j’imagine.

Cl. L : C’est un point qui mériterait … Tu es meilleur topologue que moi, et aussi praticien, c’est parce que l’intrusion elle procède de l’extrusion

V. N. : Là le processus est déjà en marche, c’est en marche, voilà, ça va être comme ça, et c’est le processus normal. L’analyste a à y faire rentrer les signifiants qui lui paraîtront le mieux venus ou qui l’auront retenu, peut-être au hasard, et qui viendront s’articuler au savoir déjà là d’une façon différente.

Cl. L : Oui.

V. N. : Je n’ai été capable que de faire un petit rappel théorique, mais ça me paraît extrêmement important.

Cl. L. : Cette voix qui parle dans l’Autre primordialement, comment dirais-je, il faut la refouler. Qu’est-ce qui vient faire refoulement ? Classiquement c’est quand même grâce au Nom du père qu’une place dans l’Autre est possible pour le sujet, c’est une des réponses à la question que tu évoquais de la place du sujet dans l’Autre. C’est le Nom du père qui en quelque sorte permet ce refoulement primordial, qui est le nom de ce savoir dans l’Autre et qui est un savoir qui parle et qui peut parler dans des voix.

Bernard Vandermersch : C’est le refoulement de la voix ou du savoir ?

Cl. L : Je pense du savoir. Alors…

B. V. : C’est plutôt la voix.

Cl. L. : Lacan dit que l’Autre parle, il y a une voix dans l’Autre qui parle. Dans la psychose c’est manifeste ; et il faudrait que cette voix dans l’Autre soit refoulée primordialement. Sinon l’Autre n’est pas nettoyé de la jouissance et la psychose est là, c’est vrai aussi pour le Surmoi. Le Surmoi c’est aussi une voix qui parle dans l’Autre, ça surprend c’est le cas de le dire. Une patiente qui me disait, elle était chez elle, et elle entendait – c’était pas des voix c’était le surmoi – « Tu dois rentrer chez toi », alors qu’elle était chez elle. C’est ce qui vient là comme çà, par une voix qui est celle d’un Autre, mais d’un Autre de la jouissance, et pas du désir. Enfin il faudrait développer tout ça.

En tout cas, le point fort de ton intervention, c’est que l’intrusion de l’interprétation vise à accentuer la répétition. C’est le point nouveau, que je n’avais pas entendu jusque-là,

V. N. : Cela n’a rien d’une invention personnelle.

Cl. L. : Non, mais quand même, je ne l’avais pas entendu jusque -là.

V. N. : Mais moi aussi, et pourtant plusieurs fois : multiplier l’insistance de la répétition, c’est dans le séminaire qu’on fait cette année, mais je pense qu’il faut attendre la fin de l’année, et que l’année prochaine on va le retrouver. Ce à quoi Claude fait allusion: il s’agit que se multiplie l’insistance de la répétition, c’est à la fin du séminaire sur L’Acte. Il dit aussi : il faut réanimer, « réanimer ce savoir inconscient par ce parasite » qu’est la jouissance phallique, dans Les non-dupes. La visée est là tout le temps. Moi aussi j’étais étonné et de le rapprocher de la formulation de Melman « Lacan faisait flamber le symptôme ». Et chez Freud aussi, je crois qu’on peut trouver ça, on peut schématiser le début et la fin, mais au milieu il y a une prolifération. Cela m’a fait penser à cette distinction, que fait Freud entre les arts qui ajoutent et les arts qui soustraient, je n’ai pas osé le développer mais si l’analyse doit soustraire, elle ajoute d’abord,  je ne sais pas s’il le disait comme ça, il faut que la répétition se multiplie, et la demande aussi s’accentue pour que ça rencontre – d’abord pour que ce soit analysable, que ces signifiants et ce savoir se précisent, et puis qu’elle puisse rencontrer son impossible, son S(Ⱥ). Alors je laisse le reste, après il faudrait que ça s’écrive. Mais c’est très clairement  ça, c’est pour ça que j’y mets le terme de cruauté, la bonne cruauté, il y a quelque chose là-dedans de tout à fait cruel. Quand on le prend à partir du transfert, évidemment le transfert va faire flamber la symptomatologie, ça on le sait. Ce qui est intéressant, c’est que Lacan  dit qu’on n’interprète  que la répétition qu’on prend pour le transfert. Le transfert, il considère qu’il n’est pas analysable puisque pour l’analyser il faudrait qu’il y ait un transfert du transfert, un Autre de l’Autre. Mais c’est souvent ce qu’on dit, que l’analyste se mette en position pour distinguer ce qu’il est réellement de ce qu’il est dans la cure. Je ne sais pas si ça marche très bien, mais la position de Lacan est beaucoup plus exigeante et plus difficile, plus radicale.

Cl.L : Pour en revenir, avant que je passe la parole aux salles, à la question du sonore, du signifiant dans l’interprétation, cela me paraît important parce qu’à un moment tu as assimilé le signifiant au phonème. Or, ce n’est pas tout à fait ce que dit Lacan. Il va un petit peu plus loin, Il y a le son qui discrimine le sens par le phonème, ce qui permet des oppositions qui vont faire sens, mais le son détermine aussi le sens. C’est la fonction poétique du langage. Tu l’as évoqué.

V.N. : Le son n’est pas toujours discriminant.

Cl. L. : Mais il peut l’être.

V.N. : Il peut l’être, mais

Cl. L. :  Avec le phonème, il l’est.

V. N. : Mais il faut que le phonème soit écrit, Qu’il devienne lettre.

Cl. L. : Dans la langue les phonèmes sont en opposition, et donc le son discrimine quand même le sens… Mais je disais, tu l’as évoqué à propos de la poésie, du grain de poésie, il y a aussi que le son détermine le sens, sa fonction poétique est dans l’ interprétation, et tu sais que Lacan à la fin disait à quel point l’interprétation devait être aussi poétique, c’est-à-dire faire jouer cette dimension que tu évoques qui consonne avec le corps. Alors, effectivement il faudrait se poser la question de ce que vise l’interprétation. Tu dis que ça vise à accentuer la répétition, mais au bout du compte quand même ça vise à résoudre la question de la répétition, et de la pulsion et de la demande. Ça vise à éteindre le symptôme.

V. N. : Mais là j’ai signalé, peut-être trop vite en modifiant l’idée de Lacan, que cela vise à accentuer cette répétition et à modifier son ordre, il y aurait une sorte de réduction, d’épuisement de la jouissance. Est-ce qu’il est resté toujours sur cette idée-là, je ne sais pas.

Cl. L. : Je crois qu’il est resté sur cette idée.

V. N. : Arriver à l’épuisement de la jouissance, en même temps il s’agirait que soit démontrée l’impossibilité du rapport sexuel, que cette impossibilité soit écrite. Ça marche si on peut dire ensemble, mais ce qui serait vraiment la fin ce serait que ce soit écrit cette impossibilité. Enfin ce sont des banalités.

Cl. L. : Non, non, à mon sens ce ne sont pas du tout des banalités. Lacan disait que l’effet d’une analyse, c’était de dévaloriser la jouissance, qu’elle n’ait plus cette valeur qu’elle a dans le symptôme.

V.N. : Oui, Christiane a insisté beaucoup sur çà, une relance dans un nouveau sens.

Cl. L. : oui, tout à fait.

V. N. : Bien sûr c’est juste, c’est le chemin.

Cl. L. :  C’est là que Lacan a pu dire que l’écriture et notamment l’écriture des mathèmes faisait fonction de métalangage. Et là on passe à l’écrit.

V. N. : Alors là on peut dire deux ou trois mots là-dessus. Ce qu’il dit, ce que j’en ai retenu schématiquement, c’est surtout dans D’un discours… et dans Encore. Il dit « ce métalangage qui n’est pas, je le fais exister. C’est qu’à partir de l’écrit, on peut « revenir » – revenir il le dit comme ça – « interroger l’effet de langage ». Qu’est-ce que ça veut dire ?  Je me suis demandé est-ce qu’on interroge l’effet de langage à partir de ces deux écritures s’honore/sonore ? Lacan dit que la cause de l’effet de langage c’est le phallus. Probablement en tant qu’il n’y a pas de langage-objet, en tant qu’il n’y a pas de coaptation entre le mot et la chose. C’est la question que j’aurais aimé pouvoir un peu creuser.

Puisque sa tentative c’est de faire exister ce métalangage, qui  ne vient plus englober, mais qui viendrait réinterroger l’effet de langage. Vous vous rappelez sans doute ce passage des Ecrits, où il parle de méta, la borne qui assigne un trajet. J’ai regardé quelques dictionnaires, je n’ai jamais trouvé ce sens-là. Chez les grecs, c’est le changement, le dépassement, la transformation, et ce sens philosophique du concept, mais la borne, je ne l’ai pas trouvée.

Anne Videau : C’est le mot latin, c’est la borne du cirque.

V. N. : Ah bon, Merci Anne.  Mais justement pourquoi il dit ça ? L’effet de langage pour venir l’interroger, c’est là qu’il faudrait faire le tour, pas le tour du sens…mais faire le tour c’est une métaphore…

 

 

Discussion générale

 

 

Cl. L. : Bon, vous avez sûrement beaucoup de questions à poser à Valentin, ou des remarques à faire ? D’abord dans la salle en présentiel, Est-ce qu’il y a des remarques sur cet excellent exposé de Valentin ?

V.N. : Personne ne veut prendre le tournant ? Le tournis peut-être ?

Bernard Vandermersch : Je veux dire d’abord quelque chose pour te féliciter de ce que je trouve formidable, c’est cette espèce d’humilité avec laquelle tu abordes les textes et qui est extrêmement productive. De prendre vraiment, être dupe du texte et de lui faire dire quelque chose, ça c’est un exemple. Je voulais te dire, comme ça. Hein, il y a tellement de questions soulevées, bon.

Vous avez l’air d’accord tous les deux pour parler de l’épuisement de la jouissance. Ça fait un peu asymptotique et ça fait pas très fin de l’analyse, cette affaire-là, ça fait pas méta et ça fait pas coupure, mais peut-être que c’est plus vrai que d’imaginer qu’il y ait une fin de l’analyse, eh bien, voilà ! Est-ce que vous seriez d’accord avec ça ?

Cl. L. :  Absolument ! L’analyse, ça consiste aussi à étancher la jouissance.

V. N. : Alors sur la fin Christiane a dit quelque chose, on va constater, dans les bons cas j’imagine, c’est ce que j’ai raconté de Lacan, de quel savoir il a été le jouet ? – et elle a dit, ce qui m’a frappé, elle a dit c’est souvent un moment déceptif, mais qui fait relance. Et je me suis demandé mais est-ce que ça dépend des structures ? Est-ce que la déception ou pas dépend des structures, et là, vous voyez bien quand je dis structures, je pourrais aussi parler du sexe, des deux sexes. Il me paraît aussi évident que cette question de l’intrusion, même si c’est une pure intrusion signifiante, elle va avoir sa face imaginaire, et ce n’est certainement pas la même pratiquée par un homme ou par une femme.. Si une femme avait dit : posez-là votre vêtement, il n’aurait peut-être pas sorti son fantasme. Ce n’est pas la même chose, non ?

Nazir Hamad :  Il y a quelque chose qui me travaille, parce qu’il m’arrive souvent de travailler avec des enfants ou  des bébés, et  il y a un savoir de l’Autre. Mais le savoir de l’Autre, il faut l’entendre au sens de l’Autre maternel, Le savoir de la mère à un moment donné donne à tout ce qui émane du bébé la dignité de la demande. Et à partir du moment où c’est pris comme une demande, le savoir de la mère n’a pas besoin d’être plus savoir que ça ! ce que l’enfant exprime dans son corps, dans ses mimiques, il le signifie comme un sujet déjà.  et je dirais que c’est ça, le savoir de l’Autre maternel est la condition de l’humanité de son bébé. Sinon il n’est pas humain. Il faut qu’il y ait ce savoir, mais à condition que la mère, une fois qu’elle a réussi à faire naître ça chez son bébé, à interpréter tout ce qu’il demande comme de le lire,  de l’entendre, de le comprendre et de le nommer, il ne faut pas qu’elle reste accrochée à  ce savoir, et il faut qu’à un moment ou un autre,  ça devienne du semblant. Sinon effectivement cela va le persécuter et le stopper dans son évolution. Je vous dis ça parce que je suis sensé intervenir dans ce séminaire et je vais venir de ce côté-là, à savoir : qu’est-ce qui fait interprétation chez le bébé, chez l’enfant petit.

V. N. : Je trouve ça d’une très grande justesse, j’ai lu quelque chose il y a deux jours, qui m’a plu et amusé, c’est dans les Shorts, des courts poèmes de trois vers de W.H.Auden, il y en a un, je ne sais plus comment ça commence en anglais, à peu près « Est-ce qu’il n’ a pas eu de mère ? » et puis « Descartes divorced Mind from Matter ».(1) C’est intéressant par rapport à ce que tu dis, ce « divorce » Lacan l’appelle la forclusion de Descartes, Descartes qui avait perdu sa mère quand il avait un an.

Cl. L. :  Merci, merci Nazir pour cette remarque. Ce n’est pas par hasard qu’on parle de la langue maternelle. Il y a un savoir de la langue chez la mère qui se transmet chez l’enfant, mais en effet tu as raison, il faut qu’il en sorte.

N. H. : Oui, sinon il va faire le persécuté permanent.

Cl. L. : Et il n’est pas rare, je ne sais pas si tu seras d’accord, que les enfants en sortent, à partir de l’âge de trois-quatre ans par la poésie, par le jeu sur le son, les sonorités, les allitérations, voire les métaphores, mais ce n’est plus pris autant… disons que c’est une bonne façon de jouer de la langue chez l’enfant, quand il commence à poétiser, Il y a des articles de Jakobson sur le langage poétique des enfants petits.

 

N. H. : Oui, ça commence même avant, vous savez, on est tous étonnés, dès qu’on dit quelque chose à l’enfant il dit non ! non ! Dès qu’il dit non, on n’a plus affaire à ce bébé, pour lequel on sait quelque chose, c’est lui qui dit non à un savoir qui commence, un savoir de sujet déjà. Il dit non à ce qu’on veut lui inculquer, parce qu’à ce moment-là il a quelque chose à dire et qui le concerne, quelque chose de propre à lui.

Cl. L. : Est-ce qu’il y a encore des questions des remarques, avant que je passe la parole à la salle virtuelle ? après l’échange qu’il y a eu, pas seulement avec moi mais avec les collègues ?

Paula de Medeiros Rocha :  Bonsoir. Moi, j’aurais bien une question pour Valentin. Juste pour savoir si j’ai bien suivi, pour dire simplement qu’avec cette histoire que l’interprétation doit fomenter la répétition, n’est-ce pas, c’est ça que vous avez dit, pour peut-être arriver à un épuisement de jouissance. Je me demandais si ce n’est pas dire que l’analyse a une phase, elle produit de la castration, mais c’est vrai que ça me pose un peu de problème parce que cette répétition qui passe dans la cure par les signifiants, par l’association libre, c’est peut-être ce que Lacan appelait des j’ouis-sens, justement cette jouissance du sens. Déjà je voulais savoir si vous êtes d’accord avec ça, et si oui, est-ce que c’est possible de dire, je ne sais pas si on peut épuiser la jouissance du sens ?

Je pense que la répétition d’une certaine façon, l’analyse amène naturellement à un point de butée, c’est parce que le savoir, on se rend bien compte en tant que psychanalysant que ça n’amène à aucune réponse. Parce qu’il y a peut-être de la castration, ça n’arrête pas, je veux dire, et là peut-être il y aurait un autre passage à autre chose. Mais voilà. C’était cette question de la jouissance du sens que ça revient avec cette répétition d’abord par la répétition signifiante. Et si vous, vous croyez que c’est vraiment possible.

V.N. : Mais vous avez raison ce n’est sûrement pas le but de la chose. Mais qu’il y ait des sens un peu plus riches qui soient toujours limités par la part de non-sens, qu’ils ne sont pas tout, quelque chose va échapper à ce sens, ce n’est pas un concept, je ne crois pas du tout… il s’agit pour lui de donner moins d’importance à la jouissance phallique, mais c’est compliqué parce qu’elle est à la fois la jouissance de la parole et la jouissance de l’organe. C’est plutôt là qu’il y a une modification et pas forcément facile à appréhender. Mais Lacan considère que la jouissance phallique, c’est elle qui fait obstacle au rapport sexuel.

Cl. L. : A la fin de l’enseignement de Lacan, pour rebondir sur ce que vous disiez, il y a la question du sens comme orientation. Avec le nœud borroméen, le sens n’est plus le sens de la signification, mais le sens de l’orientation dans l’écriture. A partir du triskel du nœud, à partir du sens de l’orientation, on peut aller vers un nœud dextrogyre ou lévogyre, par exemple. Il y a la question de comment on s’oriente ? à droite ? à gauche ?

Et à partir de la jouissance du sens, on peut entendre le sens comme orientation. Comme il dit dans Télévision, pour défaire le nœud du symptôme, ou les nœuds du symptôme, il faut pouvoir se fonder sur l’orientation, pas seulement sur la signification ou le sens au sens où on l’entend habituellement. C’est en cela que ça dévalorise d’une certaine façon la jouissance, écrite en un seul mot pour peut-être passer à la j’ouis-sens, On entend quelque chose, l’analysant entend quelque chose de différent, d’autre. C’est le nouveau sujet dont parlait Freud dans Pulsions et destins des pulsions.

 

Mr Y : C’est une question un peu latérale mais comme on va avoir samedi la journée des livres et qu’il y en a sur la topologie, je me demandais si vous iriez jusqu’à dire que le nœud borroméen est une forme de métalangage ?

V. N. : Je crois me souvenir que dans Encore au moment où il dit : je le fais exister, il commence à tracer des nœuds. Oui, ça me semble être une hypothèse…

B.V. : Une question sur la dévalorisation de la jouissance. Est-ce que c’est la Jouissance en soi ou la jouissance en tant que valeur de vérité, c’est-à-dire qu’on lui fait jouer comme certitude, comme garantie quelque part comme vérité du fantasme par exemple. Je me demande si c’est une dévalorisation de la jouissance en soi, alors que, bon on veut jouir quand même aussi, ce n’est peut-être pas dévaloriser la jouissance en soi, mais c’est le rôle qu’on lui fait jouer dans cette certitude, et donc l’interprétation a pour visée de casser cette espèce de certitude du symptôme, en tant qu’il nous assure d’une sorte de vérité.

Jean-Paul Beaumont : je vais dire un mot à en partant de – ce qui m’y fait penser c’est la citation de Valentin « la femme a dans la peau un brin de fantaisie » – dont l’auteur est Théodore Viardot, oui c’est çà (2) J’ai vu il y a trente-cinq ans une patiente, c’est le genre de cas freudien, qui avait une mycose qui trainait depuis six mois. Elle avait vu une dizaine de gynécologues à Paris qui n’y comprenaient rien, la mycose continuait.

V. N. : La mycose dans la fente ?

J-P. B. : C’est pour ça que je pense au poème de Théodore Viardot. Donc cette dame m’avait été adressé par une collègue qui soignait son mari alcoolique. Moi qui étais extrêmement  maladroit, je le suis tout le temps, mais je l’étais encore bien davantage  à l’époque, je lui dis, la-mi-cose,  ça fait un peu exemple  forgé, mais c’est un exemple tout à fait réel,  et la mycose  guérit dans les jours qui suivent. Dans mon idée à moi, qui n’étais pas très malin, je pensais que c’était la relation avec son mari alcoolique c’était tout bête, qui faisait qu’elle avait cette mycose parce qu’elle se refusait, Bon, bref, je passe sur les détails du cas. Elle fait une analyse, les choses s’arrangent pour elle, etc. Je la revois trente ans plus tard et elle me reparle de cette histoire et de cet espèce d’ éblouissement qu’elle a eu à ce moment-là, alors que mon interprétation était plutôt bateau, Elle avait entendu, elle, l’âme-y-cause, elle avait entendu dans l’histoire l’âme-y-cause, ça a un côté bijoux indiscrets, et c’est ça qui avait provoqué le fait qu’elle avait fait une analyse, quelque chose s’était passé du côté de la jouissance du symptôme, on va dire, à  la jouissance du côté de  la lettre,  et de la poésie, puisque tu l’évoquais, et du signifiant.

V.N. : Fabuleux. D’autant plus fabuleux que ce n’est pas un symptôme névrotique,

J-P. B. : C’est un dame hystérique , çà ne fait aucun doute.

V.N. : C’est plutôt somatique, mais il est bien évident qu’il peut y avoir des chevauchements. Là c’est vraiment sur le symptôme somatique qui lui-même en principe n’est pas organisé, C’est pas une métaphore, mais là, la preuve est là, la métaphore entendue a eu un effet, comme si le symptôme n’était pas   –  mais en bonne orthodoxie lacanienne, il n’est pas métaphorique –  mais peut-être que celui-là l’était –  après tout.

 

J-P. B. : J’ai simplement là cité ce qu’elle disait, elle a dû me dire le problème c’est la mycose, quelque chose comme ça, J’ai fait à la fin une citation parce qu’à la fin c’est resté bizarre pour elle ce que je disais. J’ai fait une espèce de coupure et ça a marché, ça a eu des effets radicaux.

V.N. : Une interprétation qui a duré quarante ans…

J-P. B. : Non, elle a fait son analyse, et elle n’est plus venue. Je l’ai revue trente ans plus tard, Cinq ans plus tard elle est venue me voir pour autre chose. C’est là qu’elle m’a dit, alors qu’elle ne m’avait jamais parlé de c’est l’âme y-cause.

V.N. : Et finalement dans la fente tu avais donné un coup de lame aussi ?

J.P. B. : J’avais donné… j’avais mis… un grain de poésie dans l’histoire.

V.N. : Parce que là, la question de l’ouverture, ce que Lacan dit, c’est que c’est une intrusion. C’est vrai, nous avons les âmes qui causent ! Mais moi je reste sur ça, de  lire et relire, ce que Lacan dit c’est une intrusion, véritablement un  viol,…

J-P. B. : Ce n’était pas une intrusion, c’était simplement une citation ; Ce qui a été vital, c’est que ce n’est pas moi qui ai fait l’interprétation, j’ai simplement insisté sur la lettre de  ce qu’elle me disait, mais c’est elle qui a fait l’interprétation, le côté bijou indiscret, qui a fait l’interprétation de ce côté-là, alors que moi je disais un truc psycho-débile.  Intrusion, je ne sais pas ; j’ai juste accentué sur la lettre de ce qu’elle disait.

Cl. L. : Y a-t-il d’autres questions ici ou en salle virtuelle, sur ce qui s’échange, Martine ?

Martine Lerude : Pour rebondir sur l’intrusion à la faveur de l’exemple de Jean-Paul, là, est-ce qu’on peut dire que la coupure est une intrusion ? L’intrusion d’une coupure comme l’intrusion d’une lettre, ou l’exclusion d’une lettre ? Ce qui est proféré sous une forme à la fois de citation, mais cette citation, elle introduit une coupure ?

V. N. : J’ai essayé de dire à propos de l’intrusion que, soit il y a division du sujet, parce que Lacan distingue deux cas, soit il y a division du sujet et sinon il y a ce qu’il appelle signe, et il va créer la coupure par l’intrusion. Je l’ai dit peut-être trop vite il n’y a pas d’opposition entre les deux, on pourrait penser que d’un côté il y a en plus et de l’autre côté il y a moins, mais pas du tout. Il y a un plus pour obtenir un moins.

B. V. : Il faut que ça consonne, et ça on ne peut pas le savoir.

Cl. L. : Ce qui me gêne un peu, c’est  ce que tu évoques, quand  tu parles de l’intrusion qui procède de l’extrusion, c’est le signifiant-maître qui fait intrusion, c’est le S1.

V.N. : Bien sûr.

Cl. L. : Or, dans l’analyse, on  ne peut pas faire une interprétation à partir du S1, ou en tout cas il doit jouer sur autre chose que  cette intrusion du signifiant-maître.

V.N. : Tu as tout à fait raison de dire ça, mais j’ai été très accroché par le fait que Lacan dit dans l’Envers…dans le discours de l’analyse il y a une production de S1, qui ne peuvent pas rejoindre le S2, eh bien Lacan dit, je ne sais plus quel verbe il utilise, que l’analyste reprend ce S1 et y ajoute quelque chose pour lui donner un sens. Donc il part de ce S1, puisque c’est la production du discours de l’analyse.

Cl. L. : Mais ça c’est les S1 de l’analysant.

V.N. : Bon mais il va lui donner un sens, quelque chose qui ouvre sur un non-sens aussi. Il insiste beaucoup sur l’interprétation comme citation avec une énonciation différente qui peut faire énigme.

Christiane Lacôte-Destribats : Je pensais à l’exemple de Jean-Paul, et ce que je trouve intéressant, c’est que cette femme a fait une coupe dans le mot autre que celle qu’avait prévu l’analyste. Je crois que cette question d’intrusion  – en fait je suis très gênée par ce mot – mais ça se fait en fait sur l‘erre – ce que Lacan appelle l’erre de la métaphore. Alors est-ce que c’est ça qui va créer, comment dirais-je, la déception que ce soit unaire, qu’il y ait une distance incommensurable entre les deux signifiants, mais ça, c’est pas seulement féminin la déception, je crois que dans ton exposé, c’est qu’il n’y a pas de métalangage, et qu’on est toujours en train de le vouloir de le transporter dans le signifiant-maître, par exemple. On a toujours cette tentation-là. C’est ça la déception nécessaire, puisqu’entre S1 et S2 il y a métaphoriquement quelque chose d’incommensurable. Voilà ce que je voulais dire, sur ta remarque sur la déception et sur l’exemple de Jean-Paul.

V.N. : Je pensais que tu voulais dire la déception de ce qui reste justement, comme morceau littéral, c’est ça que j’avais compris.

Ch. L-D. : Aussi.

V.N. : Du coup les deux choses sont différentes, c’est à ça que je pensais.

Ch. L-D. : ça repose la question de l’inscription de cette erre. C’est tout.

B.V. : A propos de ce que tu disais Claude, ce n’est pas un signifiant-maître, Le S1, c’est très compliqué parce que c’est qu’il est dégagé du trait unaire, du signifiant du Un, et les exemples, les nôtres, ont été proféré pas du tout d’un point de vue de maître. Mais ça a été entendu par l’analysant du point de vue d’un signifiant. Autrement dit il y a un effet de coupure qui est l’effet du signifiant-maître quand même. Sinon, il n’ a pas d’efficace.

Cl. L. : C’est une vraie question. Ça donne un sens quand même, sinon il n’a pas d’efficace. Il faut lui donner un sens quand même, encore que là on parle d’une mycose, c’est-à-dire un symptôme au sens où on interprète un symptôme névrotique, par exemple.

Bon, écoutez on va en rester là pour ce soir. Qui parle la prochaine fois ?  Jean-Louis Chassaing discuté par Jean-Paul Beaumont, en janvier maintenant, le 28 janvier.

XXX : Merci, bonne soirée à tous.