Conclusions du séminaire d'été
2024

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Bernard VANDERMERSCH
Séminaire d'été

Bien, alors, c’est donc la fin. Je voudrais d’abord remercier Christine Dura Tea pour nous avoir permis de nous retrouver. Je ne suis pas dans le secret des responsables, mais je pense que ça a quand même dû être un sérieux travail de changer en cours de route, de quitter Quito pour un si bel endroit. Quito n’était pas mal non plus! Donc merci pour tout ce travail que j’imagine. Et cet endroit, vraiment, vraiment très bien.

 

Deuxièmement, je me demande pourquoi j’ai comme une sorte de poids sur l’estomac. Alors j’ai demandé : Mais l’année dernière, au séminaire d’été, là, qui avait fait les conclusions ? Et personne ne se souvenait. Alors Pierre Christophe m’a dit:” Mais il n’y en a pas eu. J’ai arrêté tout comme ça”. J’ai dit, “T’as pas eu tort.”

 

Comment remplacer un homme mort dont c’était le rôle de faire les conclusions ?  Mon cher Omar, c’est toi qui m’as appelé pour dire : “Bernard, est-ce que tu serais d’accord pour faire les conclusions ?

 

Mais il vient de les faire, les conclusions !

 

Alors, qu’est-ce que je vais raconter ? Écoutez, je ne vais pas me défiler maintenant. Je vais essayer de vous dire deux, trois choses auxquelles j’ai pensé.

 

D’abord, la fresque, là, sur laquelle Jean-Paul Beaumont a insisté ce matin, c’est la Méditerranée. C’est un trou au milieu d’un continent, enfin, quasiment. Je sais bien qu’il y a les colonnes d’Hercule qui laissent passer un peu d’eau.

 

C’est-à-dire, il y a Un trou. La Méditerranée, c’est le berceau du monothéisme. Je crois que quand les Portugais et les Espagnols sont arrivés en Amérique – enfin, on ne sait même pas le nom que les gens donnaient à leur pays, puisqu’en plus, Américo, c’est le nom d’un Italien – ils ont rencontré des gens qui ne tournaient absolument pas comme eux. Leur réel ne tournait pas autour d’un trou. Il n’y avait pas de Dieu-père. Quand on va au Mexique, on s’aperçoit qu’il y avait alors une quantité de dieux fragiles qu’il fallait entretenir en permanence avec le sang des humains. Cela ça avait été réglé dans le monothéisme. Dans le monothéisme, enfin dans le monothéisme catholique, Dieu avait lui-même envoyé son propre fils au sacrifice. Donc, le sacrifice humain, pas besoin. Osée avait déjà osé dire : “Je veux la fidélité et non le sacrifice.” En fait, on a la fidélité et on a quand même le sacrifice. Pourquoi ? Parce que, et c’est un des thèmes du séminaire, à mon avis, le plus important, c’est que Lacan montre que nous sommes tributaires du langage, aussi bien pour la subjectivation que pour l’ordre social.

 

C’est quelque chose que Freud avait touché. Mais pas jusque-là. Que dit Freud ? Il articule, bien sûr, le moi au collectif dans Psychologie des masses et analyse du moi. Mais la seule articulation qu’il nous propose, c’est ceci :

“Une foule primaire est une somme d’individus qui ont mis un seul et même objet à la place de leur ideal du moi et se sont, en consequence, identifyés les uns aux autres.” Lacan a montré qu’effectivement, cette espèce d’hypnose collective, c’est aussi ce qui se passe dans une cure, dans une cure analytique, et que la visée de la cure, c’était justement de dissocier l’objet, cause de notre désir de l’idéal que l’analyste avait pu incarner.

 

Donc, l’invention majeure du séminaire, c’est l’invention des discours. C’est l’invention des discours de montrer que toute parole humaine qui compte, qui a des effets, qui permet un lien social, est tributaire de cette articulation sommaire. : S1, un signifiant représente un sujet pour un autre significant. Mais il ne fait que le représenter et il ne le représente qu’au prix d’une perte, d’une perte d’information. La première chose qui se passe dans le procès par lequel l’animal devient humain, c’est que les signes qui renvoyaient aux objets, tout d’un coup, ces signes, on ne sait pas trop comment ça s’est passé, n’ont plus renvoyé aux objets, mais à d’autres signes. Et à partir de ce moment-là, d’une part, il n’y a plus l’instinct ou presque. L’instinct disparaît parce que tous les signes deviennent susceptibles de devenir équivoques. Et deuxièmement, ça entraîne une errance. Une errance parce que le signifiant représente un sujet, mais qu’est-ce qui est représenté et qu’est-ce qui garantit quoi que ce soit ?

 

Ça ouvre la question de la vérité et c’est pourquoi la place de la vérité est absolument essentielle dans les quatre discours. C’est une place. Et ça, c’est aussi une invention.

 

L’invention de Lacan par rapport à Freud, c’est que c’est une place et non pas une valeur de vérité et non pas un idéal. Parce que Freud nous laisse sur cette remarque dans l’analyse finie et infinie. Pourquoi donc ça ne se termine jamais ? Et bon. C’est d’ailleurs assez évident. C’est bizarre parce qu’il trouve à cela une cause biologique : l’horreur de la féminité. Quelquefois, on est étonné, je m’excuse, qu’un homme aussi génial que Freud, soit prisonnier d’aussi grosses bêtises, comme par exemple Totem et Tabou. Alors évidemment, on sauve Totem et Tabou, on sauve Moïse et le monothéisme. On trouve qu’il y a une structure nécessaire derrière tout cela. Mais Lacan a beau jeu de tourner en dérision cette affaire du père de la horde qui possède toutes les femmes, alors que suffire à une seule, c’est déjà bien difficile.

 

Donc, c’est de la structure du langage que se pose la question de la vérité pour tout un chacun. Et se pose aussi la question de ce qui va se substituer à cette garantie manquante de la vérité à partir du moment où aucun système symbolique ne peut, de lui-même, s’affirmer comme vrai. Eh bien, ce qu’ont inventé toutes les sociétés humaines, c’est d’y aller de son corps et non seulement de son corps, de la souffrance du corps. Là, c’est sûr que la jouissance est prise dedans. Il n’existe pas de société dans laquelle il n’y aurait pas de rites qui signifient au sujet : si tu veux être un homme, il va falloir que tu en baves, que tu souffres pour garantir que ta parole aura un certain poids.

 

Alors, le pari de Lacan sur la structure, c’est ce que je voudrais dire en réponse à votre question. C’est vrai : qu’est-ce qui permet à Lacan de dire qu’ “une structure quadripartite est, depuis l’inconscient, toujours exigible dans la construction d’une ordonnance subjective” ? Qu’est-ce qui lui permet de dire ça ? Alors, on peut trouver des raisons. Des raisons topologiques. Par exemple, on va dire que, dans un espace à trois dimensions, le nombre maximum de points équidistants, c’est quatre. En rejoignant ces points on obtient le tétraèdre. À partir de cinq points, il n’y a plus moyen de faire que ces points soient équidistants. C’est le cas de tous les polyèdres qui ont plus de quatre sommets.

 

Alors, ça peut être une raison. Lacan dit aussi quelque part qu’il y a une vérité de l’espace. On voit bien qu’il n’est pas aussi sûr de lui qu’on veut bien le dire. Il tâtonne. Et alors, dans les derniers séminaires, c’est une leçon d’humilité. “J’ai plus de mal maintenant à trouver mon chemin”. Mais avant, comment faisait-il ? Avant, il s’appuyait sur Freud. Il avait un transfert massif sur Freud. Je veux dire qu’il évitait de pointer excessivement les faiblesses qu’il lui reconnaissait. Par exemple, quand il parle de Freud en terme de cet “homme de désir, d’un désir qu’il a suivi contre son gré etc”. Vraiment, dans les derniers séminaires, on est quelquefois un peu peiné de le voir critiquer Freud. Mais voilà. Il ne suffit pas de critiquer un maître pour devenir quelqu’un d’intelligent.

 

Et la question de la vérité et du réel, c’est peut-être aussi lié à ce que Freud nous a dit : “la psychanalyse est fondée sur l’amour de la vérité, c’est-à-dire la reconnaissance de la réalité et qu’elle refuse tout semblant et tout leurre”. C’est un petit peu gonflé parce que le semblant, le semblant, c’est là. C’est l’essentiel du signifiant maître. Enfin, enlever le semblant du signifiant, qu’est-ce qu’il reste ? Il reste le pur trait unique de la différence absolue. Il y a une dimension indécrottable du semblant. Évidemment, vous me direz, s’il n’y a que du semblant et qu’on perd cette autodifférence du signifiant à lui-même, qu’on perd cette équivoque fondamentale du signifiant, alors le signifiant redevient signe. C’est une dégradation du signifiant.

 

Et nous la voyons aisément. Ça peut être, par exemple, dans un groupe. Tel signifiant devient un identifiant groupal. J’entends tel mot. Ah, vous êtes lacanien ! Voilà. Ça se dégrade très vite, le signifiant maître. Ça s’appauvrit, oui… Il y a des phrases même dans le séminaire. Peut-être que je vais vous les retrouver…

 

Bref. Il y a des passages dans le séminaire où on voit que Lacan lui-même montre qu’il est dans une recherche et qu’il n’est pas si sûr que ça.

 

Par contre, il y a un pari. Le pari de Lacan sur la structure. Alors, c’est ce que tu soulevais à l’instant: est-ce qu’on peut s’en servir comme on veut ou bien faut-il respecter ce que dit Lacan de son usage ? C’est comme ça, c’est dans cet ordre-là – dans les formules des quatre discours – et pas autrement. On pourrait, pourquoi ne pas essayer ? Après tout, ça n’est jamais qu’un support. Ça n’est jamais qu’une grille. On peut essayer. Le tétraèdre en lui-même, les quatre places en elles-mêmes, ça ne veut rien dire. Tant que ça n’est pas nourri avec des signifiants, avec des paroles. Même dans la théorie la plus “lacanienne”, il y a de la parole. Ça n’est pas réduit à la structure.

 

D’ailleurs, il y a une phrase qui m’intéresse, que j’aime bien chez Lacan, elle est peut-être un peu violente, quand il dit « Toute théorie dans le champ des sciences de l’homme, dans le champ des sciences humaines, toute structure théorique, qui ne prévoit pas de laisser la trace sanglante et éclatée du sujet, ne peut pas être soupçonnée d’être vraie.» Il ne s’agit pas de bricoler simplement sur mon tétraèdre, échanger, tripoter, voir ce que ça donne. Ce n’est pas comme un jeu de Rubik’s Cube. Il y a un enjeu pour celui qui le fait, ou alors ça n’a pas d’intérêt. Et si, dans un exposé, on n’entend pas la trace sanglante et éclatée… Bon, pas trop quand même, j’ai mal au ventre là, parce que je suis en train de digérer Melman, alors ce n’est pas drôle.

 

Est-ce que la fidélité ou le sacrifice onsuffisent à calmer notre errance ? Eh bien, non.

 

Si, la fidélité peut suffire à calmer une errance, mais c’est souvent au prix d’une débilité ou d’une bêtise. Que la fidélité, même à un maître éclairé, peut devenir, comment dirais-je, dangereuse, même à un maître éclairé. Bon. Quant au sacrifice, il me semble qu’il y a tout de même un progrès dans la civilisation, enfin, je le vois comme ça, au moins apparent, c’est que le sacrifice, la psychanalyse, montre qu’il est déjà là, dès le départ, à savoir que le signifiant, comment dirais-je, nous écarte, nous sort d’un réel qui sera à jamais perdu. Il y a une perte fondamentale dès l’instauration du signifiant, mais cette perte fondamentale, encore faut-il qu’elle soit présentifiée quelque part dans une perte actualisée au niveau d’une jouissance orificielle. À propos du fantasme, il y a une chose qui me gêne toujours. C’est quand on parle à propos de l’objet a de pur trou. Il n’est pas pur ce trou. Il n’est pas pur. Il est fait avec de la coupure. La coupure, ce n’est pas sanglant non plus, il ne faut pas exagérer, mais il est fait quand même d’un sacrifice. Toute éducation le montre, l’enfant à se déssaissir d’une forme de jouissance partagée avec l’Autre, et ce sont ces objets qui viennent dans l’inconscient fournir la cause du désir. Le sujet, bien sûr, c’est un trou, c’est un manque, mais c’est un manque dont les bords ne sont pas très propres, pas tout à fait.

 

Ce qui ne peut se dire peut s’écrire. Vous avez entendu, on a parlé de ça à propos de Wittgenstein. Alors ça m’a rappelé une chose que disait aussi Wittgenstein, par laquelle j’avais ouvert le premier travail que j’ai fait à l’Association. Je m’excuse de me citer. Voilà. “Ce qui peut se montrer ne peut pas être dit”, dit Wittgenstein. C’était à propos de la psychosomatique, parce qu’on pouvait l’entendre de façon un peu décalée, à savoir que ce qui n’avait pas pu être dit, se montrait quand même d’une certaine façon, et même dans certains cas, on était étonné de voir comme une sorte d’écriture sur le corps du nom propre du sujet. Comme c’est un lieu qui est très propice à la magie, enfin, à la levée d’un impossible, il faut y aller doucement. En tout cas, il s’est produit quelque chose qui n’a pas respecté l’impossible. Entre le S1 et le S2, il n’y a pas eu d’impossible, il y a eu une espèce de collusion, que Lacan appelle holophrase.

 

Le père réel, on en a parlé aussi, en montrant de façon intéressante que le père réel pouvait être entendu, par Lacan lui-même, comme le père du réel. Ce qui nous amène tout de suite à cette conséquence que le réel n’est pas là un donné. Bien sûr, il y a du réel du point de vue de Sirius, mais pour un sujet, pour un sujet qui vient au monde, il y a des mots qui lui font de l’effet, qui le font hurler, comme dit Bergès, ou au contraire, qui le font sourire. Et à partir de là, il y a de l’imaginaire. Quand l’objet est évoqué simplement par le mot, c’est formidable, on peut retrouver avec le mot le plaisir de l’objet de satisfaction quand il n’est pas là.

 

J’ai perdu mon fil.

 

Ah, le père du réel pour que l’enfant puisse accéder au réel. Alors jusqu’à présent, on pensait que le père, un père dans une maison, était nécessaire pour introduire cette notion du réel. En tout cas, le père du réel, c’est peut-être à déconnecter de la fonction purement génitrice du père, mais l’introduction à ce qu’il y a de l’impossible, et je crois que ce qui le facilite le plus pour l’enfant, c’est d’avoir un père désirant, ou d’avoir quelqu’un dans cette place, dans cette place tierce, de quelqu’un qui est désirant et dont le désir est reçu par l’autre. Ça ouvre au réel parce qu’on voit bien tout de suite qu’il y a là quelque chose d’impossible, mais pratiquable quand même, d’une certaine façon.

 

L’impossible ne veut pas dire que ce n’est pas pratiquable.

 

Freud et l’origine.

 

Le problème du père, c’est que c’est celui qui est juste avant nous, dans une chaîne symbolique qui remonterait à l’origine. La fascination de Freud pour le père, qui tient à son propre père et à ses défaillances, même à ce qu’il appelait sa perversion, c’est ce qui a fait qu’il a buté sur la question du père, sur le meurtre du père de la horde primitive, etc. Lacan s’en sert, non pas pour dire que Freud avait raison ou tort, mais pour dire que si cet homme a été obligé d’inventer ce meurtre du père, c’est que le père c’est un signifiant, c’est un nom et non pas un être vivant, le père symbolique.

 

Mais il n’en reste pas moins que si Freud bute sur la question du père, c’est parce qu’il est fasciné par l’origine. Émile Benveniste, a montré par exemple que Le sens opposé des mots primitifs d’Abel sur lequel Freud s’est appuyé, est un tissu de bêtises, je veux dire du point de vue linguistique. Mais, ce sens opposé, ça reste valable profondément pour le signifiant dans l’inconscient. Ça c’est un acquis. Mais Benveniste pense à juste titre que c’est de vouloir trouver une preuve dans l’origine, qui amène cette illusion chez Freud. Il faut le reconnaître. Et c’est important pour nous lacaniens, je pense, parce que s’il y a de la structure, il n’y a quand même pas de structure sans histoire.

 

Nos vies ont été, du fait du langage, plaquées sur des structures qui les ont obligées, qui les ont amenées à suivre tel ou tel chemin, avec tel ou tel avatar en cours de route. Les événements, ça a de l’importance aussi.

 

J’en arrive ainsi au maître réel, à ce qui est arrivé lors de la conquête espagnole dont on a parlé hier. Dans les exposés fort intéressants qui ont été proposés, on en parlait toujours comme de l’origine, comme si l’histoire du Mexique, de la Colombie, de l’Équateur, commençait avec le traumatisme de l’arrivée des Espagnols.

 

Une des difficultés, il me semble, du lien social dans ces pays est liée à ce que l’origine du peuple, l’origine de la nation, ne peut plus être référée à une origine mythique d’un père commun, mais qu’elle est référée à un traumatisme historiquement datable. Et à partir de là, un maître ne peut pas se légitimer d’une origine mythique, d’autant qu’on n’a pas la même, et en plus, qu’on n’est pas dans les mêmes configurations mentales, les mêmes configurations psychiques. Ça me semble extrêmement difficile de trouver un père commun.

 

Il paraît qu’un missionnaire était allé en Polynésie et voulait apprendre aux Polynésiens le Notre Père. Vater Unser. parce qu’il devait être allemand, je crois. Mais il a eu toutes les peines du monde à faire comprendre qu’il pourrait y avoir un père universel. Pour ces gens, le père, c’est mon père. Ça ne veut pas dire qu’il n’y avait pas un ordre symbolique, mais l’idée d’un père universel était impensable. Imaginez quand il n’y a pas du tout de référence à un père. Le dieu maya de la pluie, par exemple, ce n’est pas un père. Je me demande si l’origine traumatique réelle et non mythique n’a pas d’incidences – je ne vais pas me mêler de ce qu’il faut faire ou pas – s’il ne faudrait pas tenter de dépasser l’explication par le traumatisme réel et d’essayer d’aller au-delà, à partir ce qu’il y avait avant le traumatisme. D’ailleurs, ces travaux existent.

 

Mais enfin, que les analystes tentent de raconter l’histoire autrement que sous la forme du traumatisme réel. Je ne sais pas si c’est possible.

 

L’analyste n’est ni un père, ni un maître, ni un meneur. C’est clair. Je voulais noter un petit détail. S1 est-ce le maître? Ce n’est pas le maître, S1. S1, c’est le signifiant sous lequel un sujet se fait représenter auprès d’un autre. C’est quand même le premier discours qui produit un sujet, qui représente un sujet. Ils ne sont pas tous équivalents, quand même. Il y a un ordre. S’il n’y avait pas eu ce S1 pour représenter un sujet pour l’autre, les autres discours n’auraient pas leur fonction.

 

Alors, est-ce qu’il faut parler d’entropie ? Je ne sais pas. C’est toujours un peu embêtant, mais on en a parlé quand même.

C’était Alexis Chiari qui l’avait évoqué. C’est un vrai problème pour les humains que l’articulation de la parole, avec des signifiants et non des signes, ça produit de l’incertitude. C’est la définition de l’entropie. Et donc, ça pose tout de suite la question de la vérité. Vous savez, je ne sais pas s’il faut aller très loin, mais je voulais quand même soulever cette question. C’est que l’entropie, on l’entend souvent de travers, ce n’est pas que l’énergie baisse. La définition de l’entropie, c’est que, dans un milieu fermé, la quantité d’énergie reste constante. Mais ce qui est inéluctable dans la première appréhension qu’on en a eue, c’est que toute opération dans ce milieu fermé va dans le sens d’une dégradation irréversible de l’énergie, c’est-à-dire vers de plus en plus de désordre.

 

C’est comme ça qu’un jour, la théorie de l’information est venue rencontrer la théorie de l’entropie, l’information étant le contraire de l’entropie. Mais nous, en psychanalyse, ce que Lacan montre, c’est qu’un discours qui serait parfaitement informatif, le discours parfait, celui qui est idéalisé, c’est un discours qui ne produit aucun sujet. Et qu’à partir du moment où on se lance dans la parole, on est obligé d’accepter cette perte. Et d’ailleurs, vous savez bien, quand quelqu’un vient à la tribune, il travaille son topo pendant souvent pas mal de temps, mais qu’est-ce que les auditeurs vont en retenir ? Quand on en retient une idée, c’est pas mal. Il y a quand même pas mal de perte. Alors, Freud a transposé cette idée thermodynamique de la conservation de l’énergie de son époque à la pulsion: la pulsion est une Konstante Kraft. La pulsion est une force constante. Mais voilà, il n’y a pas de sujet sans perte d’information. Je me demande d’ailleurs s’il faut garder, et dans quelle mesure, cette métaphore entre l’énergie et la libido. Je vous le jette comme ça.

 

J’aurais pu vous parler du temps et de l’objet petit a. Mais le temps presse.

 

Je vais terminer sur un point qui me semble important. “Ce qui se montre ne peut pas être dit”. C’est l’impact de l’écriture et des présentations sur le contenu lui-même. À partir, par exemple, de la disposition S1, S2. S1 à gauche, S2 à droite. Avec ensuite homme à gauche-femme à droite dans le tableau de la sexuation. Est-ce que ça n’entraîne pas ipso facto l’idée que S1, ce serait du côté mâle et S2 du côté femme ? Est-ce qu’on ne tombe pas de temps en temps dans cette idée ? Je ne suis pas d’accord avec Melman, par exemple, quand il dit qu’une femme parle à partir de S2. Je crois que là, ma modestie mise à part, je ne pense pas qu’on puisse dire cela. Je crois que c’est un effet de la puissance de ce qui se montre, mais qui n’est pas dit, dans nos élaborations. C’est très important. C’est très important et c’est inévitable. Mais je crois que c’est important aussi de savoir comment on se laisse avoir, peut-être, ou induire, à juste titre, par ce genre de disposition.

 

Écoutez, j’en reste là. Je vous remercie de votre attention.