Depuis qu’il y a des psychanalystes, leur formation et leur reconnaissance font problème. Avec Lacan , son expression le désir du psychanalyste va prendre le pas sur toute autre considération, la didactique est réduite à l’après coup. Mais est-ce que Lacan aurait fait acte en ce qui concerne le désir de l’analyste ?
Dans le séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il évoque très directement cette question du désir de l’analyste. Au début et à la toute fin du séminaire. Il demande dès le début : que doit-il en être du désir de l’analyste pour qu’il opère d’une façon correcte ? Question nécessaire parce que la formation la pose. L’analyse didactique ne peut servir à rien d’autre , qu’à ce point que je désigne dans mon algèbre du désir de l’analyste.
Et à la fin du même séminaire, il dit que le but de son enseignement a été et reste de former des analystes. La formation du psychanalyste exige qu’il sache, dans le procès où il conduit son patient, autour de quoi le mouvement tourne. Ce point pivot, c’est ce que je désigne d’une façon qui, je le pense, vous apparaît déjà suffisamment motivé, sous le nom de désir du psychanalyste.
À propos de ce qui doit lui être transmis, et dans une expérience, nous savons que trois ans plus tard, il proposera l’expérience de la passe. La passe implique qu’il y ait du psychanalyste et qu’il y ait quelque chose de possible qui est de l’ordre de la transmission de la psychanalyse. Il sera déçu, d’où son expression lapidaire, il n’y a pas de formation du psychanalyste, il n’y a que des formations de l’inconscient.
Et cela a des conséquences très importantes en ce qui concerne la clinique. La clinique analytique, c’est ce qui se dit dans une analyse, un point c’est tout. N’est-ce pas écarter toute nosographie ?
Et dans les dernières phrases du séminaire 11, il dit que le désir du psychanalyste n’est pas un désir pur, mais que c’est un désir d’obtenir la différence absolue. Celle qui intervient quand confronté au signifiant primordial, le sujet vient pour la première fois en position de s’y assujettir.
Donc une presque définition du désir du psychanalyste comme un désir d’obtenir la différence absolue.
Il introduit ce désir particulier comme une réponse à la conceptualisation croissante de la notion de contre- transfert chez les analystes post-freudiens et en particulier dans la psychanalyse anglaise. Les affects contre-transférentiels seraient à utiliser comme levier pour l’interprétation analytique. Cela devient le point pivot autour duquel tourne l’analyse. En France par exemple, Serge Lebovici peut dire que l’analyse donne la place à l’être du psychanalyste.
Lacan considérera que cela remet en cause l’inconscient lui-même, au profit d’une dynamique intersubjective, une sorte de dialogue affectif en miroir où le transfert du patient et de son analyste, se répondent. Relation bien sûr de réciprocité imaginaire qui annule la position tierce du signifiant dans le discours. J’insiste sur ce moment où il comprend le danger pour l’analyse, pour la conduite de la cure et l’analyse elle-même, de la promotion à l’ I.P.A du contre-transfert comme opérateur d’une psychanalyse .
Alors comment aborder à nouveau cette question du désir de l’analyste ? Nous le ferons de deux façons. Si l’analyste quand il opère y est comme sujet , il ne sait pas ce qu’il désire, c’est-à-dire que d’une certaine façon, il est comme tout le monde, il méconnait ce qu’il désire. Par contre il sait ce qu’il veut. Il sait ce qu’il veut puisque cela lui vient de l’autre, du petit autre, celui qu’il reçoit et qui vient le voir pour une question qui concerne le symptôme. Et ce qu’il peut donc vouloir, c’est la résolution du symptôme. Mais ce qu’il va vérifier dans la cure, c’est que ce qui fait l’os de ce symptôme et qui fait que le sujet y tient, c’est le point fixe de l’écriture de son fantasme. Et la situation singulière à laquelle est confronté le psychanalyste, et que ce point fixe, l’analysant y tient, parce que même si cela entretient le symptôme, y renoncer serait prendre le risque d’une dépersonnalisation.
Il y aurait à se demander si ce moment de fin de cure où il été répondu aussi correctement que possible à ce que l’analysant est venu chercher dans l’analyse, ne passe pas pour l’analyste cette fois-ci par ce moment que Lacan a nommé à l’occasion de la passe, une destitution subjective, pas une dépersonnalisation, mais un moment de dépression. Nous pourrions donc dire que l’analyste sait ce qu’il veut en répondant à la demande que l’analysant avait faite.
En ce qui concerne son désir. Pour opérer, jusqu’à ce qui serait le terme de l’analyse, il doit se prêter à être le représentant de l’objet petit(a), le représenter et pas l’être cet objet. Le fameux x du désir du psychanalyste peut donc amener les questions classiques, de son désir, de son fantasme et de sa jouissance. Les siennes propres quand il opère.
A ce propos Melman se demandait si dans ces conditions la jouissance du psychanalyste ne serait pas celle qui se ferait entendre à cette place, c’est-à-dire celle de l’objet , jouissance masochiste d’être en position d’objet, objet d’une frappe inaugurale.
Mais est-ce que cela serait notre fatalité ? Nous pouvons aborder le désir de l’analyste d’une façon très différente. Il y a une deuxième écriture proposée par Lacan qui est celle du nœud borroméen. Ce n’est plus l’écriture du fantasme, support d’un désir. Pour Melman, l’écriture du nœud borroméen est la tentative faite par Lacan de répondre à l’échec de la passe.
Lacan a pu dire qu’un désir n’est pas concevable sans son nœud borroméen . Avec l’écriture du nœud, l’écriture du fantasme ne tient plus, l’objet cause du désir, n’est plus l’objet causé par une frappe inaugurale, il est lié à un serrage des trois dimensions du langage : réel, symbolique, imaginaire. L’objet cause du désir n’est plus l’effet d’une coupure mais l’effet d’un coinçage , ce qui est très différent.
Le nœud permet d’envisager une possibilité de constitution subjective qui n’est plus celle permise avec le fantasme.
Est-ce que cela est possible, lui-même n’a pas tranché, il y aura le séminaire le Sinthome où il rouvre la question. Mais la clinique actuelle nous incite à prendre au sérieux cette possibilité ? C’est en tout cas le travail actuel dans notre groupe.
Et cette nouvelle écriture a des conséquences sur une façon nouvelle possible de concevoir le désir du psychanalyste. Le désir est au centre de la pratique de la psychanalyse mais en postulant un désir de l’analyste, Lacan poserait un désir différent de tous les autres désirs. Un désir nouveau, qui n’est plus orienté par le grand Autre, ni par la vérité. Une nouvelle fonction pour l’effectuation de la cure et de sa fin. Un point pivot autour de quoi le mouvement tourne pour reprendre son expression.
Si le désir de l’analyste n’est plus soumis au désir de l’Autre, pour celui qui va s’autoriser comme psychanalyste, l’acte est nécessaire puisqu’ il n’attend plus d’autorisation d’une instance dans l’Autre, ni sa nomination, il ne lui reste alors que le choix de s’autoriser de lui-même. Avec le risque de penser l’analyse finie comme une tentative de forclusion de l’instance paternelle, puisqu’il ne s’agit de s’autoriser que de soi-même.
Mais c’est à cette condition qu’il peut s’autoriser à occuper la place de l’agent qui est dans le discours analytique celle de l’objet petit(a). Ce qui fait que quand l’analyste opère dans sa fonction, il n’y est pas comme sujet puisqu’il représente l’objet (a). Et nous pouvons alors dire que le désir de l’analyste n’est pas le désir d’un sujet comme nous pouvons dire que le savoir inconscient est un savoir sans sujet. Ce n’est pas le désir d’un sujet que supporterait le fantasme mais ce n’est pas un désir sans logique. C’est un opérateur, et à la différence du contre-transfert, quand l’analyste opère dans sa fonction, il n’y est pas comme sujet.
Néanmoins il faut bien quelqu’un pour l’incarner ce désir . Le passage à l’analyste opère une transformation, celle d’un sujet animé par un fantasme et qui désire mais, comme tout le monde, ne sait pas ce qu’il désire, à un désir qui n’est pas le désir d’un sujet au sens où c’est une fonction nécessaire à ce que l’analyse puisse se faire et aller à son terme.
Il y a pour l’analyste un déplacement de son propre désir de sujet en un autre désir qui d’une certaine façon n’est plus le sien. La substance de l’analyste ne se fait pas à partir du nom du père, c’est-à-dire à partir d’un un, mais à partir de l’objet petit a qui est en fonction. Pour cela, il y faut un savoir de l’analyste, celui de savoir être un rebut dit Lacan. Et il fera de la figure du saint la figure de l’analyste mais le saint qui décharite et pas celui de l’auréole, celui qui fait le déchet. Et le désir de l’analyste porte la marque de ce savoir d’être un rebut.
L’analyste se prête ainsi à représenter un objet qui pourtant n’est pas spécularisable et dont l’émergence dans le champ de la réalité peut même avoir des effets pathologiques et qu’il nous faut donc écrire pour pouvoir le prendre en compte. Le désir de l’analyste n’est pas référé à un fantasme comme les autres désirs. Il est pour autant référé à un objet a comme les autres désirs mais un objet dont le support est la lettre et qui est l’effet d’un coinçage.
Je reviens sur la proposition de Lacan que le désir de l’analyste est le désir d’obtenir la différence absolue. Comment l’entendre ? Il y a la différence signifiante . Elle est symbolique, mais nous pourrions aussi concevoir que la différence absolue serait réelle et non plus symbolique. Le signifiant ne renvoyant plus à un autre signifiant, mais à la lettre, la lettre comme une précipitation du signifiant. Une différence absolue qui ek-siste au symbolique et qui est la marque du réel. Il reviendra sur cette notion de différence absolue dans Le sinthome en ce qu’elle est non pas la différence des trois registres mais qu’elle est commune aux trois registres.
Différence que nous pouvons aborder à partir de la séparation qu’effectue Lacan entre le dit et le dire. Pour qu’un dit soit vrai, il faut qu’on dise, c’est-à-dire qu’il y ait un dire dont le lieu est le réel. Le pari de l’inconscient est que la parole donne à entendre, la vérité d’un propos est son réel, le réel d’un dire. Un dire qui n’est pas dit mais donné à entendre.
Le symbolique parle, mais il ment parce que la parole est trompeuse. Le réel dit la vérité mais il ne parle pas. Il se récuse à toute nomination, il ne s’atteint qu’avec la lettre.
Le désir de l’analyste vise le dire qui est dans le réel mais pas pour qu’il parle, pour qu’il s’écrive. Pour que le dire s’écrive dans la parole.
Il vise l’écriture du dire, c’est-à-dire de réintroduire la lettre dans la parole, lettre que la parole donne à entendre. Le réel est soutenu, constitué par un trou et ce trou c’est celui de la lettre en tant qu’elle manque ou en tant qu’elle est abusive ?
Une analyse lacanienne dirige la cure à partir du rapport du sujet avec le réel, c’est-à-dire qu’elle n’est pas seulement une expérience de subjectivation, soit de symboliser le réel, elle vise le noyau même du réel. L’orientation par le réel est nécessaire pour que l’expérience de subjectivation ne soit pas un infini mais que cela puisse se conclure sur un , ce n’est pas ça puisqu’à la place de l’objet du désir, il y a un trou. C’est-à-dire un lieu vide et que chacun doit se débrouiller avec ça.
La séance d’analyse n’est pas une séance d’écoute mais une séance de lecture. Lire le dire qui est écrit mais aussi qui peut de façon inédite s’écrire dans le dit. Le déjà-là et l’inédit. La clinique n’est plus celle de la nosographie mais celle de la temporalité.
Donc un désir qui n’est pas sans inclure l’impossible, mais qui implique une autre dimension que le fantasme pour en être le support.
Lacan a pu dire que rien ne se serre convenablement que de partir de la position du sujet. Le désir de l’analyste ne se démontre que dans l’après coup, de son effet , est-ce alors de l’effectuation de l’acte analytique, c’est-à-dire que comme dans tout acte, ce n’est plus le même sujet après l’acte. L’acte analytique permettant de dire que le désir de l’analyste a opéré. L’acte analytique n’a pas besoin d’être pensé pour être un acte, c’est un dire. Le désir de l’analyste et l’acte analytique sont articulés par le dire.
Le nœud borroméen permet de concevoir la constitution dans la cure d’un sujet engendré par le langage, un sujet qui ne serait plus le même qu’avant l’acte analytique, un sujet qui ne serait plus forcément suspendu à une frappe inaugurale. Un sujet qui ne serait plus l’effet d’une coupure, mais l’effet d’un coinçage. Soit la possibilité de la constitution d’un sujet, toujours manque à être mais qui est aussi le sujet du réel de la jouissance.
Quelle est alors l’implication de la jouissance dans la cure quand (a) est l’effet d’un serrage et pas d’une coupure. La parole est un mode spécifique de jouissance et cela a des répercussions dans la cure elle-même. La question devient alors de sa limite. D’où l’importance des séances à durée variable et plutôt courtes pour faire coupure dans la jouissance de la parole, dans la jouissance du blabla. Le temps n’est plus celui de la montre où la jouissance se réglerait sur la conscience de la durée par l’analysant.
Et puis il y a la présence du corps, celui de l’analysant et celui de l’analyste, puisque la jouissance passe toujours par le corps. L’analyste dans sa présence et son silence limite sa propre jouissance. Le silence de l’analyste est un dire silencieux. Le désir de l’analyste et l’acte analytique ont en commun le dire.