« S’il n’y a pas de métalangage… »
2024

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Valentin NUSINOVICI, Claude LANDMAN
Le Grand Séminaire

Présentation de Claude Landman

 

Voici la troisième séance du grand séminaire de l’ALI consacré cette année à l’interprétation psychanalytique et cette troisième séance va être animée par Valentin Nusinovici, dont je serai le discutant. Le titre de son intervention : S’il n’y a pas de métalangage… points de suspension. Alors Valentin, on t’écoute.

 

 

Conférence de Valentin Nusinovici

 

« S’il n’y a pas de métalangage… » On va entrer dans les points de suspension !

 

Le mois dernier le jour où il neigeait fort, à un analysant qui entrait je dis : « mettez-là votre vêtement après les dures épreuves que vous avez subies » avec un peu d’emphase amusée et sans intention particulière à supposer qu’on puisse être sans intention. En tout cas en ne pensant pas que cela pourrait avoir des effets. Mais il se trouvait que je préparais ce travail et que je n’avais pas décidé quel pourrait être son axe. Les patients nous aident… A peine allongé il dit ceci de façon hachée: « Qu’est-ce que je fais de ce groupe de mots…de cette métaphore ? …c’est mon histoire, mais pas que…» Et puis il dit « c’est comme si j’avais donné sens au mot épreuve ».

 

Lui, il est sous le choc de mon intervention et moi je suis étonné de ce qu’elle a produit, à ma surprise elle se révèle interprétante. D’autant qu’il est certain que ce patient n’a jamais lu la moindre ligne concernant la psychanalyse. Cela m’a ramené à La direction de la cure le texte de 1958, qui n’a rien perdu de son importance, même si Lacan a dit ensuite d’autres choses sur l’interprétation. Ce qu’a dit ce patient et ce que j’ai lu ou relu grâce à lui, a donné l’orientation de ce travail.

 

(V.N. s’adresse au technicien) Vous pouvez mettre la première page ?

 

Ces quelques lignes de La direction de la cure c’est bien de les avoir sous les yeux. Elles sont tout de même assez serrées et j’en dirai quelques mots.

 

L’interprétation, pour déchiffrer la diachronie des répétitions inconscientes, doit introduire dans la synchronie des signifiants qui s’y composent quelque chose qui soudain rende la traduction possible, précisément ce que permet la fonction de l’Autre, dans le recel du code, c’étant à propos de lui qu’en apparaît l’élément manquant. (E. p. 593)

 

C’est donc de l’interprétation de la répétition qu’il s’agit et je ne m’intéresserai ici qu’à elle. Elle doit passer par un déchiffrement – que je comprends comme le repérage, le dégagement des éléments symboliques qui se répètent – pour pouvoir introduire à une traduction et pour cela introduire quelque chose dans la synchronie des signifiants. Ce quelque chose, c’est assez clair, c’est du signifiant. Le patient le dit très bien : c’est ce « groupe de mots », ces « dures épreuves traversées », qui lui restent en travers, et qui s’imposent d’emblée à la fois comme ayant un sens dans son histoire, dans la diachronie, mais aussi bien dans la synchronie, c’est-à-dire ayant un sens métaphorique. J’ai eu l’impression d’avoir mis en acte, sans le savoir tout en le sachant vraisemblablement, un texte que je n’avais pas lu depuis longtemps, il en avait éprouvé un effet de langage qu’il me renvoyait.
C’est un analysant qui évite le plus soigneusement toute allusion à la sexualité. Eh bien, à la séance suivante il fera, très difficilement, l’aveu d’un fantasme de pénétration par le père. Rien d’extraordinaire mais cet aveu, favorisé sinon déclenché par ma proposition qu’il dépose son vêtement, est une étape importante.

 

Quelques mots sur la structure, rapidement. L’introduction de ce quelque chose de signifiant se fait dans la synchronie, c’est-à-dire dans l’ensemble des signifiants, un ensemble qui, nous dit Lacan, est inscriptible dès lors qu’on réduit les signifiants aux phonèmes. Donc introduction d’un signifiant dans l’Autre, le trésor des signifiants. Le point-clé, c’est le cas de le dire, c’est le manque d’un signifiant dans l’Autre. C’est la condition, nous explique Lacan, pour que la structure ne tombe pas sous le coup du paradoxe de Russell, du paradoxe de l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. En raison de ce manque, les signifiants de la parole s’introduisent dans l’Autre et on voit déjà que la traduction qui se répète ne peut pas être une traduction au sens usuel, c’est-à-dire de terme à terme.

 

Encore quelques rappels de Lacan, je m’en excuse mais je pense qu’il faut mettre cela en place. Dans D’un Autre à l’autre, 10 ou 11 ans plus tard, où il insiste sur l’interprétation de la répétition, en disant que nous n’interprétons que la répétition qu’on prend pour le transfert, il présente schématiquement l’introduction des signifiants, des S1, dans l’Autre. De S2 le signifiant manquant, extérieur à l’Autre il dira, l’année suivante dans L’Envers de la psychanalyse, qu’il fait le lit à l’intrusion, des S1, qui avance de l’extrusion, de S2.

 

Dans La direction de la cure il parle d’introduction de signifiants, dans d’autres textes il parlera d’addition, d’ajout, de rajout, d’immixtion (dans L’Acte analytique), de supplément (dans Le Savoir du psychanalyste) évidemment pas de complément puisqu’il s’agit de maintenir ouverte la faille.

 

Dans L’Envers, on lit que le psychanalyste interprétant fait intrusion de signifiant dans la faille du sujet. Je n’ai pas compté le nombre de fois où il parle d’intrusion, je citerai quelques occurrences. Comme vous voyez le signifiant le plus répété n’est pas le plus soft, c’est celui qui signifie la violence, voire le viol.

 

Mais pourquoi l’interprétation devrait-elle faire intrusion ? La question nous renvoie à une intrusion première. Je vous cite quelques lignes du Petit discours aux psychiatres de 66 : Quelque chose d’inattendu, à savoir une intrusion véritablement incroyable, enfin…obscène, déplacée, pas à sa place du tout, de la sexualité là où on l’attendait le moins. Ailleurs il parlera de la crise de la phase phallique et de sa double intrusion du manque, double en ce qu’elle vaut pour chacun des sexes.
Donc l’irruption soudaine de ce que nous appelons le phallus, et plus grave encore dans ses conséquences : sa brusque disparition, son effacement définitif. La répétition cherche, par immixtion de la différence signifiante, à faire ressurgir la trace irrémédiablement perdue de cette intrusion première. Une recherche vaine qui est cause d’une jouissance, laquelle, Lacan y insiste toujours, va faire obstacle à la formalisation du rapport sexuel.

 

Revenons à nos analysants, la différence signifiante ils ne l’éprouvent pas. Ils se plaignent de se répéter, que ce soit « toujours la même chose ». Nous, nous l’entendons comme toujours la même jouissance, non reconnue comme telle.
Mais alors que vise l’intrusion interprétative ? Cela peut paraître paradoxal mais elle vise à amplifier, à accentuer la répétition. Lacan parlait, tardivement, d’éteindre le symptôme, mais nous avons entendu Melman souligner qu’il le faisait flamber. Pourquoi ? Sans doute pour qu’il puisse s’offrir plus largement à l’analyse. Idem je crois pour la répétition. Il s’agit par l’intrusion, par l’immixtion interprétative, et là je vais citer encore des termes de Lacan : de dégeler la parole, de réanimer le savoir inconscient, afin de quoi ? De faire que la fonction de la répétition se multiplie avec insistance, pourquoi ? pour permettre à l’analysant de saisir ce savoir dont il est le jouet.

 

Le savoir se dépose dans la parole par des lettres, c’est une écriture, et c’est sa lecture qui, me semble-t-il, constitue ce que Lacan nomme traduction. Le point important est que l’intrusion signifiante vise à mettre en place de nouvelles articulations entre les éléments du savoir. Pourquoi ? Pour modifier l’ordre de la répétition. La répétition est un ordre, Freud l’a souligné, un ordre qui a toute son importance pour la jouissance, et Freud évoque à ce propos le malaise dans la culture. Lacan, lui, avance que la modification de cet ordre peut réduire la jouissance, en rendant vaine sa recherche.

 

Cette visée implique de scander ce qui se répète dans les dits de l’analysant venant marquer l’obstacle au rapport sexuel. C’est ce que Christiane Lacôte-Destribats nous a bien expliqué en insistant sur la nécessité de sérier les interventions. Elle nous a parlé de ce moment où l’analysant, après une série d’interventions de l’analyste, peut se saisir du savoir littéral qui l’a déterminé. C’est un moment déceptif, nous a-t-elle dit, mais qui peut relancer le temps.

 

De la coupure on en parle beaucoup. De l’intrusion j’ai l’impression que non, que sa mention est très lacunaire. C’est aussi pour ça, et d’abord pour ma propre instruction, que j’ai choisi ce fil. On se souvient de la fin du séminaire sur Le désir et son interprétation, où Lacan dit que la coupure est le mode privilégié de l’interprétation, et où il cite cette phrase d’un poète : « La femme a dans la peau un grain de fantaisie », que vous connaissez. Dans la contrepèterie qui se propose, ce qui apparaît c’est : dans la fente un grain de poésie. Et je trouve que c’est vraiment l’anticipation de la dénomination du sujet comme fente, et du grain que l’analyste doit chercher à y mettre, un grain de poésie, ou à tout prendre un grain de sel.

 

Il n’y a pas d’opposition entre coupure et intrusion. Ce n’est pas le moins et le plus. La coupure ouvre à l’intrusion, l’intrusion la produit. Un analysant raconte que dans son rêve il est « devant un rideau de velours ». Il est habile dans le découpage du signifiant. Il le pratique mais en prenant garde à ne pas s’entamer. Je reprends « de velours », attentif à ne pas marquer de coupure. Est-ce parce que je ne l’énonce que silencieusement que lui-même va la marquer ? toujours est-il que les vœux interdits commencent à prendre du poids, le rideau à s’entrouvrir quelque peu.

 

Roland Chemama, quand nous avions eu un séminaire d’été à Lisbonne, à propos de ce séminaire VI, avait suggéré d’apprécier la dynamique de l’interprétation à l’aide du graphe.

 

(au technicien) Alors, vous voulez passer la deuxième ?

 

Alors je vais essayer de l’aborder sur le graphe avec les questions que je me pose. Vous le connaissez très bien. A le trésor des signifiants, la ligne de l’énoncé entre A et s(A), et en s(A) la signification se constitue comme produit fini. Je la comprends comme la signification courante, dans le registre du signe plutôt que celui du signifiant. C’est dans cette signification courante et dans le trésor des signifiants que se fait l’intrusion signifiante et du coup dans la division du sujet qui est inscrite au départ, puisque vous avez S barré au départ du graphe.

 

C’est par là que ce qui a été signification peut prendre sens, un sens qui s’il est travaillé peut déboucher sur le non-sens. Le premier analysant que je citais disait : « c’est comme si j’avais donné sens au mot épreuve ». Ce qui est certain c’est qu’il va avoir à faire l’épreuve par les preuves de ce qu’il commence déjà à apporter.

 

Il est clair qu’il ne s’agit pas ici du type d’intrusion contre quoi Christiane nous a mis très justement en garde dans son exposé, celle que peut produire un accueil à l’analysant jouant de la connivence, c’est alors une intrusion non pas signifiante, mais que je dirais personnelle entre guillemets, obturant l’altérité.

 

L’interprétation ne porte pas seulement sur l’énoncé. Elle intéresse l’énonciation inconsciente. Voyons l’étage supérieur, celui de l’inconscient.

 

Dans La Logique du fantasme il y a cette affirmation radicale : Tout ce que nous faisons qui ressemble à S(Ⱥ) répond à la fonction de l’interprétation. Si la fonction de l’interprétation – selon le fil que j’ai suivi, celui de l’intrusion – est d’accentuer la répétition, elle accentue par là l’expérience de la demande et rend plus aigüe la question du désir, qui, comme l’a dit Christiane, peut prendre de nouveaux sens, où cela mène-t-il ? A rencontrer quoi ? C’est là la cruauté bien placée de l’analyse : à rencontrer une réponse silencieuse, d’abord énigmatique, et qui doit en définitive révéler un vide, celui qu’écrit S(Ⱥ).

 

(au technicien) On peut revoir la page s’il vous plait ?

 

Elle arrive la page, elle arrive ? Il faut le temps pour monter en haut du graphe, ça prend du temps… ce retard n’était pas prévu au scénario, c’est aussi spontané que mon intervention de départ, je ne sais pas si ce sera fructueux. Voyons cette phrase et sa lecture, c’est p 818 dans les Ecrits.

 

En ce point, S(Ⱥ) toute chaîne signifiante s’honore à boucler sa signification, s’il faut attendre un tel effet de l’énonciation inconsciente.

 

Qu’est-ce que c’est que cet honneur de la chaîne signifiante ? Ma première réponse, c’est que si elle s’honore à boucler sa signification, la chaîne signifiante, c’est qu’elle n’honore pas l’Autre. En ce point, il peut s’avérer que l’Autre est vide, qu’il ne contient aucun Dieu. Elle n’a pas tort de s’honorer car le bouclage n’est pas gagné d’avance ; ce n’est pas comme la signification courante au niveau inférieur. La double boucle autour d’un trou il faut la faire !

 

Pour cela il faut que plusieurs choses soient réalisées.

 

D’abord il faut que soit observée la règle analytique: renoncer à soutenir cette parole d’un « je dis » afin que le sujet puisse disparaitre. Ensuite il faut que dans la parole le sonore ait pu consonner avec ce qu’il en est de l’inconscient, c’est ce que la phrase écrite par Lacan nous incite à lire en la sonorisant pour l’écouter La double équivoque, homophonique et grammaticale: sonore/ s’honore, à boucler/ a bouclé, me semble indiquer, par la différence des temps, que le sonore est la condition première à ce que l’énonciation inconsciente boucle sa signification. Janja Jerkov nous a rappelé l’importance de la voix dans l’interprétation.

 

La boucle, on la trouve dès l’ouverture des Ecrits, avec la référence au poème de Pope : The rape of the lock, On ne peut traduire autrement que: le vol de la boucle, et pourtant rape n’a pas que ce sens. Voilà l’extrusion d’une lettre, cette lettre vous la voyez, pas la peine de mettre un point dessus.

 

Et puis, last but not least, pour que le bouclage se fasse il faut la présence de l’analyste sa présence de semblant d’objet. Est-ce que – tentative de réponse à Christiane – c’est ce qu’elle a d’ininterprétable qui fait le poids de cette présence silencieuse dont il faut finir par faire le tour pour s’en débarrasser ? Il faut donc passer et repasser par S(Ⱥ). Après un passage, il arrive qu’un analysant s’interroge : mais d’où ça me vient, ça ? Il pourra être autrement impliqué quand la question lui venant alors du point où il doit advenir, deviendra : où suis-je dans le dire ? Pour l’amener à mieux examiner les signifiants et lettres qui sont les coordonnées de ce dire. Le dire de l’analyse, où chacun a mis du sien, je veux dire de sa castration.

 

Le premier analysant que j’ai cité disait quelques séances plus tard : « A quoi dois-je renoncer pour qu’il y ait de la différence ? ».

 

L’honneur de la chaine signifiante n’est-ce pas aussi que la lettre arrive à destination, bonne à être lâchée dans le trou ? Ne disait-on pas d’une lettre, au sens de missive, votre honorée ?

 

Melman disait qu’elle sent mauvais la lettre. Je ne sais plus si Lacan parlait de décrocher le sujet du subjectif, ou de l’en décrotter, mais il n’y a guère de différence. Un analysant me parlait récemment de l’inspecteur Colombo. Ce nom qu’il répétait a été scandé par deux fois d’un « hein », le premier a été entendu comme une interrogation, le second a pu être distingué comme phonème. Et voilà Colombo devenu colombin, et l’analysant de s’y reconnaître. C’est loin d’être un succès, il n’y a pas eu intrusion, mais simplement substitution de phonèmes, et sans métaphore, puisque le phonème substitué n’est pas passé sous la barre. En s’amusant un peu, on peut dire que le « hein » ou « in » n’a été qu’in-formatif, n’a fait venir qu’une forme. donc il y a eu reconnaissance de l’identification imaginaire, mais pour le décrochage ou le décrottage il faudra repasser.

 

Intrusion, extrusion, ces sont des termes de géologie, couplés par les géologues. Le couplage a convenu à Lacan. La sortie de la lave fait penser à la métaphore freudienne de la lave pulsionnelle, sauf que l’extrusion n’est pas un écoulement, elle va former une aiguille ou un dôme, vous conviendrez que cela convient mieux au phallicisme pulsionnel et vous me pardonnerez s’il m’est venu que mieux vaut le colombin que la merde molle.

 

J’espère avoir rendu sensible que j’essaie de répondre à la question de mon titre. Lacan a martelé qu’il n’y a pas de métalangage. Il l’a décliné : pas d’Autre de l’Autre, pas de vrai sur le vrai, pas de transfert du transfert, pas de sens du sens. Sa cible était surtout Bertrand Russell et son « langage-objet » où le mot est adapté à l’objet, à ce niveau la vérité est toute. Russell disait, certes avec humour mais fermement : quand vous dites chien, votre énoncé est faux si vous êtes en train de regarder un loup. Lacan disait que Russell était un immense farfelu – immense quand même – et je pense qu’il a dû s’amuser en prenant comme exemple de la première métaphore chez l’enfant, comme vous le savez, le chien fait miaou, le chat fait ouah ouah, cela sans doute en pensant à Russell.

 

Russel veut que la vérité soit entière quand il s’agit des mots, il considère qu’il n’en va pas de même quand il s’agit des propositions. Il faut donc qu’une proposition d’un rang supérieur vienne pallier au manque de vérité de la première et ainsi de suite, c’est la « hiérarchie des types », le métalangage.

 

Le dire de Lacan qu’il n’y a pas de métalangage signifie que le métalangage contredit la structure du langage, ça ne veut pas dire qu’on n’en use pas, on ne fait que ça. Je suis certain d’en avoir usé pour ce topo et je n’ai même pas eu le courage de vérifier. Lacan et quelques autres ont pu ou peuvent écrire ou enseigner sans en user, mais ce n’est pas si fréquent.

 

Quoiqu’il en soit la question qui se pose pour nous concerne l’interprétation. Ne pas céder au métalangage, à sa facilité, j’ai presqu’envie de dire à sa spontanéité, signifie que l’analyste n’a pas à se situer en position méta, au sens que méta a pris en philosophie, pas chez les premiers grecs, au sens d’une superposition, d’un englobement. L’interprétation n’a pas à se superposer, à englober, ni à subsumer ce qui est interprété. Elle ne peut donc, c’est la conclusion que j’en tire, qu’y faire intrusion. A partir de là elle doit faire valoir que la vérité ne peut pas être toute et qu’elle n’a pas de garant. Ça n’empêche pas, que des interprétations qui ne sont pas de ce type puissent être efficaces voire bienvenues.

 

Encore deux ou trois points. Pas de métalangage, ça vaut aussi pour la théorie. Quand Lacan dit qu’il n’y a pas de théorie analytique, ça veut dire qu’il n’y a pas à élaborer une théorie qui viendrait enserrer la pratique, l’englober. Mais il dit qu’il y a une théorie de la pratique analytique. Il tient l’automatisme de répétition de Freud pour une intrusion conceptuelle. D’aucuns pourraient prendre ça pour une critique mais pas du tout, ça veut dire que ce n’est pas un concept surajouté, ou englobant le principe de plaisir, on trouverait sûrement des auteurs pour soutenir l’une ou l’autre de ces éventualités, mais un concept qui change le sens du principe de plaisir en s’y introduisant. Après tout ça, vous ne serez pas étonnés d’apprendre, si vous ne le saviez pas, que Lacan a affirmé que si l’analyse doit s’occuper de littérature c’est pour y faire trou.

 

Inversement il reproche à l’interprétation d’Elle Sharpe, dans le long rêve qu’il reprend dans Le Désir et son interprétation une véritable intrusion, une extrapolation théorique. Car son interprétation du phallus du rêveur comme un organe qui perfore et qui mord ne s’accorde pas avec les dits du sujet. Sa théorie vient d’ailleurs, ce n’est pas une intrusion conceptuelle, elle est malvenue car purement imaginaire.

 

Pas si facile de ne pas céder au métalangage c’est pourquoi Lacan parle d’une discipline et il parait clair qu’elle participe de l’éthique analytique. J’ai eu une surprise et je terminerai là-dessus. Faire intrusion, les dictionnaires le disent, c’est outrepasser le droit. Un exemple est frappant, celui de l’intrusion dans la hiérarchie – devinez laquelle – la hiérarchie ecclésiastique. Bon exemple d’une position méta qui ne se laisse pas bousculer. Concluons que l’intrusion interprétative ne peut s’autoriser que d’elle-même.