Drôle de titre pour une rencontre avec le psychanalyste me direz-vous !
Rassurez-vous ! Il m’a juste été inspiré par un joli petit livre pour enfant d’Isabelle Carrier qui s’intitule « … La petite casserole d’Anatole » paru aux éditions du Bilboquet en 2009.
Si cet album traite en premier lieu de la question du handicap, je le trouve très intéressant : d’une part, il me semble refléter ce qui se présente à la pratique ordinaire du psychanalyste aujourd’hui D’autre part, au-delà du handicap Il ouvre à la question plus générale de comment il s’agit dans la vie de se débrouiller de ses embarras. De faire avec un réel. Avec les contraintes singulières du réel pour chacun. Comment se débrouiller, à entendre au sens que peut-être il y a à débrouiller les nœuds dans lesquels nous sommes pris et qui nous empêtrent…. Et cela peut-être pas sans un Autre….
Je vais m’appuyer sur le déroulé de l’histoire en prenant quelque liberté, en forçant le trait, pour faire entendre comment la rencontre avec un analyste peut opérer dans le sens d’une thérapeutique.
On a l’habitude de suivre Lacan pour dire « la guérison est de surcroit »
C’est vrai que de parler de thérapeutique implique de fait d’envisager une guérison, un soin, un résultat. Quand Lacan répond à une objection qui lui est faite à propos de ce terme de « guérison de surcroît » il se trouve à préciser que bien sûr « notre justification, comme notre devoir est d’améliorer la position du sujet » c’est dans l’angoisse. Et d’ajouter qu’il n’y a rien de plus vacillant que le concept de guérison. En effet, l’entrée dans le discours analytique est toujours une tromperie de (la) guérison. Peut-être qu’on peut dire que ce n’est qu’à la fin du processus que l’on sait pourquoi on a eu recours à un analyste. Nous y reviendrons.
Ce que nous pouvons dire pour introduire la trame de notre propos aujourd’hui, c’est que ce processus qui vise à « l’amélioration de la position du sujet » implique certaines conditions tant du côté de l’analyste que du patient qui le consulte. Conditions d’une cure, en somme. C’est un vaste programme dans le sens où cela touche à la question de la formation de l’analyste, à son éthique, au processus de l’analyse et donc à ce qui la distingue de toute forme de psychothérapie.
Au passage, soulignons ces termes « thérapeutique », « Guérison », « soin », « cure », « curatif ». Ils sont tous dans le champ lexical du soin.
« Thérapeutique » vient du grec, veut dire soigner en parlant du médecin,
« Guérir » qui amènera à guérison, part du sens de défendre, protéger, pour évoluer vers préserver et guérir,
« Soin » s’entend d’abord jusqu’au XVIe comme avoir des soucis, être préoccupé, puis dérive vers « s’occuper de »,
Quant à « cure » il signifie « soin » dans sa racine latine, pour trouver dans son usage courant et restrictif en français moderne le sens de nettoyer ; notons en italien CURARE qui signifie soigner et en espagnol CURAR qui prend le sens de guérir.
N’oublions pas le point de départ de la psychanalyse avec Freud : l’énigme imposée à la science par la symptomatologie hystérique, impuissante qu’elle se trouve à la soigner, à la guérir. La découverte de la cure par la parole à en effet ouvert la voie d’une thérapeutique possible par la parole, mais surtout, elle a ouvert tout le champ de la psychanalyse et du fonctionnement de l’inconscient, découverte au-delà de la volonté de soigner.
Alors, peut-être pas l’un sans l’autre pourrait-on dire : la demande d’analyse du patient qui est souvent d’abord demande de soin, est intimement lié au désir d’amélioration de la position du sujet, côté analyste. Intimement lié donc à un travail d’élaboration et de recherche là encore, côté patient et côté analyste, travail qui prend source dans l’énigme, que constitue pour l’un et pour l’autre, là encore, la position de départ du sujet, du patient. Cela laisse entendre que côté analyste ce n’est pas sa propre énigme qui doit être en jeu.
Pour l’instant revenons à Anatole.
La quatrième de couverture annonce l’histoire : « Anatole traine toujours derrière lui sa petite casserole. Elle lui est tombée dessus un jour… On ne sait pas très bien pourquoi. Depuis elle se coince partout et l’empêche d’avancer. »
Position du sujet qui vient à la rencontre de l’analyste
Le point de départ de cette histoire montre l’impasse subjective dans laquelle un sujet se trouve quelle qu’en soit la raison. Il me semble que sans abus nous pouvons dire que c’est à peu près dans cette position que quelqu’un s’adresse à un psy : rencontre avec un réel qui vient désorganiser la façon qu’il avait jusque-là de se tenir à ses cordes.
Anatole, est décrit dans l’album comme quelqu’un de « sensible », demandeur d’affection, artiste à ses heures, adorant la musique. « plein de qualités » nous dit-on. Pourtant il fait l’expérience, dans sa rencontre avec les autres, ses semblables de l’existence de sa « petite casserole » qui aveugle tout le monde sur ses qualités. On pourrait dire que l’épreuve de l’altérité lui est douloureuse dans ce qu’elle lui fait réaliser le réel auquel il a à faire. En somme il se trouve réduit à sa casserole qui est loin de lui faciliter la vie. « Elle se coince partout », « l’empêche d’avancer » alors qu’il veut faire comme les autres, participer à la scène du monde et se faire reconnaître ! Ca le met très en colère de ne pas y arriver ! Aussi, « Anatole voudrait bien se débarrasser de sa petite casserole » « mais c’est impossible » nous raconte-on.
Anatole confronté à cet impossible qu’il réalise, se trouve réduit à l’impuissance. « La petite casserole est là et l’on ne peut rien y faire ». Alors Anatole décide de se soumettre à sa casserole, de s’y réduire de s’y identifier. Au moins, à se retirer de son désir de circuler sur la scène du monde, il ne risquera plus rien.
Rencontre avec le psychanalyste
Poursuivons la lecture….
« Heureusement les choses ne sont pas si simples ». « Il existe des personnes extraordinaires » « il suffit d’en croiser une pour avoir envie de sortir sa tête de la petite casserole» Dit le texte.
Allez, poussons un peu notre analogie ! L’analyste pourrait-il être cette personne extraordinaire ? N’exagérons rien, mais prenons en compte que c’est peut-être bien dans ce que lui suppose d’extraordinaire le patient que sa place se creuse.
Quelques remarques, ici.
Toute personne dans une situation comme celle présentée là, ne se dirige pas forcément vers un psychanalyste. Son retrait du monde, sa pétrification dans son symptôme peut très bien rester un choix subjectif.
Pour celle qui s’adresse au psy, disons que sa demande relève de l’inconfort de rester coincé la tête dans la casserole ! Et ce qu’il demande est du soin, de la thérapeutique. Aidez-moi, je n’en peux plus !
Ce qui amène cette deuxième remarque. Je dis à un psy, parce que notre social aujourd’hui soutient cette terminologie, voire la complète de psychothérapeute. Il ne me semble pas abusif de traduire l’expérience quotidienne et ordinaire du psychanalyste par l’adresse qui lui est faite, sous ce mode.
Aussi, ne doit-on pas d’abord dire quelques mots sur cette adresse ? Est-elle d’emblée avec le psychanalyste ? Pas si sûr …
Pas si sûr que la personne qui prenne rdv s’adresse à un psychanalyste (même si ce n’est pas tout à fait sans le savoir)… C’est plutôt à ce « un psy » tout court qu’elle le fait !
Pas si sûr pourrait-on dire aussi, dans la mesure où la demande se formule souvent selon l’air du temps : j’ai un problème vous avez la solution, donner la moi. Je souffre soignez moi ! Rendez-moi le bonheur d’exister ! Adresse au spécialiste, au sachant, qui va me donner son diagnostic et sa thérapeutique, recette qui me libèrera enfin de mes embarras. (Quand le patient n’arrive pas déjà avec un autodiagnostic internet, ou des diagnostics des divers médecins ou psy déjà rencontrés au préalable).
Pas si sûr donc, car en somme, souvent ce type de demande pose la personne qui consulte comme l’objet d’une demande de soin et fait sauter l’hypothèse de son côté, qu’il pourrait y être un peu pour quelque chose, qu’il y a énigme là-dedans. L’hypothèse de l’inconscient en somme, saute.
C’est sans doute ce qui diffère des demandes ou des orientations faites à Freud, que l’on consultait parce que sa découverte était notoire et prometteuse de nouveauté et d’espoir thérapeutique. En somme on y croyait ! On s’adressait au psychanalyste, aujourd’hui on s’adresse disons au mieux, au psychothérapeute. C’est précisément là que le psychanalyste contemporain a à redoubler de vigilance quant à sa position au regard de l’inconscient.
Alors, Anatole,
« Il suffit d’en croiser une [personne extraordinaire] pour avoir envie de sortir sa tête de la petite casserole»
« Elle lui apprend à se débrouiller avec sa petite casserole » nous dit-on, « lui montre ses points forts, l’aide à exprimer ses peurs, trouve qu’il est très doué ». Filons notre métaphore : Et si cette « une » se disait psychanalyste plutôt qu’extraordinaire ?
D’abord, notons que tout ceci est d’abord une affaire de rencontre.
Si « la petite casserole est là et qu’on ne peut rien y faire » alors peut-être que peut se mettre en place dans l’adresse au psychanalyste, cette croyance que lui y pourra quelque chose.
Mais que rencontre-t-on quand on rencontre un psychanalyste ?
Un homme, une femme qui a fait choix d’endosser cette place de s’offrir à ce que l’autre puisse trouver sa voie, sa voix et que lui, l’analyste, fait cette hypothèse de l’inconscient. Que, lui, l’analyste, se tient à une éthique du sujet, à savoir que le langage est condition de l’inconscient qu’il spécifie l’humain, et que le dit Sujet se soutient de cette vérité qu’il ignore et qui le fonde. Ceci ayant pour corolaire que c’est par l’exercice de la parole qu’un traitement psychique peut avoir lieu. « La guérison, [dit Lacan dans le séminaire sur le Moi] est la réalisation du sujet dans l’existence par la parole, par une parole qui n’est en fin de compte toujours qu’une parole, qui lui vient d’ailleurs et qui le traverse » (leçon du 18 mai 1955).
Ce que l’on rencontre avec l’analyste c’est que la thérapeutique relève du plein exercice de la parole, et que si traitement il y a, alors c’est de l’ordre d’un traitement psychique et que l’outil relève d’un dire, au-delà de ce que l’on dit. Un dire qui se déploie dans l’espace d’écoute ouvert par l’analyste, où celui-ci accepte le malentendu de départ : c’est-à-dire qu’il accepte d’occuper cette fonction, cette place d’Autre ou il y serait supposé un sujet au savoir. C’est l’ouverture du lieu du transfert.
Aussi, le travail initial du psychanalyste consiste à mettre en jeu cette autre scène, pour qu’une cure puisse advenir. En somme, ce qui positionne le psychanalyste est cette hypothèse que de l’inconscient il a et qu’il va être nécessaire de faire l’invitation à son patient à entrer dans une écoute qui va permettre une autre scène de lecture de son propre texte. C’est sa boussole ! Disons qu’il pose une autre scène, celle de l’inconscient, où la partie, va se jouer.
Qu’est-ce qui va lui permettre cela ? Sur quoi s’appuie-t-il pour ouvrir cette dimension de l’inconscient ? C’est en ce point que se tisse la spécificité de l’analyste et de l’analyse : lui-même a du faire l’expérience dans sa propre cure de la fallace de la promesse de la guérison qui aura pour lui dans le meilleur des cas laissé place à sa propre rencontre avec le trou qui le constitue. Il sait lui qu’il n’y a pas de sujet au savoir, mais il se prêtre au jeu pour son patient, pour lui permettre de le réaliser à son tour.
Finalement, l’impossible d’éradiquer la casserole, le patient l’intuite, le psychanalyste le sait. Mais il ne sait que ça concernant son patient : l’impossible de départ aura à être cerné, évidé, pour laisser place à l’invention du sujet de pouvoir y faire avec sa petite casserole ! On entend bien alors comment Patient et psychanalyste on à faire au même type de savoir, mais ils n’occupent en début de partie pas la même position au regard de ce savoir.
Et ce qui préside à l’opération psychanalytique, c’est sa position à lui, l’analyste : il accepte de se prêter au jeu du transfert : il est au début, cette personne « extraordinaire » à qui il est supposé un savoir de comment faire pour que la petite casserole soit rectifiée et réduite au silence. Mais le dit analyste ne doit pas confondre cette position de semblant d’où il opère avec une consistance d’être, ce qui rendrait l’opération de mise en acte de l’inconscient impossible. Etre celui qui sait comment faire. C’est de sa cure qu’il tient ce seul savoir qu’il ne sait pas, qu’il n’y a pas de sujet au savoir. Et le destin de la petite casserole en sera alors tout autre !
C’est là le joint entre thérapeutique et formation de l’analyste et transmission de la psychanalyse.
Fin de partie…
«Anatole redevient joyeux, elle [la personne extraordinaire] lui confectionne une petite sacoche pour sa petite casserole »
Et Anatole la remercie au sens qu’il se sépare de la personne extraordinaire….
Et que nous dit la fin de l’histoire ? Anatole, il « n’a pas changé ». Il est toujours artiste, affectueux et sensible, pleins de qualités… Et puis, la petite casserole est toujours là ! Mais il s’en débrouille Anatole, il est habile sur la scène du monde, mais il n’a pas foncièrement changé, Anatole !
Alors thérapeutique ?
On pourrait dire qu’à une croyance imaginaire de guérison, vient répondre un savoir y faire avec sa petite casserole… C’est sans doute ce qui fait dire à Lacan qu’en dehors d’une analyse didactique, ce qui est thérapeutique c’est « laisser au type assez de canaillerie pour qu’il se démerde convenablement. Vous devez le laisser surnager » (le savoir du psychanalyste)…
Du coup, cette question de la thérapeutique quand il s’agit de psychanalyse, serait plutôt à entendre du côté des effets d’une cure. Elle ne vise pas à une normalité, mais plutôt à découvrir la manière dont on est foutu, ce par quoi on est empêtré, leurré par un objet dont la fonction masque la faille d’où nous tenons notre existence. Que cet objet, nous oblige, dans la mesure où il n’est qu’une conséquence de notre aliénation par le langage et qu’il oriente singulièrement notre désir. Autre manière de dire qu’Anatole renvoyé dans l’impuissance face à l’impossible éradication de sa petite casserole touche à la fin de la partie, à comment y faire avec cette impossible qui relève non pas d’un empêchement irréductible mais de la reconnaissance que du réel irréductible il y a, qu’il est de structure de parlêtre et qu’il va devoir s’en débrouiller.
Plutôt que d’habiter au lieu imaginaire de sa petite casserole quitte à s’y confondre, il peut désormais habiter la structure qui le détermine dans ses coordonnées singulières, sacoche comprise !
C’est en cela que la demande de soin, et toute la méprise qu’elle contient dans l’adresse à l’analyste qui accepte ce point de départ pour que le processus s’engage, permettra au patient d’y trouver quelque amélioration quant à sa situation de départ, pas sans avoir repéré l’embrouille, ni qu’elle est de structure singulière pour lui. Ainsi sera-t-il averti, à la fin, de ce pourquoi il est venu à l’analyse. A lui de faire bon usage de sa sacoche !
Si ce chemin, il l’a fait, c’est sans conteste grâce au dit analyste, qui ne lui a pas laissé croire qu’il pourrait en guérir ! On ne guérit pas de l’inconscient !