Leçon XVIII - Séance plénière du 18 mars 2024
2024

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THIBIERGE Stéphane
Le Collège de l'ALI

Collège des enseignements de l’ALI – Etude du Séminaire Les Fondements de la psychanalyse, J. Lacan

Séance Plénière du 18 mars 2024

Leçon XVIII du 10 juin 1964

 

Stéphane THIBIERGE : Bonsoir à tous, nous allons commencer donc cette leçon suivante dans le cours de notre travail sur « Les fondement de la psychanalyse ». Alors, leçon dont, comme celles de cette fin de séminaire, elles ne sont pas faciles. C’est ce qui nous revient, elles ne sont pas faciles, c’est vrai, elles ne sont pas faciles. D’autant plus que ou d’autant moins que le texte que nous avons n’est pas toujours absolument clairement établi. Et puis parfois il y a des schémas qui ne sont pas non plus évidents. Mais enfin, écoutez, on va tâcher d’avancer aujourd’hui dans cette leçon. Je voudrais souligner d’abord que Lacan, au début de la leçon, il appuie, il dit ceci : « Le but de mon enseignement a été et reste de former des analystes », c’est-à-dire que je pense qu’il était assez conscient des difficultés de ce qu’il amenait à son auditoire qui, encore une fois, est un auditoire habitué aux notions disons qui caractérisent la reconnaissance, ce sont des philosophes, ce sont des normaliens. Et lui, il en tient un peu compte bien sûr, mais pas vraiment beaucoup et ce qui l’intéresse, c’est de former des analystes. Et là, dans la leçon, pour aller droit au but, ce qui va l’intéresser, c’est la question du désir et la question du désir de l’analyste.

 

 Et dans cette réflexion, il intègre la question de l’aliénation du sujet et il intègre la question de l’objet. Tout ça bien sûr, tissé de façon corrélative. Et il intègre aussi la question du rapport au grand Autre. Donc, le désir de l’analyste, l’aliénation du sujet, la question de l’objet et la question du grand Autre. Il va tisser ça tout au long de cette leçon, d’une manière qui, effectivement n’est pas toujours facile à entendre. Mais je crois qu’il faut bien tenir compte quand même – il ne faut pas se décourager bien sûr – et bien tenir compte de ce qu’il dit en commençant, c’est-à-dire que son enseignement est à l’intention de ceux qui se qui se retrouvent dans cette expérience qui est celle de l’analyste, c’est de ça qu’il va partir dans tout le commencement de la leçon. Alors ça nous intéresse évidemment parce que nous sommes le Collège des psychanalystes en formation. Donc en principe, ça doit nous parler.

 

Et c’est vrai que l’expérience à laquelle fait référence Lacan, notamment dans ces leçons, dans celle-ci, dans la suivante aussi, c’est l’expérience de ce à quoi à affaire un analyste. C’est à dire que ce n’est pas tout à fait l’expérience ordinaire. C’est une expérience qui s’articule dans le sillage – et d’ailleurs, il va en parler à un moment donné – dans le sillage de celui qui, tout seul, a instauré cette expérience. Il en parlera dans la leçon au titre du « un seul ». Et que d’ailleurs il dira que le fait que l’analyse, que la psychanalyse ait été inaugurée et commencée de par l’acte d’un seul, la découverte d’un seul, il dira que c’est ce qui fait le drame, il parle du mot drame, des communautés analytiques. Puisque les communautés analytiques sont obligées de se situer par rapport à cette exception, à ce « un seul » qui est vraiment le sujet auquel s’adresse le transfert, le sujet supposé savoir, il est d’abord du côté de cet « un seul » et Lacan dit « Freud », mais il aurait pu dire aussi bien lui, Lacan, mais bon, il n’allait pas dire, « Il y a moi aussi, il y a Lacan également », mais c’est néanmoins ce qui est, c’est le cas, Lacan est aussi, cet « un seul ».

 

Et Lacan parle du drame de la formation des analystes, je pense qu’il veut parler, il fait allusion à ceci, à cette difficulté que pose aux communautés d’analystes la question de la reconnaissance, de la reconnaissance par l’un, par un sujet d’exception en quelque sorte, et les difficultés que ça leur pose, que ça nous pose, dans la manière dont on va vivre et tâcher de répercuter le moins mal possible le drame, encore une fois, je garde ce terme de Lacan, le drame de cette exception initiale par rapport à laquelle doivent se situer les uns et les autres. Bon, je n’insiste pas plus sur cette question, elle est importante. Mais, au début de la leçon, Lacan va faire…, il va souligner, il va amener cette question du désir de l’analyste d’une manière très intéressante, très parlante aussi, et qui est la suivante, vous l’avez constaté, « autour de quoi », se demande-t-il, « autour de quoi tourne cette confiance que le psychanalyste reçoit de son patient » ? Et c’est vrai que c’est une façon très intéressante d’entrer dans la question, parce qu’il va souligner comment tous les processus de gradus, enfin de procédures par critères pour qualifier les analystes et pour les poser dans leur qualification ; il dit ça a un caractère qu’on ne peut qualifier que d’une façon, dit-il, la « simulation ». La simulation, c’est à dire que c’est une sorte de simulacre de quelque chose. Ça n’est pas satisfaisant, faute peut-être justement… Enfin, vous savez, dans Les Ecrits, il a consacré je ne sais plus dans quel texte des Ecrits un passage très comique où il parle des petits souliers, il parle des suffisances et il qualifie par-là les différentes manières dont peut s’établir le statut des analystes dans leurs communauté. Et ici, tout de suite en commençant, il laisse ça de côté très rapidement en disant ça ne peut révéler que de la simulation, c’est-à-dire de quelque chose qui est mal fondé. Et, il ajoute tout de suite la raison : « il n’y a pour le psychanalyste aucun au-delà, aucun au-delà substantiel à quoi pourrait se rapporter ce en quoi il se sent fondé à exercer sa fonction ». Ça n’a l’air de rien, mais cette phrase est très forte ! « Il n’y a pour le psychanalyste aucun au-delà, aucun au-delà substantiel ». Prenez un prêtre. Un prêtre il a un au-delà substantiel, c’est le moins qu’on puisse dire ! Son au-delà substantiel, c’est quand-même la référence divine. Est-ce que l’analyste a un tel appui au-delà de lui-même ? Non, il n’y en a aucun.

 

Et du coup, Lacan se demande tout de suite autour de quoi tourne cette confiance. Parce qu’il faut quand même être attentif à ce fait, c’est que quand on remet son sort entre les mains d’un analyste, quand on va le trouver – et puis, on ne va pas le trouver pour rien, on va le trouver pour mettre entre ses mains son existence, et généralement son existence dans une passe où elle est un petit peu difficile, enfin, ce n’est pas rien. Alors, Lacan pose la question : « que signifie cette confiance » et il ajoute, « autour de quoi tourne-t-elle » ? C’est ça qui va l’intéresser dans cette leçon. C’est ça qu’il va être amené à déplier. Mais, ce qu’il va tout de suite dire c’est que l’analyste doit savoir autour de quoi tourne ce en quoi consiste le mouvement de la cure. Ce autour de quoi ça tourne, c’est ce qu’il appelle, une fois de plus, et c’est ce qu’il va interroger un fois de plus, sous le nom de : « le désir du psychanalyste ».

 

A un moment, d’ailleurs, il va préciser d’une façon très intéressante ce désir de l’analyste en disant c’est l’axe – je peux vous le dire tout de suite, car je ne vais pas suivre le cours de la leçon pas à pas comme je fais d’habitude, je vais faire des petites excursions, je n’aime pas trop suivre pas à pas. Donc, à un moment donné, ce désir de l’analyste il va le marquer comme l’axe – « ax » en anglais, si je ne me trompe, ça veut dire « hache ». Alors, il va dire, voilà, le désir de l’analyste c’est comme l’axe d’une hache dont le double tranchant est… Est-ce que vous vous en souvenez ? C’est quoi ? Vous l’avez lu, bien sûr, attentivement, c’est comme moi.

 

[Salle] : Demande et transfert.

 

S.T. : Oui, tout à fait. C’est intéressant pour rentrer dans la difficulté de la leçon.

 

[S.T. écrit au tableau] :

Il dit que ce désir de l’analyste d(A) est un point pivot entre :

  1. la demande. La demande c’est relativement simple à situer. La demande c’est ce avec quoi le patient s’avance, même si l’on ne sait pas, bien sûr, tout de suite ce qu’elle recouvre ;
  2. puis de l’autre côté le transfert. Le transfert c’est tout à fait un point opaque, parce que ce qui se joue, ce qui s’engage dans le transfert, et très souvent dès le début de la cure, mais pas toujours, parfois c’est plus compliqué. Mais en tout cas, ce qui s’engage dans le transfert, ça comporte un point d’opacité qui, à la fois, va permettre le déroulement de l’analyse, parfois va le freiner, mais également va en permettre, dans les cas favorables, une sorte d’issue.

 

Et bien, le pivot de ça – entre demande et transfert – le pivot est par Lacan nommé désir de l’analyste.

 

Alors, pour revenir au début, Lacan va souligner ceci, il va rappeler ceci, parce qu’il l’a souligné dès le début du séminaire. Il va rappeler qu’ici, et à propos du désir de l’analyste, la psychanalyse apporte quelque chose de très nouveau – il le dit souvent – qui doit être éclairé de deux références : la référence à LA science. A LA science, pas la référence à la science. On connait la science depuis très longtemps, on connait la science depuis les Égyptiens et leur arpentage, on connait la science depuis les géomètres grecs, depuis Euclide, bien sûr. La science on connait depuis très longtemps, mais Lacan dit – et je ne vois pas pourquoi dans notre édition il y a Science avec un S majuscule mais enfin, elle n’en n’a pas du tout besoin. Il souligne ici que la psychanalyse est liée aux mêmes conditions et aux mêmes nécessités qui ont fondé dans notre tradition LA science, « l’accent étant mis sur ce « LA », et non pas sur le mot  science ». La science au sens de quoi les Grecs appelaient épistémè (ἐπιστήμη), ça fait longtemps qu’on la connait bien sûr. Mais LA science moderne elle commence disons, pour aller vite, avec Descartes. Avec Descartes, c’est-à-dire, avec une énonciation, une énonciation qui se scinde en quelque sorte et qui isole une certitude – Lacan l’a déjà dit dans le séminaire, mais il le rappelle ici – qui s’écrit « je pense : dont je suis ».

 

Et là, la question est moins le sens de cette formule, à supposer qu’elle en ait un, la question, l’intérêt est plutôt cette coupure « je pense : (deux points) donc je suis. » Quelque chose d’une sorte d’acte énonciatif dont le sens n’est pas du tout évident, mais qui articule une certitude. Certitude dont Lacan au debout de notre séminaire, rappelez-vous, avait dit d’une manière très éclairante, et vraiment fulgurante, cette certitude cartésienne c’est la même que la certitude de Freud dans la Science de Rêves, la Traumdeutung.  C’est la même !

 

Et, il le montre texte en mains en lisant la Traumdeutung. Donc ici il le rappelle. Vous voyez, il dit : « on savait déjà ce qu’il en était des conditions de la science, mais celle dans laquelle nous sommes pris, qui forme le contexte de notre action à tous, dans le temps que nous vivons » – alors c’est toujours valable aujourd’hui et plus que jamais – « et à laquelle ne peut pas échapper le psychanalyste lui-même, parce qu’elle fait, à lui aussi, partie de ses conditions ». « Cette science c’est » – c’est la science : la science moderne, celle qui court avec des petites lettres, celle qui se passe de la castration, qui se passe de la castration parce qu’elle n’obéit qu’aux nécessités d’une écriture – « celle-là, c’est par rapport à celle-là que nous avons à situer la psychanalyse ». La psychanalyse qui elle bien entendu ne se passe pas de la castration, qui – Lacan le dira d’ailleurs dans un autre séminaire – la psychanalyse qui réintroduit dans notre monde la castration. Alors qu’elle saute, si je puis dire, elle est déverrouillée avec les effets de l’écriture de la science.

 

Lacan le reprendra aussi à propos du capitalisme qui n’est pas sans relation avec la science. Il dira aussi à propos du capitalisme que le capitalisme fait tout à fait bien l’économie de la castration et que la castration revient dans notre monde par la psychanalyse. Ça, il ne le dit pas ici, en revanche ce qu’il dit ici, ça n’en est pas loin. C’est comme s’il disait : moi ce qui m’intéresse c’est de former des psychanalystes donc ce que je dis ici ce n’est pas du blabla, ce n’est pas pour alimenter vos curiosités philosophiques ou autres, non. Je cherche à préciser les conditions logiques du travail de l’analyste et en particulier ce qui fait qu’on vient avec une puissance et avec une régularité qui méritent de nous questionner, qu’on vient remettre son existence et sa parole entre ses mains et on lui fait confiance.

 

Alors, il va d’abord commencer par interroger ça et il dit : bon le transfert on connait ça depuis très longtemps. Déjà Platon dans « Le Banquet » avait parfaitement élucidé « le transfert lié au désir comme phénomène nodal de l’être humain », dit Lacan. On l’avait déjà élucidé avec « Le Banquet » et il évoque le Banquet, il évoque Socrate. Mais ensuite, il va faire un pas de plus, il va dire « dès qu’il y a, quelque part, le sujet supposé savoir, […] il y a transfert ». Et alors, il va nous donner en quelque sorte une gradation des niveaux de la leçon qui vont être interrogés pas à pas.

 

Je vous le remets au tableau, il va distinguer trois niveaux :

  • Le premier dont il dit que l’on connaissait depuis longtemps et c’est très bien explicité dans « Le Banquet».
  • Le niveau suivant c’est ce qu’il écrit – pas pour rien – il écrit le sujet supposé savoir S.s.S. Ça ne vous rappelle rien ? Ca pourrait vous rappeler ce qu’il travaille depuis un certain temps c’est à dire la question de l’aliénation, le sujet qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Ce n’est pas pour rien qu’il l’a écrit S.s.S. Lacan ne fait jamais les choses au hasard.
  • Et enfin, le pivot de l’affaire, ce que Lacan inlassablement remet au travail et dont il questionne l’articulation logique, c’est-à-dire le désir de l’analyste.

 

Tout à l’heure, j’ai évoqué la question de l’« un seul », si je puis dire, ce sujet d’exception qui a été au départ de la psychanalyse avec Freud et qui est – ça mérite quand même une remarque, c’est que Lacan souligne que ce un d’exception, un seul, auquel nous devons la position de la psychanalyse, ce n’est pas seulement factuel, ce n’est pas seulement un fait historique c’est une nécessité logique. C’est à dire que pour que la psychanalyse existe, il faut qu’il y en ait un et ce sera par définition un seul qui articule une énonciation à laquelle, et bien, les autres vont pouvoir se fier et vont devoir se fier.

 

Parce que Lacan dit très bien, c’est extrêmement important, surtout aujourd’hui, aujourd’hui où à propos de Lacan, on entend parfois, on entend même souvent ce statut un petit peu d’exception de Lacan, mais enfin, on entend ici et là mais pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas réviser, adapter les signifiants et les élaborations de Lacan. Ici Lacan, à propos de Freud, mais on peut faire la transposition à lui-même aujourd’hui à Lacan, à propos de Freud il dit : « il ne fût pas seulement le sujet supposé savoir, il nous a donné, en des termes que l’on peut dire indestructibles pour autant que depuis qu’ils furent émis ils supportent une interrogation qui, jusqu’à présent, n’a jamais été épuisée ». Et il ajoute, « on n’a pu faire de progrès » -dans l’analyse- « que ce progrès », enfin il dit que les progrès qui ont été réalisés dans l’analyse n’ont pu l’être que dans le souci de ne jamais « dévier […] des termes autour desquels Freud a ordonné les voies qu’il a tracées et les chemins de l’inconscient. Ceci nous montre assez ce qu’il en est de la fonction du Sujet supposé savoir », c’est-à-dire que le Sujet supposé savoir n’est pas seulement un type, là, dans l’expérience, qui est fortiche, qui en sait un bout, sur lequel on a confiance, non. C’est aussi une nécessité logique. Ce n’est pas seulement se fier, c’est s’appuyer logiquement à la parole d’un qui fait exception, pour pouvoir avancer dans l’expérience de l’analyse, dans l’expérience analytique. Je le disais déjà tout à l’heure, c’est pourquoi Lacan va parler du drame, de l’organisation communautaire des psychanalystes. Parce que les psychanalystes ont parfois du mal à faire leur affaire de cette soumission nécessaire à la logique, qu’il faut qu’il y en ait Un d’exception, à partir de quoi s’organise l’expérience, et à partir de quoi elle peut s’articuler. Ce Un a été Freud, ce Un a été Lacan, et je pense qu’aujourd’hui nous sommes encore, et très largement dans la nécessité d’interroger Lacan, bien sûr, comme nous interrogeons Freud, mais à partir, d’une référence pas seulement de révérence, pas seulement de respect, de convenance, mais d’une référence qui a un caractère nécessaire aux signifiants de Lacan. Nous devons leur faire confiance, nous devons nous y fier pour des raisons, encore une fois, logiques. Pas pour des raisons historiques. Ce n’est pas un meneur Lacan, c’est quelqu’un qui a mis en place quelque chose qui effectivement justifie sa place d’exception, au titre de sujet supposé savoir.

 

Alors, « entrons », dit Lacan ensuite, « dans l’examen de ce dont il s’agit ». C’est-à-dire de quoi il s’agit quand un sujet fait à l’analyste cette place du sujet supposé savoir, place qui va motiver le transfert, S.s.S. Alors, là aussi, nous sommes dans du Lacan très fin, très logique, très fort dans sa logique, mais également très fin. Alors il remarque un fait d’expérience – alors tout à fait clinique, si vous trouvez parfois que Lacan n’est pas assez clinique, ce qui n’est pas tout à fait exact, mais là il est véritablement clinique – il remarque combien, au début, surtout, le patient peut avoir l’appréhension, « la crainte », non pas que l’analyste se trompe, mais « que l’analyste soit, par lui, le patient, trompé ». C’est-à-dire que, comment en fait dès le début de la relation transférentielle, et bien, il peut y avoir du côté de l’analysant, ce questionnement de la vérité qui vient en quelque sorte le mettre en question lui-même l’analysant dans son rapport premier à l’Autre. Il a peur de tromper l’Autre dans sa dimension de grand Autre. Il a peur qu’il y ait là quelque chose – et c’est quelque chose à travers quoi se manifeste la puissance, toute la puissance de la parole, la puissance de la parole va en quelque sorte affecter l’analysant, jusqu’à un point où il appréhende que cette puissance de la parole qui met en jeu la vérité, ne vienne porter atteinte à la capacité, en quelque sorte du psychanalyste. Et Lacan va dire en faisant un pas de plus- le patient peut ainsi avoir la crainte que du fait de ce qu’il dit lui le patient, le psychanalyste se trompe, il a peur de tromper l’analyste.

 

Mais le pas suivant que fait Lacan c’est : est-ce qu’encore plus qu’être trompé, l’analyste ne tombe pas sous le risque de se tromper. Lacan le dit comme ça : « combien plus celui qui peut être trompé devrait-il pouvoir être sous le soupçon de pouvoir, tout simplement, se tromper » ! Vous voyez ? Lacan observe qu’il est tout à fait réel de constater qu’il y a des patients qui ont peur de ne pas bien orienter l’analyste par rapport à la vérité. Bon d’accord, ça on l’observe, très bien. Mais le pas suivant, c’est que Lacan remarque que, en revanche, et bien, que l’analyste puisse se tromper, et bien, c’est quelque chose qui marque un point limite jusqu’où ne va pas l’analysant. C’est-à-dire que, « même étant admis que l’analyste puisse être trompé, […] autour de ce se tromper, quelque chose s’arrête ; même au psychanalyste mis en question, il est fait ce crédit d’une certaine infaillibilité quelque part qui, même à l’analyste mis en question, fera attribuer quelque fois à propos d’un geste de hasard, des intentions : vous l’avez fait pour me mettre à l’épreuve ». Et là, Lacan va vraiment appuyer les choses en disant : « De quoi s’agit-il donc, dans cette confiance faite à l’analyste » ? Et c’est autour de cette élucidation qu’il va petit à petit faire porter le principal de cette leçon. Ce n’est pas toujours très facile dans le développement, mais – zut c’est dommage j’ai effacé ma « Hache » de tout-à-l’heure vous vous souvenez :  il y a la demande, il y a le transfert, il y avait l’axe, le désir de l’analyste. Et Lacan avance dans son questionnement, il remarque comme je le disais à l’instant, il remarque que, en quelque sorte pris dans la puissance de la vérité -il ne le dit pas comme cela, Lacan, mais c’est moi qui l’interprète comme ça- que pris dans la puissance de la vérité, le patient a peur que, sciemment ou non, il parle à l’analyste de façon à tromper l’analyste. Bon ça c’est ok, mais il y a un point, jusqu’où le patient ne va pas, c’est de mettre en doute l’infaillibilité de l’analyste sur le point suivant, c’est-à-dire le fait que l’analyste se trompe. Non, là il y a quelque chose qui mérite effectivement notre interrogation. Qu’est-ce qui fait que vous, sujet, va attribuer, je ne dirais même pas une qualité, ce n’est pas une qualité qu’on va attribuer à l’analyste, on ne va pas dire « ben oui, cet homme ou cette femme ne peut pas se tromper », ce n’est pas du tout ça. Sa fonction, là où il fonctionne, emporte, comporte, ce qui fait qu’il va être investi de quelque chose qui n’est pas du tout de l’ordre des qualités personnelles, non, qui est de l’ordre d’une infaillibilité. Et ça, dit Lacan, ça doit nous faire dresser l’oreille sur la fonction et l’importance de ce dont il s’agit dans le désir de l’analyste.

 

Alors, je pense que vous avez été sensibles à ces formulations de Lacan. :« De quoi s’agit-il donc, dans cette confiance faite à l’analyste ? Quel crédit pouvons-nous lui faire, ce bien de le vouloir, de le vouloir pour un autre, qui plus est. Et pourtant nous ne doutons pas que, là où se situe notre point de rencontre » – c’est-à-dire la rencontre entre la demande et puis l’analyste en question, qui va donner le transfert – eh bien là, « il ne puisse être que d’assumer ce dont il s’agit ». Ensuite il va ajouter, effectivement : « je m’explique ». C’est vrai que ce n’est pas absolument évident. Et qu’est-ce qu’il va dire dans ce « je m’explique : » ? Il va dire, dans le registre de la demande, dans le registre du sens, auquel nous sommes relativement bien accoutumés, et bien, « on peut vouloir jouir », dit-il, « on peut vouloir ne pas jouir ».  D’accord. Il dit, dans le registre de la pensée, on peut vouloir penser, « on peut vouloir ne pas penser ». Il ajoute : « tout le collège universel des professeurs est là pour le prouver ». Bon. C’est vrai. Ça n’a pas l’air de vous faire rire !

 

Mais alors, il en vient au point difficile, et au point que l’analyste vient justement supporter et rendre possible, de par cette infaillibilité qui autrement serait tout à fait incompréhensible, parce que ce n’est pas un voyant extra lucide l’analyste, pas du tout. C’est sa fonction logique, en quelque sorte, qui le met à cette place-là. Donc, on peut vouloir jouir, on peut vouloir ne pas jouir, très bien. On peut vouloir penser, on peut vouloir ne pas penser, mais qu’est-ce que peut vouloir dire : « ne pas vouloir désirer » ? Et alors là il introduit quelque chose de très fondamental et de très glissant en même temps. « Toute l’expérience analytique » dit-il, « nous témoigne que ne pas vouloir désirer et désirer, c’est la même chose. Que le désir même, comporte en lui cette phase de défense, qui le rend identique » – à son contraire. C’est extrêmement, évidemment, paradoxal, mais combien de fois est-ce que nous en avons le témoignage sur le divan. Je désire ça, mais en même temps je ne le désire pas. C’est exactement la même chose dit Lacan. Combien de fois l’inconscient se manifeste à nous et nous le repoussons, nous nous défendons de cet inconscient dans le même mouvement où il se découvre à nous, où il apparaît.  Les deux sont absolument liés, dit Lacan. Désirer, ne pas vouloir désirer. Et bien, donc, cet foncier équivoque du désir ne peut être articulable, ne peut être travaillable, que si l’on se fie à ce que Lacan formule comme « le désir de l’analyste ». Cela ne veut pas dire qu’on sait en quoi il consiste, mais ça veut dire que c’est le point pivot entre la demande et le transfert, au nouage de la demande et du transfert, c’est le point pivot auquel s’articule la parole de l’analysant.

 

Ensuite il va mettre en relation ce désir qui à la fois désire et ne veut pas désirer, il va le mettre en relation avec « le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre ». Là il y a un passage, moi je ne l’ai pas bien saisi, parce que je ne suis pas très confiant dans la figure de la page 286, je ne vois pas comment elle peut être utilisée. Quand il dit : « Faut-il, pour ceux à qui les mots ne suffisent pas » – il y a des moments où il s’énerve un peu dans la leçon ! –«  que je désigne qu’il y a une différence entre ce qui se passe de là à là ou ce qui se passe d’ici à là ? Je l’ai d’ailleurs, il me semble, déjà suffisamment indiqué dans ce que j’ai émis précédemment ». On ne peut pas non plus tout déplier.

 

En revanche, j’en viens tout de suite à la suite quand il va dire que c’est le moment de reprendre cette question du couple de signifiants à partir desquels peut se formuler l’aliénation du sujet entre le premier signifiant et le second, l’aliénation du sujet dans son rapport au grand Autre. Et là, il va dire quelque chose de très important, il va insister sur le fait qu’il est très important qu’il n’y ait dans cette structure de la division du sujet que deux signifiants. Pas plus. Parce qu’effectivement, s’il y en a plus, ils vont se mettre à se renvoyer les uns aux autres pour dessiner une sorte de clôture. Alors que cette clôture n’est pas du tout ce que Lacan veut souligner. Il veut souligner l’aliénation qui constitue le sujet lui-même dans sa division. C’est pour ça que tout à l’heure, je vous ai parlé de l’intérêt pour nous de cette façon de formuler le sujet supposé savoir S.s.S. Maintenant je vais reprendre « s » comme le premier, « s » comme étant le second, et entre les deux, le sujet barré, c’est-à-dire le sujet pris entre ce qui vient de l’autre, et puis le sujet qui est donc représenté par un signifiant, représenté « par », « pour ». Et dans la direction de ce « pour », on a ce que Lacan évoque dans la leçon comme l’aphanis du sujet. C’est-à-dire que son aliénation s’inscrit suffisamment et parfaitement, à partir de ces deux termes fondamentaux. Un terme où le sujet s’articule à partir de l’autre, et l’autre terme où il est en quelque sorte, il ne consiste pas, où il ne fait pas une clôture. S’il y avait un troisième signifiant, il y aurait quelque chose d’un bouclage, dit Lacan, qui ferait savoir absolu. Or ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Et ici, il va critiquer, alors fortement, ses élèves – enfin ses élèves qui l’avaient gentiment trahi, Laplanche et Leclaire. Laplanche qui garde, soit dit en passant, un privilège de sommité dans le milieu universitaire, c’est incroyable ! Ce type qui a bousillé l’œuvre de Freud en publiant une traduction absolument impraticable, qui a trahi Lacan. Alors il a trahi Lacan, il a trahi Freud par ses traductions, c’est considéré comme une sorte de pape par l’université. Encore aujourd’hui ! Laplanche…

 

Salle : Et Pontalis ?

 

S.T. : Oui Pontalis. Bon, Pontalis… Mais là il parle de Laplanche et de Leclaire. Et alors ce qu’il en dit, alors là ils en prennent pour leur grade ! Alors là, comme disent les jeunes, ils prennent tarif, ils sont alignés ! Mais c’est vrai que ça le met en colère. Alors je ne vais pas entrer dans le détail, mais Lacan va profiter, Lacan dit, mes élèves Laplanche et Pontalis ont cru pouvoir faire les intelligents en publiant un papier où il est question du Fort-Da, et de l’importance du Fort-Da, mais Lacan dit, ils se sont complètement trompés sur la signification de ce moment, essentiel pour lui, pour Lacan. De telle sorte qu’ils ont cru que le Fort-Da c’était quelque chose qu’on avait déjà bien assimilé, que tout le monde connaît, on nous a rabâché avec le Fort-Da. Alors que ce que va dire Lacan, c’est que le Fort-Da est absolument essentiel, mais que ce n’est pas du tout ce qu’ils en ont fait. Ils en ont fait quelque chose, qu’on fait parfois d’ailleurs, c’est une erreur, grossière, comme quoi le Fort-Da ce serait un exercice par lequel l’enfant viendrait par la puissance du signifiant, conquérir une sorte de maîtrise sur l’objet, et notamment sur l’objet maternel. Une maîtrise qui expliquerait le plaisir qu’il a à répéter le lancement de la bobine. Mais Lacan dit : pas du tout, le Fort-Da n’est pas du tout une assurance conquise dans l’existence, il ironise à un moment donné : « pas de Fort sans Da, et si l’on peut dire sans Dasein », c’est-à-dire sans existence, « mais justement, contrairement à ce qu’essaie de saisir, comme le fondement radical de l’existence, toute la Dasein- analyse, toute une certaine phénoménologie, il n’y a pas de Dasein avec le Fort ». C’est-à-dire que cet exercice du Fort-Da ne confère absolument rien du côté de la position de l’existence du sujet. Ce qui est réalisé dans le Fort-Da, c’est la mise en œuvre, la mise en jeu radicale de ce que je vous ai mis ici là au tableau, c’est-à-dire de l’aphanis du sujet, qui ne rencontre en ce point d’aphanisis justement, que l’objet. Et non un pas un exercice, au sens où un exercice, c’est la mise en jeu d’une maîtrise par le corps. Non pas du tout, dit Lacan. « La répétition indéfinie du Fort-Da », souligne-t-il, « manifeste la vacillation radicale du sujet ». Bon, et à la fin – je suis obligé d’aller un peu plus vite, là, mais j’arrive dans les parages de la fin de la leçon – à la fin, Lacan va resituer, il va articuler, enfin il va rester proche de la question du désir, mais là, il va l’éclairer de ce que dit Freud dans « Pulsions et destin des pulsions », sur le rapport entre le Moi et ce qui est externe, ce qui est extérieur au Moi. Enfin pour résumer les choses très sommairement, parce qu’en réalité ce que va montrer Lacan, c’est que le texte même de Freud fait une place très importante à ce qu’on pourrait appeler l’objet petit a.

 

Alors je vais vous faire le schéma mais je ne vais pas le faire comme dans notre édition, parce que ce n’est pas une façon très éclairante.

Vous avez le registre du sujet et le registre de l’objet, éclairé à partir de l’articulation de Freud dans « Pulsions et destin des pulsions ». Les pulsions, c’est-à-dire quand il évoque le Ich – le Moi – et puis ce qui est Lust, ce qui est plaisir, et ce qui est Unlust, ce qui est déplaisir. Alors le Ich est représenté par un rond, un autre rond pour représenter le Lust, c’est-à-dire le plaisir, et puis le plaisir, mais en dehors du Moi, c’est-à-dire dans le monde extérieur.

 

Et Lacan va dire : dans cet « en dehors » … ce Lust-là, il est censé évoquer le réel, mais en tant qu’il est extérieur au moi. C’est-à-dire le moi, le Ich ne peut pas, n’a aucun pouvoir dessus. Et Lacan va souligner qu’il y a une partie de ce qui est à l’extérieur et de ce qui est du registre de l’objet qui va être intégrée au Moi sous la forme d’une identification. Il va dire, c’est simple comme bonjour d’ailleurs, c’est ce que dit Freud toujours, c’est-à-dire ce que je ne peux pas avoir, je vais l’être, je vais m’y identifier. Et ça, il le représente, Lacan, d’une façon très parlante. Il va dire : c’est vraiment du registre de l’image spéculaire. C’est-à-dire que si nous représentons… Il y a une partie du réel extérieur que le moi peut désirer, mais qu’il ne peut pas avoir. Et ça, ça va donner lieu à ce que l’on peut marquer ici, ce que Lacan écrit ici comme le Lust-Ich, c’est-à-dire le moi plaisir.

 

Le moi plaisir qui vient véritablement d’une façon spéculaire, qui vient en quelque sorte dans une correspondance, mais dans une correspondance qui se fait au niveau de l’image spéculaire, qui vient donc créer des identifications par lesquelles le sujet va être ce qu’il ne peut avoir. Vous voyez, là, il y a une symétrie spéculaire où ce qui est ici se reflète au niveau de l’image. Et alors ce qu’il va aussi souligner, c’est qu’il y a dans ce recoupement, et c’est là qu’on retrouve la logique de l’aliénation telle qu’il l’a évoquée dans les leçons précédentes, il va y avoir mordant sur le Moi, il va y avoir le registre du non-Moi, de la négation dans le Moi. Et c’est qu’ici, je pense qu’on peut situer la fonction de l’objet a. Il va dire : c’est dans cette zone de Unlust, le non-plaisir, le déplaisir, que va se situer ce que l’on a pu appeler le mauvais objet, pas dans l’articulation de Lacan, mais dans d’autres articulations comme celle de Mélanie Klein, si je ne me trompe. Vous voyez, « le Lust », le Lust à droite, « est bel et bien un objet, un objet qui n’est pas dans ce cercle du Ich ».

 

Il y a également « un objet qui est reconnu, qui est miré dans cette Ich », miré ça fait vraiment référence à l’image spéculaire, « comme étant objet de Lust. C’est le Lust-Ich purifié dont parle Freud », que j’ai fait là dans le Ich. « C’est l’image en miroir, c’est la correspondance point par point, c’est la connotation bi-univoque de quelque chose qui est au niveau de l’objet et de quelque chose qui, dans l’Ich, s’en satisfait en tant que Lust ». Et là, vous avez encore un autre linéament. « Ce qui est inassimilable, ce qui est irréductible au principe du plaisir, ce qui est Unlust fondamental, Freud nous le dit, c’est cela à partir de quoi va se constituer le non-moi. Mais le non-moi se constitue à l’intérieur du cercle du moi primitif, et ce qui dans cet objet mord, c’est ce que le fonctionnement de l’Ich n’arrivera jamais à évacuer. C’est là l’origine de ce que nous retrouvons plus tard, dans la fonction dite du mauvais objet ».

 

Et il va terminer sur le désir en rapport avec la pulsion et la manière dont elle va, cette pulsion, dont elle va motiver un rapport à l’objet qui ne peut bien sûr pas se situer seulement dans le registre du plaisir, mais qui va se situer – là encore, on va retrouver la structure de l’aliénation – avec « pas de mal sans qu’il en résulte un bien, et quand le bien est là, il n’y a pas de bien qui tienne avec le mal ». C’est-à-dire quelque chose de l’ordre du pas l’un sans ceci. Mais dans le registre de l’aliénation, sur le modèle de ce que l’on a vu avant, c’est-à-dire la bourse ou la vie, la liberté ou la mort. « Pas de mal sans qu’il en résulte un bien », ça veut dire que vous pouvez avoir le mal avec un bien qui en résulte. Mais si vous posez le mal au départ, vous ne pouvez pas en tirer quelque bien. Vous voyez, il n’y a pas une symétrie entre les deux énoncés. Et il termine en disant : « C’est pour ça qu’à se situer dans le registre pur et simple du plaisir, l’éthique échoue ». Et Kant l’a remarqué en disant que le souverain bien ne pouvait pas du tout être la somme de petits biens individualisés, mais il le cherchera au niveau de la loi, ce souverain bien, Kant.

 

Bon, alors il y a ensuite le dialogue avec Safouan qui éclaire quand même, qui éclaire à certains égards, ces notions de Lust, Unlust, et puis la question du désir. Parce que, vous avez pu le lire, Lacan y accentue beaucoup que le désir est toujours articulé à la pulsion. C’est-à-dire le désir est toujours articulé à ce tour fait autour du trou central. Il va dire à Safouan qu’il y a une différence entre le désir authentique articulé à la pulsion et puis les désirs au sens où on parle de façon courante. Au sens où il suffit que quelqu’un vous interdise quelque chose pour que vous puissiez en avoir le désir mais çà ce n’est pas le véritable désir authentique qui justifiait la formule de Lacan dans la leçon. C’est-à-dire qu’on peut très bien vouloir désirer et ne pas vouloir désirer, c’est la même chose. Ça c’est le désir en tant qu’il s’articule à la pulsion.

 

Bon écoutez, je vais m’arrêter là, je pense que je n’ai pas été toujours aussi précis que j’aurais souhaité l’être, mais j’ai fait du mieux que j’ai pu sur cette leçon qui se dérobe un peu parfois à notre prise, je dois dire. Voilà, j’espère que vous aurez des questions ou des remarques.

 

Angela JESUINO : Je voulais faire deux remarques seulement.

 

La première partie de la leçon tourne autour de cette question du désir de l’analyste sans que l’on puisse dire comme tu l’as souligné en quoi il consiste. Mais en tout cas Lacan, dans cette leçon, va suffisamment tourner autour pour que l’on puisse le représenter comme une place et une fonction. Et je crois que çà c’est ce qu’il délimite très justement dans cette leçon. Et en tant que place et en tant que fonction on voit effectivement la relation avec le transfert et la demande.

 

Après, il y a toute la façon dont il va travailler cette question du désir de l’analyste au cœur même de ce qu’il a dit avant, qui est la question de l’aliénation et de la division du sujet. Et je trouve ça très fin qu’il puisse réarticuler là ce rapport du signifiant 1 au signifiant2, et je pense qu’une grande partie de ce séminaire, Lacan va l’utiliser pour tirer toutes les conséquences de cette petite phrase : « un signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant ». On n’en n’a pas fini, nous, de tirer toutes les conséquences de cette articulation-là.

 

Et puis, il y a quelque chose qui me semble être, dans la deuxième partie de la leçon qui est avec le fort-da l’introduction de la fonction de l’objet a. En excluant effectivement toute psychologisation de cet exercice, comme il l’appelle, qui est un exercice d’articulation signifiante dont le sujet ne peut s’approprier qu’à partir de l’objet et de la bobine. Donc en ça il subvertit complétement la lecture qui est faite en excluant toute psychologisation et en insistant sur l’articulation signifiante encore une fois.

 

Et la troisième partie, pour moi, de la leçon, c’est tout ce qu’il va dégager de ce fameux schéma dont on a du mal à savoir s’il est juste ou pas juste, mais où il va effectivement introduire des tas de choses. Cela serait intéressant que l’on puisse dire les uns et les autres comment on peut lire ce schéma, à condition qu’il soit juste. Par exemple, au lieu du Unlust, non-moi c’est une question vraiment, que l’on peut discuter, qu’est-ce qu’on va mettre là dans le champ du non moi ? Est que c’est quelque chose de l’objet ou est-ce que c’est quelque chose du champ de l’autre ? Parce qu’il va dire après, à la fin, et on sent qu’il est entrain de boucler son élaboration, quand il va faire cette articulation entre la pulsion, et l’objet. Il va articuler – je trouve qu’il y là un pas très important – quand il introduit l’activité de la pulsion ce qui permet de construire le fonctionnement de la division du sujet ou aliénation avec ses conséquences, c’est la reconnaissance de la pulsion. Il revient là dans ce schéma qu’on avait vu où la pulsion va venir crocheter quelque chose dans l’Autre. Il va parler à nouveau de cette activité de la pulsion, ce qui est au cœur même de la question de l’aliénation, de cette articulation S1/S2. Et il dit comme nous ne pouvons pas limiter la dialectique de ce qui se passe dans l’inconscient du sujet à la référence au champ du Lust, à ces objets qui sont là dans le champ du Lust. Mais qui sont des objets qui ne servent à rien.

 

S.T. : Et qui seront dans le Unlust je pense.

 

A.J. : Tu vas les mettre dans le champ du Unlust, qui est toute la série de l’objet a. Et donc c’est autour de cet objet qu’il y a cette articulation et c’est intéressant qu’à la fin de la leçon il va quand même avancer l’articulation entre aliénation, pulsion, objet a et éthique. C’est quand même très précis. Et il va dire, « cette articulation est nécessaire pour introduire la dialectique du sujet en tant que sujet de l’inconscient ». Donc c’est un chemin très ardu qu’il fait, j’ai identifié ces trois temps de la leçon pour pouvoir me guider. Mais la direction de ce chemin dans cette leçon est très importante pour voir comment Lacan va parler du Moi, va parler du moi-plaisir et de tout ce qui est mis là non seulement comme l’identification, mais aussi la question de l’automatisme, la question de l’objet qu’il va nommer narcissique et le champ du Lust qui est en dehors et la question du Unlust qui est à préciser. Je pense que c’est un développement phénoménal qu’il fait à partir de ce schéma qui est dans le texte de Freud, qui est au début du séminaire, et on voit par ce grand final où est ce qu’il nous mène et qu’il va reprendre encore dans la leçon XIX.

 

Je pose cette question : qu’est-ce qu’on va mettre dans ce Unlust, parce qu’à un moment donné, il va parler aussi du Unlust comme le champ de l’Autre dans la leçon XIX. Mais çà on verra plus tard.

 

S.T. : Le champ de l’Autre avec un grand A ?

 

A.J. : Oui

 

S.T. : Oui mais çà ne m’étonne pas.

 

A.J. : Oui mais tu vois la complication ! Enfin je pense que l’on a de quoi discuter, mais je voulais préciser aussi, en ce qui me concerne, les points qui m’ont intéressée, parce que c’est vraiment un parcours énorme !

 

 

Transcription établie par : Virginie BARILARI, Rosa BELLEI, Brigitte BRIQUET-DURONI, Anne FLORENNE-VOIZOT, Léa GRILLIS, Aline LAMARQUE-ROTHERMANN, Si SHI, Brigitte SABY

Relecture : David GLASERMAN

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