En Europe, mais aussi dans d’autres contrées, aussi bien dans les deux continents de l’Amérique, nous avons le bénéfice que la religion soit un élément de la sphère privée des individus ; je veux dire, qu’elle ne relève pas des décisions de l’Etat. Dès lors, à quel titre est-on en droit d’intervenir sur ce qu’il en est du comportement privé de tel ou tel pour ce qui regarde son rapport à la religion ? Se pose donc une première question qui n’est pas inintéressante, celle de savoir si l’on est légitimement fondés en tant que citoyens à intervenir sur le phénomène des sectes, ou bien s’il convient de laisser le choix à chacun, c’est-à-dire de respecter cette liberté qui a été chèrement acquise, cette liberté de culte, ou bien si on est encore fondé à intervenir pour protéger contre eux-mêmes ceux qui sont engagés dans ce genre de mouvement ? Et puis, qu’est-ce qui nous permet de reconnaître ce qu’il en est spécifiquement d’une organisation sectaire, ou bien ce qu’il en est, plus beaucoup plus communément, d’une organisation religieuse.
Si vous cherchez du côté de l’étymologie, vous savez que la racine vient de deux mots qui sont très explicites en latin et qui signifient aussi bien suivre que couper.
Le Dictionnaire des Religions, édité au PUF en 1984 dit qu’une secte constitue un groupe de contestation de la doctrine et de la structure de l’Eglise entraînant le plus souvent une dissidence, et dans un sens plus étendu, la secte désigne tout mouvement religieux minoritaire, ce qui est comme vous le voyez une définition faible, car on ne voit pas comment pour des mouvements indiscutablement sectaires qui intéressent des millions d’individus on se permettrait de dire qu’il s’agit forcément de mouvement minoritaire.
Je vous donne une définition de Max Weber, car je la trouve intéressante, et qui oppose l’Église à la secte en disant que l’Église est une institution de salut qui privilégie l’extension de son influence, alors que la secte est un groupe contractuel qui met l’accent sur l’intensité de la vie de ses membres, définition intéressante donc mais étrange car vous voyez que l’Eglise est une institution de salut qui privilégie l’extension de son influence alors qu’il s’agit dans la secte d’un groupe contractuel — je crois que le terme mérite d’être souligné —, groupe contractuel qui met l’accent sur l’intensité de la vie de ses membres.
Encore une définition de sociologues, la dernière que je vous donnerai, d’Ernst Trunch (?) qui dit que l’Église est accoutumée à passer des compromis avec les États alors que les sectes se situent régulièrement en retrait de la société globale.
En écoutant, en lisant ces définitions nous percevons aussitôt ce que je vous disais au départ, c’est-à-dire que, alors que le phénomène est évident, nous sommes en peine pour le conceptualiser d’une façon qui serait pertinente, car aucune de ces définitions, je ne vais pas passer mon temps à les critiquer, ce n’est pas ce qui nous intéresse, aucune de ces définitions ne tient. Elles peuvent toutes être récusées.
Nous connaissons des sectes fort importantes qui n’opèrent pas du tout de retrait à l’égard de la société globale et qui au contraire cherchent à l’investir, cherchent à l’occuper. On ne peut pas dire qu’aujourd’hui l’Eglise se préoccupe essentiellement de passer des compromis avec les États.
Pour en parler avec vous, je dois d’emblée vous dire que je n’ai pas de contact, d’expérience personnelle et privée avec les sectes. Je n’ai pas eu non plus l’occasion, c’est une carence mais elle ne m’étonne pas, je n’ai pas été amené à recevoir en analyse un patient qui viendrait de ce genre d’expérience et en réalité je pense, je suis même persuadé que les analystes n’ont guère l’occasion de les rencontrer.
Je vais donc vous en parler à partir des documents qui existent, documents issus, produits par les sectes elles-mêmes, bien sûr, et en particulier ceux qui m’ont retenu car je les trouve admirables, ce sont les textes de l’Eglise de la Scientologie, en particulier ceux écrits par Lafayette von Hubard, qui sont absolument superbes, qui sont une espèce d’affront magnifique à l’intelligence, au bon sens et à la vraisemblance d’ailleurs, et qui, comme vous le savez, rencontrent un grand succès. Je me suis aussi intéressé aux manifestations de ce mouvement que certains d’entre vous ici connaissent directement, l’Eglise universelle du royaume de Dieu qui par son extension, par son importance, par sa richesse, par sa puissance non seulement financière mais aussi politique, par exemple au Brésil est un mouvement qui me paraît très intéressant et très important à suivre.
Alors pour rentrer maintenant plus directement dans notre question et après tout en m’autorisant de cette démarche de Freud lorsqu’il s’autorise à parler de la psychologie collective et de montrer comment l’analyse individuelle est dépendante, est liée à ce qui peut être la psychologie collective, — je veux dire que nous ne fonctionnons pas chacun d’entre nous comme des individus isolés mais bien entendu nous percevons un certain nombre de contraintes, un certain nombre de plaisirs, un certain nombre de possibilités du fait de notre participation sociale — donc d’emblée poursuivant la méthode à cet égard de Freud, j’évoquerai pour vous ce qui me semble être l’économie psychique particulière du groupe que constitue la secte. Au risque peut-être de vous surprendre, je vous dirais que le premier trait que j’y relève est celui du bonheur, procuré par l’organisation en cause, à ses membres du fait de l’accord qui se trouve rendu possible à chacun, avec l’ordre organisateur et prescriptif de la communauté, avec les commandements et principes religieux, moraux et sociaux de la communauté et du même coup l’harmonie de ces rapports devenus fraternels et non plus conflictuels avec les autres membres du groupe. C’est un type de bonheur très particulier et qui porte en psychiatrie un nom bien précis, et qui est toujours significatif, et qui est le sentiment d’élation, c’est ce qui se passe pour vous, pas trop souvent j’espère, lorsque dans des circonstances particulières vous vous trouvez brusquement en harmonie. Ce sentiment océanique, dont a pu parler Ferenczi comme idéal lorsque vous vous trouvez en harmonie avec les impératifs, avec l’organisation du monde, avec autrui et en même temps du même coup avec vous-même.
Ce n’est pas la situation la plus fréquente mais, à l’occasion de tel ou tel incident de votre parcours, vous pouvez éprouver ce type d’expérience, ce sentiment d’élation que c’est accompli, que vous y êtes et que maintenant l’essentiel est résolu.
Vous pouvez remarquer également à cette occasion que ce groupe auquel vous appartenez fonctionne comme une famille élargie, autrement dit les structures privées de la famille sont en général rompues au profit de l’appartenance collective, fonctionne comme une famille élargie où la distinction des sexes passe volontiers au second plan devant ce qui devient la communauté des enfants de Dieu ; peu importe à partir de cet instant le sexe des dits enfants, ils sont tous égaux à l’égard de cet amour pour le fondateur, pour le créateur. Et puis, on peut signaler en passant le fonctionnement volontiers endogamique de cette famille élargie
Dans ce qui appartient toujours à l’économie propre à ce groupe, on notera de façon à peu près générale un désintérêt pour les biens matériels avec un goût justement pour le sacrifice, pour le fait d’avoir à y renoncer, et accompagnant ce sacrifice des biens matériels, une exaltation du narcissisme de chacun des membres comme si enfin il se trouvait en conformité avec les idéaux propres au dit groupe. On pourrait remarquer encore que ces sectes se comportent d’une certaine façon sur le mode du ghetto, c’est-à-dire, sur le principe de l’exclusion, de la mise à part d’une communauté fondée sur l’identité des participants.
Le sentiment d’élation va avec le renoncement à ce que l’on appelle communément le libre arbitre, je dis communément parce que c’est un terme qui appartient aux premières réflexions, aux premières considérations théologiques ; donc bon débarras de ce que l’on appelle le libre arbitre et faculté de s’en remettre entièrement et pleinement aux commandements prescripteurs.
Toujours au titre des traits de cette économie collective, une organisation dont il faut remarquer qu’elle n’est pas fondée sur la croyance. On serait presque enclin à dire qu’elle n’est pas fondée après tout sur la foi.
Elle est fondée en effet sur une tout autre dimension psychique, celle de la conviction, qui est tout autre chose que la croyance. La croyance c’est effectivement s’engager dans un acte de foi, alors qu’ici en la matière, il s’agit de conviction et de certitude. Il n’est pas question ici du pari pascalien ; chacun est à l’avance assuré que son gain, compte tenu de sa mise, que son gain sera total, sera parfait, c’est le gros lot !
Un autre trait mérite de distinguer ces organisations sectaires des organisations religieuses, c’est que le fondateur est en général éminemment incarné, je veux dire, éminemment présent dans le champ de la réalité, et la vie du groupe est organisée à partir de ce qui est son savoir et son autorité. Ce fondateur, pour reprendre une distinction très fine faite par Lacan à propos des mécanismes de la psychose, ce fondateur on le croit, ce n’est pas qu’on y croit, on le croit en tant que tel.
Une remarque encore : il n’y a bien entendu et à mes yeux, c’est un trait essentiel du dispositif, il n’y a pas la moindre étude exégétique des textes de fondation. Ce sont des textes d’ailleurs dont le caractère prescriptif et dont le sens sont voulus pour être clairs, nets, précis, le programme est limpide et donc, il n’y a aucune place à ce qui serait des travaux d’herméneutique religieuse, aucune place je dis bien pour ce qui serait à proprement parler un travail de théologie, d’interprétation. Je crois d’ailleurs que ce type de distinction dans le rapport au texte, c’est-à-dire de savoir si, à l’endroit du texte, on est invité à un travail d’herméneutique, d’exégèse, d’interprétation ou si au contraire le texte vaut comme une holophrase dans son intégralité et sans réticence et sans retrait. Je crois que cette différence d’abord, de rapport au texte mérite d’être reconnue essentielle pour ce qu’il en est de notre devenir parce que jusqu’à ce jour nous sommes entièrement faits de rapports aux textes. Ce n’est peut-être pas éternel, en tout cas pour le moment, nous sommes tous des produits, les enfants d’un certain nombre de textes et il est évident que le mode de rapport avec eux est essentiel pour ce qu’il en est de notre fonctionnement psychique et dans la conduite de notre vie.
Dans le cas précis que je suis en train d’évoquer, je vous fais remarquer que le message que l’un de ces bienheureux reçoit des textes fondateurs est un message qu’il reprend d’une façon directe, aucunement sur le mode inversé, ce qui est le propre de nos rapports au texte, mais il a à reproduire le programme, il a à reprendre les prescriptions religieuses avec une fidélité qui exclut toute reprise par ce qu’il en serait de sa subjectivité, et d’une interprétation subjective, d’une espèce d’endossement subjectif. Ce n’est aucunement ce qu’on lui demande. On lui demande de s’abolir en tant que sujet pour reprendre intégralement et textuellement ce qu’il en est du programme, et de disparaître comme sujet dans cette modalité du rapport au texte.
Alors, comme je vous le faisais remarquer il y a un instant, je ne crois pas que l’on puisse nier que ce dispositif ne soit source de ce qu’il faut bien appeler le bien-être ; le bien-être puisque le sujet se trouve, en quelque sorte, soulagé des affres de son existence, que sa conduite est bien réglée, est bien déterminée et qu’il a en outre le plaisir de pouvoir cultiver avec autrui une relation fondée sur une identité à peu près parfaite, c’est-à-dire des semblables qui soient effectivement des semblables, la dimension de l’altérité étant rejetée à l’extérieur du groupe et présentée comme étant le monde profane, le monde de la chute, le monde de l’erreur, le monde des déchets, etc….
Et si vous me permettez cette incidente, je vous dirais que c’est bien pourquoi chaque fois qu’une activité guérisseuse est proposée au nom d’un bénéfice qui serait celui d’un bien-être, je pense qu’il devrait être largement acquis dans notre culture qu’il s’agit là, à chaque fois, d’une menace. Le fonctionnement spirituel prend place pour ce qu’il est d’un inconfort fondateur, d’un malaise fondateur, du doute, de l’incertitude, de la quête, de l’égarement, de l’échec et que ces divers traits sont les conditions d’un possible exercice spirituel. Autrement dit, le caractère justement guérisseur de ces groupes, car sans aucun doute ils agissent comme psychothérapies collectives, psychothérapies de groupe, ce trait mérite par nous d’être soigneusement, attentivement réfléchi.
Je vous cite ce qu’un médecin, auditionné par la Commission Parlementaire qui en France s’est attachée au phénomène sectaire, médecin dont la Commission dit qu’il est peu suspect de complaisance à l’égard des phénomènes sectaires, a déclaré : Vous rencontrez le meilleur et le pire dans les sectes. Parfois par le biais des sectes, les personnes se retrouvent dans un groupe chaleureux, d’autres redonnent un sens à leur vie, d’autres encore se structurent. Parmi mes patients, certains sont entrés dans des sectes. Je ne voudrais pour rien au monde qu’ils en sortent car cela leur sert momentanément de tuteur. Bien entendu cela ne légitime pas l’ensemble du phénomène, mais c’est vous dire qu’il y a des aspects très positifs. Si on ne le comprend pas on ne comprendra pas davantage le succès des sectes. Nos contemporains ne sont pas des imbéciles. s’ils se ruent par centaines de milliers dans ces mouvements c’est qu’ils ont des raisons et surtout qu’ils y trouvent de réponses.
Une autre des personnalités — c’est publié sous le couvert de l’anonymat, on ne connaît pas les honorables confrères qui ont produit ces jugements —, mais une autre de ces personnalités auditionnées, insistant sur la transformation personnelle et l’amélioration des capacités de chacun des membres de la secte, déclare :« Il est vrai que si on se mobilise, comme c’est le cas dans les sectes, on augmente ses capacités et le fonctionnel se trouve allégé, petits maux de ventre, de tête, les rhumatismes disparaissent pour peu que l’on ait une plus forte motivation.
Les sectes obtiennent donc des résultats. C’est vrai que l’on augmente ses capacités, c’est vrai que si l’on se mobilise autour de n’importe quoi, même le culte de la betterave, on peut devenir meilleur, plus fort, plus efficace et plus dynamique. Nous sommes tous tentés de développer notre potentiel, qui d’entre nous ne le serait pas ? Les personnes se ruent dans les sectes parce qu’elles ne trouvent plus dans le monde que nous leur avons construit les repères, les moyens de mobilisation, la crédibilité des appareils, bien sûr nous sommes lourdement responsables. On attrape les mouches avec du vinaigre. Les gens ont besoin d’idéal. On rentre dans une secte avant tout par idéal. Il ne faut pas se tromper, les sectes manient une langue de bois que l’on n’ose même plus pratiquer ailleurs».
Encore un témoignage d’un ancien adepte d’une secte ; pourquoi des individus sont poussés à y adhérer ? Voilà ce qu’il déclare : « Tout d’abord je crois qu’il y a ce mal du siècle, ce mal de vivre qui est de plus en plus présent, la cellule familiale est souvent éclatée, le père en particulier est souvent absent ou au contraire trop présent par sa violence, par exemple. A travers une secte, on recherche une famille, un père d’emprunt, une autorité, un modèle qui nous fait défaut. Du jour au lendemain, on se retrouve avec deux cents, trois cents amis, qui vous recevront, qui vous accueilleront. Votre couvert sera mis. Et on vous entendra, et vous vous sentez en confiance. Les personnes qui rentrent dans les sectes sont souvent des idéalistes, des personnes qui recherchent la perfection, pas toujours mais en partie. Personnellement, l’éclatement familial, le désir idéaliste m’ont poussé, le gourou nous disait : “ le monde va mal, il suffit d’allumer la télévision à l’heure des informations pour s’en convaincre. Il y a des guerres, des maladies, des problèmes partout, le monde va mal. Que peut-on faire à titre individuel pour essayer qu’il aille mieux ?“ C’est ce que nous proposait le gourou. Nous voulions améliorer la situation de la terre, de la planète des autres. Commencez par vous-même, commencez par vous transformer et vous transformerez le monde et j’y croyais. Je me transformais pour transformer le monde».
Je crois que ces témoignages, aussi bien de médecins que d’anciens adeptes de sectes, nous rendent bien compte de ce qui est parfois l’authenticité, à la fois le trouble produit par ce que j’évoquais pour vous de cette économie particulière induite, que par le jugement apporté sur ses conséquences. La question à laquelle nous avons ce soir à très brièvement répondre, dont nous avons à esquisser la réponse, cette question est la suivante : à quelle demande populaire répond donc cette offre ? Parce qu’il est évident qu’il n’y aurait pas de secte s’il n’y avait une demande et qu’est-ce que ces sectes offrent pour répondre à cette demande.
La réponse que je vais vous proposer, qui est ma thèse, est ce qui justement permet de distinguer secte et religion. Car il ne s’agit pas simplement d’un besoin spirituel auquel répondraient des officines qui auraient étudié le marketing de cette question comme il convient, c’est tout à fait le sentiment que l’on a quand on s’intéresse à la Scientologie et à l’inventeur génial de cette affaire, Lafayette von Hubard. Lisez ses bouquins, vous les trouvez pour pas très cher, … L’électropsychomètre est un peu plus cher, c’est un appareil qui permet de mesurer, je ne sais pas quoi, un potentiel évocateur du fait que vous êtes sur la question. Alors l’aiguille se déplace…, l’électropsychomètre coûte plus cher, mais le bouquin, vous pouvez vous l’offrir bon marché, et sa lecture est tout à fait instructive car cet homme a parfaitement flairé, pigé de quelle façon on pouvait faire de la religion un business contemporain particulièrement rentable et que le degré de crédulité de nos contemporains, à notre époque de formation rigoureuse et scientifique, ce degré de crédulité était immense.
Mais je reviens à ma question. Qu’offrent les sectes à cette demande populaire ? Elles offrent ce que nos démocraties et nos organisations politiques ont souvent perdu ou dont elles ont la nostalgie, elles offrent un maître. Voilà ce qu’elles offrent. Un patron. Un maître. C’est-à-dire, un guide. Vous pouvez le traduire en allemand si vous voulez… Il vous soulage du doute, du choix, de la responsabilité. Il vous soulage de l’existence. Vous avez simplement à suivre, à obéir. Ce qui n’est pas du tout identifiable à ce qu’est une religion. Les religions qui sont issues du monothéisme, sont organisées autour d’un figure paternelle qui donc d’emblée accorde la rémission des péchés, d’emblée sait que vous serez en infraction avec la loi, et d’emblée reconnaît en vous cette division qui est propre à tout croyant, à tout fidèle aussi pur puisse-t-il se vouloir, se chercher ; cette religion est évidemment une religion d’amour.
Ici ce n’est pas forcément le cas. Ce qui importe, je dis bien, c’est le commandement. Et si vous vous amusez à aller voir la diversité des programmes offerts par les diverses sectes, parce que c’est un éventail, c’est un panorama, c’est un fourre-tout, assez miraculeux, assez merveilleux, assez incroyable, comme je vous le disais tout à l’heure… on n’a aucun souci, plus c’est invraisemblable, plus c’est cocasse mieux c’est. Le seul trait commun entre des programmes aussi différents c’est le caractère impérieux, impératif, obligatoire, sans manquement possible, sans aucune rémission de faute de ce qui est, à l’intérieur de ces groupes, prescrit. Et c’est sûrement de la part des observateurs extérieurs, ce qui fait leur retrait, leur surprise quand ils apprennent par un échappé ce qui se passe à l’intérieur, le sentiment effectivement de se trouver devant un système de type totalitaire, de telle sorte que s’il devait y avoir quelque assimilation avec la religion on pourrait dire que les sectes réalisent la religion « plus », il y a un bonus qui fait toute la différence.
On remarquera aussi que le type d’organisation donne en outre ce sentiment très agréable, très recherché aujourd’hui, qui figure très volontiers parmi les exigences contemporaines, qu’est le sentiment de proximité. Cela n’a plus seulement le caractère universel ou à prétention universelle des religions que nous savons, mais un côté local, je dirais presque régionaliste, en tout cas un mode d’organisation de proximité qui intervient au titre de facteur d’agrément.
Du point de vue psychopathologique il est intéressant de retenir que ce dispositif met, peut mettre les adeptes dans une situation de dépendance, parfaitement égale à la relation de dépendance à l’endroit des produits, des drogues diverses. La dépendance n’est pas à prendre là seulement comme une métaphore. Je veux dire que les adeptes peuvent se trouver en état de manque dès lors qu’ils sont extraits de cette communauté, le ressentir avec une extrême violence, un grand désarroi psychique, de l’angoisse, un sentiment de désorganisation. Autrement dit, ces sectes, n’est-ce pas, font des accros. Et la difficulté bien entendu du législateur est d’avoir affaire à un public qui est non seulement consentant mais qui en redemande. Comment donc intervenir s’il n’y a de plainte que latérale, que marginale, qu’accidentelle comme lorsque par exemple une famille vient se plaindre que son enfant lui ait été ainsi soustrait ; mais si le gosse est majeur, comment aller contre ce qui sera la parfaite adhésion dont il fera état. Alors, nous pouvons tenir cet étrange appétit pour un maître comme éventuellement une réponse évidemment au type d’athéisme induit par la science et vous savez la surprise des observateurs de constater qu’il y a souvent des scientifiques de bon niveau qui font partie de ces mouvements.
Nous pouvons évidemment, c’est facile, invoquer le fait que les migrations, la mondialisation, etc. entraînent à s’écarter, à s’éloigner de ce que l’on appelle les racines, propres à chacun, et puis aussi bien sûr le fait que nous n’avons plus guère dans notre éducation de projets existentiels. Comme le disait tout à l’heure ce médecin, quand il y a des motivations, ne serait-ce que pour la culture de la betterave, on se mobilise, on se sent mieux on oublie les rhumatismes, le mal de tête, etc.
J’évoquais tout à l’heure, la lecture des textes de l’Eglise de la Scientologie qui montre une organisation secrète, en un réseau souterrain souvent assez remarquable. Je ne sais pas si vous avez suivi ces péripéties dans la presse mais les dossiers de l’Eglise de la Scientologie qui était instruits par une juridiction provinciale ne cessent pas de disparaître, on va les chercher, ils ne sont plus là. Et puis, son organisation comme un véritable commerce, on y vend une marchandise que manifestement un tas de gens apprécie. Ils en veulent.
Avec l’Eglise Universelle de Royaume de Dieu, il risquerait de paraître surprenant de constater que les pauvres et les miséreux qui constituent quand même au Brésil une fraction importante sinon majeure des troupes de cette église, et dont on aurait pu spontanément croire que ces pauvres avaient besoin de subside, de subventions, des bons alimentaires, — les évêques de cette église l’ont parfaitement compris —, ce dont ils avaient besoin en réalité c’était de payer, eux qui n’ont pas un sou, ce dont ils avaient besoin c’était de se sacrifier de payer et d’acheter leur salut futur. Certains d’entre vous ont pu voir le film montrant la façon dont ce public miséreux s’empresse de venir donner son salaire, le maximum du salaire aux évêques qui sont là, à recueillir ces dons ; c’est une opération qui par elle-même est à la fois scandaleuse et émouvante. En même temps, elle a le dur mérite de nous rappeler certains traits majeurs de notre psychologie puisqu’il est limpide, clair que ces organisations sectaires sont des organisations maffieuses dont les victimes sont consentantes, dont les victimes ne sont pas contraintes ; au point qu’il n’est pas excessif ni absurde si l’on consent de l’envisager comme tel, de noter ce goût pour ce qu’il faut bien appeler des micro fascismes, c’est-à-dire des organisations en faisceau d’un groupe, fondées sur le principe d’un sacrifice commun à accorder, à payer, sacrifice qui concerne non seulement ses propres biens, non seulement son organisation familiale, mais comme vous le savez, qui peut aller jusqu’à celui de sa propre vie sans problème majeur comme cela a été illustré à quelques reprises. Ce qui différencie donc radicalement les sectes des religions c’est qu’en aucun cas il ne s’agit pour elles d’un père qui aime ses créatures, mais il s’agit d’un maître à qui il faut donner et pour lequel il faut être prêt à mourir.
Ces remarques que je vous ai proposées introduisent un type de séparation, de distinction qui pourrait éventuellement servir pour distinguer les deux phénomènes et ne pas fonctionner sur une espèce d’équivoque, et sur ce qui serait après tout la liberté de croyance, la liberté de culte, le fait que la religion serait, relèverait de la sphère privée de chacun. Est-on en droit, est-ce que l’Etat républicain est en droit d’intervenir sur de telles organisations, contre de telles organisations ? Je crois que cela dépendra justement des conceptions théoriques qu’il sera amené à s’en faire et du même coup de l’argumentation qu’il pourra se donner pour agir. Mais je crois pour ma part que ce type d’entreprise, comme celle que j’évoquais entre autres en dernier mais il n’y a pas qu’elle, la secte Moon, les sectes dérivées du bouddhisme, les sectes japonaises qui sont particulièrement autoritaires… Je crois que nous ne pouvons rester insensibles, et je dirais au nom de la liberté de croyance et d’opinion, laisser tout ceci comme marqué du signe de la libre entreprise. Je crois que nous avons à être un peu plus présents, et un peu plus actifs pour nous donner les moyens conceptuels de nous y opposer.
Voilà ces quelques remarques. Merci pour votre attention.