Lecture de la note sur l’enfant de Lacan à Jenny Aubry
2016

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LERUDE Martine
Textes

 

Martine Lerude

Remarquons d’emblée que ce texte très court allie condensation extrême et simplicité apparente. Les termes de « fonction » et de « reste » y sont essentiels et constituent les lignes de force de cette note.
 Je vais donc alterner lecture et commentaires en m’attardant sur certains points et en en laissant filer d’autres : lecture donc tout à fait partiale et limitée.

La fonction de résidu que soutient et maintient la famille conjugalemet en valeur l’irréductible d’une transmission — qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satisfactions des besoins —mais qui est (cette transmission) d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme.

La famille conjugale, dans sa structure minimale (i.e. le conjugo +1), serait le résidu, ce qui reste des utopies communautaires, alors qu’on aurait tendance à penser qu’elle est le résidu des grandes transformations sociales, le l’industrialisation et des grandes migrations vers les villes ; de quelles utopies communautaires s’agit-il ? (l’ exposé Annie Tardits y répond en partie) ; aussi minimale soit elle, la famille conjugale garde une fonction de transmission irréductible qui n’est pas seulement celle de l’espèce, de la physiologie mais d’une constitution subjective qui est étayée sur un désir. Ce « un » désir, indique d’abord que ce n’est pas le désir : ce n’est pas le désir d’enfant ou le désir de tel ou tel mais le « un » désir singulier, minimal et nécessaire pour s’inscrire comme vivant et désirant, et cela aussi bien dans la communauté réduite de la famille, que dans la communauté large C’est « un désir qui n’est pas anonyme » car, c’est notre interprétation, il est porteur de nomination, c’est à dire qu’il a le pouvoir de nommer : dans la chaîne des générations (tu es mon fils, ma fille ou mon petit fils) ou dans la configuration familiale (tu es l’aîné, l’unique etc.) et de donner un nom (le p’tit nom de baptême), nom qui signe l’entrée du sujet dans l’humanisation et qui inscrit les éléments minimaux, les coordonnées d’une détermination première. En retour l’enfant pourra aussi nommer : en effet, ce un désir qui n’est pas anonyme s’origine de ceux que l’enfant pourra nommer à son tour. Ce qui est transmis c’est, dit Lacan, une constitution subjective : Est-ce par souci de simplification ou de clarté que Lacan évite le mot structure ? Ou parce que
« structure » lui parait trop galvaudé et qu’il ne souhaite pas être rangé du côté des
 structuralistes ? Cette constitution subjective, nous l’entendons comme la trame subjective qui est déterminée, fixée, inscrite, par le fait d’être nouée à un désir qui n’est pas forcément celui de la mère ou du père, mais celui de quelque un qui nomme et qui sera nommé en retour : c’est la condition minimale pour qu’il y ait du sujet possible. Qu’il soit en relation avec un désir qui nomme (plus tard Lacan parlera d’un dire qui nomme), voilà ce qui détermine la possibilité de transmission. Cette formule un désir qui ne soit pas anonyme est remarquable : d’une concision inouïe, elle nous sort de l’imaginaire remâché du désir de la mère et du père : ce un désir est dépersonnalisé, détaché de la fonction père ou mère : il n’est pas porté par une fonction mais par un nom. C’est une nécessité, dit Lacan.

C’est d’après une telle nécessité que se jugent les fonctions du père et de la mère…

Les fonctions du père et de la mère ne relèvent pas d’un instinct ou d’une physiologie (la pré maturation du petit homme) ou encore de l’amour mais d’une nécessité logique : c’est ce au moins un désir qui ne soit pas anonyme qui met en place la condition de la vie subjective.
Fonction de la mère en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fut-il par la voie de ses propres manques.

Fonction du père en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la loi dans le désir.

Le terme de fonction est primordial : Lacan a parlé 2 lignes plus haut de la fonction de résidu, maintenant il s’agit de la fonction de la mère, de la fonction du père, et plus loin il parlera de la fonction de l’enfant.
D’introduire ce terme de fonction : cela lui permet de désincarner la famille, de la désexualiser, de la désaffecter ; autrement dit de se débarrasser des histoires de (famille) car il n’y a plus dès lors d’historiette, plus d’Œdipe. Père et mère sont dorénavant des fonctions qui inscrivent, sans affect ni drame, des relations et des transformations qui engagent la condition minimale d’humanisation pour parler comme Lebrun.

Le terme de fonction, pris au sens mathématique (ce n’est pas son seul sens mais ça en est un aussi pour Lacan, cf. ses développements autour de la fonction phallique), indique une opération et le rapport qui relie 2 termes : celui du départ et celui d’arrivée après passage par cette opération.
En mathématique par exemple, si j’écris la fonction y = sin x c’est l’opération sinus qui transforme la variable x et qui produit le résultat y. Ici c’est la fonction père ou la fonction mère qui produisent quoi ? Un père ? Une mère ? Un enfant ? En tous cas, pas un homme ou une femme qui se débrouillent comme il peuvent : non ! Parler de la fonction mère ou père, indique une opération implicite déterminée reproductible (quasi mathématique) qui se distingue aussi bien de l’instinct que de l’amour mais qui se réfère à notre ordre social et culturel. Cet usage du mot fonction ne peut être réduit ni au seul versus mathématique ni au versus métaphorique : je le lis comme tentative de désentification et désimaginarisation du papa et de la maman (ainsi que s’expriment aujourd’hui nombre de travailleurs sociaux). En effet, quand je parle de fonction de la mère ou du père, il n’y a plus l’être sacré de la mère ou la stature de commandeur du père : il n’y a plus la mère, le père, êtres de chair (avec leurs défauts et leurs embarras et leurs qualités intrinsèques) mais 2 fonctions parfaitement différenciées : 2 fonctions donc, qu’il n’y aurait aucun mal à numéroter et à nommer fonction 1 et fonction 2. Mais alors, à quelles conditions un parlêtre (un x) peut-il soutenir l’une ou l’autre de ces deux fonctions voire les deux ? Un pas de plus : Peut-on dire que n’importe quel x, (i.e. n’importe quel parlêtre quel que soit son sexe anatomique), pourrait soutenir soit la fonction de la mère (qui s’étaye sur les soins donnés et qui renvoie à son manque), soit la fonction père (qui s’étaye sur le nom, le nom du père) ? Les fonctions seraient elles a sexuées anonymes ? C’est à dire ne relevant pas du rapport à la jouissance (en tant que c’est le mode de jouissance qui détermine la position homme ou femme et qui les nomme) mais déterminées par l’objet a ?

Quel est le rapport entre ces 2 fonctions ? Il n’y a pas de rapport entre 2 fonctions sauf à en écrire une troisième ? La fonction enfant ? Le glissement est facile qui permet, avec ces termes, F1 et F2, de lire par exemple, que Lacan était en avance sur son temps et qu’il donnait déjà , à son insu, les formules de la parentalité ; mais une parentalité fondée sur la dissymétrie des fonctions qui n’est pas liée à l’anatomie : d’un côté c’est le manque qui est déterminant, de l’autre le nom ; Rien n’indique là qu’il y aurait un homme et une femme et du sexuel pour faire lien — au sens où c’est l’impossible du rapport sexuel qui fait lien — sauf à identifier le manque au réel de la privation féminine, et le nom à la loi symbolique qui organise la position masculine. Lacan, remarquons-le, comme dans les premières lignes du texte sur les complexes familiaux d’ailleurs, met beaucoup de soin à ne pas employer les signifiants hommes et femmes, il parlait alors « d’adultes générateurs ». C’est une lecture possible !

Le symptôme de l’enfant se trouve en place de répondre à ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale. Le symptôme se définit dans ce contexte comme représentant de la vérité. Le symptôme peut représenter la vérité du couple familial. C’est là le cas le plus complexe mais aussi le plus ouvert à nos interventions.

Soulignons l’insistance de Lacan sur la représentation.
Donc dans cette configuration, le symptôme de l’enfant est une réponse à ce qui ne marche pas dans la structure familiale. Pourquoi structure familiale ? Parce qu’elle ne peut pas être assimilée référée au seuls 2 parents : elle est familiale car elle implique justement chacun dans son rapport à ses ancêtres, à sa lignée, à ceux qui constituent sa famille, aux alliances; elle implique aussi la fratrie : structure familiale qui peut être riche et complexe ou au contraire réduite à un résidu (la fameuse famille monoparentale). C’est pourquoi Lacan trouve plus loin cette expression couple familial, expression curieuse mais qui indique bien que si l’on ne peut pas réduire la famille au couple, le couple est familial parce qu’il renvoie chacun à sa propre famille (on pourrait aussi entendre par ce qu’il produit de la famille). Si le symptôme de l’enfant peut représenter la vérité du couple familial, la vérité de ce qui ne marche pas dans ce couple et ou dans cette famille, on y reconnaît ce débat ancien : mais à qui appartient le symptôme ? Qui faut-il traiter, l’enfant ? Les parents ? La famille ? Les analystes d’enfant connaissent bien ces surprises qui enchantent la pratique avec les enfants ( les petits miracles dont parle Marika Bergès) : un symptôme massif est mis en avant, on écoute les parents, l’enfant et l’on souligne un mot, une phrase, l’on pose une question qui reprend une parole dite et la fluidité de la chaine signifiante se rétablit ; des substitutions deviennent soudain possible et l’on apprend après quelques séances que le symptôme s’est envolé : c’est le symptôme versus signifiant, celui qui est du registre essentiellement métaphorique et l’analyste permet de rétablir la dynamique métaphorique qui s’était figée dans une manifestation symptomatique. Quant à la vérité que dénonçait ce symptôme, elle n’était qu’une partie de la vérité, c’est pourquoi elle peut être dite autrement tout en conservant l’énigme qui en constitue le ressort. Certes, le plus souvent on ne sait pas vraiment quel fut le signifiant remobilisé : bien que plus complexes, ces cas répondent la clinique de l’hypothèse chère à Jean Bergès. En effet, La substitution signifiante permet de faire des hypothèses et il ne s’agit plus de la vérité.

On est, dans ce cas, dans le champ de la représentation Vorstlellung et de la substitution métaphorique. Pourtant ce symptôme, symptomatique de la structure familiale, est aussi, comme le dit Lacan dans La troisième « symptomatique du réel » : et si le symptôme de l’enfant est symptomatique du réel du couple parental, de la vérité impossible à dire toute, ce n’est qu’une modalité de symptôme et pas pour autant le symptôme au sens analytique — c’est à dire articulé au Refoulement originaire, organisateur de la structure, résultat d’un compromis — bien qu’il puisse aussi le devenir, en constituer le frayage. Ce type de symptôme a force de lien dans la configuration familiale et ses modalités sont extrêmement variées.

En revanche, les choses ne sont pas forcément aussi simples quand la réalité des faits impose à l’enfant de tenir une position de déni pour survivre psychiquement : J’évoque ici ces constitutions subjectives mises en lumière par certaines gardes alternées : quand, par exemple le symptôme permet à l’enfant de réunir ses parents, de les voir ensemble, et de dénier leur séparation : « je sais bien que mon père est remarié mais est-ce que ça empêche qu’il revienne avec ma mère? » demande Jo dont l’énurésie inonde les séjours chez son père puis s’étend secondairement à ceux chez sa mère, réunissant ses 2 parents dans un même souci. A l’inverse, le symptôme est parfois une réponse à la non séparation de fait des parents, lorsqu’ils prétendent être séparés et que toutes leurs actions contredisent cette affirmation : et le symptôme de l’enfant dit alors la vérité de cette séparation qui n’en est pas une et il vient alors protéger et soutenir ce qui relève pour ses parents de l’impossible et du même coup le légitimer.

Si l’on admet qu’aujourd’hui, père et mère, parent 1 et parent 2 ont chacun à accomplir en leur nom, une fonction parentale indéterminée quant au genre, dont on aurait effacé les nominations mère et père, ce n’est pas pour autant qu’ils (le parent 1 et le parent 2) sont, en tant que sujets, les mêmes et substituables : et la question de la médiation, du lien de l’un à l’Autre se pose tout autant.

Comment chacun peut-il se laisser entamer par l’autre dans son rapport à l’enfant ?

En effet si l’on admet que la tendance actuelle consiste à privilégier une seule fonction : la fonction parentale (l’usage linguistique généralisé de ce terme y engage), chaque parent en l’occupant peut refuser ou récuser la médiation de l’autre (tout en se plaignant que l’autre ne tienne ni sa place ni son rôle).

C’est comme si chaque parent, pour remplir au mieux cette fonction parentale sexuellement déspécifiée , voulait son enfant bien à lui, je dirai même comme si chacun voulait son enfant en prise directe sur son propre fantasme, sur son propre désir et être le Autre unique de référence. Là encore la garde alternée nous enseigne : Jules est encoprétique avec sa mère, pas avec son père : et il me dit très vite que son père a raison (?) alors que sa mère exhibe une féminité provocante (un string dont l’attache dépasse de son jean). Laura, 8 ans, exagère la perfection en traitant chaque parent avec un grand souci de justice : 1 dessin pour chacun au contenu différent et spécifique, une adresse particulière en offrant toujours un visage joyeux et adapté à ce qui plait : c’est la fille parfaite, qui comble chacun selon son vœu. Par contre ses nuits sont agitées de cris, d’angoisse, d’insomnie : il y la fille du jour et la fille de la nuit ; celle du jour viendra dire à l’analyste sa colère et son chagrin interdit.

L’articulation se réduit de beaucoup quand le symptôme qui vient à dominer ressortit à la subjectivité de la mère.

Il ne s’agit plus là de la fonction mère mais de la mère en tant que sujet, sujet de l’inconscient. La mère en tant que S (barré) ou A (barré), autrement dit à la mère en tant que sujet désirant.

Ici c’est directement comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé. La distance entre l’identification et la part prise du désir de la mère, si elle n’a pas de médiation (celle qu’assure normalement la fonction du père) laisse l’enfant ouvert à toutes les prises fantasmatiques. Il devient « l’objet »de la mère et n’a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet. L’enfant réalise la présence de ce que Lacan désigne comme objet a dans le fantasme. Nous y voilà !

Il s’agit là d’un autre type de symptôme en prise directe sur la subjectivité de la mère (i.e. cette femme-là qui est la mère de cet enfant là), c’est à dire en prise directe sur son fantasme. Faute de médiation, (celle assurée par la fonction père ou d’un autre type de médiation d’ailleurs) le symptôme de l’enfant va dépendre de la distance entre l’identification à l’idéal du moi (le sien ? celui de la mère ?) et la part prise par le désir de la mère à cette identification. Cette distance est normalement réglée par la médiation du père : autrement dit l’enfant ne reste pas identifié au phallus maternel (qu’il incarne, dans le meilleur des cas, pendant un temps nécessaire), il en est déplacé par la castration dont l’agent est le père. Mais si cette médiation par le père (ou d’une autre façon) n’a pas lieu, il n’y a plus de d’écart et l’enfant est ouvert à toutes les prises fantasmatiques, c’est à dire qu’il peut parcourir tous les développements fantasmatiques de la mère, sans que rien ne puisse le déplacer, qu’il soit son phallus merveilleux ou son objet de dédain, ou les deux dans un renversement permanent.

C’est le symptôme versus réel : L’enfant réalise dit Lacan, c’est à dire qu’il rend réel l’objet a du fantasme maternel : ce n’est plus de l’ordre de la représentation : c’est une présentation, Darstellung de l’objet : objet qui peut aussi bien être idéalisé que ravalé au déchet. : entre idéal et déchet, il peut parcourir toutes les transformations fantasmatiques issues du fantasme maternel : principalement quand il n’y a pas de médiation capable de barrer de limiter la mère, soit le Nom du Père.

Le terme médiation — que Lacan emploie pour nous rappeler qu’elle est assurée par la fonction père, et que c’est le Nom du Père qui la garantit — ce terme m’a beaucoup intéressé car on y retrouve le moyen, le rond moyen dont parle Lacan dans le séminaire les Non-dupes-errent.

Il (l’enfant) sature en se substituant à cet objet le mode de manque (frustration, castration, privation) où se spécifie le désir de la mère, quelle qu’en soit la structure spéciale.Il aliène en lui tout accès possible de la mère à sa propre vérité, en lui donnant corps, existence, et même exigence d’être protégé.

Le symptôme somatique donne le maximum de garantie à cette méconnaissance ; il est la ressource intarissable selon les cas à témoigner de la culpabilité, à servir de fétiche, à incarner un primordial refus.

Ce point est passionnant : si le symptôme de l’enfant vient présentifier l’objet du fantasme de la mère, le réaliser : la conséquence en est qu’il sature le manque de la mère et du même coup lui donne corps existence. Elle n’est plus « barrée » mais « toute » : elle incarne un Autre sans faille, complet (souvenez-vous des formules de la sexuation : Lacan écrit a juste en dessous de S(A) barré, a est prêt à venir boucher la faille de l’Autre et lui assurer sa complétude). Dans cette configuration, c’est la mère qui est aliénée à son enfant : les symptômes dits psychosomatiques de l’enfant viennent ici résonner : par exemple, l’asthme de l’enfant qui tient la mère en hyper vigilance sur sa respiration lors des crises, et qui organise tout un lien quotidien corps à corps ; l’eczéma, l’anorexie aussi. Ces symptômes réalisent une intrication des corps dont la séparation est difficile car il y a une Jouissance immense dans cet « à la vie/à la mort », une Jouis sens du sens qu’il (l’enfant) a pour elle : l’enfant portant, pour sa mère, et donnant à celle-ci, le sens de sa vie. Ce type de rapport d’intrication duelle est aussi dangereux pour l’un que pour l’autre puisque l’enfant met par son symptôme, réellement sa vie en jeu : il donne à sa mère l’objet même de son existence qui apparaît dans le réel, lui posant la question violente : « peux-tu me perdre ? » . Une telle relation duelle dévorante se renforce du risque dépressif majeur pour la mère, risque de « chute » lorsque son fantasme n’est plus soutenu par le réel du symptôme de l’enfant. La fonction père peut-elle encore opérer dans un temps second ? Ce n’est pas seulement une problématique de séparation mère enfant mais surtout une question vitale de symbolisation pour la mère et pour l’enfant : comment une femme peut -elle tenir comme “pas toute ” sans se soutenir de son enfant comme objet a ?

Quelles en sont les conditions subjectives minimales (retour aux formules de la sexuation) ? Une version possible (ce n’est pas la seule) serait, par exemple, qu’elle rencontre un homme qui non seulement la désire mais la valide phalliquement en la reconnaissant comme sa femme. Lacan ira plus loin dans RSI en précisant que la fonction père est-elle même symptôme (à commenter). Et l’enfant comment peut-il se soustraire à cette place élue ? Peut-être pouvons-nous évoquer à ce point l’importance de la création, pour s’extraire de cette place du manque : créer l’objet au lieu de s’identifier à l’objet (cf. Romain Gary La promesse de l’aube).

Pourquoi dans certains cas n’y a-t-il pas de médiation ? Autrement dit de limite ou de tenant lieu de limite à cette intrication de l’un à l’Autre ? Qu’une mère soit avec seule avec son enfant et que le père soit absent, n’inscrit pas nécessairement l’enfant à cette place. Les filles mères d’autrefois pouvaient avoir une médiation, celle, classique, de leur père par exemple (et l’enfant imaginairement « œdipien » engage une autre problématique).

Dans la leçon du 19 mars 1974, Lacan se demande comment se monnaie le Nom du Père : ce nom qui est le plus souvent refoulé, il ne suffit pas pour porter ce nom que celle de qui s’incarne l’Autre, de qui l’Autre s’incarne, que la mère par qui la parole se transmet, parle. La mère il faut bien le dire, en est réduite ce nom à le traduire par un non. » Au séminaire d’été Anne Joos s’est attardée sur ce mot réduite et son insistance m’a intéressée : si la mère est réduite à faire passer le nom par un non, celui de l’interdiction, c’est ainsi dit Lacan, que le nom du père se monnaye dans un dire dans sa voix, dans le dire non d’un certain nombre d’interdictions (avant cela Lacan parlait de la parole du père dans le discours de la mère). Mais Lacan écrit les Noms du Père pluriel. Est ce qu’il ne faudrait pas entendre ce pluriel comme l’expression d’une fonction (la fonction Nom du Père) dont le nom serait une version ? Fonction de médiation justement qui aurait le pouvoir de réduire la mère, de l’entamer, de faire qu’elle soit « pas toute » et qu’elle ne reste pas fixée dans l’illusion du « Un » de la fusion avec son produit ? D’ailleurs dans la triade mère enfant phallus (développée par Lacan dans le Séminaire La relation d’objet), le phallus n’a-t-il pas ce rôle de médiation, d’ouverture de la dyade mère/enfant si fameuse ? Est-ce que d’autres versions du Nom du Père n’auraient pas, elles aussi, le pouvoir d’entame, de réduction de la mère ? Par exemple son travail intellectuel, ses engagements ou une passion qui la conduirait à « aimer ailleurs » aussi ?
Et si la configuration mère seule avec un enfant unique prédispose à cette absence de médiation, ce n’est en rien suffisant. Dorénavant, et cela constitue notre clinique d’aujourd’hui, les pères peuvent s’emparer de leur enfant de la même manière que les femmes autrefois, sans médiation par un autre ou si peu : si bien qu’un enfant unique de parents séparés peut se retrouver en prise directe sur le désir inconscient de l’un ou (ou non exclusif) de l’autre, sur le manque de l’un ou sur le manque de l’autre. Ce ne sont ni les mêmes inconscients, ni les mêmes désirs, ni les mêmes catégories du manque mais l’enfant a, pour chaque « Un », une sorte d’exclusivité plus ou moins médiatisée par l’autre : il peut développer un symptôme avec l’un et pas avec l’autre ou au contraire œuvrer avec un souci de justice comme Laura. Il n’y aurait plus dans certains cas (de plus en plus fréquents dans nos consultations) 2 fonctions culturellement différenciées mais 2 sujets, 2 structures avec chacun un lien singulier avec l’enfant, chacun occupant en son nom, avec ses symptômes, la « fonction parentale ». Dès lors, l’enfant a la charge, à la fois de leur séparation, (dans la garde alternée —c’est lui qui la réalise et la répète à chaque changement de domicile—) et de leur lien car les symptômes qu’il montre les font parler ensemble, se réunir : c’est lui le gardien de la fonction parentale.
Dans ce montage « idéal », aucun des deux n’est « réduit » par l’autre ; heureusement le système connaît des ratées et dans les meilleurs cas, la vie sexuelle amoureuse de chacun peut rompre cette pente au redoublement de la fonction parentale dans l’exacerbation de la subjectivité de chacun.
Il en résulte qu’à mesure de ce qu’il présente de réel, il est offert à un plus grand subornement dans le fantasme.

Plus son symptôme est du réel (non métaphorisable), plus il relève de la présentation (Darstellung), plus il échappe au langage, à une réduction par le symbolique (il perd les propriétés du signifiant). Il (le symptôme) se fige et devient inaccessible, donc d’autant plus subordonné au fantasme maternel ou paternel, autrement dit au fantasme de l’Autre dominant, référent. Et sans qu’il s’agisse de psychose, il est des intrications dramatiques (je pense à des relations mère/fille restées intouchables malgré une analyse qui semblait bien menée) dont cette hypothèse de subornement dans le fantasme offre une piste de compréhension à la fixité irréductible du symptôme.

Pour conclure : La fonction de la mère ou la fonction du père était en soi une limite à la subjectivité : elle ordonnait un cadre, posait des indications, recelait des arguments sur ce qu’il convient de faire en tant que mère ou en tant que père : y consentir supposait une restriction de jouissance (vis à vis de son produit). Est-ce qu’on peut se passer de la fonction ? Et s’il n’y en a plus qu’une seule « la fonction parentale » cela n’implique pas pour autant que cette fonction unique conduise à la « mêmeté » ou à la symétrie des 2 parents.

Mon hypothèse, à partir de cette note de Lacan, est la suivante : s’il n’y a qu’une fonction, la fonction parentale, chacun vient l’occuper avec sa propre subjectivité, sans le soulagement que procurent les références culturelle et langagière qui renvoient aux générations passées et que la fonction père et la fonction mère représentaient. En même temps, l’impératif généralisé du bien de l’enfant, de l’amour, rend le savoir inconscient de chacun parfaitement inadéquat : sur quel savoir alors prendre appui ? Le désarroi des jeunes parents se traduit, on le sait, par une recherche sans fin de « connaissances ». Et l’appel à des savoirs constitués et contradictoires, démultipliés grâce à internet, vient en quelque sorte se substituer à ce que cadraient la fonction de la mère et la fonction du père. Ces fonctions validées socialement culturellement permettaient au sujet de ne pas y être « tout entier » et de s’en décaler plus ou moins ; ce décalage pouvait constituer le lieu de leur subjectivité sans pour autant mettre celle-ci entièrement au service de leur enfant. La « fonction parentale » contraint à l’individualisme, à la subjectivité (qui devrait être bienfaisante puisqu’il s’agit d’enfant !) : à chacun sa subjectivité, à chacun son fantasme et son rapport singulier à l’enfant alors qu’on pouvait penser apriori que c’est « le pareil au même » qui ressortirait de cette nomination unique, fonction parentale.

Qui peut alors s’autoriser à la médiation de cet accrochage direct de l’enfant au fantasme d’un parent ? Quel homme ou quelle femme peut consentir à une limitation instaurée par l’autre ?

Je pense à un patient venu très angoissé par des pensées sexuelles concernant sa petite fille de 3 ans : Le fil associatif l’a conduit à la naissance de sa petite sœur et aux pensées de meurtre dont il avait un souvenir très net et à l’angoisse de l’abandon : convoqué à l’exercice la fonction parentale, il ne pouvait ni s’en remettre à sa femme (injonction de s’occuper seul de sa fille) ni à son savoir inconscient destructeur : il ne lui restait que le dernier interdit concernant la sexualité. Tout cela n’était qu’un écran, ce qui apparut très vite.