SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 13
2022

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MASSAT Alice
Séminaire d'été

L’Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d’Été 2022 – Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L’Angoisse

Mardi 1er février 2022

Président de séance : Julien Maucade
Leçon 13 présentée par Alice Massat

TEXTE

Cette leçon commence avec la notion « d’approche ». Elle se conclut sur celle de « caducité ». Étymologiquement, c’est le fait de choir. L’objet caduc, objet qui choit, est mis en lien dans cette conclusion avec la fonction de la castration. 

Pour cette leçon XIII, nous en sommes au milieu de ce séminaire sur l’angoisse, et Lacan s’intéresse de plus en plus précisément au passage, au frayage au-delà de l’impasse freudienne, au-delà du penisneid et du roc de la castration. C’est dans cette leçon que se trouve la fameuse formule qui dit que : « L’angoisse n’est pas sans objet ».

Ce « pas sans », nous pouvons aussi l’entendre comme un caractère possible de ce mystérieux objet, celui de l’angoisse, pour y voir un objet passant et frayant par son passage un au-delà de la castration. L’objet démarque alors, par le tracé de ce passage, une distinction entre jouissance et désir. Car Lacan est en train de préciser la situation de l’angoisse, qu’il va qualifier, dès les leçons suivantes, de béance entre jouissance et désir. Cette distinction essentielle entre jouissance et désir va s’inscrire après bien d’autres séparations, coupures, disjonctions, divisions, dont la barre, celle de l’opération, écrit le réel dont l’angoisse est le signal. 

Pour éviter les confusions, entre autres divisions, nous trouvons donc la distinction entre le (-phi) et le petit a, bien sûr, une distinction qui n’a pas toujours été évidente au début du séminaire mais qui s’est établie. Et cette distinction entre le (-phi) et le petit a va être ici mise en lien, conjuguée, par ce rapport de caducité. D’autres distinctions sont faites encore entre la peur et l’angoisse, entre l’objet de la peur et l’objet de l’angoisse, entre le danger extérieur et le danger interne, le danger inconnu et celui qui est su, et entre autres encore : c’est-à-dire entre le grand A et le grand A barré. 

La division s’écrit page 258, nous l’avons déjà vue, mais elle se complète ici : grand A non barré mais divisé – par grand S non barré :

Dans le grand Autre, combien de fois S ? questionne Lacan. Et de la prise en compte de la répétition de la demande du sujet s’inscrit l’embarras du A : grand A barré. De cet embarras choit un reste : petit a, un reste irréductible : « un réel irréductible du sujet » dit Lacan. Des trois étages de cette division se situent alors comme nous le voyons : X, angoisse et désir. 

Après ce que je viens de dire nous pouvons supposer à quoi correspond l’inconnue X, mais pour sa démonstration ici, Lacan la laisse masquée, occultée, inconnue. Cette X ne pourra être nommée que rétroactivement, selon l’abord, l’approche, qui sera faite de l’Autre.

C’est-à-dire que ce « réel irréductible du sujet », irréductible, donc non divisible, (petit a) vient passer depuis le côté de l’Autre (à gauche de la division) vers le côté du sujet (à droite). Il se met en rapport avec grand S non barré, pour un rapport subjectivé, qui embarrasse le S (c’est le niveau de l’angoisse) et qui le barre, et l’inscrit S barré : le sujet du désir :

Le (petit a) est donc passé devant. Il a franchi la barre de la division pour se trouver du côté du sujet et pour « boucler l’opération » comme le répète Lacan. Ce (petit a) venu en avant, résonne avec la formule de Freud : l’angoisse est angoisse devant quelque chose (« Angst ist Angst vor etwas »). L’angoisse n’est donc pas sans objet. Elle n’est pas Objektloss. Car ce devant, ce « vor » implique bien alors un etwas, un quelque chose, un objet, dont c’est effectivement l’étymologie littérale ob-jectum, d’être placé devant.

C’est en creusant la question de ce passage au-devant – tandis qu’il est plutôt démontré durant la première partie du séminaire que l’objet, comme cause du désir « promouvant le désir » se situe en arrière du désir, mais le voilà, avec l’angoisse, qui se signale devant – c’est donc en posant carrément la question de son passage au-devant que Lacan inscrit au tableau l’opération de cette division que nous venons de voir, et son bouclage, par l’écriture du sujet désirant, embarrassé, barré. 

De cette opération, ce passage du a au-devant, dans ce rapport subjectivé (à droite de la division), de ce franchissement, s’opère un changement de registre. Parce que ce « réel irréductible du sujet », ce caractère irréductible – réel – vient se présenter par l’image : « Cet irréductible du petit a est de l’ordre de l’image » dit Lacan page 259. « L’indicible fait surgir l’image » dit-il encore. 

Et il illustre aussitôt l’opération par le mythe : c’est la réaction d’Œdipe après avoir pris connaissance. Sa réaction au fait de savoir. Ses yeux arrachés par lui-même, tombés au sol, vont alors montrer ce que Lacan appelle la clé : « la clé du phénomène de l’angoisse ». Cette clé, c’est la menace d’un impossible. Une menace provenue d’un irréductible qui a chu, et qui vient faire passer le sujet au-devant, en position d’objet : vu.

La clé, c’est ceci, je cite, quand : « Une impossible vue vous menace de vos propres yeux par terre ». Qui voit ? Qui est vu ? Œdipe voit-il son propre aveuglement ? Devient-il voyant d’avoir perdu ses yeux ?

Nous nous souvenons de la démonstration de la leçon X sur le fait que : « dès que quelque chose vient au savoir, quelque chose est perdu du côté du corps » (page 183). Et voilà donc l’image impossible, et cependant courante, et encore plus concrètement illustrée maintenant par les deux exemples des deux martyres – témoins – Agathe et Lucie, peintes par Zurbaràn, ces jeunes femmes qui présentent des parties de leurs corps découpées, posées sur un plateau. 

Nous nous retrouvons, avec ces œuvres d’art, ces œuvres visuelles, au bon milieu de la leçon. Et j’ai cinq minutes pour conclure. Mais j’ai décidé de mettre en avant la division et le passage du (petit a) qui vient barrer le sujet, parce qu’il m’a semblé que cette opération structure l’ensemble de la leçon, qui est très riche. Mais je voudrais tout de suite marquer, pour la suite de la démonstration que s’il fallait en extraire un seul mot, je choisirais celui d’amboception (page 265), de ambo : double, et de –ception : recevoir (n’oublions pas, qu’au départ, c’est de l’Autre que le sujet reçoit son propre message sous une forme inversée).

Donc après cette affaire de division que j’ai mise en avant, la question du point de vue vient se poser, comme avec Œdipe. Point de vue : pas de vue, aveuglement ou voyance, il s’agit de marquer le fait que le passage d’une perception d’un côté ou de l’autre sera distinct et non symétrique. Distinct selon, par exemple, que le sein pompe le lait de la mère, ou qu’il est pompé par le nourrisson. On repense bien-sûr au développement syntaxique de Freud dans son article sur les pulsions et leurs retournements. Et d’ailleurs, avant de parler d’« éléments ambocepteurs », Lacan se sert d’une autre paire duelle, autre que les seins ou les yeux, autre que la voix passive ou la voix active, autre que le côté du grand Autre ou le côté du Sujet. Il se sert d’une paire, qu’on aurait tort aussi de vouloir rendre réversible ou symétrique, qui celle du masochisme et du sadisme. Il s’en sert en prenant en compte ce que révèlent leurs mécaniques. C’est-à-dire qu’il pose ce qu’elles montrent surtout de ce qu’elles occultent chacune, et de ce qui est masqué dans leur dispositif : leur point aveugle. 

Je ne détaille pas ce passage important, car il est encore développé dans la leçon suivante et je suppose que nous aurons l’occasion d’en discuter. Mais j’en relève surtout ceci (et c’était déjà amorcé dans la leçon précédente), que bien différemment de ce qui semble évident, le masochiste ne recherche pas la jouissance de l’Autre en se faisant objet, déchet, objet chu, ou déchu par exemple, mais : « La visée du masochiste est l’angoisse de l’Autre ». Cette visée est masquée, occultée. Elle lui est inconnue. 

Quant au sadique, si l’angoisse vient en avant et semble manifeste, évidente (il vise l’angoisse d’un autre, son (petit a) ; car ce que le sadique recherche en effet, c’est « le passage à l’extérieur de ce qui est le plus caché »), mais lui, le sadique masque sa propre angoisse en se faisant l’agent, l’instrument de cette opération de passage. Cela dans l’intention de réaliser la jouissance d’un grand Autre. 

Voici donc encore des distinctions-divisions, et des points aveugles, qui donnent à cette notion « d’amboception » une portée autre qu’un rapport symétrique ou biface. Car la chute intervient et donne à l’objet chu, dans sa réalité, cette part irréductible, non spéculaire, dont l’image s’empare pour s’ériger, tout en occultant ce qui la promeut. 

Les éléments organiques correspondants à ces objets caducs se présentent comme plaqués sur le corps, séparables : le placenta, l’œil, le sein. Ils supportent ici surtout la démonstration qu’une perception différente en sera faite selon leurs bords et leurs coupures. Et si leur propriété de caducité est homologue à celle du (-phi), à celle de la castration, ou plus concrètement ici, à celle de la détumescence consécutive à l’orgasme, il s’agit encore d’éviter les confusions, parce que Lacan est en train d’avancer pour conclure, ce qui va se confirmer avec la leçon suivante, que l’angoisse et l’orgasme se trouvent en un même lieu et se conjoignent. Alors : « Quels sont les versants respectifs de cette angoisse, du côté de la jouissance et du côté du désir ? », c’est la question qu’il pose pour conclure cette leçon, et qui augure la suivante.

Voilà ce qui aura marqué, à mes yeux, le trait de cette leçon. Un trait passant par ces quatre notions d’« approche », de « division », d’ « amboception » et de « caducité » pour en venir au lieu d’une conjonction entre orgasme et angoisse.