Une relation à l’autre moins barbare est-elle possible  ?
07 septembre 2017

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MELMAN Charles
Séminaire d'hiver

 

Vendredi 18 novembre 2016

Jean-Luc de Saint-Just. – Bonsoir à tous, quelques mots pour introduire ce cycle de conférences. Il faut reconnaître que notre jeune association lyonnaise, qui a à peine trois ans, ne manque pas d’ambition : celle d’inscrire notre travail dans la citée, dans la métropole, celle de notre époque, de notre temps.

Ce n’est bien entendu pas étranger avec le fait que nous sommes référés et donc portés par nos pères et nos aînés, que relevant le gant de leur filiation, de leurs défis, nous n’avons jamais considéré la psychanalyse comme un idéal hors des contingences de la vie, de l’existence, celles ordinaires de chacun avec les autres ; d’où le titre de ces journées. La pratique de la psychanalyse nous la soutenons dans la cité, dans le quotidien des questions de notre époque ; et nos enseignements issus de cette pratique participent, à leur mesure bien entendu, à animer la vie de cette métropole, dans nos cabinets, à notre local, mais aussi au cinéma, au musée, au théâtre, au Conservatoire national des Arts et Métiers Auvergne-Rhône-Alpes, dans les mairies d’arrondissement, et au sein de toutes les institutions qui nous sollicitent.

C’est parce que nous sommes engagés dans ce lien à nos semblables, que nous partageons les mêmes questions et difficultés, que nous avons créé les Études Pratiques de Psychopathologie, le séminaire sur la langue arabe, les banquets dans tout le sud-est, etc… Et, que nous ouvrons, aujourd’hui, la mise à l’étude de cette question de l’autre (qui peut s’entendre dans les deux sens). Souvent originaux dans leurs modalités, ces enseignements sont aussi inspirés par ceux qui avec un peu plus d’antécédence ont initiés ces travaux, à Paris ou ailleurs dans le monde. Je pense particulièrement aux prochaines journées à Fès au Maroc les 17, 18, 19 février 2017, ce colloque transdisciplinaire comme sera également le nôtre, a pour titre : « Les nouveaux territoires de l’identité : la fabrication du radicalisme. » Vous entendez que si dans cette actualité aussi bien locale, voire intime, qu’internationale, à Lyon nous avons fait le choix de suivre ce fil de l’autre pour tenter d’y voir un peu plus clair dans cette énigme et ce paradoxe modal, puisque l’Un et (est) l’Autre. C’est un nœud. Cette question de l’autre n’est, bien entendu, pas nouvelle et faisait déjà problème dans l’antiquité. Pas plus spécifiquement l’autre étranger d’ailleurs que l’autre semblable. L’un des paradoxes soulevé dès cette époque, et pas des moindres, c’est que ce soit dans une cité démocratique, se définissant donc comme non barbare, qu’a été condamné à mort l’un d’entre eux qui pratiquait dans la cité. Il peut y en avoir plusieurs lectures, mais quand même c’est celui qui n’avait d’autre ambition que de permettre à chacun d’accoucher de ses idées, de s’autoriser de lui-même, de s’affranchir de la doxa, de l’opinion de ce qui m’apparaît. Depuis, avons-nous progressé dans notre rapport à l’autre ? Pas sûr… Pas sûr non plus que le problème se présente tout à fait de la même façon, selon les mêmes coordonnées.

Pour autant, comme le rappelle Charles Melman dans son argument pour la conférence de ce soir, il y a manifestement des schémas connus, des logiques maintes fois vérifiées, qui semblent se reproduire encore, mais n’y a t-il pas également des pratiques nouvelles, des types d’échanges qui seraient inédits, dont nous pourrions apprendre, et au-delà des contingences singulières, envisager ou inventer d’autres possibles à écrire ? Le pire n’étant jamais certain, il n’est peut-être pas nécessaire de nous condamner à reproduire les mêmes impasses.

Gageons que cette conférence soit la pierre angulaire d’un édifice encore à bâtir. Ce qui implique pour les praticiens, que nous sommes, que ce soit une œuvre collective dans la cité. C’est pourquoi à la suite de cette conférence nous accueillerons avant nos journées de novembre 2017 : le 27 janvier, ici même, le Docteur Hiltenbrand ; le 28 mars, au CNAM ARA, Angela Jesuino, vice présidente de l’ALI ; le 9 juin, Jean-Pierre Gasnier, juriste ; en septembre 2017, le Docteur Darmon, président de l’ALI. Je vous invite à consulter le site de l’ALI Lyon pour obtenir tous les renseignements sur ces conférences, dont la liste n’est peut-être pas exhaustive, nous nous réservons le droit de vous faire des surprises, mais aussi pour consulter les textes de celles-ci.

Voilà ce que j’avais à vous dire pour situer le contexte de ce travail, et je remercie Monsieur Melman de nous faire l’honneur de participer à cette tâche collective que nous nous sommes donnés. Je passe maintenant la parole à Annie Delannoy qui va dire quelques mots pour vous présenter aux quelques uns qui n’auraient pas le plaisir de vous connaître déjà.

Annie Delannoy. – Monsieur Melman, bonsoir.

Charles Melman. – Bonsoir Annie,

A.D.  – Nous sommes très heureux de vous accueillir à Lyon, notamment pour ouvrir les débats préparatoires à ces toutes premières journées de notre jeune ALI Lyon. Vous êtes psychiatre, psychanalyste. Vous êtes fondateur de l’Association lacanienne internationale. Je crois qu’il est aussi important de préciser que vous êtes fondateur et doyen de l’École Pratique des Hautes Études en Psychopathologie. Je crois qu’il serait un peu présomptueux de vouloir résumer tout votre travail, vos travaux. Mais c’est important de dire que nous avons la chance d’avoir accès aujourd’hui à une grande partie de vos séminaires qui sont publiés chez Érès, il y en a quelques uns d’ailleurs ici, c’est précieux pour pouvoir poursuivre le travail. J’avancerai que pour nous, jeunes et moins jeunes analystes vous nous ouvrez la voie après Freud et Lacan, et je dirais que vous ne manquez jamais de nous réveiller dans cette poursuite. Parce qu’en effet vous nous rappelez sans cesse que la psychanalyse ne saurait être une théorie figée, que nous avons bien sûr à nous astreindre avec rigueur à la lecture de ses textes fondamentaux, sans jamais oublier que finalement il y a à prendre en compte la mutation ou la torsion de notre culture, celle qui est la nôtre aujourd’hui, et que c’est dans ces coordonnées là qu’il y a à poursuivre ce travail

En 2002, pour tirer un fil qui nous concerne plus particulièrement ce soir, vous avez publié « L’homme sans gravité – Jouir à tout prix », ouvrage d’entretiens avec Jean-Pierre Lebrun dans lequel vous pointez combien la clinique a muté dans un social qui lui aussi a muté, je dirais à tel point que vous faites l’hypothèse et la démonstration d’une nouvelle économie psychique. Cela donnera lieu en 2009 à un ouvrage sur cette « Nouvelle économie psychique – la façon de penser et de jouir aujourd’hui. » Vous introduisez cet ouvrage en posant la question de l’enjeu majeur de la psychanalyse et de la responsabilité des analystes : « la psychanalyse est-elle capable de répondre au défi nouveau que pose la transformation culturelle à laquelle nous assistons ? Serons-nous capables de préserver ce qui est la caractéristique de l’humanité, c’est-à-dire la possibilité de l’analyse, de la réflexion et du choix des conduites dans une mutation culturelle qui se présente comme très impérative quant aux comportements et laisse peu de place au choix et à la réflexion. » Donc « la possibilité de préserver la caractéristique de l’humanité », je dirais que voilà l’enjeu dans une actualité où les murs se reconstruisent pour mieux se protéger de l’autre, où des gens sont tués pour le seul motif de ne pas s’inscrire dans une seule et même croyance érigée en vérité absolue. Voilà, je me disais en préparant cette présentation que, plutôt que de céder à la peur et d’une certaine manière aussi afin d’éviter que l’histoire se répète sans que nous puissions en tirer quelques enseignements, est-ce qu’il serait possible d’envisager une relation à l’autre un peu moins barbare ? Je vous laisse la parole.

Ch. M – Merci beaucoup, bon ! Lorsque Jean-Luc de Saint-Just et Annie Delannoy m’ont proposé d’intervenir ce soir sur l’autre, je me suis tout de suite réjouit en me disant : cela va être facile ; la préparation de la conférence va être aisée. Puisque l’autre, celui qui nous intéresse, par définition il n’a pas de nom. C’est un innominé ! Parce que s’il avait un nom cela ne serait plus un autre, ce serait un semblable : un nom de famille, un nom d’origine, un nom qui spécifie la langue qu’il parle, un nom qui spécifie son sexe. Il est très étrange que nous puissions découvrir la présence dans l’inconscient, par l’inconscient, de notre relation à une créature radicalement autre puisque innominée. Donc, pour préparer une conférence, cela consiste en général comme vous le savez à faire une liste de concepts, la mienne forcément ce soir est plutôt courte de ce fait. Et de telle sorte que je vais solliciter votre contribution pour que nous éclaircissions un petit peu ce que c’est que cet autre qui comme vous le voyez tout de suite n’est pas l’autre classique de la philosophie, c’est-à-dire celui qui est différent, ou l’autre du langage ordinaire, autrui. Non ! L’autre dont nous allons essayer de parler ensemble, c’est autre chose. Et donc la première question que je me permettrais de vous poser : est-ce que parmi nous ce soir ce serait glisser un autre ou des autres ? Parce que, dans ce cas-là, évidemment, nous aurions la chance de pouvoir nous adresser directement à eux et de nous dire : « racontez-nous comment cela se passe quand on est un autre ? » Alors, à votre idée, est-ce que parmi nous vous distinguez quelques autres ? Deluermoz, qu’est-ce que vous en pensez ?

Stéphane Deluermoz – C’est une très bonne question effectivement !

Ch. M – Eh bien, moi j’en vois beaucoup. Si c’est vrai, je ne serais pas venu pour rien. J’en vois beaucoup parce que l’incarnation de l’autre dans notre fonctionnement social c’est une femme. Et je constate avec plaisir qu’elles ne sont pas absentes de notre soirée. C’est une femme, puisqu’il s’agit de cette créature qui lorsque, par exemple, elle entre dans sa famille d’adoption, celle de son mari pour garder un schéma classique, elle n’est pas la même. Elle n’est pas celle de cette famille. Ce n’est pas une étrangère. Cela peut dans certains cas, évidemment, en particulier lorsque la dimension de l’altérité n’a pas été mise en place dans la subjectivité, le choix peut se porter bien sûr sur une étrangère, afin de soutenir de façon fallacieuse l’altérité nécessaire. En tous cas, elle n’est pas la même que les gens de la famille dans laquelle elle entre. Ce n’est pas non plus une étrangère. Alors c’est quoi ? Et puis d’autre part, il faut bien croire qu’elle n’a pas de nom propre puisqu’elle est supposée prendre le nom de son heureux époux. Voilà déjà quelque chose d’étrange, encore que cela nous situe la catégorie de l’autre sous un jour plutôt intéressant et plutôt, je dirais, agréable.

Voilà donc un lieu, et j’insiste si vous me le permettez sur ce terme. Un lieu occupé par des créatures, et qui par un heureux agencement de la nature ou de la culture, comme on voudra, sont destinées à venir soutenir, à venir participer, contribuer, à la vie sexuelle et à entretenir le désir. Il est évident que je suis en train de schématiser bien sûr. Mais je prends le cas de figure le plus général. Je dois dire que les femmes sont particulièrement sensibles à cette dimension qu’elles ont à supporter sans cesse entre la tentation, la possibilité, de se sentir étrangère, de virer cette altérité du côté de l’étranger – c’est-à-dire ne pas forcément pour des raisons diverses se sentir prises, encloses par le système qui l’a accueillie – ou bien, elles peuvent aussi venir exalter ce qu’il en serait d’un patriotisme propre à ceux qui sont du côté de l’autre, un nationalisme. Et ainsi s’engager dans la passion, la passion d’un combat social pour que ceux qui sont ainsi injustement traités – car c’est vrai, c’est quand même une marque d’inégalité aujourd’hui mal tolérée comme on sait – s’engager donc dans un combat pour que cette altérité, il y soit mis un terme au non justement de l’égalité.

En abordant ce concept, j’aborde un sujet comme vous le savez scabreux et qu’en général on a la prudence d’éviter. Mais, comme je vous dois quand même, ne serait que pour me payer, vous payer, de l’effort que j’ai fait pour venir, comme je vous dois de parler, je dirais, sérieusement, c’est-à-dire logiquement, je vous ferais remarquer ceci : le support de l’altérité, ce qui supporte ce lieu c’est très simple, c’est tout simplement le signifiant dont nous relevons, qui nous constitue, qui est le principe organisateur de notre humanité. C’est bien ce qui fait que nous sommes infiniment plus compliqués que ces braves animaux, que l’on veut aujourd’hui, que les comportementalistes veulent aujourd’hui inscrire dans la continuité de l’espèce humaine. Je dois dire, en estimant que l’espère animale est une, eh bien justement, qu’il y a une différence avec les animaux, c’est que chez nous il y a de l’Autre. Je vous assure que vous ne verrez jamais une fourmi, une abeille ou un ours, distinguer la catégorie de l’Autre. Lui, il distingue le semblable, et puis le différent.

L’Autre, comme je viens de l’introduire, ce n’est ni le semblable, ni le différent. Mais le langage, qu’est-ce qu’il fait le langage ? C’est que le langage, il nous laisse dans une incomplétude radicale à l’égard de toute relation à l’objet. C’est pourquoi dans l’espèce animale nous nous caractérisons par une insatisfaction foncière dans la relation aussi bien à soi-même qu’à l’objet. Ce n’est pas de notre faute. Souvent nous faisons beaucoup d’efforts pour pouvoir satisfaire l’idéal ou pour pouvoir satisfaire son conjoint, sa conjointe, ses enfants, ses parents, le milieu social, etc. Et cependant, si nous sommes habités par cette insatisfaction foncière, c’est que le langage qui est l’intermédiaire et le médiateur de notre relation au monde, fait que nous n’avons affaire, à nous mettre sous la dent, que des signifiants. Et que donc, dans cet exercice, il y a quelque chose qui s’appelle l’objet, supposer devoir enfin nous satisfaire et qui a filé. Ce qui veut donc dire, que du fait du langage, il y a une incomplétude certes, mais aussi un espace, un lieu, inentamé et en dernier ressort inentamable par tout langage, et quelque soit ses progrès, quelles que soient ses élaborations conceptuelles.

C’est exactement ce que les logiciens rencontrent dans leurs pratiques de formalisation. Il n’y a pas de formalisation qui puisse être totale. La formalisation, c’est ce qui a été démontré par des gens dont vous entendez peut-être souvent parler, par exemple David Hilbert qui a tenté d’algébriser la géométrie, ou bien Kurt Gödel qui a travaillé directement sur la logique. Il y a toujours un impossible. Il y a toujours un reste. Autrement dit, voilà, il y a toujours un autre. Il y a toujours un autre, puisque voilà un lieu que mes progrès conceptuels, mes progrès logiques, mes progrès de maîtrise, ma tyrannie politique, ne parviendrons pas à coincer, à tenir, à résoudre. Et ce lieu, et bien c’est celui de l’Autre avec un grand A et dont nous découvrons à ce moment-là de mon propos, que ce n’est pas la catégorie habituelle, je dirais, propre au langage, qu’il soit philosophique ou que ce soit le langage courant, mais que c’est une catégorie logique. À tout effort de maîtrise, de conceptualisation, de formalisation, il restera toujours un lieu Autre. Et il se trouve, et c’est là que nous allons aller je dirais de surprises en surprises, que ce lieu est d’autant plus étrange, qu’il est habité. Il est habité par quoi ?

Par quelque chose qui est à la fois ce qu’il y a de plus sacré et de plus dégoutant. Ceux qui ont fait un peu d’anthropologie savent l’amphibologie qui concerne le sacré, qui est en même temps ce qu’il y a de plus dégoutant. C’est-à-dire que ce lieu Autre est précisément la place où se recueille ce que, disons-le comme cela pour simplifier, ce que j’ai refoulé, ce que j’ai rejeté, mes déchets. C’est un problème. Ce sont les romains qui les premiers se sont attaqués au problème de l’évacuation des déchets. Et comme vous le savez nous ne sommes plus romains puisqu’aujourd’hui nous avons tendance à vivre au milieu. Ce qui ne va pas sans provoquer, avec les histoires appelées pollution, sans provoquer quelque inquiétude, quelque angoisse. Mais en tout cas, ce que la psychanalyse vient montrer, c’est que ce qui est refoulé l’est, d’autant plus possible qu’il y a un lieu d’accueil, et qui se trouve être ce lieu Autre. Et que dès lors ce que je retranche ainsi de moi-même va fonctionner dans cet Autre, où il n’a pas de nom, comme un objet qui n’a pas de nom, et dont l’opération incroyable et magique, incroyable, c’est que c’est cet objet, dont je me suis ainsi séparé, que j’ai retranché de moi, qui va être la cause de mon désir. Ça je dois dire que c’est une opération bizarrement fichue. On ne va pas mettre en cause là quelque responsable que ce soit, mais enfin c’est comme ça. C’est-à-dire que c’est ce qui est retranché de ma vie physique et morale, comme étant ce qui est sale et ce qui est mal, parce que moi je suis un type bon, et le mal j’évacue, j’exonère, et je tire la chasse. Ce qui est ainsi amputé, évacué, va être dans ma configuration singulière, car ce n’est pas un objet généralisable pour tous, sinon nous serions tous pareils. Si nous avions le même objet, nous serions tous semblables parce que nous aurions tous le même désir et nous serions tous fabriqués de la même façon. Eh bien c’est donc que cet objet qui prend place dans l’Autre, c’est cet objet qui entretient le désir. Vous voyez déjà cette importance singulière que prend l’Autre. Il devient un partenaire, si je peux dire, essentiel. Puisque c’est en quelque sorte le lieu dont les occupants vont être disponibles pour la jouissance sexuelle. Qui sont ces occupants ?

Eh bien, j’ai évoqué tout à l’heure ce qui du fait de cette opération singulière à laquelle on tente aujourd’hui, certains tentent avec la théorie des gender, de mettre fin. Cette opération singulière qui veut que dans notre culture ceux qui sont dignes de figurer dans l’espace du monde, dans le champ des représentations, ceux qui sont présentables et donc admis d’emblée sans concours, ni sans avoir fait leur preuve, ce sont ceux qui se manifestent, se singularisent comme porteurs du signe de la virilité. Alors que les femmes par lesquelles j’ai commencé, ont ce travail, cette tâche, cette corvée, à devoir se faire reconnaître de ce lieu Autre, qu’inévitablement, puisqu’il n’y a pas d’autre espace, et en tant qu’innominées, elles se trouvent à occuper, pas innominées en tant que filles, mais innominées en tant que femmes. C’est-à-dire virilement, phalliquement marquées. Eh bien qu’elles ont, pour être admises dans cet espace, à se faire phalliquement identifier. C’est-à-dire se faire reconnaître par un homme, et surtout évidemment dépasser la reconnaissance que cet homme peut lui valoir, par une bénédiction essentielle, et qui fait là intervenir une figure majeure dans le grand Autre, et qui est la figure divine ; c’est-à-dire se faire reconnaître par la maternité. Alors, cet Autre commence à être un endroit très bizarrement peuplé. Ça alors, je dois dire, tout ce qui vient là. À côté de la monotonie du champ de la représentation occupé par ceux qui sont toujours les mêmes. C’est pas… On s’ennuie à la fin. C’est un peu fastidieux. Cela manque de surprise. Mais heureusement, il y a quand même un endroit, un lieu d’où viennent, comme cela se produit, des séductions, des appels, des lumières, des invitations, des promesses, des possibilités, des fuites. Bref, une vie ! Et figurons-nous que ce n’est pas tout. On pourrait peut-être en rester là et dire cela va déjà bien comme ça. Eh bien, non c’est pas tout. Et à partir de là nous entrons je dirais dans un domaine qui va concerner assez rapidement, mais de façon je crois éclairante, notre actualité.

En effet, ce lieu Autre, est le lieu de recel de tous les éléments littéraux qui chutent de la chaîne langagière dès lors qu’elle a à être articulée, parlée. Parler implique, ne serait-ce que pour la possibilité de se faire entendre, supposons que j’ai une suite littérale qui soit xzfg, c’est pas évident à prononcer, hein. On le fait. On fait des efforts. On introduit forcément des voyelles entre ces consonnes. Mais ce lieu Autre à une matérialité. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Il a un corps matériel qui est celui justement de toutes ces lettres qui viennent chuter du langage dès lors qu’il est articulé. Et ceux d’entre vous qui vous êtes intéressés aux « Écrits » de Lacan savent qu’il ouvre ses « Écrits » par une leçon sur ce qui se réfère à une nouvelle de Poe, la lettre en souffrance, La Lettre volée. Pour montrer de quelle manière la physiologie du langage est justement d’opérer des chutes, qui venant habiter le lieu de l’Autre, ces lettres vont constituer une chaîne, une étoffe, un tissage, dont je vais avoir le témoignage clinique par ce que Freud a découvert : les lapsus, les mots d’esprit, les actes manqués, le rêve. C’est-à-dire de quelle façon ma quotidienneté ennuyeuse, grise, va se trouver périodiquement et de façon inattendue, soudain percée, allumée, par le lapsus que j’aurais involontairement commis. Qui me surprend évidemment moi-même ! Non, non, je ne voulais pas dire ça ! Tout le monde rigole quand je dis je ne voulais pas dire ça. Tout le monde a compris que c’est exactement ce que je voulais dire. Ça, c’est formidable, parce que je peux le nier. Si un homme politique commet un lapsus à la télé, tout le monde sait – vous voyez comme la psychanalyse est rentrée de façon abusive, c’est-à-dire instrumentale, dans notre fonctionnement social – tout le monde sait que c’est vrai. C’est lui, le voilà. Il a bien dit ce que en réalité… Il croyait déclarer son amour. Il n’a fait que déclarer son dégout ou son refus. Hop, cela lui… qu’est-ce qui est venu comme ça ? Une lettre ! qui est venue déranger un signifiant et puis dire la vérité de sa subjectivité. Une lettre venue de l’Autre, Autre elle-même. Et donc, significative du désir refoulé qui anime chaque parlêtre.

Il faut avancer un petit peu car figurez-vous que, si je prends le risque peut-être déjà par ce début d’étonner certains d’entre vous, il faut aller plus loin ; il faut aller plus loin parce que ce lieu Autre c’est celui, et je viens de l’illustrer par ces manifestations de l’inconscient, c’est le lieu d’où je reçois mon message. Qu’est-ce que cela veut dire d’où je reçois mon message ? Quand j’ouvre la bouche, est-ce que je sais ce que je vais dire ? Je suis même éventuellement surpris par ce que j’ai pu articuler avec un tel ou une telle, et en me demandant d’où cela m’est venu de parler comme cela. J’avais pas prévu. D’où me viennent mes propos ? D’où me viennent mes pensées ? Elles viennent pourtant. Elles sont là. Je peux les reconnaître comme miennes ou pas comme miennes. De me dire ben non, hein. Il me vient comme ça un vœu de mort. Ça arrive, hein ! Chez les meilleurs, même parfois plus on est meilleur plus ça arrive. C’est ça le problème qu’ont toujours rencontré les mystiques, toujours, et qui s’en plaignent explicitement. Nul doute, c’est pas moi qui pense ça. J’en veux pas. C’est pas vrai. Eh bien, retenir ce fait, que le lieu d’où je suis ainsi commandé – commandé non pas seulement dans ses manifestations aberrantes, fautives, que sais-je encore, ce que je viens d’évoquer, mais commandé dans ma pensée même – ce lieu d’où je suis commandé c’est un lieu Autre et qui justement échappe à ma maîtrise, à ma bonne volonté, voire à la bonne figure que j’entends soutenir, représenter, faire reconnaître. D’autant que, d’autant que, le fait que ce soit de ce lieu que je reçoive mes messages se trouve, pour ceux d’entre vous qui voudraient être incrédules, illustré par la présence en ce lieu d’une instance radicale. C’est un terme aujourd’hui délicat, mais il est pas mal venu là, une instance radicale avec laquelle je dialogue, parce que c’est aussi de lui que me vienne des messages qui sont du genre : tu vas pas faire ça quand même, enfin, pour qui tu te prends ?, mais qu’est-ce que tu crois là, tiens-toi correctement, enfin, pour une fois. Cette instance dont il se trouve qu’une mutation culturelle qui s’appelle le monothéisme a fait qu’elle est venue s’inscrire dans la psyché de chacun et qui est l’instance qui, pour certains, sera donc divine, pour d’autres paternelle, pour d’autres…. Pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Non, non, je vais laisser cela parce que cela va… je vous le dirais même pas, parce que ça va introduire de la confusion. Mais avec la laïcisation, la sécularisation qui est la nôtre, cette instance si elle est paternelle, elle peut être non plus patrocentrique, mais patricentrique – voire notionalocentrique –, c’est-à-dire l’instance idéale à laquelle le parlêtre ne peut manquer de se référer à l’occasion même de ce dialogue avec cette instance. Cette instance qu’il a nommée, il lui a donné un nom, même dans la psychose, il lui donne un nom à cette instance ; il l’identifie, mais elle reste néanmoins définitivement Autre. Pourquoi Autre, toujours ? Mais parce qu’il ne peut jamais venir occuper la même place que lui sauf, sauf dans la mort. Puisque ce père qui figure dans ce lieu Autre, c’est-à-dire dans le réel, est définitivement le père mort. À distinguer donc de celui qui lorsqu’il est encore là pantoufle à la maison. Notre religion est constituée par des textes qui sont des accumulations de lettres auxquelles il a fallut que les exégètes, les herméneutes, les théologiens, les pères de l’église, les rabbins, les imams, se donnent beaucoup de mal pour déchiffrer, donner un sens à ces textes. Qui éventuellement peuvent comme vous le savez d’un chapitre à l’autre éventuellement d’ailleurs pour le sens se contrarier. Cela n’a pas d’importance.

Ce que je veux dire, c’est que depuis ce lieu Autre, nous sommes vous et moi et vous peut-être encore un peu plus que moi, nous sommes mangés par les textes. Je vais vous raconter une petite histoire toute récente. C’était quand ? C’était la semaine dernière ou il y a quinze jours, j’étais à Montpellier, sur un très beau sujet : Qu’est-ce qui fait autorité aujourd’hui ? J’avais pour chance d’avoir pour collègues qui intervenaient avec moi, nous étions quatre, des amis érudits pour lesquels j’ai de l’affection, non seulement de l’estime, mais de l’affection. Qu’est-ce qui fait pour nous autorité aujourd’hui ? Je les ai écoutés évidemment attentivement et j’ai été frappé comme vous l’auriez été sûrement par ceci ; c’est que, comme nous le faisons nous aussi ici, ils sont venus se référer à des textes, des textes sur l’autorité. Des auteurs qui ont écrits sur l’autorité. Ils ont choisi plutôt de bons auteurs d’ailleurs, bien sûr. Mais vous voyez tout de suite le problème, qu’est-ce qui faisait autorité pour eux ? Ils étaient en train de l’illustrer, de le mettre en acte. Ce qui faisait autorité pour eux c’était des textes et ces textes ils les reprenaient dans une soumission parfaite. Alors, ce texte, qui est inscrit pour chacun à titre privé dans sa psyché et d’où il reçoit ses messages et qui le commande quoi qu’il veuille, malgré ses contestations, ses protestations, ses défenses : Non, je ne pense pas ça. Je ne veux pas. Je ne veux pas cette pensée-là. Je veux être un bon obsessionnel et je me défends contre ces pensées vilaines, honteuses qui me viennent, ou ces pensées meurtrières aussi bien obsessionnelles qu’hystériques, qui peuvent… Non ! Et cependant, il ne suffira pas que je dise non pour qu’elles s’absentent, pour qu’elles soient effacées. Elles sont là sous la forme de ce texte qui s’appelle l’inconscient. Qui n’est donc pas une idée, un fantasme, qui a un corps, un corps matériel dument organisé, qui est donc le corps de l’Autre. Celui que dans la relation sexuelle je vais tenter de saisir. Et le saisir d’autant plus qu’il est le lieu de recel de cet objet qui est cause de mon fantasme, cause de mon désir, quitte à ce qu’une femme s’interroge sur ce qui peut bien chez elle provoquer chez moi cette passion. Elle ne le sait pas. Et le passionné ne le sait pas d’avantage. Quel est cet objet qui donne soudain cette lumière et cet attrait à ce corps ?

Dans l’annonce de votre soirée vous évoquez la barbarie. Qu’est-ce que c’est la barbarie ? Comme vous le savez la barbarie c’est ce mot qu’ont inventé les grecs pour désigner ces populations qui parlaient une langue étrange, pas la leur, qui ne parlaient pas le grec, et qui parlaient une langue qu’ils ont cru reproduire avec cet onomatopée barbarbarbar. C’étaient les barbares ! Est-ce que l’Autre parlerait ainsi une langue étrangère ? La question mérite d’être posée parce que c’est une option que Carl Gustav Jung a reprise ; c’est ce qui l’a séparé de Freud. En disant qu’il y avait des inconscients nationaux, voire religieux, et que chacun avait dans son inconscient une adresse spécifique, aucunement universelle, mais spécifique de ce qui était son appartenance singulière, son appartenance privée. Il y a une circonstance, fascinante, captivante, ou l’Autre va effectivement se révéler doué de la parole. C’est la psychose. Cela se met à causer dans l’Autre. Et ce psychiatre dont Lacan a pu dire qu’il a été son seul maître en psychiatrie, on comprend pourquoi, introduit en psychiatrie ce concept d’automatisme mental ; c’est-à-dire que dans ce lieu Autre ça se déchaine. C’est le cas de le dire. Cela se met à parler tout seul. Et avec un phénomène sur lequel je vais dépenser vingt secondes pour attirer votre attention là-dessus, c’est que ces hallucinations comme vous le savez elles peuvent être auditives, c’est-à-dire cela passe par les oreilles, mais elle peuvent aussi ne passer par aucun organe des sens. Et les malades distinguent parfaitement lorsque vous les interroger, ces hallucinations que la psychiatrie a appelées psychiques, pour les distinguer des hallucinations auditives. Mais enfin, ce que vous entendez, vous l’entendez ou vous ne l’entendez pas ? – Ben oui, je l’entends, mais, mais c’est… – C’est une voix ou c’est pas une voix. – Ben oui ! Mais c’est pas, c’est pas sonore. Alors vous vous interrogez, vous dites non mais qu’est ce que c’est ? Comment peut-il y avoir ainsi une perception aussi prenante et qui ne passerait par aucun organe des sens ? Et vous oubliez que vos propres pensées elles fonctionnent comme cela. Ce sont des fragments articulés que vous percevez parfaitement et qui ne sont passés par aucun organe des sens pour pouvoir néanmoins être, je ne vais pas dire entendus, je vais dire enregistrés. Avouez, c’est quand même extra ça. Je ne sais même pas si cela a déjà été dit. Peut-être bien que vous avez la primeur de cela, parce que c’est vrai, moi j’ai toujours été très intrigué par ces manifestations hallucinatoires. Mais alors qu’est-ce qui fait que le patient les isole comme des articulations étrangères ? Des intrusions. Il reconnaît aussi là dedans ses propres pensées. Il les distingue. À quoi il reconnaît que ce sont des intrusions ? Des hallucinations étrangères ? Eh bien, pour vous permettre de travailler je vous laisserais sur ce point qui est intéressant, qui est important, mais ce n’est pas notre sujet.

Il n’y a pas de langue étrangère, sauf cas de psychose. Il n’y a pas de langue étrangère dans l’inconscient. Et si ce patient merveilleux qui s’appelle l’obsessionnel est contrarié par des pensées qui lui viennent et qui le gênent, et en particulier parce que venant directement de ce lieu Autre, elles sont immorales. Eh bien néanmoins, il les reconnaît comme siennes. Il ne dit pas qu’il y a quelqu’un qui le persécute là, à lui refiler des idées dont il a rien à foutre. Non, il les reconnaît comme siennes, quitte à les désavouer et alors qu’elles l’obsèdent. Il les reconnaît comme siennes parce qu’elles lui viennent justement de cet objet très personnel qu’il aurait du exonérer, qu’il aurait dû retrancher, qu’il aurait dû reconnaître comme relevant d’un régime que la psychanalyse a appelé celui de la castration. Et que lui, courageux, n’a pas voulu céder. Alors, il est là. Il est là et il cause, quitte à rendre son existence évidemment un petit peu difficile. Nous sommes ainsi fait.

Je vais peut-être parler encore trois, quatre minutes. Puis, si vous le voulez, discuter un petit peu. Nous sommes ainsi fait que l’on peut toujours venir chez un parlêtre réveiller en lui la relation à cette instance Une qui est dans l’Autre : divine, paternelle, sécularisée en tant que patricentrique, ou nationalocentrique. Il est toujours possible à un orateur qui a du flair, de venir cette instance la réveiller. Et dès lors de provoquer chez tout ceux qui, du fait du jeu social, s’estiment rejetés de la scène sur laquelle se déroule précisément la comédie sociale, qui s’en trouvent écartés pour cause d’indignité, de pauvreté, d’insuffisance, je sais pas moi, intellectuelle, à cause d’ignorances, de ce que vous voudrez. Parce que toute société, ça c’est une chose admirable, malgré tous les utopistes qui sont venus mourir pour corriger ce défaut, toutes les sociétés connaissent ce genre de division. Eh bien il est toujours dans la possibilité d’un orateur de talent de venir chez chacun réveiller cette instance et en lui disant que dans l’Autre elle est en souffrance. Puisque l’Autre est son lieu habituel. Que les maîtres ne savent plus la faire valoir cette instance, qu’ils n’en sont plus dignes, qu’ils la trahissent. Et donc qu’il est temps que les troupes qui là justement sont reléguées dans ce lieu Autre, se réveillent et se lèvent, afin, cette instance, de la sauver et de la rénover dans ce qui serait enfin une société vraiment égalitaire.

Ce genre de technique existe depuis longtemps. Elle a été pas mal pratiquée. Et à chaque fois qu’une société se trouve en état de crise. Société de crise cela veut dire que tout simplement plus personne ne trouve sa place, que toutes les places sont contestées. En particulier le savoir qui est supposé être en mesure de guider la société, et que ce savoir se montre incapable de résoudre les tensions, les difficultés, les problèmes de cette société en train de se déliter. On va donc dire clivage avec zélites. Zélites a écrire avec un z. Les zélites. Et bien donc c’est une opération. Tout ceci si je l’évoque, c’est simplement pour vous dire l’intérêt, non seulement pour chacun d’entre nous au singulier, mais également pour sa vie collective, de ce qu’est la dimension Autre, telle que la psychanalyse avec Freud, avec Lacan, sont capables de le mettre en relief. Eh bien de quelle manière ces effets automatiques et qui transforment dès lors de braves gens en des espèces de pantins, puisqu’ils n’ont plus rien à penser ; ils sont entièrement guidés. En pantins qui peuvent être comme on le sait, excessifs dans leurs actions, pas seulement dans leurs pensées. Dans leurs actions, parce que dès lors la prétention sera de parvenir, de réaliser le totalitarisme. C’est-à-dire une situation sociale ou tout le monde serait égal, ou il n’y aurait plus d’Autre. Il n’y aurait plus que soi et l’étranger. Les frontières c’est fait pour distinguer soi et l’étranger.

La difficulté en effet, et ce sera effectivement mon tout dernier propos pour ce soir, c’est que dans notre relation habituelle, ordinaire à cet Autre, les messages que nous en recevons ne constituent le plus souvent pas, je dirais, un secours. D’autant que nous pouvons rester incertain quand à ce qu’il nous veut définitivement. Qu’est-ce qu’il me veut ? Car après tout je peux faire des efforts, c’est jamais ça. J’y suis jamais. Et y compris quand je crois me ranger parmi les meilleurs. Si notre relation à l’Autre est définitivement marquée par cette question : Qu’est-ce qu’il me veut ? Ce que Lacan reprendra sous la forme du Che Vuoi ? C’est tiré du « Diable amoureux » de Jacques Cazotte Qu’est-ce qu’il me veut cet Autre ? Nous comprenons de quelle manière des réponses qui donnent à l’instance Une dans le grand Autre, une figure définitive et avec une volonté interprétée comme affirmée, explicite, d’autant qu’elle serait fondée sur des textes. Vous imaginez, quel soulagement, quelle réussite, quel apaisement. Même si dès lors je me trouve entièrement machiné et subjectivement rayé, je n’ai plus besoin de penser. Parce que la subjectivité et cela je l’ai gardé pour la fin, quand j’ai posé la question : y a-t-il des Autres parmi nous ? Il n’y a pas seulement les femmes, mais également chacun d’entre nous en tant qu’il a une subjectivité. Sa subjectivité innominée justement, elle est Autre. Et s’il trouve dans l’Autre, et ça c’est le vœu hystérique, l’instance une qui lui donnera autorité, qui lui donnera du même coup plein droit et virilité. Ce sera là le type d’opération, je dirais, paranoïaque dont nous pouvons être les témoins, les spectateurs, tant que nous ne sommes pas engagés dedans plus directement.

L’Autre ce n’est pas l’étranger. L’Autre c’est au contraire ce qui est le lieu de recel de ma subjectivité, le lieu de recel de l’objet qui cause mon désir, le lieu d’habitation de ces créatures femmes susceptibles de venir incarner cet objet cause de mon désir. C’est le lieu d’où je reçois mes messages. C’est le lieu d’où je suis commandé. Ce qui, si c’était comme le voyez, pris en compte par la doxa, par l’opinion commune, par la culture qui est débitée par tous nos médias ; cela aurait des conséquences. Vous imaginez quelles conséquences, quelles conséquences cela aurait de transformation enfin, enfin de notre infirmité sociale. Infirmité sociale parce que depuis le temps que nous avons des témoignages historiques, il n’y a jamais eu de sociétés heureuses. Il n’y a jamais eu non plus de rapports hommes-femmes qui soient convenables. La guerre des sexes cela commence déjà avec Aristophane. Vous vous rendez compte ? Et puis cela n’a pas cessé. Est-ce que vraiment la relation entre sexes doit venir s’inscrire sous le signe de Mars ? Pas celui du printemps, celui de la guerre, etc. C’est donc, c’est donc pour vous dire que, vous le voyez en abordant avec le courage que vous avez et qu’ont les organisateurs de ces soirées, abordant ces thèmes qui peuvent sembler abstraits, voire hautement spécialisés ; nous sommes, comme à chaque fois qu’il s’agit de psychanalyse, nous sommes au cœur de ce qui fait notre vie quotidienne et dans la vie quotidienne, il y a la vie sociale. Et, je dois enfin que, pour ma part, et je ne manque pas de le faire savoir, mais j’y peux rien. C’est pas pour autant que ça franchit cette espèce de grand coton qui nous sépare du fonctionnement de nos intellectuels. Nous voilà de nouveau exposer à des risques. Il se trouve qu’avec le privilège de mon âge je les ai connu directement. C’est les mêmes. C’est les mêmes. Moi j’ai vu ça. J’ai vu comment cela opérait. Et c’est impressionnant. Impressionnant, parce que une fois que c’est lancé, une fois que c’est en marche dans un peuple, vous ne pouvez plus l’arrêter. Il n’y a que la guerre qui est susceptible de venir mettre un terme à l’échec ou au succès de l’entreprise. Car cela peut être une entreprise succesfull. Bien sûr, cela peut réussir aussi bien. Donc, voilà, voilà effectivement pourquoi le terme de barbarie n’est pas mal venu dans cette affaire. Si l’on donne comme définition de la barbarie, le fait d’être entièrement manipulé par un texte régisseur et qui fait du parlêtre une créature qui ne peut plus tolérer le dissemblable. Et comme chacun de ces soldats sait le fait que malgré ses efforts il conserve en lui une part de dissimilitude, qu’il n’est jamais au fond, il n’y arrive pas, aussi fanatique soit-il, à être totalement dans l’affaire. Eh bien cette haine de la dissimilarité, de ce qui devient non plus altérité, mais dissimilarité, passera inévitablement par des actions mortifères à l’endroit de tout ceux qui sont frappés par cette grave maladie. Ceci incluant l’étranger, mais aussi soi-même. Ce qui après tout n’est pas forcément, je dirais, l’issue la plus sympathique ou la plus, je ne sais pas moi, intéressante que nous puissions envisager : cette espèce d’annihilation réciproque. D’autant que les clefs de l’affaire, je dirais, sont accrochées ; le trousseau est accroché sur le tableau. Toutes les clefs des mécanismes qui nous régissent, elles sont là, les clefs. Donc, avec votre sujet, je crois que nous sommes au plus près de ce qui compte et mérite d’être engagé dans le débat. Voilà, merci pour votre attention, cela fait un moment que je cause comme ça.

  • A.-D.– Merci beaucoup Monsieur Melman pour cette intervention qui me… Ma première réaction est très sensible, mais qui me touche beaucoup. Voilà, on s’était dit que l’on prendrait vraiment du temps pour que des discussions soient possibles avec chacun d’entre vous. Donc, je vous propose de vous laisser la parole pour pouvoir réagir et discuter avec Monsieur Melman.

Ch. M – Bonjour, venez à la tribune pour que l’on puisse vous entendre. Je veux bien vous entendre.

Françoise Checa – C’est peut-être une question pas très correcte, mais dans votre liste d’instances, quand vous citez le père, les instances qui seraient dans l’Autre : le père, dieu, la patrie, etc. Pourquoi pas une voix maternelle ? D’autant qu’un enfant cette semaine m’a exactement dit cela : que ce qui le poussait dans ses actes, c’est une voix maternelle.

Ch. M– Vous avez vu, vous m’avez entendu. Je me suis juste arrêté pour ne pas… Faut que je vous le dise avec ménagement. Sinon je vais encore me faire houspiller. Pourquoi pas une voix maternelle ? Alors, j’va vous l’dire. Lorsque l’on parle on peut tenir son autorité de la voix qui supporte sa parole. La Voix ! La voix justement comme représentante de cette altérité qui témoigne que le référent propre à toute parole est sollicité. La voix – v, o, i, x. Une mère, une maman, elle n’a pas besoin de cette référence pour se faire entendre. Et de telle sorte que son système de transmission et de communication avec le petit chéri est infiniment plus subtile, plus varié, et que l’usage de la voix – v, o, i, x – peut à la limite être accessoire. La voix de la parole, pas la chanson. La chanson c’est autre chose, mais on ne va pas rentrer là-dedans maintenant. Donc, un enfant, il sait que la relation à la maman, c’est pas une relation dialectiquement fondée – fondée par la dialectique. Autrement dit, cela ne se discute pas. Autrement dit, ce n’est pas une adresse qui suppose une discussion entre locuteur et partenaire et puis, on attend du partenaire ce qu’il va relancer. Non, on attend du partenaire qu’il la boucle. Je l’évoque de façon comme vous le voyez très cursive et rapide. Mais une mère n’a pas besoin de se tenir au lieu de l’Autre pour faire valoir son autorité. Et je dis bien un enfant normalement sera parfaitement apte à saisir tous les signes, pas les signifiants, mais les signes par lesquels elle transmet son message et qui, comme tout signe, implique une obéissance sans discussion. On peut contester un signifiant, alors qu’un signe, ben c’est un signe. Donc, pour répondre à votre juste question et que je voulais pas m’engager sur ce terrain-là. Je trouve les autres sont déjà suffisamment minés pour que je n’aille pas exploser sur celui là. Mais voilà pourquoi. Pourquoi dans l’Autre la voix qui se fera entendre sera forcément une voix virile ; autrement dit, phallique. Et vous me direz la mère, pourquoi elle ne serait pas phallique ? Ouais, bien sur, mais elle n’a pas besoin. La mère n’est pas représentante de ce référent. Elle l’est. C’est tout le charme des discussions avec les mères, c’est qu’il n’y a pas de discussion.

J.L. S.J.– Y a t-il d’autres questions ? D’autres remarques ?

Ch. M– Il y a une drôle de chose… Je vous ai interrompu, vous alliez dire quelque chose ? Il y a une chose étrange, et qui s’appelle… Ce n’est pas votre cas, cela s’appelle l’insularité. On est tous frappés par le caractère particulier, il y a quelque chose de particulier chez ceux qui sont amenés à vivre dans une île. Cela leur donne sûrement un caractère, une identité très forte, et un souci identitaire. Moi, j’aurais tendance spontanément, très rapidement comme ça, à évoquer comme cause possible le fait que la limite ce n’est pas une frontière. Ce n’est pas une frontière, c’est-à-dire de l’autre côté, il n’y a pas des créatures, un autre pays, une autre nation, une autre religion. Non, une autre couleur. C’est un espace qui, justement, peut-être présentifie trop bien l’Autre. Comme vous le savez, la mécanique des fluides, c’est pas, – je ne sais pas s’il y a des informations nouvelles qui modifient ce que j’en savais jusque là -, mais c’est pas une science tout à fait exacte la mécanique des fluides, on est obligé de faire des modèles. Enfin, c’était comme ça de mon temps, ça a peut-être changé, je ne sais pas. Je veux dire : c’est un terrain qui n’est pas balisé. On reste exposé à l’imprévu. On se lance là-dessus : qu’est-ce qui va se passer ? Qu’est-ce qui va surgir ?

C’est toute l’histoire de l’Odyssée. C’est amusant que ce soit toute l’histoire des Grecs ça. Qu’est-ce que c’est que cette altérité-là ? Mais les Grecs, à suivre Platon, pour lui tout le progrès de la philosophie c’était de mêmifier l’Autre. C’est-à-dire tout ce qui était différent, le progrès de la philosophie, c’était de lui donner un exact, et donc du même coup de le maîtriser. Mais il a fait tout cela alors que circulait cette poésie magnifique dans le peuple et aussi bien dans les élites et qui était l’Odyssée. Et là, est-ce que Ulysse est parvenu à mêmifier tous les autres auxquels il a eu affaire. En tout cas, il en est revenu vers l’identique. Il a retrouvé sa femme, sa maison, son olivier. Mais en tout cas, il s’est exposé. C’est magnifique comme histoire. Donc, peut-être bien que l’insularité est susceptible de donner à l’Autre, un peu trop présent, un peu trop réel, une importance qui agit en retour sur l’identité. C’est-à-dire la nécessité de s’affirmer collectivement face à une altérité un peu trop physiquement réelle, un peu trop présente et menaçante aussi.

un participant.— Dans une ambigüité, menaçante et nourrissante.

Ch. M– Oui, menaçante et nourrissante, absolument. Mais ce qui est aussi devenu le lieu de nos décharges, hein, aussi.

  • A.-D.– Il y a une question qui me taraude à propos du lieu. Est-ce qu’on a pas tendance un peu ? Est-ce que c’est un lieu vide ? Est-ce que c’est un lieu plein ? Est-ce que c’est un lieu réel ? Est-ce qu’on a pas tendance effectivement à vouloir remplir ce lieu ? Et à en faire quelque chose, ne supportant pas le vide d’où il s’origine ce lieu en quelque sorte. Si on en fait un lieu – j’aime bien ce terme de non lieu –, si on en fait un lieu effectivement, cela le détermine d’une certaine manière. Alors que justement, est-ce que c’est pas un non lieu, ce lieu. Et, lorsque vous me posiez la question effectivement des autres, est-ce que c’est pas la question de l’interstice, c’est-à-dire de l’entre deux justement. Entre dans cet espace où il n’y a rien, on ne peut rien mettre entre, mais il est constitutionnel ; il est indispensable. Il faut qu’il y ait un entre pour que les choses puissent exister. Mais dans l’entre lui-même il n’y a rien, comme entre les signifiants. Il y a un signifiant, un autre signifiant, mais qu’est-ce qu’il y a entre les signifiants ? Il y a rien justement. Il y a ce vide fondamental au bord duquel on se trouve à tout moment quand on parle et qui est terrifiant. Alors est-ce qu’on a pas tendance un peu à le substantifier ? À mettre un peu de père, un peu de ci, de ça dont finalement le caractère de leurre se révèle dans la modernité actuelle. Peut-être que ce qui se passe dans la modernité actuelle, c’est justement de ce fait-là, qu’on cherche à remplir un trou, qui est troué et donc qui se vide en permanence.

Ch. M– Oui, je vous remercie Deluermoz parce que j’entends bien-là, avec beaucoup de simplicité et de vérité, votre mode d’appréhender ce problème. Et d’une certaine façon vous avez raison en disant que c’est un lieu vide et en même temps c’est le lieu d’un trop plein. Vide en quoi ? Vide en ce que je ne trouve pas de réponse à ma question fondamentale, c’est-à-dire, qu’est-ce qu’on me veut ? Je fais quoi de ma vie ? Si tant est que je cherche à en faire quelque chose. Qu’est-ce qu’on attend de moi ? De quelle manière puis-je satisfaire ? Etc. Et, donc c’est vrai qu’en dehors des réponses morales que j’ai évoquées, c’est effectivement un lieu qui est vide, mais que si on accorde quelque crédit à ce que j’ai évoqué, va justement se trouver peuplé de toutes les figures susceptibles de me soulager de cette vacuité.

Qu’est-ce qu’il y a vous dites entre deux signifiants ? Excellente question ! Puisque la réponse que vous connaissez et dont vous vous servez aussi bien, c’est de dire qu’entre deux signifiants il y a un sujet, que c’est le sujet qui, dans ce trou entre deux signifiants, va venir trouver place. Pas le sujet grammatical, le sujet inconscient, qui ne sait pas ce qu’il dit. Il va trouver sa place et, qui justement venant-là occuper une place vide, ne va avoir qu’un souhait, c’est de pouvoir trouver l’instance qui lui donnera autorité. Alors cela peut être un maître en philosophie par exemple, une référence textuelle quelconque, nous procédons tout le temps comme ça. On est tout le temps dans les références textuelles pour donner en quelque sorte son support à notre articulation singulière. Moi-même je n’ai absolument pas dérogé : j’ai répondu à la vacuité initiale par la référence à un certain nombre, à un certain nombre de textes. Ce sont les créateurs, les génies, qui a leurs risques et dépends, se lancent dans des élaborations qui ne sont soutenues par rien que par leurs avancées propres. Et cela ne se termine pas toujours très bien pour eux.

J.L. S.L. – Oui, allez y !

Une participante.— Si Lacan était une femme ? Qu’est-ce qu’il aurait dit ?

Ch. M–  Je vais vous faire un aveu : c’est qu’à occuper le champ de l’Autre, qui est la place du psychanalyste, position éminemment féminisante, et donc, vous lui auriez dit, alors Monsieur Lacan ? Ça ne l’aurait pas gêné du tout, il vous aurait dit : « c’est une remarque intéressante. » Ceci étant, il a fonctionné plutôt, comme on le sait, en ami des femmes. Ben après tout, on ne sait pas de quelle position on peut être ami des femmes et… On ne sait pas.En tout cas, c’est celui qui a dit sur la féminité, à mon sens, plus que ce que n’en on dit les dames. Ses assertions sur le statut des femmes sont très remuantes et si elles étaient prises en compte on serait peut-être un peu moins amidonné sur le sujet. Est-ce que la solution c’est de supprimer les sexes ? C’est une solution qui n’est pas inenvisagée, hein, parce que c’est un encombrement, ça ; ça cause beaucoup de difficultés ; ce n’est pas toujours commercialisable. Alors qu’il y a tant de, tant de jouissances possibles, merveilleuses. On n’est pas obligé de s’encombrer avec ça. Donc, il est certain que la sexualité n’a pas, dans la jeunesse d’aujourd’hui, la place qu’elle a pu avoir dans les générations précédentes. Ça c’est sûr. Ça c’est facile à vérifier pour tout ceux d’entre vous qui travaillez avec les jeunes. Sa place psychique !

J’entends pas ! Si j’entends mal, vous allez me dire ce qu’il dit.

Philippe Candiago.— Vous avez évoqué cette mutation du monothéisme, qui dans notre tradition est importante, et qui aménageait un Autre où il y avait quelque chose à aimer, me semble t-il. Et, comme vous l’avez souligné de façon importante, avec la question de la théorie du genre, est-ce que cette théorie du genre ne rend pas compte et participe aussi d’une autre mutation. C’est-à-dire où l’Autre… Une mutation qui consisterait en une désaffection de cet Autre, voire une désaffectation de cet Autre. Mais un lieu désaffecté ce n’est pas un lieu qui a disparu – voire même, on voit bien dans nos cités, comment ces lieux désaffectés sont réhabités par des choses étranges, par des figures étranges, voire menaçantes. Pourquoi pas des étrangers d’ailleurs ? Et est-ce que du coup cette désaffectation de ce lieu Autre peut être repérée comme aussi un levier pour réanimer cette instance dont vous avez parlée. Mais du coup une instance qui ne serait peut-être moins organisée à partir d’une conjecture, que d’une évidence.

Ch. M– Bravo, j’approuve entièrement. Je trouve cela très juste et je souscris entièrement à ce que vous dites. Je pense tout à fait comme cela et, y compris le fait que du même coup vous pouvez venir dans votre propos éveiller chez des gamins – qui n’ont plus aucun sens de ce que c’est que l’altérité, qui ne connaissent que l’identique, et le différent en tant qu’ennemi – réveiller chez ces gamins cette dimension d’une altérité, mais qui serait support et confort de l’identité ainsi fragilisée par le dissemblable. Et, qui donc se trouvent captifs, ravis et captifs, par ce type d’intervention. Et je souscris tout à fait ce que vous dites et par le fait qu’effectivement cette dimension spécifique de l’altérité dont il n’y a que la psychanalyse, et plus précisément encore la psychanalyse lacanienne, car la dimension n’est pas chez Freud, que la psychanalyse lacanienne pour la, pour la soutenir cette dimension. Comment dirais-je, la pensée intuitive qui est toujours régie par l’espace euclidien, en tant que cet espace euclidien est propre à ne recevoir que ce qui est semblable c’est-à-dire ce qui porte la même marque phallique. Et qui fait que nous sommes spontanément et, que nous le voulions ou pas, nous sommes spontanément racistes, parce que nous pensons dans l’espace euclidien. Eh bien, il est tout à fait clair que cette dimension de l’altérité souffre du culte de l’image. De l’image ! On ne va pas recommencer à épiloguer sur les scénarios des jeux qui sont proposés aux jeunes et qui les occupent beaucoup, mais c’est une spécificité, je dirais, de la force donnée à l’image, que de n’accepter que le semblable. C’est-à-dire ce qui porte une marque phallique identique et de se mettre à la chasse de l’ennemi. C’est-à-dire celui qui n’a pas à être là, dans cet espace. C’est une pensée archaïque, mais très présente, très active. Et je pense qu’il est facile de voir combien de scénarios violents qui se sont produits dans la réalité chez nous, sont construits et conçus comme des jeux vidéos. Et de même qu’on va voir un – pardonnez-moi si j’ai l’ai de m’égarer, mais j’irais pas plus loin là-dessus – on va voir élu un président qui est un spécialiste de la télé réalité c’est-à-dire justement de l’image qui est intermédiaire entre le singulier et le collectif. Et puis qui captive, qui absorbe, qui retient, qui comme telle en tant qu’image, je dis bien, a ce pouvoir d’annulation de l’Autre, et de dénonciation du dissemblable comme étant celui qui n’a rien à foutre là, qui fait tache dans le tableau. Bon !

J.L. S.J. – Bien, encore merci monsieur Melman pour tous ces apports qui vont nous donner bien du travail pour la suite.

Ch. M– Merci pour votre invitation  !