Wittgenstein Ludwig: “Tout ce qui peut être dit peut- être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence”1
Ce qu’on ne peut dire, faut-il le-taire ?
Dans les années 1930 à VIENNE, des philosophes décrétèrent la mort de la métaphysique. Le manifeste du Cercle de Vienne (1923-1936) parle d’une crise de la philosophie et proclame la révolution en philosophie au nom de la conception scientifique du monde ; ceux qui ont constitué le cercle de Vienne n’étaient pas des philosophes, mais des scientifiques qui avaient pour ambition la création d’une nouvelle philosophie, marquée par le rationalisme. Ces philosophes, pour la plupart scientifiques de formation avaient pour projet de reconstruire le monde selon les règles imparables d’une logique mathématique. La philosophie rompant avec la spéculation métaphysique, devait prendre place dans la puissante machine des sciences positives. C’est au nom de la conception de la Logique exposée par Wittgenstein dans le “Tractatus logico-philosophicus” que les néo-positivistes ont tenté de liquider la métaphysique, leur interprétation pose un problème. Wittgenstein a orienté sa réflexion sur la logique en se posant la question du langage, pour lui la philosophie n’a pas à être une théorie, mais plutôt une activité d’élucidation des énoncés avec un instrument logique. Quelle est la leçon de Wittgenstein ? Le mode de philosopher des positivistes logiques est un mode d’unification des connaissances, Wittgenstein lui oppose un autre mode de philosopher : le langage est limité et ne peut rendre compte de la totalité du réel ; le Tractatus cherche à déterminer les limites de ce qui peut se dire de façon sensée. Il différencie donc les propositions sensées des propositions qui ne le sont pas. « Il est vain de produire des propositions philosophiques attendu que ce qui importe est la clarification des propositions « (T.4.112)
Qu’est-ce que Wittgenstein et Lacan ont en partage ? IL s’agit de l’antiphilosophie ; à savoir une critique langagière, logique, généalogique des énoncés de la philosophie.
Une destitution de la catégorie de vérité au profit du sens. Wittgenstein introduit le registre de l’acte : « La philosophie n’est pas une théorie mais une activité » (T.4.112). Il annonce, au-delà de la science, les droits du réel : « La philosophie doit tracer les frontières du pensable, et par là celles de l’impensable »2 Elle signifie l’indicible, en présentant ce qui est dicible. Cet acte antiphilosophique revient à tracer une ligne de démarcation. Si Wittgenstein affirme « le sens de la vie, autrement dit le sens du monde, peut être appelé Dieu » il s’agit des frontières du monde, ce qui est mystique.
Qu’entend-il par le mystique ? Ce n’est pas comment est le monde qui est le Mystique, mais qu’il soit. Il y a de l’indicible, il se montre, c’est le Mystique.
Pour Lacan, Dieu est inconscient, le thème religieux est de structure. Il reprendra la distinction entre le sens et l’usage chez Wittgenstein : pour la psychanalyse, il n’y a de sens que du désir, l’usage est un usage clinique des concepts philosophiques, qui rejoue le sens à partir de l’inconscient comme condition du langage. Nous pouvons distinguer l’antiphilosophie de WITTGENSTEIN de celle de Lacan : en effet, il introduit une nouvelle lecture de la philosophie en rejouant le sens clinique des concepts philosophiques. Ainsi, pour la psychanalyse « Dire que la vérité est inséparable des effets de langage pris comme tels, c’est y inclure l’inconscient » l’Envers de la psychanalyse p :79
Savoir et Vérité
JACQUES LACAN dans son séminaire “L’ENVERS DE LA PSYCHANALYSE” (1969-1970) commente le texte de Wittgenstein “Celui-ci énonce que le seul usage correct du langage est d’exprimer les faits du monde”. 3
Pour Lacan, la vérité est cachée, elle n’est peut- être qu’absence. Qu’est-ce qui est vrai ? C’est ce qui s’est dit, c’est la phrase. « Le signifiant ne concerne pas l’objet, mais le sens »
Il reprend le « pas de sens » chez Wittgenstein et Freud à propos du mot d’esprit : le non-sens du mot d’esprit, « le mot sans queue ni tête », Freud nous parle du rêve qui réveille juste au moment où il pourrait lâcher la vérité : « la vérité s’envole », c’est l’étrange.
IL commente : « la vérité semble bien en effet nous être étrangère, j’entends notre propre vérité ». Lacan veut dire nous ne sommes pas sans elle : il propose une temporalité, nous passons du « sans », au « pas sans »et de là à « s’en passer ».
Pour Wittgenstein, il n’y a de vérité qu’inscrite en quelque proposition : ce qui du savoir peut fonctionner comme vérité. Comme il l’affirme « cette structure grammaticale, voilà ce qui est le monde »
Qu’est-ce que le vrai pour Wittgenstein ?
Le vrai est une proposition composée, comprenant la totalité des faits qui constitue le monde ; mais, l’ensemble est tautologique, rien ne peut se dire qui ne soit tautologique, c’est-à-dire ou bien vrai, ou bien faux.
Le fait et le dire
Lacan prend un exemple : « Il fait jour » ; le vrai ne dépend que de mon énonciation, à savoir si je l’énonce à propos. Si il n’y a pas de métalangage, point commun à Wittgenstein et Lacan, vouloir être le grand Autre de quelqu’un définit la canaillerie, ainsi il n’y a de sens que du désir : « voilà ce qu’on peut se dire après avoir lu Wittgenstein, de vérité que de ce qu’il cache (le dit désir) de son manque, pour faire, mine de rien de ce qu’il trouve » 4
Pour Wittgenstein, si le faux implique le faux, le vrai implique le vrai, pour Lacan « il n’est nullement à écarter que le faux n’implique le vrai ». Dès le Moyen âge, on savait que le faux comporte aussi bien le vrai à l’occasion.
CE QU’ON NE PEUT DIRE, FAUT-IL LE TAIRE ?
Nous soutiendrons que” ce qui ne peut pas se dire “est un “Reste” que Wittgenstein attribue au sens éthique et esthétique sous la catégorie de l’ineffable ou de l’indicible. Lacan, afin d’éviter cet ineffable, propose que le discours psychanalytique soit transmissible, le mathème est une écriture de “ce qui ne se dit pas” mais qui peut se transmettre, cependant il y a un Reste qui lui échappe, le “PAS TOUT” et “LA LALANGUE” : « Le langage montre la limite, même au monde du discours, rien n’est tout » 4. En effet, « tout » n’est pas écrit, et nous continuons à écrire dans la cure analytique ; l’inconscient lacanien comme trou, comme vide, aspire à une certaine réalisation, entre être et non-être, il est discontinu. La matière de cet inconscient, c’est du langage, de la parole. Lacan suspend la certitude d’une substance, d’un étant au profit d’une éthique au sens d’advenir.
Si l’aphorisme de Wittgenstein réduit les philosophes au silence, Lacan l’analyse comme une structure grammaticale : « Voilà ce qui est le monde, il n’y a en somme de vrai qu’une proposition composée comprenant la totalité des faits qui constitue le monde »4 Rien ne peut de dire qui ne soit « tautologique », c’est cela qui fait le monde.
Une lecture clinique de la philosophie de Wittgenstein :
Si la vérité est inséparable des effets de langage, l’inconscient est la condition du langage, il s’agit là de l’opération analytique qui se distingue du discours de Wittgenstein « à savoir une férocité psychotique » le sens absolu du langage fait référence au JE en tant que transcendantal, le JE du maître, l’impératif catégorique.
Dans une lettre à Fliess, Freud précise la position psychotique : « ne rien vouloir savoir du coin où il s’agit de la vérité » Lacan le cite dans son commentaire du philosophe Wittgenstein.
Si les philosophes veulent « sauver la vérité » Wittgenstein occupe une place singulière en s’éliminant en tant que sujet de son discours, il nous éclaire sur la structure du psychotique, qui n’exclut pas une création, une place à part au sein de l’université anglaise. Lacan conclut sur le Roc de ce philosophe, son réel ?
Dans « L’ENVERS DE LA PSYCHANALYSE » (leçon du 21novembre) Lacan oppose le réel à la vérité, le discours subversif risque de s’engluer sur le chemin de la vérité.
De quel risque s’agit-il ? Celui de coller au signifiant maître qui fait le secret du savoir universitaire. A partir de la psychanalyse, il propose une autre production, qui n’est pas celle de la vérité, mais bien le réel : « le savoir s’ajoute au réel »5
De quel savoir on fait loi ?
En acte, il s’agit d’assurer l’impossible de ce qu’il est effectivement, le réel. Il reprend les trois taches impossibles dans l’œuvre de FREUD : gouverner, éduquer, analyser.
Le sujet supposé savoir n’est pas une approche de la vérité, il introduit une disjonction entre savoir et vérité, et le caractère impossible du réel en tant qu’insaisissable par l’ordre du signifiant. Lacan démontre le caractère troué de la structure du grand Autre ; sa référence à l’analyste comme sujet supposé savoir dans le transfert, n’est pas le savoir absolu, mais un savoir troué.
Dès 1966, dans son séminaire « Logique du fantasme » Lacan nous invite à lire Wittgenstein. Il distingue l’école Logico-positiviste qui « nous rabat les oreilles d’une série de considérations antiphilosophiques des plus médiocres, au « pas » de Wittgenstein qui n’est pas « rien ». Dans la leçon du 14 décembre, il reconnait à Wittgenstein « cette tentative d’articuler ce qui résulte d’une considération logique telle qu’elle puisse se passer de l’existence du sujet…Je vous en recommande la lecture »
Des philosophes contemporains se sont intéressés à l’œuvre de Wittgenstein : Dominique Lecourt dans son livre « L’ordre et les jeux »6 dénoue le destin du positivisme logique en substituant à toute pensée d’ordre, le jeu des doctrines. Si Wittgenstein a été considéré comme un membre du cercle de vienne, son œuvre constitue une critique radicale des thèses essentielles du positivisme logique. Il s’agit d’un malentendu historique, il n’était pas membre du cercle de Vienne.
Alain Badiou a publié un livre « L’antiphilosophie de Wittgenstein »7, il commente cette idée du « reste » dans toute antiphilosophie : c’est précisément là que l’antiphilosophie destitue la philosophie, sa prétention théorique (par exemple l’universel) a manqué le réel. Il reprend la position de Lacan « on sait que de la jouissance et de la chose à quoi elle s’accole, le philosophe ne veut pas et ne peut pas avoir à connaitre »
Qu’en est- il du reste ? En langage Wittgensteinien, femme est ce dont on ne peut parler, et que donc il faut taire.
Lacan en introduisant la sexuation dans le séminaire Encore, rompt avec Freud et la philosophie en posant la question de ce qui constitue comme tel un « universel » : du côté féminin « pas toutes » sont soumises à la castration, et ne se reconnaissent « pas toutes » soumises à une même loi. Elles ont un rapport au phallus sans y être « toutes ».
Lors d’une conférence, Charles Melman affirmait que le domicile d’une femme, c’est le réel. En lui posant la question de la nature de ce réel, voici qu’elle fut sa réponse : « Elle est toujours Autre, dissemblable, cette hétéro est la marque d’une différence topique, le caractère séduisant de son étrangeté signifie bien qu’elle habite le réel » (entretien en février 2021) 8
1 : L.Wittgenstein « Tractatus logico-philosophicus » NRF Gallimard
2 : ibid
3,4,5 : J.Lacan « L’Envers de la psychanalyse » 1969-1970
6 :D.Eleb : entretien avec D.Lecourt in : « Psychanalyse, philosophie et politique, le sujet en questions » éditions EME, L’Harmattan
7 : A.Badiou « L’antiphilosophie de Wittgenstein » Editions NOUS 2017
8 : D.Eleb : entretien avec C.Meman « Lacan aujourd’hui » in « Psychanalyse, philosophie et politique, le sujet en questions » éditions EME, L’Harmattan. Novembre 2021