Séminaire XXIV de J. Lacan. Commentaire de la leçon IV
06 juillet 2015

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NUSINOVICI Valentin,,
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Valentin Nusinovici — Allez c’est la leçon IV. Je viens d’en parler avec Pierre-Christophe moi je trouve que ce n’est pas une leçon très difficile. Bon enfin, il faut s’entendre, pour une leçon de Lacan bien sûr. Je trouve que ce n’est pas une leçon qui dit des choses nouvelles, il n’y a rien qui soit très pointu, et c’est pourquoi, je pense que ce n’est pas indispensable de la lire de bout en bout, ligne à ligne comme on a souvent besoin de le faire, en tout cas ce n’est pas le parti que je vais prendre parce que comme ça, ça me laissera un petit peu plus de temps pour commenter les passages qui me paraissent les plus intéressants, les reprendre un peu. Chut, on est en classe ici. Bon allez, alors ça commence comme ça :

« Qu’est-ce qui règle la contagion de certaines formules ? Je ne pense pas que ce soit la conviction avec laquelle on les prononce, parce qu’on ne peut pas dire que ce soit là le support dont j’ai propagé mon enseignement. »

Alors écoutez, moi je trouve que ça commence de façon assez piquante. Il y a un virus lacanien qui se serait, qui se serait échappé, il aurait fait des dégâts, hein, et Lacan a l’air de se défendre de cette affaire. Quel virus, quels dégâts, suspens. Et vraiment la leçon elle est construite, dans son architecture générale, elle est construite sur ce suspens. Voyez, il y a là quelque chose que je trouve quand même un petit peu amusant. Ce qui est sérieux dans cette première, dans cette entame, c’est quand même quand il dit : « …la conviction [ce n’est pas] le support dont j’ai propagé mon enseignement. » Je pense qu’il y en a pas mal qui se souviennent que quelques années auparavant il avait dit : « Le propre de la psychanalyse c’est de ne pas convaincre » et il avait ajouté « con ou pas ». Ça c’est quand même très important, c’est très important pour nous aussi, et pour la pratique, ce n’est pas tellement simple toujours, je veux dire de, d’être bien bien convaincu de cette idée qu’il ne faut pas convaincre. Bon, alors ensuite il dit :

« …ce dont je me suis efforcé, c’est de dire le vrai, mais je ne l’ai pas dit avec tellement de conviction, me semble-t-il. J’étais quand même assez sur la touche pour être convenable. Dire le vrai, sur quoi ? Sur le savoir. C’est ce dont j’ai cru pouvoir fonder la psychanalyse, puisqu’en fin de compte tout ce que j’ai dit se tient, … »

Alors évidemment très important, dire le vrai sur le savoir, on le sait, vous le savez bien tout de suite, en tout cas c’est explicité un peu plus loin, il s’agit du savoir inconscient, dire le vrai sur le savoir inconscient. Evidemment on sent tout de suite la différence entre dire le vrai sur le savoir et chercher à convaincre. Parce qu’on sait très bien, il l’a dit aussi, l’analyse ce n’est pas une mission de vérité, dire le vrai ce n’est pas une mission de vérité, ça n’a rien à voir avec la conviction. Et dire le vrai sur le savoir, ça c’est très important aussi, ce n’est pas énoncer un discours sur le savoir inconscient. Vous voyez le ‘sur’ là, c’est-à-dire une espèce de position méta ; un discours sur l’inconscient, Lacan a dit que c’était condamné.

Je vais dire un mot sur cet énoncé… cette thèse de Lacan « L’inconscient est structuré comme un langage » va revenir dans cette leçon, ce qui n’est pas étonnant puisque l’essentiel ce sont quand même des propos sur l’inconscient, des définitions même. Cet énoncé « L’inconscient est structuré comme un langage » je crois qu’on ne le sait pas toujours que ce n’est pas là l’énoncé d’un savoir sur le savoir, ce n’est pas un savoir. Lacan dit dans l’Acte psychanalytique (6 mars 1968):  » Quand j’énonce que l(inconscient est structuré comme un langage, ça ne veut pas dire que je le sais, puisque ce dont je le complète c’est proprement ce on sur lequel je mets l’accent et qui est celui qui donne le vertige à l’ensemble des psychanalystes. C’est qu’on n’en sait rien, on, le sujet supposé savoir….ce n’est donc pas que je le sais si je l’énonce, c’est que mon discours ordonne en effet l’inconscient ». C’est une mise en place logique, et ça ne prétend nullement, je veux dire, dire ce qu’est vraiment l’inconscient puisque l’inconscient c’est ce qui échappe toujours n’est-ce pas, Freud l’a bien souligné et Lacan l’a constamment répété. Mais mon discours ordonne l’inconscient, disait-il, et évidemment sous-entendu ce qui n’est pas le cas de celui de Freud, qui est un discours sur l’inconscient. Alors vous avez vu tout de suite après il a dit « C’est ce dont j’ai cru pouvoir fonder la psychanalyse ». Ça peut paraître énorme évidemment parce que c’est quand même, il arrivait plutôt avant qu’il parle de refonder, de nouvelle alliance, mais là c’est radical : fonder la psychanalyse.

Alors dire le vrai sur l’inconscient comment ? Ben finalement on le sent dès le titre. Faire valoir l’équivoque de l’insuccès ou de l’insu que sait, c’est souligner que c’est le même savoir. Voilà une façon de dire le vrai sur le savoir, sur le savoir en général, sur le savoir inconscient en particulier. Vous voyez c’est à la fois l’ordonner c’est-à-dire le logiciser et dire le vrai sur lui, enfin même pas sur lui, on a presque envie de dire le vrai…, ce n’est même pas ‘sur’, c’est au même niveau.

Bon après ce sont des choses simples, ce n’était pas forcément supposer le savoir au psychanalyste, qui est homogène à ce que je vous ai dit quand il dit « Ce n’est pas que je le sache ». Et puis au passage, il rappelle que le savoir et la vérité n’ont aucune relation entre eux, il a pu dire qu’il y avait une division entre eux, bon très bien. Et j’en arrive à la page suivante, je ne sais pas si j’ai la même édition que tout le monde, la page suivante où il dit :

« Le savoir en question, donc, c’est l’inconscient. Il y a quelque temps, convoqué à quelque chose qui était rien de moins que ce que nous essayons de faire à Vincennes sous le nom de « clinique psychanalytique », j’ai fait remarquer que le savoir en question, c’était ni plus ni moins que l’inconscient et qu’en somme c’était très difficile de savoir l’idée qu’en avait Freud. Tout ce qu’il [me] dit, me semble-t-il, m’a-t-il semblé, impose que ce soit un savoir. »

Alors je vais vous rapporter deux ou trois choses qu’il dit, quand il dit : il y a quelque temps, ça date de six jours. C’est l’ouverture de la section Clinique à Vincennes. C’est le 5 janvier 1977, on a le texte dans Ornicar n°9. Je vais vous en donner quelques phrases pour vous faire sentir le style, le dire de Lacan. Alors il dit : « La Traumdeutung c’est excessivement confus, il y a…. » Et puis il évoque l’appareil psychique, on sait bien toutes les couches de l’appareil psychique.

« […] on ne peut pas dire que ce soit lisible. [Je me demande même si quelqu’un l’a lue en entier][1]. Moi, [il dit] par devoir, je m’y suis obligé.

[…]

L’inconscient donc n’est pas de Freud, il faut bien que je le dise, il est de Lacan. »

Il dit aussi : j’ai remis ça sur pied, c’est boiteux[2], « ça n’empêche pas que le champ, lui, soit freudien », et que Lacan, si vous voulez on peut rajouter : et que Lacan soit freudien. Mais alors il veut tenir ceci que l’inconscient n’est pas de Freud, il est de Lacan. Vous voyez il y a quand même dans le style, quand il dit la Traumdeutung, il y a un côté bouffonnerie. Pourquoi est-ce que cette…pour dire bien entendu des choses sérieuses ça va de soi. Moi j’ai envie de dire, évidemment on peut discuter, ce qu’est le dire de Lacan chacun peut… mais mon idée là c’est que cette bouffonnerie c’est justement pour aller contre l’idée qu’il s’agirait de son ego parce qu’après tout on pourrait dire, qu’il dise « J’ai fondé la psychanalyse », alors on imagine ailleurs quand on n’a pas de transfert pour Lacan combien ça doit être insupportable. Je crois que la bouffonnerie est faite justement pour casser l’idée, n’est-ce pas, en faire beaucoup comme ça pour casser l’idée qu’il s’agisse d’une affaire d’ego. Alors donc Freud c’est très difficile de savoir ce qu’il entendait par l’inconscient, n’est-ce pas, très difficile de savoir l’idée qu’en avait Freud.

« Essayons de définir ce que ça peut nous dire, ça, un savoir. Il s’agit, dans le savoir, de ce que nous pouvons appeler effets de signifiant. » et ce sera la définition dans cette leçon, effets de signifiant. Alors je vous le dis tout de suite d’abord parce que vous pouvez le sentir comme ça et puis parce que c’est confirmé plus loin, quand c’est repris, effets de signifiant ça veut dire essentiellement effet d’équivoque, ce n’est pas plus compliqué que ça et vous voyez que c’est quand même une définition vraiment minimaliste du savoir, en particulier le savoir inconscient. Et Lacan il a pu définir le savoir comme toute l’articulation du S2, tout un réseau. C’est une autre façon d’aborder la chose, ici, c’est…c’est les effets de signifiant. Et une question que je me suis posée et à laquelle bien évidemment je ne peux pas répondre et que je pose à côté de ça, c’est : est-ce qu’il y a une relation entre cette définition minimaliste de l’inconscient et une sorte de projet qu’il pose d’emblée quand il dit dès la première leçon « …j’essaie d’introduire quelque chose qui va plus loin que « l’inconscient ». »[3] Est-ce que c’est par rapport, par exemple, par rapport à ça, à cette façon de définir l’inconscient comme je dirais la caractéristique même du signifiant c’est-à-dire de produire des effets de signifiants, des effets d’équivoque, c’est une question. Et puis tout de suite après, il dit ceci :

« J’ai là un truc qui, je dois dire, m’a terrorisé. C’est une collection qui est paru sous le titre de La philosophie en effet. [C’est une collection[4] qui a été fondée par Derrida, Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, je ne sais plus qui encore, Sarah Kofman peut-être, je ne me souviens plus très bien] La philosophie en effet, en effets de signifiants, c’est justement ce à propos de quoi je m’efforce de tirer mon épingle du jeu. Je veux dire que je ne crois pas faire de philosophie. On en fait toujours plus qu’on ne croit, il n’y a rien de plus glissant que ce domaine ; vous en faites, vous aussi, à vos heures, et ce n’est certainement pas ce dont vous avez le plus à vous réjouir.

Freud n’avait donc que peu d’idées de ce que c’était que l’inconscient. Mais il me semble, à le lire, qu’on peut déduire qu’il pensait que c’était des effets de signifiant.

L’homme,

il faut bien appeler comme ça une certaine généralité, une généralité dont on ne peut pas dire que quelques uns émergent ; Freud n’avait rien de transcendant : c’était un petit médecin qui faisait, mon Dieu, ce qu’il pouvait pour ce qu’on appelle guérir, ce qui ne va pas loin,

l’homme donc, puisque j’ai parlé de l’homme, l’homme ne s’en tire guère, de cette affaire de savoir. […] Ça lui est imposé par ce que j’ai appelé les effets de signifiant, et il n’est pas à l’aise, il ne sait pas faire avec le savoir. »

Alors là je veux dire l’effet de bouffonnerie est encore accentué par rapport à Freud et là aussi il ne s’agit pas de transcendance que ce soit de Freud, Lacan, mais quand Lacan dit c’était un petit médecin qui ne pensait qu’à guérir, franchement c’est rigolo, d’abord parce que Freud s’est toujours défendu d’avoir la vocation médicale et de vouloir guérir et qu’en plus, six jours avant, ce que disait Lacan c’était, il disait, ce qui est parfaitement exact, Freud nous a dit « qu’il fallait pas [trop] se presser pour guérir. » Vous voyez il y a quand même là un effet de, moi j’ai dit de bouffonnerie, je suis pas sûr que ce soit le meilleur mot mais enfin je ne sais pas quoi dire, ce n’est pas de l’ironie, je ne sais pas ce que c’est. Il en fait un peu beaucoup et donc il s’agit de saisir que, comme il dit, l’homme c’est pas transcendant. D’ailleurs il va continuer en disant c’est la « débilité mentale » et « je ne m’en excepte pas » non plus. Alors il y a donc ces deux… (PCC : Je peux dire…) Je t’en prie. (HR : On peut intervenir un peu ?). Bien sûr.

Pierre-Christophe Cathelineau — Là il y a une phrase qui dit ‘ça lui est imposé’. Là il y a une référence, enfin bon implicite ou explicite, peu importe, mais le fait qu’il s’appuie sur la notion d’effet de signifiant et ensuite qu’il parle de ‘ça lui est imposé’ et qu’il dit que l’homme ne s’en tire guère de cette affaire de savoir, ça renvoie à mon sens à ce qu’il disait dans Le Sinthome à propos de l’Homme aux paroles imposées et au fait que le langage est un cancer. C’est-à-dire que, effectivement, cette question du savoir, elle est embarrassante parce que le langage est un cancer. On est, on est littéralement, j’allais dire, contaminé. Le langage, le langage est là pour effectivement nous….faire en sorte qu’on ne s’en sorte pas précisément ; à cause du fait que ce savoir nous est imposé, et nous est imposé comme un cancer. Le terme de cancer est un terme d’ailleurs qu’il utilise dans Le Sinthome, ce n’est pas une invention de ma part. Donc…

Hubert Ricard — Ce n’est pas une bouffonnerie un peu quand même ? (PCC : ben c’est une bouffonnerie au sens…) Il ne faut pas prendre ça trop au sérieux il me semble.

V. Nusinovici — Si, si, le prendre au sérieux. Moi je ne te suivrai pas tout à fait. Je ne dirai pas que les paroles imposées c’est la même chose que le savoir imposé. Les paroles imposées du patient dont on a parlé, c’était un patient halluciné. Je veux dire… non mais je suis d’accord. (PCC : il dit qu’on est au même point que les hallucinés) (HR : mais oui c’est pour tout le monde). Oui, mais… on peut à la fois d’une main généraliser et dire que bien sûr ça vaut pour tout le monde et ça n’empêche pas en même temps de faire quelques distinctions. Je crois que tout le monde n’a pas des paroles imposées et le savoir inconscient c’est le fait que l’inconscient nous est imposé, pas forcément parolé, pas du tout parolé. Enfin chacun fera les distinctions qu’il veut, moi je tiens beaucoup à cette distinction-là, sinon… (PCC : non mais je pense que la notion de savoir…) oui attends je finis, je vais dire pourquoi j’y tiens beaucoup. C’est parce que, avec les paroles imposées, il n’y a pas de savoir y faire avec, ce n’est pas celui-là dont il parle. Il n’y a pas de savoir y faire, on peut éventuellement essayer. Ce n’est pas ça du tout. Il s’agit là de se faire, de savoir y faire avec le savoir qui nous habite, ce n’est pas la même chose que la parole imposée. J’ai coupé ici mais je continue… écoute on n’est pas forcés de finir d’accord.

P.-Ch. Cathelineau — On n’est pas d’accord alors.

Hubert Ricard — Juste un mot, le cancer ça finit mal. Je ne suis pas certain que faire avec le savoir ça ne soit pas quelque chose sinon comme une guérison, du moins quelque chose où on s’accommode très bien du langage.

P.-Ch. Cathelineau — Non mais justement, sans vouloir anticiper sur ton explication, il parle un peu plus loin du savoir y faire. Et le savoir y faire c’est précisément ce qui est en jeu dans Le Sinthome c’est-à-dire effectivement il s’agit de savoir y faire ; c’est-à-dire utiliser le savoir qui nous tombe sur la gueule, pour le dire de façon un peu lourdingue, pour en faire quelque chose. C’est ce que fait Joyce mais… (VN : non il ne nous tombe pas sur la gueule) et c’est vrai que si on se souvient de l’intervention qu’a faite Melman à ce propos, à propos de l’Homme aux paroles imposées, il a évoqué ce qui pouvait être fait dans une cure en tant que chirurgie, ça aussi c’est de l’ordre du savoir y faire, c’est-à-dire introduire une dimension de chirurgie dans la chaîne signifiante, dans la chaîne imposée pour faire entendre l’équivoque c’était… vous vous souvenez de l’équivoque ? (MD : bécoter) se bécoter et se béqueter, ben voilà l’équivoque, se bécoter, se béqueter, il y a quelque chose qui est de l’ordre du savoir inconscient et qui peut agir sur la chaîne, donc je pense, faut pas, moi je veux bien qu’on distingue ceux qui sont vraiment bouffés par le savoir et ceux qui ne le sont pas mais je pense qu’on, que de ce point de vue, psychotiques et névrosés sont logés à la même enseigne.

V. Nusinovici — Mais on est, mais je suis d’accord qu’ils sont logés à la même enseigne (HR : pas tout à fait) mais pas tout à fait, et je ne pense pas que ce soit son développement ici.

Martine Bercovici — A mon sens les effets de signifiants ce ne sont pas des effets d’équivoque, ce sont des effets structurants et quand il dit je vais introduire quelque chose qui va plus loin que l’inconscient, à mon avis il introduit la structure et c’est la différence par rapport au petit médecin Freud qui ne savait pas ce que c’était (PCC : oui tout à fait, mais ça je suis d’accord aussi. D’ailleurs ça renvoie à ce qu’il dit juste avant) et puis c’est le thème du séminaire.

H. Ricard — Oui mais qu’est-ce qu’une équivoque si ce n’est quelque chose qui peut restructurer aussi bien ? Et ça a maille à partir avec cette structure.

M. Bercovici — Mais absolument, ça déstructure et ça restructure, et ça découpe, parce que la découpe elle se fait le long de la structure, si on la prend en topologie. (PCC : absolument, on est d’accord.)

V. Nusinovici — Bon alors (PCC : désolé de t’avoir coupé) non, mais c’est très bien parce que c’est très bien qu’on puisse voir les points où on n’est pas tout à fait d’accord. C’est essentiel, hein ? C’est essentiel. Parce que savoir y faire avec le…, il y a ces deux formules, savoir faire avec le savoir et savoir y faire dont il souligne que ce sont des sons propres à la langue française avec le matériel qui nous habite, c’est-à-dire avec le langage bien sûr et puis vous pouvez noter topologiquement qu’il a pu dire après Heidegger que l’homme habite le langage, que le langage nous habite ça revient exactement au même avec une topologie torique bien entendu. C’est tout à fait… (PCC : il faut entendre l’équivoque de l’habite. Bah, écoutez…) oui, oui parce que effectivement ça implique certainement de pouvoir l’habiter vraiment, ça implique effectivement cet organe-là, ça c’est sûr.

H. Ricard — C’est ‘wohnen’ en allemand, ça n’a pas de rapport !

P.-Ch. Cathelineau — Oui mais enfin en français…

V. Nusinovici — On a bien le droit, on a bien le droit d’utiliser le français, d’en user.

M. Darmon — Il le fait dans L’Étourdit.

H. Ricard — Il évoque Heidegger, c’est pour ça…

V. Nusinovici — Alors moi je voulais souligner, je crois qu’il y a une double opposition, si vous voulez d’un côté il y a savoir faire avec, savoir y faire, opposé à savoir faire, ça il le dit clairement, les deux oppositions il les dit. Moi j’ai envie d’ajouter ceci : le savoir faire ça se transmet ; le savoir y faire et le savoir faire avec, hein, c’est pas sûr du tout c’est-à-dire que ce n’est pas sûr du tout que la psychanalyse se transmette. C’est tout à fait différent, ce n’est pas un savoir faire. L’autre opposition c’est savoir y faire qui veut dire se débrouiller et conceptualiser ; alors se débrouiller dedans, le ‘y’ est bien dedans, c’est du dedans qu’on sait y faire, la conceptualisation c’est se saisir, c’est tout à fait une autre position. Et cependant ce qu’il faut noter, que je crois très intéressant, c’est qu’évidemment l’inconscient pour Lacan c’est un concept, mais il a fallu, moi je le dis comme ça, il a fallu s’en débrouiller pour le conceptualiser et en disant ça je me réfère à la définition qu’il donne, tout ça j’en parle aussi parce qu’on a notre Séminaire d’Hiver sur l’inconscient, la définition qui est donnée au début de Position de l’inconscient c’est « L’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet. ». On va y venir sur ces traces qui opèrent n’est-ce pas et donc il faut se débrouiller avec ces traces, c’est-à-dire les déchiffrer bien sûr, on va y revenir, pour forger le concept. Vous voyez c’est dans ce sens-là que ça part, ça part du savoir y faire vers le concept et pas l’inverse, n’est-ce pas, qui serait plutôt une démarche philosophique.

Si quelqu’un peut me dire, parce que je ne sais plus où c’est, où Lacan a dit « J’ai essayé de me débrouiller avec ce que j’avais d’inconscient » je serais très content parce que je ne sais pas où c’est (SR : « avec mon petit bout d’inconscient ») avec mon petit bout d’inconscient…Vous savez où c’est ? C’est où ? Vous me le direz.

Alors concept ça l’a amené évidemment à philosophie et :

« Ceci nous mène à pousser la porte de certaines philosophies. Il ne faut pas pousser cette porte trop vite, parce qu’il faut rester au niveau où j’ai placé ce que j’ai en somme appelé les discours. Les dits…c’est le dire qui secourt. Il faut quand même bien profiter de ce que nous offre d’équivoque la langue dans laquelle nous parlons. Qu’est-ce qui secourt, est-ce que c’est le dire ou est-ce que c’est le dit ? Dans l’hypothèse analytique, c’est le dire…C’est le dire, c’est-à-dire l’énonciation, l’énonciation de ce que j’ai appelé tout à l’heure la vérité. Et dans ces « dire-secourt », j’en ai, l’année où je parlais de L’Envers de la psychanalyse […] j’en avais comme ça distingué en gros quatre, parce que je m’étais amusé à faire tourner une suite de quatre justement ; et que, dans cette suite de quatre, la vérité, la vérité du dire, la vérité n’était en somme qu’impliquée. Puisque, comme vous vous en souvenez peut-être, oui, comme vous vous en souvenez peut-être, ça se présentait comme ça, je veux dire que c’était le discours du Maître qui était le discours le moins vrai. Le moins vrai, ça veut dire le plus impossible. J’ai en effet marqué de l’impossibilité ce discours [… dans] Radiophonie. Ce discours est menteur, et c’est précisément en cela qu’il atteint le Réel (Verdrängung, Freud a appelé ça), et pourtant, c’est bien un dit qui le secourt. Tout ce qui se dit est une escroquerie. »

Monique de Lagontrie — Dans la 2ème édition ils ont mis Verneinung.

H. Ricard — Ah ce n’est pas pareil Verneinung et Verdrängung.

V. Nusinovici — Ah, ben c’est bête parce que moi j’aurais vraiment pensé, je maintiens Verdrängung (DBR : dans l’audio de Lacan c’est Verdrängung). Non mais, on pourra argumenter ceux qui tiennent pour Verneinung, moi je tiens pour Verdrängung.

Julien Maucade — Non, non dans l’audio c’est Verdrängung.

H. Ricard — C’est Verdrängung. Si la place de la vérité c’est le S barré donc il est en dessous de la barre donc c’est Verdrängung il n’y a rien à faire.

V. Nusinovici — Alors :

« Tout ce qui se dit est une escroquerie. C’est pas seulement de ce qui se dit à partir de l’inconscient. Ce qui se dit à partir de l’inconscient participe de l’équivoque, de l’équivoque qui est le principe du mot d’esprit : équivalence du son et du sens, voilà au nom de quoi j’ai cru pouvoir avancer que l’inconscient était structuré comme un langage. »

Alors je vais faire quelques remarques, alors les deux choses, le discours du maître est le moins vrai et le plus impossible ça se lit sur la, vous l’avez tous en tête, la structure du discours du maître, je ne crois pas que ce soit la peine de le mettre au tableau. Il est le moins vrai parce que, ça Lacan l’avait dit à peu près comme ça : la vérité du maître, c’est-à-dire ce qu’il cache comme sujet, c’est-à-dire ce S barré qui est à la place de la vérité sous la barre, et bien cette vérité elle va rejoindre le savoir, vous voyez la flèche diagonale qui va de S barré à S2, elle va rejoindre le savoir ; c’est pour ça qu’il est le discours le moins vrai. Et il est impossible, le discours impossible puisque de S1 à S2 justement il y a une impossibilité, la flèche elle n’arrivera pas à S2. Moi je pense que c’est Verdrängung parce que le discours du maître produit le refoulement, je veux dire c’est tout à fait, c’est tout à fait clair. Pourquoi est-ce que ce serait, il a dit, vous avez entendu, dans l’hypothèse analytique c’est le dire qui secourt, bien sûr, c’est le dire. Il n’y a d’inconscient, il faut bien se rappeler, qu’il n’y a d’inconscient que du dit. Vous ne pouvez déchiffrer l’inconscient qu’à partir de ce qui est dit. Mais évidemment il y a le dire, le dire qu’il s’agit de moins oublier derrière le dit. C’est là où passe évidemment la vérité, celle qui secourt ou qui soulage.

P.-Ch. Cathelineau — De quelle nature est l’impossible, excuse-moi de poser une question (VN : Non mais tu as bien raison) De quelle nature est l’impossibilité entre S1 et S2 ? Je te pose la question et puis je donnerai mon…

V. Nusinovici — J’espère bien. Je suis sûr que ce sera très argumenté, pour moi c’est simplement que S1, le signifiant 1 va le rater ce S2. C’est-à-dire qu’il y a quelque chose là qui fait qu’il ne peut pas l’atteindre, il ne peut pas l’atteindre ce Réel. Et alors justement ce qu’il dit, moi je dis il ne peut pas l’atteindre, ça me vient comme ça, comme expression. Bon lui il dit justement : c’est en tant qu’il est menteur c’est-à-dire qu’il est le moins vrai qu’il atteint un Réel. Mais atteindre le Réel, moi je le comprends, il atteint, moi je comprends il bute sur l’impossible (PCC : oui c’est ça) c’est-à-dire ça me paraît, c’est plus clair pour moi, comme formulation comme ça qu’il bute sur l’impossible, qu’il atteint le Réel, sinon vous auriez pu croire que le Réel… Non, ce qu’il atteint c’est cette dimension d’impossible, en ce sens il atteint le réel, mais évidemment il n’atteint rien dans le Réel, le Réel lui, il ne peut que le rater (PCC : Oui, ça je suis d’accord). Tu es d’accord avec moi ? Ah, ben je suis content.

P.-Ch. Cathelineau — Je suis d’accord mais il me semble que le, enfin j’ai juste une toute petite remarque (VN : Je t’en prie) c’est que le fait qu’il ne rencontre pas le S2 est lié précisément au trou, à la coupure qu’il y a entre S1 et S2 et donc c’est ça qui fait qu’il ne le rencontre pas. Et donc (question inaudible) je dis que c’est le fait que S1, qu’il y ait une impossibilité entre S1 et S2, c’est le trou, qu’il y a entre S1 et S2, le trou. Et c’est le trou lui-même qui fait qu’il y a de l’impossible. Enfin moi, c’est comme ça (VN : Oui bien sûr) Et voilà et donc il y a autre chose aussi, une autre remarque, c’est que, c’est paradoxal ce qu’il raconte, il dit c’est le moins vrai, mais le moins vrai c’est le plus réel ; c’est-à-dire celui qui est le moins vrai a une relation directe avec ce qu’il en est du Réel. Et ça explique aussi pourquoi dans Le Sinthome on fasse cette différence entre précisément la vérité et le Réel. Parce que ce qui est en jeu dans le discours du maître c’est précisément le Réel. Enfin je me permets de…(VN : Tu as raison).

M. Bercovici — ?? c’est le Réel parce que le signifiant est mis à la place d’agent. (PCC : exactement).

V. Nusinovici — Tu as raison, la vérité comme il l’a dit, elle est en dérive par rapport…(PCC : Elle est en dérive). Celui qui est menteur, il bute plus directement sur l’impossibilité du Réel, tandis que la vérité évidemment elle prend d’autres chemins. (HR : Est-ce qu’on peut dire que l’écriture…) Mais seulement par contre le discours analytique fait qu’il faut passer par la rainure du dire vrai pour atteindre quelque chose du Réel, là on a réfléchi juste à partir du schéma du discours du maître (PCC : C’est ça) ce n’est pas suffisant (PCC : Non ce n’est pas suffisant, on est d’accord.) Bon vous avez vu, dans l’hypothèse analytique c’est le dire qui secourt. Il y a cette phrase disant, après Verdrängung qui est l’effet du discours du maître, il dit ceci : c’est le dit, un dit qui le secourt. Moi je dois dire, tout ce que je me suis dit comme explication, c’est que évidemment il y aura un retour du refoulé, est-ce que c’est retour du refoulé qu’il faut comprendre ? Enfin je vous dis ça sur la pointe des pieds, je ne suis pas du tout sûr. En tout cas, un peu après qu’est-ce qu’il va nous dire ? Alors il va nous dire, voilà, je voudrais commenter ceci, un tout petit peu le déplier.

« Ce qui se dit à partir de l’inconscient participe de l’équivoque [bon très bien, ça on le sait parfaitement], […] qui est le principe du mot d’esprit [on le sait] : équivalence du son et du sens, voilà au nom de quoi j’ai cru pouvoir avancer que l’inconscient était structuré comme un langage. »

Au passage notez le « j’ai cru pouvoir » qui vous rappelle ce que je vous ai dit tout à l’heure, ce n’est pas que je le sache, et ce qu’il dit à la première leçon : le vrai c’est ce qu’on croit vrai[5]. Il y a quand même cette notion, maintenant ça ne suffit pas de croire, il ne se contente pas bien sûr de croire, n’est-ce pas, parce que la logique là aussi qu’il met à l’œuvre est faite pour ne pas se reposer seulement sur le croire. Mais il y a quand même cette dimension du vrai qui a à voir avec ce qu’on croit. Alors l’équivoque, équivalence du son et du sens, l’équivoque elle fait, si vous voulez, que le son et le sens prennent ponctuellement la même valeur, parce que ordinairement ce qui a toute la valeur pour nous c’est le sens, parce que le signifié, pour nous le signifié il est fixé et c’est ça que, je veux dire dans la discussion courante, nous entendons, le sens, là vous entendez le sens de ce que je vous dis, le signifié de ce que je dis, en plus c’est le signifié lacanien ou à peu près. Mais quand l’équivoque surgit elle fait entendre le signifiant, et qui à ce moment-là a même valeur pour le son et pour le sens et même à un moment plus de valeur pour le son que pour le premier sens mais ça va revenir, il va y avoir dans ce son qui s’est fait entendre nouvellement, on va pouvoir lire, c’est ça finalement la psychanalyse, on va lire autrement dans ce son que selon le signifié qui était fixé pour nous. Et je crois que si vous voulez c’est, pourquoi il dit c’est de là que j’ai cru pouvoir fonder, j’ai cru pouvoir avancer que l’inconscient était structuré comme un langage ? C’est que le déchiffrage analytique, il se fait justement lorsque, lorsqu’on entend, lorsqu’on l’entend, et qu’on le lit autrement. Il n’y a qu’à lire la Traumdeutung dont Lacan nous disait que personne ne la lisait, vous n’avez qu’à lire le rêve d’Irma, les associations, la suite des signifiants. Et bien à partir de ce déchiffrage c’est-à-dire d’une lecture autre, Freud dégage ce que c’est que la condensation et le déplacement, que Lacan nomme métaphore et métonymie, c’est-à-dire ce qui organise le langage ; voilà pourquoi à partir de équivoque, pardon équivalence du son et du sens on peut arriver, en en tirant la conséquence qui est une conséquence de déchiffrage, à dire, pour la raison que je vous ai dite, que l’inconscient est structuré comme un langage et pas comme une langue c’est-à-dire comme un système de signes organisés par métaphore et métonymie, par ces deux coordonnées.

Stéphane Renard — Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit un petit peu avant à propos du discours et de l’impossibilité, je voulais savoir si on n’aurait pas quelque chose à tirer du fait que quand il dit, « je veux dire que c’était le discours du Maître qui était le discours le moins vrai », on peut remarquer qu’en position de vérité c’est le sujet de l’inconscient et que donc (VN : Oui en position de vérité mais la vérité…) en position de vérité c’est le sujet de l’inconscient. Donc il nous dit que le discours le moins vrai c’est bien le discours dans lequel le sujet de l’inconscient est placé en position de vérité. Donc que par rapport aux quatre autres termes, quand le sujet de l’inconscient est en position de vérité, c’est là que le discours est le moins vrai (PCC : Parce qu’il est refoulé) parce que c’est un…

P.-Ch. Cathelineau — Il ment parce qu’il est refoulé, à mon avis.

V. Nusinovici — En tout cas, dans cette position-là il ne parle pas dans cette position et donc la vérité ne s’entend pas (PCC : oui, elle est refoulée) il faut le prendre dans ce fil-là (SR : oui) d’ailleurs vous savez bien, vous savez bien (PCC : c’est le problème du refoulement, de la barre)

S. Renard — Non pas tout à fait parce que c’est en terme de sujet de l’inconscient que ça m’intéresse, je voulais savoir s’il n’y avait pas à creuser quelque chose entre l’effet de signifiant qu’il nous proposait tout à l’heure et qui me semble emporter une dimension du désir, dans son projet d’aller plus loin que l’inconscient, qui serait lui l’inconscient porteur du sujet du désir. Et si on n’aurait pas là quelque chose, entre d’un côté l’inconscient freudien avec le sujet du désir et donc le lieu de recel du désir, et plus loin ce que propose Lacan et ce qu’il est en train de nous démontrer, des effets de signifiants qui emporteraient le désir et qui par le discours du maître, il nous le souligne en disant qu’effectivement le sujet de l’inconscient c’est le moins vrai, parce que l’effet de signifiant c’est lui qui emporte le désir. Voilà ce que ça m’inspire.

V. Nusinovici — Je ne sais pas si je vous ai beaucoup suivi mais je crois que c’est un discours dans lequel il y a peu d’effet de signifiant (PCC : ben oui) c’est ça, le reste je n’ai pas suivi toute votre démonstration. Mais le discours scientifique moderne est très près de ce discours-là. Il est constitué comme celui-là. C’est un discours dans lequel vous n’avez pas d’effet de signifiant.

H. Ricard — C’est-à-dire que c’est le S1 qui est à la place de la vérité quand c’est le S2 qui est en position d’agent et si c’est le S1 il n’y a pas de vérité (PCC : Il n’y a pas de vérité) c’est quand même assez flou la fonction de la barre, non mais je veux dire c’est même, il y a plusieurs significations possibles, ce n’est pas toujours le refoulement. Mais dans le cas où le S2 est dans une position maîtresse, c’est plutôt le S2 le discours de la science, il l’a dit en tout cas (VN : Oui il l’a dit pour le discours du Maître plutôt) non, il le dit pour la philosophie, mais il ne le dit pas pour le discours de la science.

V. Nusinovici — Si dans L’Envers de la psychanalyse, il le dit plusieurs fois je vous assure, je l’ai relu encore…

H. Ricard — En tout cas il a dit beaucoup que c’était le discours universitaire.

V. Nusinovici — Il a tout dit, il a dit qu’au départ il y avait du discours hystérique, donc il a fait tous les chemins.

H. Ricard — Il a fait tous les chemins. Mais je veux dire le S2 c’est quand même représentatif de ce que, ce qui commande le discours universitaire c’est le S1 en position de vérité autrement dit taisez-vous, je vous donne le savoir et faites-en ce que vous voulez (VN : oui, oui) c’est comme ça qu’on peut le situer, il me semble. Voilà.

V. Nusinovici — Alors après il y a un peu, un peu inattendu, c’est idiot de dire ça mais voilà, voilà il dit : j’ai lu dans une revue un article de Jean-Claude Milner que j’estime beaucoup qui s’appelle ‘Réflexions sur la référence’, et, dit-il, « Ce qui, après la lecture de cet article, est pour moi l’objet d’une interrogation, c’est ceci, c’est le rôle qu’il donne à l’anaphore ». Écoutez, moi je l’ai lu plusieurs fois cet article, je ne suis pas très bon là-dedans. Je suis incapable de vous le résumer, mais je ne crois pas que ce soit très important. Ici Lacan il s’arrête sur un truc, pas de la même façon que Milner, alors qu’est-ce que je peux dire ? Lacan s’intéresse à l’anaphore, vous avez vu, il prend les phrases que Milner cite : « j’ai vu dix lions et toi tu en as vu quinze » ou « j’ai capturé dix [des] lions et toi tu en as capturé quinze » Lacan s’intéresse à un truc, bon je ne pense pas que ce soit très… qu’on ait besoin. Milner lui, il n’avait pas dit la même chose, bien entendu, Milner il avait pointé que dix lions était une référence actuelle ‘j’ai vu dix lions’, je les ai vus, c’est ça qui l’intéressait, et lions est une référence virtuelle c’est-à-dire qu’elle renvoie au lexique, au dictionnaire, c’est ça qui l’intéressait. Bon moi je crois, je ne suis pas capable d’aller plus loin là-dessus, mais on reste sur ceci, qu’il lit cet article qui s’intéresse à l’anaphore et puis il nous annonce comme ça :

« Il est, je crois, tout à fait saisissant que, dans ce que j’appelle la structure de l’inconscient, il faut éliminer la grammaire. Il ne faut pas éliminer la logique, mais il faut éliminer la grammaire. »

(MD : Ça c’est important) Alors moi je vais essayer un tout petit peu de vous rappeler certains trucs sur ça, mais dans l’immédiat, se demander pourquoi, encore une fois, je vous dis cet article je me suis cassé la tête un peu dessus, mais voilà, il nous dit, il faut éliminer la grammaire et je vous rappellerai après qu’il n’a pas du tout dit ça toujours. Mais ici, s’il le dit à partir d’un article sur la référence, la seule chose que j’ai pu me formuler qui ne va vraiment pas loin, c’est de me dire que ce n’est pas la référence grammaticale qui nous aide à penser ce que c’est que la référence dans l’inconscient. La référence dans l’inconscient, elle se fait au trou, pour parler comme Pierre-Christophe ou ce que Freud appelait l’ombilic du rêve et ce n’est pas la grammaire évidemment qui peut y conduire, c’est tout ce que moi je peux saisir de l’affaire c’est-à-dire pas grand-chose.

P.-Ch. Cathelineau — Est-ce qu’il n’y a pas, je pose la question mais c’est juste pour me remémorer, est-ce qu’il n’y a pas des propos similaires chez Freud dans la Traumdeutung ?

V. Nusinovici — Ben chez Freud dans la Traumdeutung il y a tout ce qui… c’est-à-dire il élimine toutes les prépositions, toutes les conjonctions, tout ça il les élimine, n’est-ce pas ? (PCC : c’est ça) oui, c’est-à-dire il n’y a pas tout ce qui fait causalité dans l’inconscient, il n’y a pas de ‘donc’, il n’y a pas de ‘mais’ (PCC : il n’y a pas de causalité dans l’inconscient, il n’y a pas de ça) mais ici évidemment la grammaire c’est (PCC : c’est plus large) beaucoup plus vaste que ça, on se demande tout ce qu’il met dans la grammaire.

H. Ricard — Qu’est-ce que c’est la grammaire ? C’est les relations dans le langage ?

V. Nusinovici — C’est même chacun des segments du discours c’est-à-dire il faut bien préciser ce que sont tous les segments du discours, ce que c’est que le groupe nominal, ce que c’est que le verbe, ce que c’est que l’adjectif, elle implique tout ça ; plus toutes les prépositions, plus le temps des verbes, c’est-à-dire tout ce que Lacan avait appelé d’abord le code. Elle implique tout ça la grammaire.

P.-Ch. Cathelineau — Et aussi, et c’est ce qu’il va dire plus loin, la grammaire est une création historique c’est-à-dire qu’on voit bien, d’ailleurs c’est ce qu’il va dire à propos des « Bigarrures du seigneur des accords »[6] c’est une création c’est-à-dire le français tel qu’il se parle aujourd’hui, c’est une création (VN : c’est une norme) c’est une norme mais c’est une création du xviiie siècle (VN : c’est une norme) et (VN : du xviie siècle) du xviie siècle et cette création, avant cette création du xviie siècle on a des textes, je pense aux romans par exemple qui sont vraiment, quand on lit François Villon par exemple, on a une espèce de, je ne sais pas comment dire, de (VN : de liberté) de liberté et de baroquisme dans l’énonciation, dans les tournures, et c’est ce qui fait le charme de cette poésie d’ailleurs.

H. Ricard — J’ai juste une remarque à faire sur la grammaire…

J. Périn — Ce n’est pas anti-grammatical et on sait bien que le français actuel existait dès le xe siècle…

H. Ricard — Donc il y avait de la grammaire avant mais ce n’est pas… Il y a un séminaire antérieur…

P.-Ch. Cathelineau — La liberté, la liberté, la grammaire est liée à une décision politique, ça c’est … (JP : là vous allez un peu loin quand même)

H. Ricard — Il y a un séminaire antérieur de Lacan qui s’appelle La logique du fantasme je voudrais savoir si…

V. Nusinovici — Mais je vais vous donner les points essentiels que je connais de l’histoire…

H. Ricard — Parce que c’est par rapport au Ça, il définit le Ça par le pas-je et par la grammaire. Voilà.

V. Nusinovici — Je comptais vous dire en quelques mots (HR : excuse-moi) non pas du tout, je vais juste schématiser très rapidement et puis après vous pourrez le discuter, pour vous rappeler les points essentiels. C’est qu’évidemment quand il vous dit Lacan, d’abord première [inaudible ??? 41’19’’], quand vous lisez qu’il faut éliminer la grammaire de la structure de l’inconscient, la première chose que vous faites, c’est que vous vous rappelez Freud, vous dites Freud il y a une grammaire de la pulsion, il y a une grammaire du fantasme, bon alors après vous vous dites qu’est-ce que Lacan a dit là-dessus ? Lacan a dit là-dessus que le sujet de l’inconscient et l’objet ce n’est pas le sujet et l’objet grammatical. Donc il a un peu poussé ça et il a poussé/posé surtout comme dit Hubert en situant les choses comme ça : l’inconscient d’un côté, le Ça de l’autre. Le Ça a toute la structure grammaticale sauf le je. Bon c’est une façon de s’en tirer, je ne sais même pas si ici, je doute qu’ici cette distinction Ça/inconscient soit encore active dans son texte, on verra à la fin, mais je ne suis pas sûr du tout. (MD : il parle du Ça) oui mais je ne suis pas sûr qu’il l’oppose à l’inconscient. On va arriver à la fin.

M. Darmon — Dans La logique du fantasme si.

V. Nusinovici — Non mais je te parle d’ici (MD : il ne s’en souvient pas) ce n’est pas qu’il ne s’en souvient pas mais je ne suis pas sûr qu’il le trouve toujours opératoire.

P.-Ch. Cathelineau — Je peux dire quelque chose ? (VN : oui)

« Je voudrais vous indiquer quelque chose qui est d’un temps où le français [VN : on va y venir] n’avait pas une telle charge de grammaire. »

(VN : on y vient, on y vient) Non mais c’est pour vous dire que l’aspect, il y a une dimension politique dans l’affaire (VN et HR : bien sûr) et que ce qui est en jeu là-dedans c’est le discours du Maître (VN : bien sûr), c’est le S1 qui vient foutre des règles là où il n’y en avait pas (HR : ce n’est pas la seule, parce que à cause de ces flics il y a eu la littérature classique) mais je ne dis pas, je ne dis pas (HR : Lisez Nietzsche qui admirait beaucoup le classicisme français) je ne dis pas, mais ça…

J. Périn — Il n’y a pas que la dimension politique. Ce qu’on peut dire c’est que les grammairiens, qu’ils soient grecs ou latins, ou occidentaux, sont des gens qui étudiaient les mots et les rapports entre eux et ils avaient une topologie extrêmement simpliste. Il suffit d’ouvrir certains ouvrages, ou même lire certaines phrases du Domaine français, on verra que certains auteurs par rapport à la grammaire se sont beaucoup affranchis. C’est-à-dire qu’ils avaient une autre topologie.

P.-Ch. Cathelineau — Ça va tout à fait dans le sens de ce que je pense.

J. Périn — Sujet, verbe, complément, c’est une topologie extrêmement simpliste. (PCC : aristotélicienne on va dire) Oui, c’est ça. D’autres grammairiens vont s’évader, Damourette et Pichon (PCC : mais oui bien sûr), ils voient ça comme une architecture, la phrase

Transcription Mireille Lacanal-Carlier

Relecture Danielle Bazilier-Richardot

[ils voient ça comme une architecture, la phrase,] alors, leur vocabulaire est impossible mais ils ont voulu abandonner justement ce vocabulaire dont tu parles, dont tu dis qu’il est politique. Il a cet aspect mais il n’y a pas que ça, tu le sais. Donc, ils ont pris des termes qui sont imbuvables mais on voit bien comment ils suivent les mots, comme s’ils étaient des architectes, voient la phrase dans l’espace et prise dans l’espace et c’est pour ça que c’est intéressant…

P.-Ch. Cathelineau — Oui, oui, je suis d’accord.

H. Ricard — Et puis il y a des écrivains qui ont mis la grammaire en l’air. Les Illuminations de Rimbaud c’est un beau cours de grammaire.

J. Périn — Mais oui, il y a des écrivains qui ont été obsédés par la grammaire. C’est Flaubert qui, dans sa correspondance, n’arrête pas de parler de grammaire et il y a des écrivains qui se sont foutus entièrement de la grammaire !

P.-Ch. Cathelineau — C’est pour ça que Valentin disait que c’était une norme.

V. Nusinovici — Je ne suis pas le seul, tout le monde dit que c’est une norme.

(Plusieurs personnes interviennent en même temps)

J. Périn — La mise au point est importante.

Julien Maucade — Celui qui se fout de la grammaire, c’est le psychotique aussi.

V. Nusinovici — Ça, ce n’est pas du tout constant ! Il y en a qui sont complètement délirants avec une grammaire… pfft, comme ça !

J. Périn — D’ailleurs chez Joyce, la grammaire aussi est complètement …

V. Nusinovici — Ah, oui ! Dans les textes les plus joyciens qui soient, la grammaire est parfaite.

J. Maucade — On n’a pas tranché que Joyce était psychotique non plus.

V. Nusinovici — Non, on a pris l’exemple à côté. Tu sais bien justement que je n’aime pas m’arrêter sur ce truc-là …

M. Darmon — Arthaud, par exemple …

H. Ricard — Arthaud, oui …

M. Darmon — Arthaud, il a une grammaire rigoureuse.

P.-Ch. Cathelineau — Rigoureuse, oui, absolument !

M. Darmon — Mais on peut se demander plus généralement si l’inconscient ne se manifesterait pas aussi par des effets grammaticaux ?

J. Périn — Oui !

H. Ricard — Pourquoi pas !

V. Nusinovici — Je vous rappelle les trucs et puis après tu développes ça si tu veux, non ? Je voulais quand même vous rappeler ça parce que je crois que chez Lacan ce n’est pas du tout une affaire simple pour lui. Je vous ai dit d’abord ces choses qu’il dit dans La Logique du fantasme, hein, bon, voilà, ce n’est pas … Je vous ai dit ça, mais dans Ou pire, par exemple… dans Ou pire ou dans Le savoir du Psychanalyste, il dit : l’inconscient a d’abord à faire avec la grammaire et puis la répétition[7]. D’abord à faire avec la grammaire, alors, on se demande … moi, je l’ai lu longtemps en me disant qu’il y a une grammaire de l’inconscient. Après, je me suis dit, il doit passer par la grammaire peut-être. C’est autre chose. Ce n’est pas facile de savoir ce que veut dire la phrase. Et, dans Encore, il indique bien combien la jouissance est prise, est mise en place par la grammaire. La jouissance, évidemment, c’est d’abord la jouissance telle qu’elle est mise en place par l’inconscient. Dans L’Étourdit, il est question des équivoques grammaticales qui semblent bien avoir affaire avec l’inconscient.

Maya Mallet — Il oppose au structuralisme la structure de la langue avec une grammaire générative, avec la syntaxe … (inaudible)

V. Nusinovici — C’est vrai, oui ! Tu veux dire quelque chose ?

Michel Jeanvoine — Oui, c’est la question de l’inconscient et de la grammaire. Ecoute, Lacan a travaillé très tôt donc la question de Schreber. Il a lu Schreber pour nous dire quoi ? Nous rappeler quoi ? Comment la phrase avait valeur d’unité signifiante !

V. Nusinovici — Oui, bien sûr !

M. Jeanvoine — Ben oui, bien sûr ! Non ! (VN : Significative !) Signifiante. C’est essentiel puisqu’il vient nous parler, dans ses commentaires sur Schreber, des phrases interrompues de Schreber… et on voit bien comment, dans la phrase interrompue, le boulot ou la manière dont justement Schreber est absolument commandé par quelque chose, la question du signifiant à travers la phrase, puisqu’il est obligé de conclure, ce que la première partie xénopathique lui impose, il est obligé de terminer la phrase. Donc, on voit bien qu’il a affaire, là, à la question du signifiant d’emblée, à travers quoi, eh bien la phrase. La phrase ça a quand même à voir avec la grammaire !

V. Nusinovici — Ben oui ! Mais toute la difficulté, c’est quoi ? C’est que l’inconscient va forcément passer à travers des phrases. Quand il se demande s’il y a une grammaire de l’inconscient, que bien sûr ce qu’on repèrera d’inconscient aura toujours affaire avec la grammaire mais est-ce qu’il y a une grammaire de l’inconscient ? Et ce que je voulais vous dire à la fin, si vous vous en souvenez, c’est que notre Séminaire d’hiver de 2010 qui était sur le rêve, il avait comme gros titre : ‘Grammaire de l’inconscient’ dessous et l’argument disait ceci : « parler d’établir éventuellement la grammaire de l’inconscient. » Il en a été fort peu question dans les interventions. Il en a été un peu question mais deux fois, par deux fois, Melman a plutôt penché sur le fait qu’il n’y a pas de grammaire de l’inconscient parce que la grammaire… mais je ne suis pas sûr que ce soit définitivement tranché parce que qui sait qui… Mais, en tout cas il a pris le parti radical, il a dit, la grammaire, elle est du côté du phallus, du côté de la norme, ce n’est pas du côté de l’inconscient. Est-ce que ça règle tout ? Moi, je me suis demandé aujourd’hui, en travaillant ça, je me suis dit : mais par exemple, les phrases, les ordres et les contre-ordres du névrosé obsessionnel qui semblent bien venir de l’inconscient, enfin, c’est ce que l’on soutient toujours ! C’est-à-dire l’impératif et le contre-ordre en retour en infinitif, on dirait bien… Je ne pense pas du tout que la question soit close. Vous voyez comment je vous ai montré le cheminement. Alors, ici …

M. Darmon — Est-ce qu’il ne faut pas reprendre cette distinction dans La logique du fantasme entre un inconscient purement littéral …

V. Nusinovici — Oui, elle est commode.

M. Darmon — … et puis le Ça où on met tout le reste ?

V. Nusinovici — Elle est très commode mais je me demande si elle ne l’est pas trop ? Moi, personnellement, j’ai l’impression que c’est un tour de passe-passe, je vous le dis comme ça, je ne crois pas du tout que ce soit une affaire tranchée définitivement. C’était très commode avec le quadrangle, on avait les différents mouvements mais est-ce que, vraiment, on peut s’appuyer là-dessus ? Est-ce que ça règle la question ? Enfin, bon ! Ecoutez, je laisse comme ça parce que c’est… en tout cas, voyez…

H. Ricard — C’est une étape sérieuse quand même …

V. Nusinovici — Ah, oui ! C’est un gros travail …

M. Darmon — Il nous parle du Ça. Je crois qu’il inscrit le Ça comme le grand Autre.

V. Nusinovici — Ici, oui ! On va y venir … c’est pour ça que je ne suis pas sûr …

H. Ricard — Oui, mais, là, ce qu’il dit du Ça, c’est presque caricatural ! (VN : Oui) Ça va de soi qu’il n’a rien à foutre avec ce Ça de la fin de la leçon.

V. Nusinovici — Ah, non ! Non ! On va y venir ! Attends, on va y venir ! Alors, il y a Les Bigarrures après, bon ! Non, d’abord il y a ceci : « Dans le français, il y a trop de grammaire ». Bon, vous l’avez dit Pierre-Christophe, il y en a trop surtout à partir du xviie siècle bien sûr. « Dans l’allemand, il y en a encore plus. Dans l’anglais, il y en a une autre, mais en quelque sorte implicite ». Moi, je me suis posé la question – il va y en avoir qui sont meilleurs que moi – et ça rejoint ce que vous avez dit tout à l’heure : est-ce que implicite – l’anglais est manifestement plus proche d’une structure, l’adjectif il est toujours à la même place, le pronom réfléchi aussi à la même place et ainsi de suite… – est-ce que c’est ça la structure implicite ? Je n’en suis pas sûr ! Enfin, lui, il le dit comme ça … En tout cas, il continue après sur …

H. Ricard — Est-ce que ça ne fait pas référence à ce qu’on appelle le côté idiomatique de l’anglais ?

P.-Ch. Cathelineau — Oui, c’est ça !

H. Ricard — C’est-à-dire que si on se met à parler anglais à partir de nos structures françaises, ils se mettent à rigoler tout de suite. Moi, j’avais ça en Khâgne, je me souviens, c’était affreux de faire des dissertations en anglais. Je ne faisais pas de faute mais on me disait : ce n’est pas de l’anglais !

Plusieurs personnes interviennent en même temps : mais dans toutes les langues !

H. Ricard — Ah, mais non, parce qu’en allemand, ça n’arrive pas ! En allemand, vous avez des structures beaucoup plus déterminées, ce n’est pas …

J. Périn — Ionesco a écrit son théâtre comme ça. Je crois qu’il apprenait de l’anglais comme ça, dans un livre il me semble, et il a repris tout ça dans La cantatrice chauve et d’autres pièces. C’est-à-dire qu’il est parti – il l’a dit – il est parti des petits manuels grammaticaux. Ça donne …

V. Nusinovici — My tailor is rich !

J. Périn — Hein ?

V. Nusinovici — My tailor is rich !

J. Périn — Ça donne ce côté absurde et drôle aussi. Donc, c’est une langue entièrement fabriquée chez Ionesco et la pièce continue de se jouer [brouhaha] ça a un charme énigmatique. C’est ça. Il est parti comme ça des règles de grammaire.

Benoît Fliche — Il y a ambiguïté sur le sens du mot grammaire. Il n’y a pas de langue qui existe sans grammaire. (VN : Bien sûr) Bon ! Ensuite, la fonction politique de la grammaire, c’est exact. La langue française est une fonction, est une langue à fort taux, comme on dit, de grammaticalité et ce fort taux de grammaticalité vient de la construction de l’État, de la centralisation, de la nécessité pour les rois de France qui étaient faibles de rassembler le peuple, de faire parler la langue dite française qui n’a strictement rien à voir avec la région de France. Ça, c’est le taux de grammaticalité, si vous voulez. C’est la grammaire comme norme en tant qu’elle est prise en compte par l’Académie Française mais avant, effectivement, par les rhétoriqueurs, par un certain nombre de personnes. Ce sont les normes telles qu’elles sont imposées pour le – entre guillemets – « bien dire ». Cela dit, il est impossible de dire dans n’importe quelle langue, vraiment dans n’importe quelle langue, sans une grammaire. Alors, moi je veux bien mais cette sorte de grammaire implicite de l’anglais, ce sont des choses … je dirai… On dit en anglais il n’y a pas de grammaire, ça n’est pas exact ! Il y a des traités de grammaire anglaise qui sont extrêmement cossus, consistants. Simplement les anglais, quand vous les interrogez spontanément dans la rue, ne peuvent pas vous faire, comme en français, pourquoi sur événement qu’on prononce ”è“ accent grave, comme Chevènement, eh bien ça ne s’écrit pas comme Chevènement, il faut deux accents aigus parce qu’on a toute une théorie dessus qu’on a apprise à l’école parce que ça fait partie de « l’héritage républicain » – entre guillemets. Alors, je crois qu’il y a deux sortes de grammaire : il y a cette grammaire, enfin je dirai, la norme grammaticale qui est imposée, qui est contrôlée. Il faut vraiment beaucoup s’agiter pour faire bouger l’orthographe ! La réforme de l’orthographe, il y a quelques années, c’est une histoire monstrueuse pour changer quelques accents : Chevènement- Événement, par exemple. Et puis, vous avez le fait qu’on ne peut pas s’exprimer – comme vous l’avez très bien dit – l’inconscient ou tout ce qu’on veut, rien ne se repère sans grammaire. Si on est en dehors de la parole, on peut repérer ce qu’on veut mais on n’a même plus de structure …

P.-Ch. Cathelineau — Oui, mais je suis d’accord. (VN : Bien sûr !) C’est le problème effectivement de ce que vous dites, de l’importance de la grammaire dans la langue. C’est l’importance. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de grammaire.

B. Fliche — Ben oui, forcément il y a une grammaire.

V. Nusinovici — Alors, Les bigarrures et touches. Le vrai titre c’est Les Bigarrures et touches du Seigneur des accords. C’est un bouquin que je n’ai jamais lu mais j’ai regardé un peu, comme certains d’entre vous, sur internet, quelques trucs là-dessus. (HR : on l’a sur Gallica très facilement) Alors, pour ceux qui ne le sauraient pas, c’est un avocat du barreau d’Amiens, je crois, qui s’appelait Etienne Tabourot qui a écrit ça. Il y a eu dix-sept éditions, je crois, ou dix-neuf éditions de 1582 à 1628. Remy de Gourmont l’avait qualifié de « manuel à l’usage des poètes excentriques si nombreux pour ce siècle ». En fait, il y a vingt-deux chapitres, chacun traitant d’une forme de jeux de langage, vous avez les équivoques, les contrepèteries, les rébus, les machins, vous en avez tant que vous voulez et, dit-on, vous voyez, c’est vraiment un bon livre puisque ça va de la grivoiserie à l’érudition et au blasphème. Donc, vraiment, on ne peut pas faire mieux. Lacan, il est quand même très amusant quand il dit : « Et il est saisissant parce qu’il semble tout le temps jouer sur l’inconscient, ce qui tout de même est curieux, étant donné qu’il n’en avait aucune espèce d’idée… » Enfin ! Je veux dire, vraiment, il continue la plaisanterie quand même, comme s’il y avait besoin d’avoir … Quoi ?

H. Ricard — C’est vrai ! On entend un type qui n’est pas justement dans les cadres traditionnels du discours littéraire. Je n’en ai lu qu’une heure avant d’arriver, je dois dire que le repérage des équivoques par exemple, c’est saisissant ! Il ne s’intéresse pas justement tellement à la grammaire, il s’intéresse aux effets de sens et ça, c’est vraiment rare ! Enfin, je n’avais pas encore regardé ce truc et je n’en croyais pas mes yeux ou mes oreilles.

B. Fliche — Ce n’est pas un grammairien, ce n’est pas son métier …

V. Nusinovici — Mais non. Ce sont des jeux de langage.

H. Ricard — C’est un poète qui théorise sur le langage et c’est très étonnant comme texte.

V. Nusinovici — Alors, Lacan dit ensuite – je trouve ça très intéressant – « Comment arriver à saisir, à dire cette sorte de flou qui est en somme l’usage ? Et comment préciser la façon dont, dans ce flou, se spécifie l’inconscient qui est toujours individuel ? » L’usage, cette sorte de flou, c’est une sorte de flou à mon sens parce qu’il déborde la norme de la grammaire. Il y a toujours un petit débordement de la norme et ce qui est amusant c’est que – vous savez comment s’appelle le Grevisse ? Il s’appelle « Le bon usage » et il est sous-titré « Grammaire française » – c’est-à-dire qu’il y a toujours quelqu’un pour vous ramener dans un bon usage qui est la grammaire. C’est ce mouvement normal qui est de déborder la grammaire ou l’usage antérieur pour un nouvel usage qui sera… je veux dire qui deviendra de nouveau conservateur. Ça, c’est le travail de la langue, c’est-à-dire du locuteur et Lacan dit : comment, là-dedans spécifier ce qui serait l’inconscient individuel ? Bon, c’est vrai que – comment dire ? – je ne sais pas s’il est tellement difficile de spécifier, je ne sais pas si c’est vraiment un très gros problème, quand l’usage bouge un peu, on se rend bien compte, enfin peut-être que les premières fois qu’on entend un nouvel usage, on se dit que c’est l’inconscient de celui-là qui a parlé, c’est possible, et puis des fois on se rend compte, on interroge les autres, on dit : mais, ça, tout le monde le dit ! Ça arrive souvent surtout quand on est un peu vieux, je me rappelle de ça, tout le monde le dit régulièrement. Bon !

P.-Ch. Cathelineau — Il y a juste une anecdote, il y a un terme en banlieue pour dire les parents, le père ou … et c’est un terme de vieux français : le daron.

V. Nusinovici — Oh ! Ça c’est vieux quand même ! C’est revenu ? C’est revenu maintenant ?

P.-Ch. Cathelineau — Mais, bien sûr

V. Nusinovici — Ah, ben, ils sont bien …

P.-Ch. Cathelineau — Et donc, on voit comment la langue se crée à partir de…

J. Périn — Le daron et la daronne.

P.-Ch. Cathelineau — comment la langue se crée en reprenant des termes de vieux français. C’est extraordinaire, ça !

V. Nusinovici — Tu en as beaucoup d’exemples ? (PCC : Ben, là, je te donne cet exemple) Non mais tu en as beaucoup ? Moi, j’aimerais qu’il y en ait plus, mais je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup plus. (Brouhaha) De retrouver un terme ancien qui ressurgit, retrouver un mot qui a disparu…

P.-Ch. Cathelineau — En tout cas, il y a de la création permanente dans l’usage.

V. Nusinovici — Ah, oui, ça oui !

B. Fliche — Ce n’est pas de la grammaire, c’est du lexique !

P.-Ch. Cathelineau — Mais le lexique se crée à partir d’un lexique très ancien.

H. Ricard — Il y a des suffixes et des préfixes. C’est des articulations grammaticales, ce n’est pas purement sémantique, le préfixe et le suffixe.

B. Fliche — Dire lourd ou dire relou, ça c’est du lexique. Ça n’est pas de la grammaire, c’est une transformation selon un [? 1h00’05’’] bien sûr, mais ça n’est pas de la grammaire. La grammaire c’est un jeu d’associations.

P.-Ch. Cathelineau — Oui mais quand on parle verlan, on fait de la grammaire.

B. Fliche — On fait de la grammaire verlan, c’est exact !

V. Nusinovici — Mais le lexique, il comporte lex, donc il doit bien appartenir à la grammaire (rires-brouhaha). La grammaire, elle est sous l’autorité de la lex.

B. Fliche — Sauf que l’une est grecque et l’autre est romaine ! (rires)

V. Nusinovici — Ça ne fait rien. C’est un empire réunifié après. (brouhaha)

J. Périn — C’est lié aux armées la grammaire aussi, à la disposition des …

V. Nusinovici — Bon, après, Lacan fait une espèce de petit passage comme ça qui est de dire : le langage, c’est évidemment toujours mis à plat … Pardon, excuse-moi …

J. Périn — Non, je disais qu’une des origines aussi de la grammaire c’est la tactique de guerre, c’est-à-dire de disposer les soldats par rapport à l’ennemi. Donc, par la grammaire, quelque part, on se protège d’un ennemi, d’un objet qui ne doit pas pénétrer ou qu’on doit repousser sans arrêt. Flaubert a été très sensible à ça dans Salammbô par exemple. On dit Salammbô c’est un truc comme ça … mais pas du tout ! Flaubert était obsédé par la grammaire et je crois que ce qu’il a senti, c’est ça, c’est que c’était des mouvements de troupes. De même que le contrat, les pactes sont d’origine militaire aussi. Quand on a décidé d’arrêter de se tuer, on va faire un pacte. Donc, il y a ça aussi, cette origine militaire de ces institutions-là (VN : eh bien, merci !), institutions grammaticales.

H. Ricard — Il y a eu Corneille et Racine…

J. Périn — Salammbô, c’est très intéressant, il faut le lire sous cet angle.

V. Nusinovici — Après, Lacan fait une petite transition comme ça, il dit : « Le langage, c’est toujours mis à plat ». Donc, il le rapproche de son nœud mis à plat. Bon ! Et puis il y a un petit passage où il dit, voilà :

« Et je dirais […] que pour ce qui est du Réel, on veut l’identifier à la matière – je proposerais plutôt de l’écrire comme ça : « l’âme à tiers ». Ce serait comme ça une façon plus sérieuse de se référer à ce quelque chose à quoi nous avons affaire […] ».

Alors, on en discutait là tout à l’heure avec Pierre-Christophe… Lacan, on lui dit : il y en a qui veulent référer le Réel à la matière, ce qui évidemment ne tient pas du tout la route pour le Réel lacanien et, du coup, il joue sur la matière pour écrire « l’âme à tiers » et Pierre-Christophe fait remarquer à très juste titre que l’âme, là, on peut l’entendre comme l’âme du tore et donc, là, on reste dans le lacanisme. Moi, j’étais plus sensible au fait que, comme Lacan critique ce genre de matérialisme-là en faisant valoir cette dimension quasiment religieuse, j’avais l’impression que la matière, c’était plutôt un peu une critique mais, enfin… bon ! Je me rallierai plutôt finalement à ce que dit …

H. Ricard — Ça peut être les deux.

P.-Ch. Cathelineau — Ça peut être l’équivoque.

V. Nusinovici — Ça peut être les deux. Ça peut être l’équivoque. En tout cas, ça n’a pas beaucoup …

H. Ricard — C’est très humoristique parce que les matérialistes en général, l’âme ce n’est pas leur truc, donc …

V. Nusinovici — C’est humoristique !

P.-Ch. Cathelineau — Je pense que c’est les deux.

V. Nusinovici — Oui, c’est les deux. Tu dis que ce n’est pas leur truc mais, lui, il fait valoir que c’est leur truc, alors que eux, ils préfèrent que ce soit … bon ! En tout cas, il y a une référence après à Peirce. La référence à Peirce, comment dire ? On a l’impression qu’elle va de soi puisqu’il s’agit de soutenir la ternarité et que Peirce réfère la référence à la ternarité. Vous vous rappelez, ou vous ne vous rappelez pas, vous savez qu’il y a un triangle dit sémiotique et qu’il y a ces trois termes : le signe ou representamen – parce qu’il y a un étagement, il y a le premier niveau, la secondéité et la tiercéité – c’est un premier niveau qui entretient avec un second, qui est son objet, une relation triadique. Il entretient avec le second une relation triadique, vous voyez, c’est ça qui est quand même très spécifique de Peirce, relation triadique car il détermine un troisième qu’il appelle l’interprétant, [qui va ou à] entretenir avec son objet la même relation. Bon, bien sûr vous pouvez lire Peirce, c’est bien, mais pour ceux qui lisent le Séminaire, à la fin de Ou pire il y avait un long exposé de Récanati et puis il l’a repris ensuite sur … vous avez les dessins et il dit des choses simples, qu’on trouve dans des écrits sur le site. En fait, c’est même plus que ternaire, c’est quaternaire, c’est-à-dire qu’il y a aussi ce qu’il appelle le ground, le fondement du representamen parce que « le representamen ne tient pas lieu de l’objet sous tout rapport » dit Peirce mais par référence à une sorte d’idée qu’il appelle le ground. Et moi, je me suis excité un bon moment parce que c’est le niveau de la grammaire spéculative et j’ai cherché s’il y avait un lien entre cette grammaire spéculative de Peirce et le débat, là, sur la grammaire. Finalement, je ne crois pas. En tout cas, j’ai laissé tomber, je ne crois pas, j’ai un peu fouillé les textes mais je ne crois pas et puis de toute façon, ça n’a pas beaucoup d’importance…

H. Ricard — Oh, si, ça en a parce que Peirce, c’est vraiment un précurseur de Lacan…

V. Nusinovici — Non, je me suis mal exprimé. Je veux dire que sur le terme de grammaire, par rapport à la discussion qu’on avait avant, c’est ça que je veux dire juste. Ah, non, Peirce, c’est très important pour Lacan. C’est très important pour des tas de penseurs, pour des tas de théoriciens, ça c’est sûr ! C’est extrêmement important. Mais, ici, il ne nous dit pas grand-chose. Je veux dire, il s’en sert pour …

M. Darmon — Ben, c’est la logique de la relation, c’est quelque chose de plus général que le representamen. Il y a une note que j’avais faite dans Le Sinthome où il est question de ça, (VN : Oui, oui) c’est-à-dire que Peirce montre qu’il faut établir des relations non pas binaires mais tertiaires pour pouvoir étendre une logique comme ça en réseaux, pour mettre en relation différentes choses et puis pour pouvoir construire. On ne peut pas construire un réseau avec des relations binaires, il faut au moins des relations tertiaires.

V. Nusinovici — Tout à fait. Bon, alors après, on va le savoir l’objet du suspens ! Qu’est-ce qui fait qu’il a été terrorisé ? Il va le reprendre en plusieurs fois. Si vous l’avez lu …enfin, je vous le dis, l’objet qui l’a terrorisé, qui est dans la Collection Philosophie en effet, qui est ressorti après, en poche, en Champ Flammarion, c’est le livre de Nicolas Abraham et de Torök qui s’appelle Le verbier de l’homme aux loups. Ça, ça l’a terrorisé. Je vais vous donner quand même quelques éléments, pour ceux qui ne l’ont pas lu – moi, je ne l’avais jamais ouvert – et donc vous allez peut-être tout de suite sentir le caractère effectivement … pourquoi Lacan dit que c’est terrorisant ! Alors, je vous ai choisi quelques lignes sur – c’est un travail d’années et damné sur le texte de l’Homme aux loups, en tenant compte du fait qu’il avait eu une Nanou anglaise ; il est russophone, il passe évidemment par l’allemand pour faire son analyse avec Freud mais il a aussi l’anglais derrière et, donc, ils ont travaillé tout ça et ce qui est assez amusant, c’est qu’ils parlent d’écoute. Ils travaillent sur du texte mais ils parlent d’écoute. Alors, je vous lis ça quand même. Là, c’est un chapitre sur l’interprétation du rêve. Ils rappellent :

« Vers l’âge de quatre-cinq ans […] notre patient devait disposer au moins des rudiments de la langue anglaise ; ce qui est confirmé à propos d’Elisabeth, la nurse suivante : elle lui lisait des contes d’enfant en anglais. Il est dès lors plausible de rechercher ces éléments verbaux étrangers dans le matériel onirique précoce. Retracer ici tous les chemins associatifs parcourus – par nous – jusqu’à obtenir la traduction [une des traductions !] de l’ensemble du texte, telle n’est pas notre ambition. De fait, la présente tentative résulte d’une longue élaboration, englobant tous les rêves, symptômes et tics verbaux […], et il ne saurait être question de restituer, même partiellement tout le travail de décryptage accompli au long des années. Ce qui nous paraît indispensable, au contraire, c’est de redire en quelques mots [en quelques mots, ça fera quand même pas mal de pages, en quelques mots] comment l’expression « je rêvais » [tenez-vous bien !] est devenue, une fois décryptée, la phrase surprenante que voici : « le témoin, c’est le fils ». »

(Grand silence)

Tout le monde est par terre, hein ! En tout cas, évidemment … c’est-à-dire traduction – et ils le disent eux-mêmes – traduction et ils ont traduit « je rêvais », c’est arrivé après des années à « le témoin, c’est le fils » ! Alors, je vais vous donner juste un petit bout de …, je ne vais pas vous lire tout le truc, mais comment ils procèdent par exemple. Juste un tout petit fragment. Par exemple, le Wolfman dit « fenêtre ». En russe, fenêtre c’est okno, il fallait comprendre « œil », soit oko. C’est amusant pour nous parce que j’ai envie de dire lacaniennement : ok ! C’est un fonctionnement qui est correct : du signifiant au signifiant. Mais, tout de suite, « fenêtre » c’est window ! Après, je ne vous parle pas de White Sunday etc., de White sister etc. Et puis, ils feuillettent le lexique russe et ils tombent sur otchevidno : « … plus loin, otchevidno : « manifestement », et le terme figure d’ailleurs également dans le rêve. Otche-window ! – otchevitno – otche-window puisqu’ils avaient traduit window. Voilà qui commence à parler ! Il existe donc « manifestement », dirons-nous, un rapport entre otche et window … ».

Voilà comment ça fonctionne, si vous voulez. Au fond, la question c’est que c’est une traduction, c’est un travail de traduction. Ils disent décryptage mais décryptage qui va vers traduction. Nous, quand on dit déchiffrage, à la suite de Lacan, ce n’est jamais traduction et ça va du sens vers un certain non-sens. Or, ici, c’est exactement la démarche inverse. Par exemple, Derrida – parce que si vous avez lu, vous avez vu qu’il parle de la « fervente préface de Derrida » – et Derrida le dit bien, il dit : c’est une opération de traduction « de ce vaste espace anasémique ». Alors, c’est exactement la démarche contraire. Ici, ils disent aussi, Abraham, qu’il s’agit d’aller vers – écoutez bien – vers l’unité primitive anté-symbolique dont la rupture a occasionné l’inconscient. C’est-à-dire qu’il y a un grand Un premier. Si vous avez lu Lacan en général mais en particulier le séminaire XI, vous savez que c’est exactement le contraire de sa démarche. Il n’y a pas de Un premier.

Dans un autre texte, il y a d’autres textes – enfin, moi j’avais dans un coin, depuis longtemps, L’écorce et le noyau – et il y a un texte d’Abraham sur Thalassa. Abraham s’est toqué évidemment de Ferenczi[8] et il dit : il s’agit de symbolifier l’anasémie en remontant à ses origines anté-primordiales, c’est-à-dire de fonder une archi-psychanalyse. Vous voyez qu’évidemment, Derrida, avec son archi-écriture a dû se sentir tout de suite éminemment concerné !

Alors, franchement, pourquoi Lacan se sent responsable de cette affaire, comme il dit : « j’aurais pas dû lâcher l’affaire des signifiants » ? C’est du cinoche ! Franchement, il n’y a aucune raison de se sentir responsable de quoique ce soit… encore que, j’ai trouvé que Madame Torök après, plus tard, a écrit que Abraham avait ouvert – c’est ce qu’ils espèrent peut-être ? – une troisième voie entre freudiens et lacaniens. Mais, pour nous, ça fait franchement très très peu lacanien !

Je vais vous dire aussi ça qui est quand même assez… enfin, je trouve. Abraham, il était quand même prédisposé, il était très prédisposé parce qu’il avait un père qui était rabbin et, en plus, imprimeur. Ça fait beaucoup quand même ! Il y a vraiment de quoi… et alors, vous avez vu, ici, Lacan dit : je pense que Derrida, pour être excité comme ça, devait être en analyse avec l’un des deux. Derrida a dit que ce n’était pas vrai et il a souligné que Lacan ne savait pas qu’Abraham venait de mourir de toute façon. Enfin, vous voyez tout ça… la postérité…

H. Ricard — Mais la femme de Derrida, dans cette affaire…

M. Bercovici — Non, c’est Derrida qui connaissait Abraham depuis très longtemps, ils se sont rencontrés à Cerisy (VN : il connaissait Abraham) et ils se sont justement… ils ont échangé un intérêt très fort pour les traces justement (VN : Mais, oui, pour les traces, bien sûr !) et tout l’aspect traumatique derrière l’effacement des traces etc. (VN : Mais oui, bien sûr !)

H. Ricard — Mais est-ce que la femme de Derrida n’était pas analyste ? Enfin, tout le monde le disait, à l’époque.

V. Nusinovici — Quelle femme de Derrida ?

M. Bercovici —Si, elle était psychanalyste mais ce n’était pas un ami de la femme de Derrida. C’est un ami de Derrida.

H. Ricard — Ce n’est pas très intéressant…

Plusieurs personnes interviennent en même temps…

J. Maucade — Ce n’est pas d’une psychanalyse dont il parlait…

V. Nusinovici — Ah, eh bien il dit ! Il dit aussi : je ne sais pas. Si, il dit : « je le crois en analyse » ! Bon, écoutez…

Je voulais encore dire deux-trois points…

M. Bercovici — Mais, c’est quand même intéressant, ça aussi, cette histoire de traces et de traumatisme parce que c’est toute l’Ecole de Ferenczi…

V. Nusinovici — Oh, ben, c’est très… Bien sûr !

M. Bercovici — … qui toujours est rejetée par une psychanalyse qui se veut traditionnelle.

V. Nusinovici — Non seulement traditionnelle mais même lacanienne qui n’est pas traditionnelle… Oui mais vous avez raison, il ne faut sûrement pas la rejeter comme ça ! Sûrement pas ! Mais bien sûr !

M. Bercovici — Chez Abraham il y a des choses intéressantes, qui intéressent aussi le séminaire de cette année, c’est l’intérieur et l’extérieur avec toute l’incorporation… (inaudible).

V. Nusinovici — Mais bien sûr qu’il y a forcément des choses…

M. Bercovici — Et c’est vrai qu’ils vont très loin, là, dans ce texte qui n’est pas très bon. C’est vrai qu’ils vont trop loin dans le…

H. Ricard — C’est du délire !

M. Bercovici — Voilà ! Par contre la préface de Derrida est très intéressante parce que Derrida est un excellent lecteur, il a très très bien lu ce texte…

V. Nusinovici — Mais tout est intéressant !

On va finir sur le mot délire, il faut qu’on termine sur le mot délire, parce que c’est un des mots – il faut qu’on en discute deux minutes – c’est un des mots cruciaux du texte et il n’est pas à prendre dans un seul sens. C’est une des choses les plus intéressantes de cette leçon-là mais je voudrais encore … un point par exemple, sur lequel je vais dire comment je l’ai compris – mais il y a ici des gens qui sont bien plus compétents que moi et qui me corrigeront – voilà, quand il dit : « La psychanalyse […] n’est pas une science […] C’est un délire scientifique […] » – vous vous souvenez – et puis cette phrase : « C’est une science qui a d’autant moins de chance de mûrir qu’elle est antinomique. » Alors, moi, j’ai essayé de comprendre, vous me direz si c’est juste ou pas. Antinomique, j’ai essayé de le comprendre comme ça : si la psychanalyse est une science antinomique, elle mettrait à son fondement l’antinomie, en particulier le paradoxe qu’on représente comme le paradoxe du menteur, c’est-à-dire celui qui n’est pas vraiment un paradoxe pour Lacan parce qu’au fond, il tient au fait que le signifiant est différent de lui-même, que l’énoncé est différent de l’énonciation, elle le met à son fondement, c’est-à-dire que c’est la marque même du sujet de l’inconscient, alors que la science suture cette antinomie. J’ai pensé que c’est ça que voulait dire que c’est une science antinomique et c’est pour ça qu’elle a d’autant moins de chance de mûrir comme science. Je ne sais pas si vous êtes d’accord ?

On peut terminer sur ceci, il fait un saut, il arrive sur Groddeck à la fin. Je crois qu’il y a un fil. Le fil c’est Abraham-Ferenczi, Ferenczi-Groddeck, Ferenczi Groddeck très proches. Vous avez, ici, ce Nicolas Abraham – il ne s’agit pas de Karl Abraham – il s’agit de l’Abraham de ce texte-là. Il ne faut pas confondre. Son départ, c’est sur Ferenczi, c’est un texte d’un enthousiasme formidable sur Thalassa. Il a écrit ça sur Imre Hermann qui a intéressé Lacan quand il faisait de la topologie aussi. C’est des trucs qu’on devrait vraiment travailler. Pourquoi ? Parce qu’ils n’avaient pas peur d’être cinglés ! C’est vrai que nous, on a sûrement trop peur d’être cinglé et, à la fin, Lacan nous dit qu’on ne devrait pas ! Il nous dit : oh, je n’aime pas tellement Groddeck, ce Groddeck qui pensait que le Ça c’était ce qui nous vivait. Effectivement, c’est ce que Groddeck dit au début du Livre du Ça. Il dit que l’homme est vécu par quelque chose d’inconnu, qu’il existe en lui un Ça, une sorte de phénomène qui préside à ce qu’il fait. Bon ! Alors, Lacan dit mais pourquoi est-ce qu’il parle de cette sorte d’unité ? Le Ça, c’est ce que j’ai désigné du nom du grand A et donc il est bien évident que le Ça dialogue ; mais tout de suite, il va retourner les choses, c’est-à-dire que c’est un dialogue qui n’en est pas un puisqu’on ne fait qu’aboyer, dit-il, après la Chose, c’est-à-dire ce qu’il appelle l’âme-à-tiers ou la Chose, c’est-à-dire ce qui ne répond jamais, c’est-à-dire qu’en définitive on parle tout seul. C’est ce qu’il avait dit avant. Plus loin il dira que l’Un parle tout seul. Je ne vais pas reprendre le même débat mais ce n’est pas la même chose, pour moi, que la parole imposée. Ce n’est pas la même chose. Ça ne veut pas dire que la parole imposée ne part pas de là. Dans certains cas, elle part de là. C’est-à-dire qu’il y a parole imposée à partir de là mais selon des modalités qui ne sont pas les mêmes chez tout le monde. C’est ça que je voudrais dire.

Mais je voudrais finir là-dessus c’est, qu’au fond, il dit à la fin :

« C’est bien en quoi j’ai pointé, comme Freud d’ailleurs, qu’il n’y avait pas à y regarder de si près pour ce qui est de la psychanalyse, et que, entre folie et débilité mentale, nous n’avons que le choix. »

Alors, vous voyez, d’un côté il va traiter de délire ce texte et c’est plutôt péjoratif mais, en même temps, il dit que la psychanalyse est un délire ! C’est-à-dire qu’au fond toute la psychanalyse en général c’est un délire et nous n’avons que le choix entre la débilité, la débilité c’est ce qui fait que nous ne pouvons pas savoir y faire avec ce qui nous habite et le délire qui risque d’être que si nous faisons avec ce qui nous habite, nous risquons d’être délirants ! La question qu’on est obligé de se poser à la fin c’est : qu’est-ce que ce serait un délire qui dirait le vrai sur l’inconscient ? Parce que moi je crois que c’est de ça dont il s’agit. Je crois que ce qu’il a l’air de dire de Abraham-Torök – enfin, telle que j’en fais la lecture – c’est que ça ne dit pas le vrai sur l’inconscient, enfin partiellement… enfin selon ce que croit Lacan de l’inconscient, c’est-à-dire qu’il s’agit d’aller vers cette unité première qui est même une phrase, tout le rêve en définitive puisque son sens c’est : c’est toi, le fils qui témoigne et c’est un dialogue en définitif entre la mère et la gouvernante. Donc, ça, je crois que ce ne serait pas le bon délire. Alors, il faudrait déjà que nous arrivions à délirer, ce qui ne nous aide pas beaucoup dans [notre boulot] extrêmement difficile et de la bonne façon.

Voilà, ce que je…

Plusieurs personnes — C’est bien ! Bravo !

M. Darmon — Pour une leçon pas très intéressante !

V. Nusinovici — Ah, non ! J’ai dit : pas très difficile ! C’est pour ça que j’ai pu parler parce que je ne l’ai pas trouvée très difficile.

M. Darmon — Tu l’as rendue…

V. Nusinovici — compliquée !

M. Darmon — riche !

P.-Ch. Cathelineau — Non, c’était bien !

V. Nusinovici — Merci. J’ai trouvé très intéressant qu’au milieu du séminaire, il reprenne des questions qui sont quand même des questions, je dis simples parce qu’elles sont bien connues mais elles nous obligent à les revisiter, à les reprendre de la même façon et à considérer que, quelles que soient les pointes les plus aventureuses, topologiques et tout, il ne doit pas quitter ce terrain-là. Comme il dit : tout ce que je dis se tient. On ne peut pas, au nom de quelques fabrications, oublier les choses et quand il vous dit combien elles sont simples, cette équivoque, cette équivalence du son et du sens, là-dessus, il ne lâche pas ! A la fin, il dit : oh, j’aurais mieux fait de le garder pour moi, c’est parce que j’en ai parlé que je leur ai injecté ça. Pensez ! Peut-être que ça a joué un peu ?

J. Maucade — Il arrive à fonder quelque chose parce que ça tient, c’est-à-dire que si ça se cassait la gueule, eh bien il n’aurait pas pu fonder quoique ce soit. Mais je voudrais juste revenir sur, il insiste sur un point : c’est que le Ça parle et l’Autre ne répond jamais. Il insiste sur ce point, il dit et pourtant : c’est évident que le Ça parle et l’Autre ne répond jamais et c’est là-dessus qu’il termine sa conclusion.

V. Nusinovici — Ben oui ! C’est pour cela que je dis que le Ça, là, c’est l’inconscient et qu’à cet endroit-là, il n’y a pas de division. Je ne pense pas qu’elle soit conservée là.

P.-Ch. Cathelineau — En tout cas, la remarque que tu fais sur le fait qu’effectivement… enfin, moi, je m’étais égaré dans ma folie habituelle sur le fait que…

V. Nusinovici — Tu ne dois pas le craindre !

P.-Ch. Cathelineau — Je m’étais égaré du côté de la science… enfin, la question qu’on se pose, qu’on s’est posée avec Marc, on se posait la question de savoir si le Réel de la science, c’était le Réel de la psychanalyse et c’est vrai qu’on en a fait le thème d’une Journée mais c’est vrai que c’est une question parce qu’on peut se poser…

H. Ricard — Et quelle est la réponse ?

P.-Ch. Cathelineau — Je n’en sais rien ! Je pose la question d’abord.

V. Nusinovici — La réponse c’est le malheur de la question.

P.-Ch. Cathelineau — Ce qui compte, c’est la question, ce n’est pas… Et donc, là, il y a une réponse qui est quasi explicite, c’est-à-dire qu’en faisant de la psychanalyse une antinomie par rapport à la science, j’aurai tendance à dire que ce n’est pas du même Réel qu’il s’agit.

H. Ricard — L’objet a n’est pas pris en compte par le discours scientifique ! Il est directement en rapport avec le trou. Il explique ça dans Les Problèmes cruciaux ou L’Objet de la psychanalyse.

P.-Ch. Cathelineau — Mais c’est une question !

H. Ricard — Mais je voudrais faire une petite remarque sur le concept. Position de l’inconscient, c’est quand même un texte très antérieur ! Et il me semble qu’il pouvait encore parler du concept de l’inconscient mais qu’il n’aurait certainement pas utilisé cette expression à l’époque du séminaire parce que le concept, tu l’as très bien dit, Valentin, c’est le discours du Maître, c’est [??? 1h24’12’’], c’est la philosophie d’ailleurs, mais après il a fait un effort considérable pour se décaler. Et il y a les écritures, il y a les mathèmes etc.

V. Nusinovici — Mais il a gardé toujours – et, à mon avis, parce que c’est très embêtant – il a gardé toujours : l’inconscient est structuré comme un langage. C’est quand même un concept… (PCC : oui c’est un concept) enfin, ce n’est pas loin !

H. Ricard — Ce n’est pas évident ! Le signifiant c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant, tu trouves que c’est un concept ça ? Ce n’est pas évident ! C’est une définition circulaire… enfin, on ne sait pas très bien ce que c’est.

V. Nusinovici — Mais enfin, l’inconscient est structuré comme un langage, c’est une thèse ! On va dire que c’est une thèse, c’est une doctrine mais c’est un abord conceptuel quand même !

H. Ricard — Oui, mais ça, c’est en 1960 qu’il dit ça !

V. Nusinovici — Oui, mais je crois que c’est pas du tout caduc que la phrase : l’inconscient est un concept forgé sur les traces de ce qui opère pour constituer le sujet. C’est parfaitement actuel ! Les traces, ce sont justement toutes ces traces qu’on décrypte, c’est bien elles qui constituent le sujet et c’est à partir de ça qu’on peut dire que l’inconscient est structuré comme un langage et qu’on a un concept d’inconscient, que ce soit celui même de non-réalisé… non, non, ce n’est pas caduc !

H. Ricard — Pourquoi garder le terme de concept pour les éléments de la théorie ? Voilà le problème quand même.

V. Nusinovici — Je l’ai dit juste pour dire que ce serait un concept qui serait justement forgé à partir justement du savoir y faire. C’est ça que je voulais mettre en valeur. Ça, ça me parait très intéressant.

H. Ricard — En tout cas, ce que je voudrais ajouter, c’est que dans La logique du fantasme, il dit que l’inconscient c’est un mot qui n’est pas du tout convenable et qu’il faut le remplacer. Et ça c’est en rapport avec ce que tu as dit par « savoir sans sujet » pour caractériser le S2.

V. Nusinovici — Oui, savoir sans sujet.

H. Ricard — Donc, il y a quand même du flou là-dedans ! (VN : Oui) Et malgré ce flou, je me pose la question : est-ce que le savoir de Lacan, la vérité sur l’inconscient, c’est seulement les moments où il y a la parole, la formation de l’inconscient, ou est-ce qu’il y a, dans la constitution des articulations psychanalytiques, quelque chose tout de même qui se dépose comme savoir… dans les mathèmes ? Et, là, il me semble…

V. Nusinovici — Oui, oui. Il faut les deux.

H. Ricard — Il me semble qu’il faut les deux, voilà !

V. Nusinovici — Il faut la logique et le vrai comme j’ai essayé de le dire là, la logique et le vrai, il faut les deux ensemble.

H. Ricard — Les deux ensemble. Alors, on est d’accord parce que tu avais l’air de réduire en quelque sorte le savoir que nous propose Lacan… (VN : Ah, non !) à ces moments de vérité.

V. Nusinovici — Ah, non, non, non puisque j’ai insisté sur le fait que mon dire ordonne l’inconscient.

H. Ricard — Alors qu’une religion, vous pouvez toujours courir pour en tirer du savoir aujourd’hui. Il y a de la vérité tant qu’on peut mais du savoir il n’y en a pas. Ça ne tient pas, comme le dit Julien. Il y a une certaine consistance de ce qu’apporte Lacan, peut-être même un dépôt ? Je me pose la question. Par exemple, les discours, est-ce que c’est quelque chose qui est condamné comme ça à disparaître ? Je ne crois pas. Enfin, voilà… bon, enfin, excuse-moi mais on est d’accord… et bravo pour ton exposé Valentin.

V. Nusinovici — Je suis très content, merci ! Vous êtes gentils, merci… Vous me touchez beaucoup.

Applaudissements

Transcription Marie-Jeanne Combet

Relecture Danielle Bazilier-Richardot


[1] Lacan, « Ouverture de la section Clinique », Ornicar ?, n°9, 1977, p. 7-14. Citation : « J’aimerais savoir si quelqu’un l’a vraiment lue de bout en bout. »

[2] Idem : « Eh bien, je dirai que, jusqu’à un certain point, j’ai remis sur pied ce que dit Freud. Si j’ai parlé de « retour à Freud », c’est pour qu’on se convainque d’à quel point c’est boiteux. »

[3] Lacan, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, Editions A.L.I. 2014, Leçon I.

[4] En 1974, Jacques Derrida inaugure la collection ”La philosophie en effet » avec Sarah Kofman, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy aux éditions Galilée.

[5] « Le vrai, c’est ce qu’on croit tel. » ; il s’agit en fait de la seconde leçon, du 14 décembre 1976, p. 23 dans l’édition A.L.I. d’août 2014.

[6] Etienne Tabourot, Les bigarrures et touches du seigneur des Accords, avec les Apophtegmes du sieur Gaulard et les Escraignes dijonnoises. Dernière édition revue et de beaucoup augmentée, 1603, disponible sur Gallica, bibliothèque numérique.

[7] Lacan, Le savoir du psychanalyste, Edition A.L.I. 2002, p. 13 : « … l’inconscient a à faire d’abord avec la grammaire, il a aussi un peu à faire, beaucoup à faire, tout à faire, avec la répétition, c’est-à-dire le versant tout contraire à ce à quoi sert un dictionnaire. »

[8] Sándor Ferenczi. Thalassa : Psychanalyse des origines de la vie sexuelle.