Préparation au Séminaire d’Été 2022 – Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L’Angoisse
Mardi 17 mai 2022
Président de séance : Pierre Coërchon
Leçon 24 présentée par Pierre-Christophe Cathelineau
Lacan annonce qu’il va reprendre les choses concernant la constitution du désir chez l’obsessionnel et son rapport à l’angoisse. Il revient à la matrice à double entrée qu’il avait donnée dans les premières leçons.
Qu’est-ce que l’inhibition ? Qu’est-ce que l’émotion ? Qu’est-ce que l’émoi ?
La première colonne « Inhibition émotion émoi » va faire l’objet de son étude. L’émoi n’a rien à voir avec l’émotion, motion hors-de, il renvoie à l’étymologie d’esmayer qui vient du terme allemand mögen : quelque chose qui pose hors de soi le principe du pouvoir, énigme en rapport avec la puissance. L’émoi dans cette corrélation n’est rien d’autre que l’objet a lui-même. C’est ce qui est frappant chez l’obsessionnel. Il me revient le rêve de ce patient qui se voyait assis sur le dos d’un cheval et qui voyait la croupe de ce cheval pétant et chiant en même temps qu’il ruait. Il disait que ça lui suscitait un certain émoi de triomphe. Il s’était remis à écrire après avoir fait l’amour avec sa maîtresse. Je lui dis que cet émoi l’avait remis en selle.
Peut-on dire que l’angoisse dépend de cet émoi ?
L’angoisse ne dépend pas de cet émoi, mais le détermine, il n’arrivait pas à travailler auparavant. L’angoisse se trouve suspendue entre la forme antérieure du rapport à la cause et quelque chose qui, cette cause, ne peut pas la tenir. C’est l’angoisse qui la produit.
Où l’objet a fonctionne-t-il ?
D’où cette allusion à l’émoi anal de l’Homme aux loups, mais qui s’entend aussi bien dans notre exemple. C’est parce que le petit a est là dans sa production originelle qu’il peut ensuite fonctionner dans la dialectique du désir qui est celle de l’obsessionnel.
Pourquoi peut-on alors dire que le sujet est amené à céder l’objet ?
Le sujet est amené à le céder, cet objet, comme dans ce rêve de mon patient, c’est l’objet d’une cession subjective. C’est aussi ce qui dans le rêve fait se succéder le triomphe à l’angoisse. Même observation pour le sein qui est lui aussi cessible : c’est la déréliction du sujet qui doit renoncer au sein et le remplacer par une autre femme que la mère, la nourrice, ou un objet mécanique, le biberon, voire le bout de chiffon ou la poupée, ce que Winnicott a appelé l’objet transitionnel.
Qu’est-il devenu, cet objet ?
Il est ce rapport petit a sur quelque chose qui réapparaît après sa disparition, qui n’est autre que le sujet mythique qui réémerge au-delà de l’objet.
À propos de la fonction de l’objet cessible, Lacan évoque les greffes d’organe qui commencent à se répandre à son époque et les problèmes qui ne manquent pas de se poser. Retirer un organe à un sujet doté d’un électroencéphalogramme plat pour le transplanter ailleurs, est-ce porter atteinte à l’intégrité de sa personne ? Est-ce porter atteinte à ce qui pourrait être représenté dans la religion catholique comme la résurrection des corps ?
Pourquoi peut-on dire que l’objet cessible joue aussi au niveau du regard ?
Y-a-t-il un autre objet cessible : les globes oculaires que nous voyons raviver dans son article sur « L’inquiétante étrangeté » à propos de Coppélius qui creuse les orbites et va chercher ce qui est l’objet capital à se représenter comme l’au-delà le plus angoissant du désir : l’œil lui-même.
Y-en-a-t-il encore un autre ? La voix, qui a aussi rapport avec le surgissement de l’angoisse.
L’objet est non pas fin, but du désir, il est sa cause. Ce n’est l’objet du désir comme sa visée dernière, mais celui qui cause le désir par le réel qu’il fait émerger comme objet cessible. Car le désir est cette sorte d’effet, fondé sur la fonction du manque qui n’apparaît comme effet que là où en effet se situe seule la notion de cause : au niveau de la chaîne signifiante où ce désir est ce qui lui donne cette sorte de cohérence où le sujet se constitue essentiellement comme métonymique. Donc il faut tenir les deux bouts de la démonstration, d’un objet comme cause du désir qui ne surgit que de la possibilité de la chaîne signifiante où apparaît ainsi la métonymie du désir. On n’est pas loin des formulations de « La science et de la vérité » dans les Écrits où Lacan fait surgir la dimension de la cause du signifiant lui-même.
Maintenant voyons pourquoi le désir est à situer au niveau de l’inhibition ?
Freud l’introduit dans son article « Inhibition, symptôme, angoisse » avec la fonction motrice. C’est l’introduction d’un autre désir que celui que la fonction satisfait. Naturellement. C’est le lieu de l’Urverdrängung, du refoulement : ainsi la crampe de l’écrivain est-elle l’érotisation de la fonction de la main qui vient traduire l’inhibition de l’écrivain dans son passage à l’écriture. Il y a donc le désir, l’inhibition dont est frappé le désir et l’acte qui s’accomplit ou ne s’accomplit pas, qui se passe dans le champ réel, dans l’effet moteur.
Si l’acte réussit, est-ce la réalisation du sujet ? Pas tout à fait. C’est la réalisation du sujet dans ses œuvres, des objets a. Et nous voyons ici se profiler la façon dont dans L’Envers de la Psychanalyse l’objet réel sera aussi bien celui des œuvres fabriquées, comme bien de consommation dans le discours du maître ou dans le discours capitaliste dans la conférence de Milan.
Qu’est-ce alors qu’un acte pour le sujet ?
Un acte est une action, en tant que s’y manifeste le désir même qui aurait été fait pour l’inhiber, comme s’il fallait en passer par l’inhibition pour à toutes fins désirer. Ce qui justifie apparemment qu’on continue de parler d’acte sexuel ou d’acte testamentaire.
Pour revenir à l’obsessionnel que dire de ses désirs ?
Qu’ils se manifestent dans cette dimension que Lacan appelle fonction de défense. L’effet du désir est signalé par l’inhibition. Il peut s’introduire par la fonction du désir anal qui est désir de retenir. Nous naissons pour saint Augustin entre l’urine et les fèces, c’est là que nous faisons l’amour, nous pissons avant et nous chions après. C’est tout le sens sexuel qu’il faut retenir de la libido dans ce lien avec le sexuel des orifices qu’établit bien l’obsessionnel. C’est tout le sens de la fomentation de la petite merde chez l’Homme aux loups en lien avec l’acte sexuel.
Que dire alors de ce qui se passe de l’empêchement à l’émotion dans la névrose obsessionnelle ?
Le sujet est empêché de se tenir à son désir de retenir : Lacan dit que chez l’obsessionnel c’est ce qui se manifeste comme compulsion.
Et l’émotion, c’est un « ne pas savoir ». Le sujet ne sait pas répondre à la tâche qui lui est prescrite et il en éprouve une émotion.
À partir de là qu’advient-il de l’obsessionnel ?
L’obsessionnel va faire des allers et retours dans le signifiant à la recherche de la récurrence de tout le processus ; confronté à cet objet anal abject et dérisoire il va être dans le suspens avec ses fausses routes, ses fausses pistes, dans le doute qui va frapper pour lui la valeur de tous ses objets petit a de substitution.
Il ne peut, il s’empêche, il se vautre dans le doute, recul du moment d’accès à l’objet dernier, qui serait la fin au sens plein du terme, alors qu’il s’est introduit dans le transfert avec l’embarras comme question sous-jacente de la cause.
À quel objet fait-il retour ?
Il y a aussi ce retour à l’objet premier avec sa corrélation d’angoisse, motif chez l’obsessionnel du surgissement de l’angoisse. À mesure qu’il avance dans cette voie, il va se défendre d’un autre désir. Pourquoi se défend-t-il d’un autre désir, sinon parce que ce désir anal qui se présente à lui comme fin ultime, il ne peut l’assumer qu’au niveau du doute dont il se défend.
Pourquoi peut-on dire que l’angoisse est au cœur du sujet ?
Ceci est illustratif que pour l’homme, dit Lacan, en fonction de cette structuration propre au désir autour du truchement d’un objet, il se pose comme ayant l’angoisse en son cœur et séparant le désir de la jouissance. C’est le petit a, résidu subjectif au niveau de la copulation. Copule du moins j qui n’unit qu’à manquer et arrivée à l’angoisse de castration qui se produit au lieu du manque de l’objet.
Pourquoi l’obsessionnel se rabat-il sur le don pour accéder sans y parvenir à son désir ?
Il y a un autre désir par rapport au désir génital chez l’obsessionnel qui est désir de retenir, c’est le bouchon excrémentiel. Lacan raille au passage l’oblativité qui était monnaie courante dans les directions de cure de l’époque pour souligner que l’oblativité est un fantasme obsessionnel, alors que dans l’acte génital copulatoire, il n’y a nulle trace de don. Seulement au niveau anal qui empêche la réalisation de la béance dans l’acte sexuel.
Le rapport à la cause, « qu’est-ce que c’est que ça ? »
Lacan l’a développé dans les leçons précédentes à propos de Piaget. C’est le fameux robinet qui coule, quand on l’ouvre. Il y a un empêchement qui s’exprime dans un ne pas pouvoir, il y a une émotion qui s’exprime dans un ne pas savoir.
Où le symptôme se manifeste-t-il avec le robinet pour l’enfant ? Lacan nous dit, c’est la fuite du robinet.
On l’ouvre, sans savoir ce qu’on fait, c’est le passage à l’acte. On l’ouvre et ça coule. Une cause se libère par des moyens qui n’ont rien à faire avec cette cause. La cause est ailleurs. « C’est parce qu’il y a l’appel du génital, le phallus, au centre, que tout ce qui peut se passer au niveau de l’anal entre en jeu. » Parce qu’il prend son sens. La cause est à situer du côté du trou du phallus.
On a vu le passage à l’acte, qu’en est-il de l’acting out ?
Quant à l’acting out, c’est la présence ou non du jet qui le caractérise ici pour le robinet, c’est-à-dire ce qui se produit toujours d’un fait qui vient d’ailleurs que la cause sur laquelle on vient d’agir.
Cliniquement il faut éviter de tracasser trop franchement la cause du désir, sinon on produit chez le patient des acting-out.
Ce qu’on peut dire de l’objet a par rapport au don est transposable à l’image.
Que dire chez l’obsessionnel de l’objet d’amour exalté ? Y-a-t-il lieu de le distinguer d’un amour érotomaniaque ?
L’amour prend pour lui cette forme de lien exalté. Pourquoi ? Parce qu’il veut qu’on aime de lui une certaine image et qu’il s’imagine que si cette image faisait défaut l’autre n’aurait plus rien à quoi se raccrocher. Dimension altruiste de cet amour mythique fondé sur une mythique oblativité.
C’est là où émerge la notion de distance du sujet à lui-même qui dans ce jeu ne profite qu’à cette image.
On y voit communément la dimension narcissique où se développe tout ce qui est chez l’obsessionnel de l’ordre du vécu. C’est le premier temps d’une réalisation de ce qu’il ne lui pas permis de réaliser comme désir. Car de ce désir, il fait le tour de toutes les possibilités qu’au niveau phallique détermine l’impossible, car l’obsessionnel soutient son désir comme impossible, au niveau des impossibilités du désir.
On a cette référence à la topologie du tore. Le cercle de l’obsessionnel est un de ces cercles qui ne peuvent jamais se réduire à un point. De l’oral à l’anal, du phallique au scopique, du scopique au vociféré, rien ne revient jamais sur soi-même en une quête qui pourrait être infinie au niveau de l’âme du tore. C’est à cause de cela que jamais rien ne repasse dans son point de départ et que la répétition tourne autour de l’impossible.
Texte relu par l’auteur.