Séminaire de préparation – Mardi 6 Novembre 2018
La relation d’objet et les structures freudiennes
Leçon 3 Jean-Marie Forget – Discutant Edouard Bertaud.
Jean-Marie Forget – Lacan commence par commenter l’intervention de Françoise Dolto de la fois précédente sur l’image du corps en soulignant que ce n’est pas un objet. Il distingue le rapport à l’image du rapport à l’objet, et notamment en soulignant que les objets qui sont le fétiche et l’objet phobique, quand ils sont abordés par le seul versant imaginaire, amènent un résidu ; il y a un reste. On ne peut pas les aborder uniquement par le versant imaginaire, il y a deux aspects qu’il met d’emblée en évidence. Il reprend donc ce qu’avait amené Françoise Dolto, avec une petite critique sur la question des stades mais sur laquelle il reviendra après autrement, à partir du stade génital.
Puis il s’embarque dans la question de la réalité, il revient sur la réalité, et du réel, en introduisant ce qu’il entendra ultérieurement comme le réel ; là il en parle comme de la réalité. En prenant l’exemple d’une usine hydro-électrique, et en soulignant comment on peut aborder les enjeux d’une telle usine par différents versants. Sur le versant de la physique rapportée à la question de la hauteur, des équations, et tout ceci rendant compte de l’énergie qui se dégage de ce type de mécanisme, mais toutes les approches qu’on pourra avoir concernant cette usine ou ce processus se font sur le fond du signifiant. Il y a un préalable qui est le signifiant, on ne peut aborder les choses d’un point de vue conceptuel qu’à partir du champ du signifiant, et il va appliquer à la libido en disant qu’effectivement l’intérêt que Freud a eu de se rapporter à l’énergie, c’est de chercher et de trouver du côté de la libido des équivalences de pensée. Un déplacement de pensée à partir de la question de l’énergie.
« Il y a une seule libido » formule-t-il d’emblée. Il y a quelque chose de particulier, sur lequel je reviendrai, il souligne que la libido se joue sur un plan neutralisé. C’est-à-dire que la libido fait référence au manque d’objet mais dans un champ neutralisé, c’est-à-dire que le manque est aussi vrai du côté homme que du côté femme. Je le dis comme ça mais ce n’est pas comme ça qu’il le dit dans le texte. Ce terme de neutralisé est ce qui lie entre eux le comportement des êtres dans leurs activités ; il rapporte d’une manière un peu caricaturale le rapport homme/femme aux versants actif/passif, mais en soulignant tout de suite que ce qui pourrait être caricaturalement pris du côté passif, ou du côté féminin, correspond à une forme d’activité. C’est une manière de souligner cette neutralisation en quelque sorte ou cette équivalence d’initiative, si je puis dire, de part et d’autre. J’y reviendrai un peu plus tard parce que je pense que c’est un élément important, et que très vite, quand on passe à la positivation du trait phallique, on bascule d’un côté, et on est en défaut de représentation du côté femme.
À la suite de ça, il fait référence au Es de Freud, le définissant ainsi : le Es est dans le sujet ce qui est susceptible de devenir Je ; à ce titre, il le compare à l’usine hydro-électrique à proprement parler. Et vous voyez cet effet d’après-coup : Le Es, est ce qui peut devenir Je et il le reviendra un peu plus loin sur cette effet d’antériorité, sur cet effet d’après-coup. La constitution du sujet ne se fait que dans l’après-coup. Ce n’est pas une réalité brute, il est déjà organisé, articulé au signifiant et lié au signifiant.
À la suite de cela, Jacques Lacan s’embarque dans le principe de réalité, il va souligner à ce moment-là un certain nombre de dichotomies successives. Le principe de réalité/le principe de plaisir, ensuite le signifiant/le signifié. Le principe de réalité c’est la force, la force de la réalité et il reprend ce terme qui amène le sujet à un certain nombre de détours. Le principe de plaisir étant un processus primaire qui correspond à une tendance à revenir au repos. En soulignant très vite que la libido présente un paradoxe, puisque le terme même qui la représente, le Lust introduit chez Freud est à la fois l’envie et le plaisir. Le plaisir est lié à l’envie, à l’érection du désir et non au repos. Hors paradoxalement le plaisir va se confronter à la réalité mais aussi au retour au repos. Il y a quelque chose d’une confrontation, non seulement à la réalité mais aussi à cet effet de retour au repos et au principe de plaisir.
Une fois qu’il a rappelé ces deux éléments, il passe à la question signifiant/signifié, au rapport signifiant/signifié, deux niveaux de la parole. Le signifiant est le discours concret et le signifié étant le continuum, la continuité du vécu. Il nous rappelle ces glissements successifs dans la chaîne signifiante, entre signifiants qui glissent les uns sur les autres, et qui glissent par rapport au signifié, c’est-à-dire que le signifiant est toujours le signifiant d’autre chose, et cette souplesse qui existe, que toute libido est marquée du signifiant. Ce qui est un élément, un repère conceptuel tout à fait important. Et là-dessus je me demandais si on pouvait faire un petit aparté en ce sens que sur le plan de la pulsion, la libido se rapporterait plus à la lettre. Mais enfin, c’est un point de détail.
La référence que Jacques Lacan fait au Saint-Esprit vise à souligner que l’inscription du sujet est dans le monde du signifiant. C’est le préalable, en quelque sorte. On part de cet élément fondamental ce qui l’amène à la question de l’instinct de mort qui correspond à la limite du signifiant, jamais atteinte par tout sujet, c’est-à-dire que l’instinct de mort est l’effet de l’inscription dans le sujet des marques mnésiques qui amènent un frein par rapport au mouvement continu, déterminé de la vie. L’instinct de mort, ce sont les marques mnésiques qui s’opposent à l’écoulement indéfini de la vie. Là-dessus il y a tout un passage. Je vais reprendre quelques une de ses phrases parce qu’il développe ce même élément sous différents aspects. L’inscription mnésique ou l’inscription signifiante a comme effet de priver le sujet de la vie, du déroulement indéfini de la vie. Et du coup ça marque un arrêt par rapport à un champ qui est le champ de la mort. C’est-à-dire que la vie, la vie du sujet, la vie symbolique se développe sur le fond de la mort. C’est-à-dire que la mort c’est une limite, c’est une condition indispensable à la vie et dans le rapport au signifiant, c’est la mise entre parenthèses de tout ce qui est vie. Le rapport au signifiant c’est la mise entre parenthèses de tout ce qui est vie ; c’est intéressant comme formule. On ne peut avoir le dernier mot du signifié et du flux vital ; le Es de Freud, ce sont des signifiants qui sont déjà dans le réel ; c’est ce préalable dont il nous a parlé auparavant, ce signifiant qui est déjà dans le réel qui peut devenir Je. Vous voyez ce mouvement est tout à fait intéressant.
Alors il revient, puisqu’il a développé ces deux versants signifiant/signifié, sur ces deux autres éléments principe de réalité/principe de plaisir, il revient sur les présupposés de Ernest Jones au niveau d’une harmonie préétablie, – c’est de la rigolade ça ne tient pas la route, – et notamment sur cette hypothèse que l’inconscient, notamment entre homme et femme, serait posé de telle sorte qu’il y aurait une harmonie, une réponse harmonieuse de l’un par rapport à l’autre. Ce à quoi s’oppose tout ce que développe Freud, par exemple à propos des théories sexuelles infantiles. Entendant là que quelque chose de l’impossible est posé et amène le sujet à développer des théories sexuelles, pour rendre compte de cet impossible.
C’est un passage tout à fait intéressant sur ces théories sexuelles infantiles. Jacques Lacan s’attache justement à ce moment-là à la phase phallique, à la phase génitale, avec un petit décalage par rapport à ce qu’il a pu critiquer initialement des stades que Françoise Dolto avait pu introduire la fois précédente. Cette phase phallique offre une seule représentation du stade génital, qui est l’image érigée du phallus. Il y a une représentation qui nous oriente dans une asymétrie de représentation du côté homme et du côté femme, en privilégiant une représentation d’un côté.
Le sujet est plongé dans le signifiant du fait de l’humanité de son inscription, et son inscription est liée à l’instinct de mort, c’est-à-dire, en suivant Freud, que le sujet est amené à se comporter d’une façon essentiellement signifiante en répétant quelque chose qui lui est à proprement parler mortel. Ce sont les effets de cette inscription signifiante et de cette inscription du fait de l’instinct de mort. C’est tout ce qui est développé dans « Au-delà du principe de plaisir », le sujet est amené à répéter ce qui est inscrit en lui d’une manière mortelle mais il répète, il est toujours pris dans cette inscription, et avec une rigueur incontournable, sauf à le décoder. À ce moment il peut s’en dégager un petit peu et être moins tributaire de cette inscription.
Le passage suivant est tout à fait intéressant et surprenant, car inversement il y a une série de choses dans le signifié qui sont empruntées par le signifiant, puisqu’il y a une discontinuité du signifiant, notamment au niveau de la formulation de l’objet du désir ; cet emprunt va venir du corps. Ce qui est emprunté au signifié donne au signifiant ses « armes premières », ça offre une représentation au terme phallique par l’érection phallique. Il y a quelque chose de tout à fait particulier : au niveau de là où il y a un signifiant manquant, là où il manque un signifiant du fait d’un refoulement, le sujet va saisir, l’inconscient, en tout cas, va introduire un élément du corps pour venir boucher, faire bouchon en quelque sorte dans une dimension signifiante et une symbolisation de cet élément du réel et du corps. Je trouve qu’il y a une analogie entre cette opération qui est quand même inhabituelle, c’est rare qu’on dise que le signifié va avoir une portée signifiante mais il me semble que cette opération-là est assez proche de celle qu’on rencontre au niveau du fantasme quand il dit que le fantasme vient boucher la perte de la structure du langage ; la structure grammaticale vient boucher la perte du côté langagier, là où il y a une perte, au niveau de la structure langagière. Le fantasme est une construction grammaticale qui vient faire bouchon. Le fantasme fait bouchon là où il y a une perte du côté langagier. Il y a une analogie avec ce qui se passe ici : Dans le fantasme, c’est dans un rapport imaginaire /symbolique, ici c’est dans un rapport réel/symbolique. C’est intéressant parce que c’est une approche dont on perd l’articulation, Cet élément, cette érection phallique qui est prise dans un champ symbolique, elle est désormais prise dans l’expérience symbolique et donc elle est prise dans les lois logiques des combinaisons des lois du signifiant.
Jacques Lacan passe ensuite à la question de relation d’objet. C’est une relation de manque, de part et d’autre, j’insiste, du côté homme et du côté femme, et le développement amène plusieurs éléments : le développement prégénital n’est concevable qu’après l’apparition de la théorie du narcissisme. Là aussi on retrouve un effet d’après-coup, c’est-à-dire qu’auparavant il n’y a pas de référence au coït, il n’y a pas de référence à la génération, mais le moment où Freud va amener les théories sexuelles infantiles, et il va amener la théorie de la libido – 1915-1920 –, est assez tardif. C’est à partir de la tension narcissique du rapport à l’image que se joue le prégénital ; je reprends ses phrases : « C’est à partir de ce rapport à l’image que nous pouvons avoir idée du centre de réserve à partir d’où s’établit toute relation objectale. » Ce qui montre que le rapport à l’objet est fondamentalement imaginaire, ça va tout à fait dans le sens de ce qu’il veut démontrer, et cette fascination du sujet par rapport à l’image fait qu’il n’est qu’une image qu’il porte en lui-même. C’est une formulation très juste : « il n’est qu’une image qu’il porte en lui-même ».
Parallèlement à ce développement du côté de l’image, il y a tout ce que Jacques Lacan a amené au niveau du Es du sujet, auparavant. Il y a cette dichotomie avec le fantasme et la quête que le sujet va rencontrer dans le fantasme, ou le fantasme de l’objet perdu ; ça le renvoie à une division inexorable entre cette quête de l’objet retrouvé, et de l’objet perdu, entre ce qu’il cherche à retrouver et puis cette dimension imaginaire dans laquelle il est prisonnier. Il le met en évidence sur le graphe entre les lignes parallèles du rapport imaginaire à l’image entre i (a) et i (a’), et puis la ligne parallèle du fantasme. Il faut effectivement qu’il passe par le déroulé du fantasme et par la jouissance sexuelle pour retrouver la décomplétude singulière. Cette discordance de l’objet retrouvé par rapport à l’objet perdu se manifeste dans la conservation dans la mémoire, à l’insu du sujet, « la discordance entre l’objet retrouvé par rapport à l’objet perdu », l’objet cherché, « se manifeste dans la conservation dans la mémoire, à l’insu du sujet, c’est une transmission signifiante à l’intérieur, pendant la période de latence d’un objet qui vient ensuite se diviser, entrer en discordance, jouer un rôle perturbateur dans toute relation d’objet ultérieure d’un sujet. » Il y a un élément que j’aurais aimé plus articuler, quand il met en évidence comment les fonctions imaginaires vont être dans certains moments « une sorte de pont entre le symbolique et le réel ». Bien entendu on pense au fantasme mais il y a cet élément qu’il introduit. Il faudra le commenter ou le revoir si vous voulez. Puis vient de développement de la dialectique prégénitale ensuite, du côté de la psychanalyse actuelle.
Il introduit à la fin tout un ensemble de questions qu’il va travailler ultérieurement mais qu’il approche d’une manière vraiment très rapide, qui est la différence entre la castration, la privation et la frustration. La castration se jouant par rapport à un manque, la frustration dans une perte imaginaire, et la privation comme une perte réelle. En soulignant quand même que celle-ci est hors du sujet, c’est-à-dire que pour que le sujet puisse avoir une idée, ou une appréhension de la privation il faut qu’elle soit symbolisée. La privation c’est un élément qui est radical et dont on ne peut parler qu’après-coup d’une certaine manière, de l’extérieur. Ce sont des points sur lesquels il va assez vite.
Puis il revient, à propos de ce qu’a amené Françoise Dolto sur la triangulation mère/enfant/phallus, en soulignant à la fois les difficultés pour l’enfant de trouver sa place, à ne pas être simplement l’objet de la projection du désir de la mère à l’égard du phallus, ou bien la difficulté pour la mère de ne pas chercher elle-même dans l’enfant son image phallique. Il souligne ainsi ces deux versants. Il survole ensuite, très vite, à la fois l’enjeu de la phobie et du fétiche, difficiles à reprendre trop vite.
Il y a un axe que je voudrais souligner et qui est intéressant. Le premier point est ce que j’évoquais précédemment concernant la neutralisation, puisqu’il parlait initialement de la neutralisation de la libido, c’est-à-dire que pour les hommes et pour les femmes, elle est neutralisée, il y a le manque ; on parle en terme de manque. Puis il va y avoir la positivation du trait phallique qui d’un seul coup va donner du côté homme une représentation dont on ne dispose pas du côté femme. On va retrouver ça dans la triangulation, dans la triangulation mère/enfant/phallus, si on suit cet axe seul de la représentation ; c’est-à-dire comment la mère consent, ou pas, à perdre le phallus, ou comment l’enfant peut se dégager de cette position phallique du fait de la position de la mère. Mais l’autre versant tout aussi intéressant, consiste à se rappeler que la mère est phallique, c’est-à-dire que la mère a engendré un enfant ; elle a vécu la grossesse ; or pendant la grossesse, elle est phallique, elle est toute phallique, elle a le phallus et elle l’est. Je parle de fétichisation physiologique de la grossesse, il y a quelque chose qui fait qu’à la naissance de l’enfant, la mère perd cette fétichisation phallique et cette plénitude narcissique, plus ou moins bien supportée mais ce n’est pas la question ; elle perd cette plénitude, elle va déplacer sur l’enfant cette plénitude phallique. Le lien à l’enfant va être un lien où elle est écartelée entre ce que l’enfant représente toujours pour elle et ce qu’il est. Il représente la plénitude phallique à laquelle elle a renoncé et qu’elle a accepté de perdre, justement dans un écart où elle perd quelque chose d’elle-même mais en l’entretenant en même temps. Il y a quelque chose de très proche d’un deuil pathologique : on continue à faire le lien avec quelqu’un de perdu, c’est très particulier. Et la mère est phallique, il y a cette dimension dans la triangulation ; il faut pouvoir repérer les deux triangles qui sont associés mais qui ne sont pas les mêmes ; l’un où il s’agit de l’objet phallique et du rapport à l’avoir et celui du rapport à l’être où, la mère est en avance sur l’enfant, voire même sur le côté homme, c’est à dire qu’elle a fait une expérience exceptionnelle d’un rapport à la perte tout à fait particulier. On est souvent amené à traiter les choses uniquement dans le champ de ce que la mère aurait à renoncer à avoir le phallus. Alors en fait c’est plus compliqué que cela, c’est ce que Lacan évoque quand il rapporte qu’elle peut chercher chez lui son image phallique ; c’est vrai ; mais au-delà de l’image, il y a quelque chose de plus fort, qui a à voir avec son rapport au réel parce que elle est écartelée entre la poursuite de son phallicisme projeté sur l’enfant et l’enfant réel. Elle-même est écartelée et l’enfant est chargé des deux à la fois. Ils font résonance l’un et l’autre. Il y a quelque chose de très subtil et de très compliqué là-dessous. Je trouve intéressant à partir de ce texte de pouvoir dégager ce relief-là.
Marc Darmon – On va demander à Edouard Bertaud de discuter de ta présentation.
Edouard Bertaud – Merci, vous avez réussi comme ça à ramasser en peu de temps et avec beaucoup de choses que vous avez apportées, une séance qui est quand même très riche. Je pensais sur le dernier exemple que vous avez donné, sur la grossesse, Lacan disait justement que le phallus était un signifiant particulier, c’était dans le corps des signifiants, quelque chose comme ça du corps dont vous avez parlé par rapport au signifié. Et puis c’est vrai que vous avez bien indiqué à la fois, la relation à l’objet c’est une relation imaginaire et qu’en même temps, il insiste beaucoup là-dessus, je crois qu’il nous dit le terme de discordance, c’est-à-dire la discordance imaginaire… Il y a une discordance imaginaire malgré tout, qui est marquée par le manque, ce que vous disiez sur cet écart entre la trouvaille de l’objet et la retrouvaille. Discordance, alors peut-être que la structure du fantasme, dont vous parliez, ça peut éviter la discordance. Est-ce que vous seriez d’accord pour dire que le fantasme ça peut permettre à une personne de ne pas être divisée, enfin de penser qu’elle n’est pas divisée par le fantasme ? Ce qui serait une façon de boucher comme vous disiez le manque… de la parole?
Jean Marie Forget – Oui, si vous voulez. Sachant quand même que dans la structure du fantasme il y a à la fois la structure grammaticale et à la fois son versant imaginaire. C’est lié au refoulement. Quand on s’accroche à l’imaginaire, on se sent bien… Mais en même temps le fantasme est une structure grammaticale qui est marquée d’une perte. Alors ça dépend de la manière dont on se situe par rapport au fantasme parce que si on se situe par rapport au fantasme en tant que tel, l’objet perdu il peut être présent malgré tout, dans son évidement. Et d’ailleurs je trouve intéressant dans l’état actuel des choses de la clinique de lire à l’envers la formule du fantasme, de le lire « a poinçon \$ » – a ◊ \$ – parce que ça implique pour pouvoir s’appuyer sur le fantasme qu’on ait à prendre en compte une perte. Si je tiens compte d’une perte j’ai besoin d’un fantasme, d’aller chercher quelque chose. Mais dans le monde actuel avec un discours inconséquent, pas de perte, pourquoi voulez-vous que j’aie besoin d’un fantasme? Ce peut être un appui, pour aller chercher un truc, on est dans une quête, dans un élan ; quand on met en acte un fantasme, c’est autre chose. Et d’ailleurs dans les formules de la sexuation, c’est un trait, ce n’est plus un poinçon, il y a un temps où on s’appuie sur le fantasme, dans une quête et puis le moment où on passe à l’acte et là où c’est autre chose. On n’est plus divisé, c’est après-coup qu’on se retrouve divisé… ça vient boucher quelque chose, pour un temps en tout cas. On est bien d’accord. On court après. On s’appuie là-dessus pour courir après notre objet.
Edouard Bertaud – Une dernière remarque, ce mouvement comme ça entre relation imaginaire ou discordance imaginaire et mise en avant du signifiant, ce que vous disiez. À partir du signifiant, c’est à partir de là qu’on peut voir les choses totalement différemment. Je pensais à un article qui était paru dans Scilicet, le premier numéro, [« Fétichisation d’un objet phobique », p. 153–158.] où il y a des éléments, à la fois il y a cette phobie du singulier, c’est-à-dire du Un, du bouton, et à la fois d’une adoration d’une mise en série, du pluriel. Une façon de lier à la fois la dimension imaginaire et quelque chose de l’ordre du signifiant dans cet exemple particulier qui vient relier comme ça en un seul objet, fétiche et phobie…
Jean Marie Forget – Oui, il y a ce truc quand même très actuel que j’appelle la fétichisation des mots et que vous trouvez en permanence dans la clinique et qu’on entend dans le social, avec ces mots qui sont fétichisés, on ne peut pas les aborder. On ne peut pas les mettre en cause, on ne peut pas les discuter. Ce sont comme des objets fétichisés, parce qu’ils dénient la différence. C’est frappant dans le discours courant, on les rencontre aussi dans la clinique ; les uns ou les autres ont des propos qui éludent la contradiction, il n’y a pas de contradiction. On peut dire un élément et tout de suite l’envers de ce qu’on dit, c’est ça qui est particulier c’est que ce ne sont pas de mots opposés, les mots opposés, on connaît bien ; là c’est autre chose, on dit une chose et on dit en même temps ce que cette affirmation voudrait exclure…
Julien Maucade – Dans une même logique…
Jean Marie Forget – Oui, j’aime le rouge et j’aime toutes les autres couleurs. C’est ça la fétichisation. Ce sont des mots qui sont comme ça, c’est vraiment très frappant. Et quand on pointe ça dans la clinique, il faut déjà être un peu familier avec le patient, avec les familles etc., quand on pointe ça, ça a un effet de susciter une grande violence, parce qu’on vient dénoncer un déni. Et pour que le sujet reprenne à son compte la contradiction, il faut le soutenir et y aller tout doux, parce que sans ça on est l’objet d’une grande violence. Ca arrive très souvent, entre des êtres, que l’un dénonce les contradictions de l’autre, dans le champ du refoulement ; mais quand c’est lié à un déni, c’est autre chose. [EB – ça déclenche] une très grande violence.
Leçon 4 Isabelle Tokpanou-Discutant Edouard Bertaud
Isabelle Tokpanou – Je vais lire cette leçon IV un peu rapidement. Je pense que dans ce que je dirai, vous entendrez des choses que Jean-Marie Forget a déjà pu dire d’une autre façon, puisque la leçon IV en fait est vraiment très largement annoncée dans la leçon précédente. Elle est annoncée lorsque Lacan situe le cadre dans lequel selon lui, la relation d’objet peut et doit être envisagée. C’est toujours en opposition et quand Lacan parle c’est en s’opposant à ce qui a cours alors dans le milieu analytique où cette notion de relation d’objet, dit-il, se présente comme extrêmement floue, galvaudée, imprécise… Et l’impression que m’a donnée cette leçon, d’ailleurs à un moment il parle d’une partie très technique, Lacan a l’occasion de poser un cadre, avec un souci de rigueur, en général mais surtout de rigueur en examinant les questions qu’il soulève au sujet de la relation d’objet à partir des trois registres, réel, symbolique et imaginaire. En tout cas réel, tel qu’il l’envisage à ce moment-là de son élaboration. La base de ce cadre, pourrait-on dire c’est quelque chose qui paraît aller de soi aujourd’hui, enfin pour ceux qui fréquentent un peu les séminaires de Lacan, c’est que lorsque l’on aborde la question de la relation d’objet, il est question du rapport au manque d’objet, ça a l’air banal, je pense que ça ne l’est pas et ça ne l’est toujours pas tant que ça aujourd’hui, parce que lorsqu’on parle de relation d’objet, je pense que ça reste un peu flou. Il est question d’un manque d’objet. Et pour continuer à construire ce cadre, le manque d’objet doit être considéré à différents niveaux, ce sont ces niveaux que Lacan va s’efforcer de situer, de définir tout au long de cette leçon, et c’est ce qui apparaît dans ce tableau, tableau qui se trouve d’emblée dans cette première leçon, dont Jean-Marie Forget a parlé tout à l’heure, lorsque Lacan définit la castration, en tout cas pour ce qui concerne la relation d’objet, on a le manque d’objet, il y a un agent et il y a l’objet en question. J’y reviendrai.
La castration, Jean-Marie [Forget] le disait, où le manque se situe au niveau de la chaîne symbolique, qu’elle s’inscrit dans un ordre symbolique déjà institué. Je crois que c’est important de le dire. La frustration, autre modalité du manque d’objet, où le sujet a affaire à un manque imaginaire, Lacan dit « par lui-même pensable », et la privation, enfin dont il a été question tout à l’heure, où le manque est à considérer dans le réel. Il parle d’un trou, Lacan, mais à condition que l’objet ait été symbolisé.
Toujours avec ce souci de rappeler et de préciser les notions fondamentales, c’est cet effort que fait Lacan là, à propos de notions fondamentales qui ont perdu de leur rigueur et de leur caractère opérant, la question de l’objet en cause selon Freud est reprise. Dans ce tableau, je parlerai d’abord de l’objet en cause, parce que de quel objet s’agit-il, qu’est-ce qui caractérise cet objet, demande Lacan. Ce qu’on peut en dire, en tout cas, c’est qu’il n’est pas déterminé, pas adapté à priori, pour permettre la satisfaction. Autre chose, déjà dite tout à l’heure, il ne s’agit que de retrouvaille avec un objet de fait inadéquat, qui ne correspond jamais tout à fait à celui mythique d’une première Findung, donc d’une première trouvaille, je ne sais pas s’il faut le traduire comme ça en français. Lacan va jusqu’à dire que l’objet se dérobe à la saisie conceptuelle, je ne sais pas ce qu’il faut en penser mais je trouve que ça ne va pas de soi déjà à cette époque-là de considérer que l’objet en cause échappe à la saisie conceptuelle. Ça fait penser vraiment à ce qu’il pourra dire par la suite de l’objet petit a.
Après avoir soulevé la question de l’objet, Lacan s’intéresse, et c’est vraiment l’objet de cette leçon, à la question de la frustration, frustration dont il dit qu’elle a été vulgarisée au point qu’elle ait fini par désigner tout ce qui pour un sujet rend impossible l’appropriation de ce qu’il désire, notamment sur un plan réel et qui serait repérable dès les premiers moments de la vie. Ce qu’il faut rappeler, c’est que quand on parle de frustration on parle des premiers âges de la vie, des premiers moments de la vie et des expériences préœdipiennes. Ça concerne vraiment les expériences préœdipiennes qui, toutes préœdipiennes qu’elles soient ne sont pas sans incidence sur l’Œdipe qu’elles annoncent et qu’elles orientent d’une certaine façon dans le versant que l’Œdipe va prendre. Je ne sais pas si c’est très évident dans le cas de la petite fille dont il est question après mais, peut-être que vous aurez des exemples cliniques, moi rien ne m’est venu. Lorsqu’on parle de frustration, est-ce qu’il s’agit simplement – là aussi Lacan essaie de définir un peu les contours de ce dont il s’agit – du rapport de satisfaction ou d’insatisfaction, voire d’adéquation à un objet réel centré sur l’image dite primordiale du sein maternel ? S’agit-il de cela ? Rapports à partir desquels d’ailleurs vont être décrits les différents stades instinctuels qu’évoquait tout à l’heure Jean-Marie Forget. La question au fond est de savoir ce qui est vraiment en cause, c’est la question du lien le plus primitif du sujet avec cet objet réel. Pour aborder cela, Lacan soulève la question de l’auto-érotisme. L’auto-érotisme que Freud envisageait comme un stade premier de la relation du sujet à l’objet, est-ce que cette notion est valable ici, quand on évoque la frustration, est-ce que ce rapport primitif serait de cet ordre-là ? Mais alors que faudrait-il dire de ces observations cliniques qui montrent qu’il y a bel et bien des relations efficaces entre l’enfant et la mère et donc des relations efficaces entre le sujet et cet objet réel extérieur à lui, avec lequel, en tout cas pour ce qui est du sein, il se trouve dans un rapport de besoin ? La question n’est pas réglée. Autrement s’agit-il comme la conception d’Alice Balint, à laquelle Lacan fait allusion pour la critiquer, de ce primary love, c’est-à-dire d’un rapport de parfaite complémentarité entre la mère et l’enfant dans une réciprocité telle que les exigences de l’un seraient comblées par l’autre ? Conception étayée par Alice Balint [leçon IV, note 29, p. 114], je ne l’ai pas lue, je ne fais que reprendre ce qu’en dit Lacan, conception étayée par un monde idéal, une sorte de monde d’avant, une sorte de paradis perdu, celui des dits sauvages dont les rapports seraient naturels et l’enfant maintenu constamment au contact du corps de la mère… Si ce monde idéal par définition n’existe pas, que l’on ne peut pas penser qu’il existe et que cette conception ne peut pas être retenue, je pense qu’on peut tout de même s’interroger, je crois que certains cliniciens le font, sur les effets que peuvent déterminer dans la subjectivation, les modes de portage des nourrissons. Il y a des pratiques différentes aussi bien selon les aires culturelles, que selon les effets de mode, ou que selon les préconisations des médecins, des pédiatres, des puéricultrices, de tout ce qu’on veut et je pense qu’il y a un véritable enjeu. Je ne sais pas ce qu’en pensent les cliniciens d’enfants ici, il y a un véritable enjeu même si cela paraît simpliste ce que propose Alice Balint. Les choses vont s’éclairer un peu après parce que quoi qu’il en soit du mode de portage du nourrisson, quel que soit l’environnement dans lequel on se situe, ce qui compte ce n’est pas tant que l’enfant soit au contact de la mère longtemps, la question c’est que puisse se constituer une périodicité, c’est-à-dire qu’il y ait une scansion et il y a de fait une scansion quelle que soit la façon dont un nourrisson est porté. Il me semble que de nos jours il y a des modes comme ça qui semblent un peu à la façon d’Alice Balint, idéaliser ce monde, cet environnement où les enfants auraient été peau contre peau par rapport à leur mère longtemps, où on ne les aurait pas laissés pleurer. Je ne sais ce qu’il faut en penser.
Ensuite Lacan s’intéresse à l’apport kleinien et là vraiment il faut que je vous fasse un aveu, je n’ai pas eu le temps de me pencher sérieusement sur la question, sur les théories kleiniennes, il y a vraiment des choses très intéressantes et je pense que ça s’impose et peut-être qu’en avançant dans la lecture, ça méritera vraiment d’être repris ce qu’elle peut dire là, Mélanie Klein à propos de la relation d’objet. Lacan reprend les choses par le biais de critiques, dont les théories kleiniennes sont la cible, de la part de psychanalystes. Il parle d’un certain Pasche et de Renard, psychanalystes belges. Il s’agirait de reprendre la critique faite par Lacan, ce que lui retient ou semble retenir de leurs critiques étant en gros celles de l’Œdipe précoce. Mélanie Klein, elle soutient l’idée d’une extrême précocité de l’Œdipe, à partir des cas d’enfants qu’elle a pu avoir en analyse. Ce qu’ils peuvent produire et la reconstruction qu’elle en fait, Lacan en parlera après, la façon dont Mélanie Klein pratique quasiment de façon oraculaire, enfin d’allure oraculaire, ramène des choses du passé, fait une lecture comme ça du passé. Il y a cette question de l’Œdipe précoce, il y a cette question de la façon dont Mélanie Klein envisage les enjeux de la position schizo-paranoïde, cette position dans laquelle il y a un chaos pulsionnel, une agressivité des chocs en retour…
Marie Christine Laznik – Pour s’opposer un peu à l’idée merveilleuse de Balint… (IT – C’est ça !) Je crois qu’il est très clairement du côté de Mélanie Klein.
Isabelle Tokpanou – Absolument !… Ces auteurs-là selon Lacan, défendent l’idée qu’il y aurait comme quelque chose de prédéterminé héréditairement qui serait transmis et même plus largement, pas seulement héréditaire, mais transmis sous la forme de souvenirs phylogénétiques donc qui concerneraient l’espèce.
Je ne sais si certains d’entre vous ont lu ces textes de Pasche et Renard mais ça mériterait vraiment de regarder d’un peu plus près, parce que si on suit Lacan dans ce qu’il en dit, ça diffèrerait très peu de ce qui se passe dans le monde animal. Non? Puisqu’il s’agirait d’instinct…
Jean Marie Forget– C’est du développement …
Isabelle Tokpanou – Oui c’est ça il s’agirait de développement… Alors s’il y a matière à critique dans la théorie de Mélanie Klein, ce que dit Lacan, il faut lui reconnaître ce qu’elle a su repérer du chaos et de l’anarchie du monde pulsionnel premier. Elle a su le repérer à postériori, je disais, à partir de différents fantasmes qu’elle met en évidence chez de jeunes enfants. D’ailleurs moi je ne suis pas très à l’aise avec ce qu’elle appelle les fantasmes parce qu’il y a des fantasmes partout, tout le temps… Je ne sais pas si les fantasmes kleiniens sont comparables par exemple à ce qu’il en est du fantasme chez Lacan ou de ce qu’en dit Freud. Ça aussi mériterait de s’y pencher un peu plus. Elle met en évidence des fantasmes chez des jeunes enfants qui lui permettent de remonter assez loin dans un passé préœdipien. Et à ce propos, une des difficultés des critiques faites à Mélanie Klein concerne justement la précocité de l’Œdipe dont elle retrouve des éléments dans cet espace du corps maternel où sont entreposées les richesses de la mère. Comment s’y retrouver ? C’est ça la question. Et Lacan demande comment est-ce qu’un ordre peut s’établir à partir de ce monde chaotique ? Pour Lacan, la reconstruction faite par Mélanie Klein, toute mythique, quasiment prophétique et critiquable par certains égards dans la manière dont elle se présente, a tout son intérêt parce qu’elle est possible grâce aux éléments articulés avec une dimension, symbolique, en tout cas participant d’une symbolicité, comme le dit Lacan. Et c’est ce que Mélanie Klein semble avoir su y repérer qui donne toute sa valeur à sa théorie.
Alors qu’est-ce que Lacan [introduit] ensuite ? Si cette leçon approfondit la question de la frustration, c’est parce qu’elle paraît centrale à Lacan pour aborder ce qu’il en est des rapports primordiaux. De quoi parlons-nous quand nous parlons de frustration, nous demande Lacan. Il est d’abord question d’un objet réel, raison pour laquelle, il le souligne, cela introduit vraiment la question du réel et du réel tel que je le disais tout à l’heure, Lacan l’envisage à ce moment-là, qui me paraît être quelque chose qui se situe entre la réalité mais qui ne l’est pas tout à fait non plus, notamment quand il parle de la mère réelle, la mère qui devient réelle dans la dialectique de la frustration ; on voit bien que ce n’est pas tout à fait la mère de la réalité, c’est pas tout à fait de ça qu’il s’agit, peut-être que vous pourrez nous en dire un peu plus.
Qu’en est-il du réel en cause ici ? À propos de la frustration, il est question non seulement d’un objet réel mais d’un agent, c’est ce qu’on voit dans le tableau, c’est ce qui est mis en évidence dans le tableau. Dans les niveaux de ce cadre que Lacan pose, il y a l’agent et ce sont les sauts dialectiques du sujet avec l’un et avec l’autre, de l’un à l’autre, de l’objet réel à l’agent qui rendent à mon avis la proposition lacanienne aussi déterminante, intéressante et me semble-t-il rigoureuse, parce que là aussi j’ai essayé de regarder un peu ce qui pouvait venir de Mélanie Klein. Peut-être que je ne l’ai pas lue assez ou pas approfondie suffisamment mais au bout d’un moment j’ai l’impression de… c’est trop compliqué. Et je trouve que quand même l’apport déterminant de Lacan c’est cette dialectique qu’il met en évidence, la question des niveaux, des registres réel, imaginaire, symbolique et puis la rigueur que cela impose.
À propos de l’objet réel, il est souligné ici que cet objet, c’est important de le dire – à l’époque Lacan le souligne, mais je crois que ça reste important que nous nous le rappelions – c’est que cet objet peut tout à fait exercer une influence sur le sujet même s’il n’est pas encore constitué comme objet et même s’il n’y a pas distinction entre un Moi et un non-Moi. Il semble d’ailleurs que Mélanie Klein elle aussi, soutient l’idée qu’il y un Moi extrêmement précoce. Lacan dit que même s’il n’y a pas de distinction entre un Moi et un non-Moi et bien l’objet peut tout à fait exercer une influence sur le sujet. Avec cet objet et dans une relation directe avec un rythme, une périodicité va s’instaurer à partir de trous et de manques.
Pour en revenir à la question soulevée, que Lacan soulevait un peu plus avant à propos de l’autoérotisme [chez] Freud, il dit qu’au fond cette position d’autoérotisme n’est pas du tout incompatible avec ce mode de « relation » – alors on mettra relation entre guillemets – dont il est question ici puisque ce n’est pas vraiment une relation avec un autre qui lui n’est pas encore constitué mais il y a indéniablement un rapport dialectique qui s’instaure. Ce rapport est déterminé par le manque d’objet, manque déterminé par l’agent qui à l’origine est, certes la mère, mais pas la mère en tant qu’objet primitif mais la mère en tant qu’elle agence la présence/absence, c’est ça qui est vraiment déterminant ici.
Nous n’avons pas besoin de rappeler ce que souligne Lacan ici, à propos des jeux des jeunes enfants notamment du jeu de la bobine, du jeu de la balle, peu importe l’objet en question, il n’est pas très important, jeu qui rejoue, c’est le cas de le dire, la séquence présence/absence de la mère et ici ce qui est en jeu très nettement c’est la construction de l’agent de la frustration. Si la position dépressive de Mélanie Klein est celle où les objets morcelés s’organisent par rapport au chaos de la position schizo-paranoïde, Lacan propose de voir dans l’élément de totalité qui apparaît au moment de la position dépressive non pas la mère mais plutôt la présence/absence.
Autre fait important chez des enfants qui ne parlent pas encore mais qui entrent ainsi dans le langage, cette présence/absence, nous le savons, est articulée. L’objet maternel appelé quand il est absent et rejeté par une vocalise quand il est présent, ça nous en avons connaissance aujourd’hui. Dans cette marche vers la symbolisation, je crois qu’on peut l’appeler comme ça, dont parle Lacan ici, on voit bien l’écart qui se produit par rapport à la relation d’objet réel, il y a vraiment un écart et tous les enjeux en termes de passage d’une relation réelle à une relation symbolique. Dans cette relation primordiale, l’enfant se situe entre un agent qui participe, et c’est comme ça que le dit Lacan, qui participe de l’ordre de la symbolicité et le couple présence/absence assortie de cette connotation plus/moins qui est l’ébauche d’un ordre symbolique.
Dans cette situation-là il va y avoir des changements, c’est pour ça qu’il est question de saut dialectique. Le fait que la mère puisse ne pas répondre, va opérer un saut dialectique dans cette relation dont les données vont se modifier. Le fait que la mère ne réponde plus dans le cadre de la structuration symbolique qui orchestre la présence et l’absence de l’objet en fonction de l’appel va avoir pour effet de déplacer la mère et va alors entrer en compte son gré, son caprice éventuellement et de fait sa puissance, ce qui va l’amener à quitter sa position symbolique pour devenir réelle. Cela déplace la mère mais cela déplace aussi l’objet. Qui d’objet de satisfaction prend le statut d’objet pris dans une économie du don, un objet symbolique. Et s’il apporte toujours la satisfaction du besoin, cet objet, il symbolise aussi la puissance de la mère dont il y a à s’attirer les faveurs.
Cette symbolisation archaïque, c’est comme ça que l’appelle Lacan, qui fait passer la mère à la réalité, la fait toute-puissante. Lacan souligne au passage, que c’est bien la mère qui est toute-puissante et non l’enfant contrairement à ce qui peut être souvent dit. Elle est toute puissante dans la mesure où elle peut donner n’importe quoi, peu importe au fond ce qu’elle donne, Lacan parle là d’un objet intermédiaire, l’essentiel c’est que cela vienne d’elle. Et là, les aléas viennent non pas de la toute-puissance de l’enfant mais plutôt de tout ce qui peut survenir en termes de déception, de carence et tout cela de la part de la mère.
Lacan va aborder ensuite la question de la relation d’objet, cette fois à partir du phallus. Jean-Marie Forget, à partir de la leçon précédente, a bien développé ce qu’il en est du phallus, terme incontournable dans la relation de la mère et de l’enfant dont il participe à la dialectique. Parce que tout imaginaire que soit le phallus, il est particulièrement important, rappelle Lacan, pour celle auquel ce à quoi il est corrélé dans le réel manque, les femmes en l’occurrence et dans la satisfaction qu’il procure à sa mère.
L’enfant a donc le rapport le plus étroit avec le phallus dont il veut, dit Lacan, calmer le besoin chez la mère, il parle de besoin de phallus Lacan, ça m’a un peu intriguée.
Si nous ne sommes pas dans la complémentarité du primary love des Balint, il y a bien quand même une attente réciproque de la mère et de l’enfant mais la nuance ici c’est que ces attentes mutuelles ne sont pas comblées, c’est ça la nuance et qu’il y a des écarts. Je crois que Jean-Marie Forget l’a dit tout à l’heure, quelque chose dans l’image de l’enfant ne vient pas se superposer à l’image du phallus pour la mère. Et en tant que réel, au fond l’enfant ne vient qu’en place symbolique du besoin imaginaire de phallus de la mère, c’est comme ça que le dit Lacan.
Viennent toutes sortes de questions soulevées par Lacan. Questions auxquelles il ne répond pas, il ne fait que les soulever : à quel moment, comment l’enfant peut-il être introduit directement à la structure symbolique, imaginaire, réelle telle qu’elle se produit pour la mère ? Comment va-t-il se situer par rapport à la question de ce qu’est le phallus pour sa mère, ce moment lourd d’enjeux ? Nous l’avons vu un peu dans le précédent séminaire, Jean-Marie Forget l’a évoqué tout à l’heure. Autre question : là où l’enfant réalise sur lui-même l’image phallique, c’est la relation narcissique qui intervient. Comment cela va-t-il s’articuler pour l’enfant avec sa découverte de la différence des sexes ? Comment l’enfant va accéder ou pas à la notion que la mère manque de phallus, est atteinte dans sa puissance ? Voilà autant de questions.
Avant d’arriver au cas de la petite fille, de cette phobie chez une petite fille de deux ans et cinq mois.
Je peux le résumer rapidement. C’est une petite fille de deux ans et cinq mois tel que Lacan le reprend, ce cas, qui est un cas écrit, rapporté par une élève d’Anna Freud. Je dirais que c’est tel qu’il le présente, cela peut apparaître presque comme un cas d’école, en tout cas dans la lecture qu’il en fait. Avec ce qu’il soulève de la découverte de la différence des sexes, de la rivalité de cette petite fille par rapport aux garçons une fois qu’elle a fait cette découverte-là, de la question du rythme, de la périodicité de la présence/absence de la mère et puis de l’apparition de la phobie. Ce que j’ai noté, c’est que le père est quand même absent…
Marie-Christine Laznik – La petite fille est présentée là après la mort du père à la guerre.
Isabelle Tokpanou – C’est ça, mais il est tellement mort, le père qu’il n’est vraiment pas du tout question de lui au début du cas, mais je n’ai lu que ce qu’en rapporte Lacan.
Marie-Christine Laznik – Il y a un beau-père.
Isabelle Tokpanou – Oui, c’est ça, ensuite il y a un beau-père.
Marie-Christine Laznik – Le père a été tué, la mère travaille dans cette guerre à Londres, la mère a un poste militaire pendant la guerre, c’est comme ça qu’elle-même va être blessée.
Isabelle Tokpanou – C’étaient des éléments que je n’avais pas.
X – Elle va s’absenter, par rapport à la petite fille.
Marie-Christine Laznik – Parce qu’elle est blessée, elle est donc hospitalisée. J’ai lu le cas, je voulais vous l’amener puis j’ai oublié, j’ai lu le cas, je l’avais présenté à un colloque qu’on avait fait sur la phobie.
Isabelle Tokpanou – Vous pouvez peut-être nous en parler alors.
Marie-Christine Laznik – En fait, ce qui se passe c’est que, c’est un centre tenu par les Anna-freudiens qui ont recueilli des enfants pendant la guerre, mais on a beaucoup déplacé des enfants. D’ailleurs à un moment on les déplace tous de Londres hors de Londres, il y a trop de bombardements, ce qui n’apparaît pas dans la reprise que Lacan en fait.
Mais c’est dans le texte, les gens qui travaillent sont très dévoués, ils sont en supervision et ils n’ont rien compris, ce que Lacan pense c’est qu’ils n’ont rien compris de comment elle a guéri.
Et en fait, ce qu’elle dit, effectivement c’est ce que vous disiez. Elle découvre que les petits garçons ont un zizi, pas elle, ça ne la rend pas phobique pour autant. Maman ne vient qu’une fois par semaine avec les petits gâteaux et les jeux d’approche, ça va, ça tient, une fois par semaine suffit. Alors, il y a l’hospitalisation de maman. Mais les choses se déclenchent quand elle revoit maman revenir très…
Isabelle Tokpanou – Diminuée.
Marie-Christine Laznik – Et elle s’appuie sur une béquille.
C’est cette castration de la mère, qui était en place elle, de père réel, ou comme vous dites très bien, il n’y en avait pas d’autre, mais la mère quelque part, qui va faire effondrer tout le système. Et le chien dit Lacan, va venir là pour donner, dit Lacan, une explication à tout ça. Finalement c’est lui l’agent qui chape et ça lui permet de survivre. Effectivement, il se donne un mal de chien là-bas, c’est le cas de le dire et la phobie de la petite fille ne cède pas. Elle est très gênante parce qu’on ne peut pas sortir dans la rue avec elle, et puis le premier jour, elle se réveille, elle est sûre qu’il y a un chien dans la chambre. Elle ne veut plus aller dans cette chambre, elle ne veut plus aller dans ce lit, y a pas besoin, ce n’est pas comme pour Hans, elle n’a pas besoin de voir le chien pour être terrifiée comme ça et elle est réellement terrifiée. Et, ce qui est joli, c’est ce que raconte Lacan, de comment elle guérit. Au fond, pour Lacan, elle ne guérit qu’à la fin de la guerre, quand sa mère se remarie. Et que sa mère se remarie, un monsieur vient occuper, la priver de sa mère et finalement ben, ça lui va. Elle ne va pas si mal que ça, et la psychologue qui la suit la revoit et comble du comble, elle se met à aller très bien quand elle est l’objet de l’intérêt du fils du monsieur qui s’intéresse à elle parce qu’elle n’en a pas. Qui aime bien la voir toute nue pour s’apercevoir qu’elle n’en a pas. Et au lieu que ça la choque, ou que ça la désorganise, ça la rassure beaucoup. Finalement, pour quelqu’un, elle a de la valeur de ne pas en avoir. Mais bon, il souligne beaucoup que la présence d’un père, d’un homme qui fait rôle de père réel en la privant de la mère, ouf ! Pour la petite fille ça sert plus que toutes les interprétations Anna-freudiennes qui avaient été données et qui ne marchaient pas.
Isabelle Tokpanou– Et ce qu’il dit d’ailleurs c’est qu’elle n’a plus besoin de payer de sa personne puisque le père est présent, il s’en occupe, c’est ça.
Marie-Christine Laznik – Les Anna-freudiens n’ont pas compris, je vous dis, c’est ce qu’ils ne comprennent pas, pour Lacan.
Mais ils se sont beaucoup donnés du mal.
Isabelle Tokpanou – Merci.
Marie-Christine Laznik – Alors un autre truc puisque vous en parlez, qui m’a beaucoup surpris. On a tous vu tous ces séminaires dans les vingt-trente dernières années et moi j’ai toujours pensé que cette histoire de présence sur fond d’absence était une trouvaille de Lacan. Pour moi, c’était lacanien. Ben non, Bion venait d’écrire l’année d’avant un texte là-dessus et il l’avait publié. Et un texte de Bion qu’il ne cite pas, parce qu’il cite Mélanie Klein et tout et il ne le cite pas. On sait qu’il a beaucoup aimé Bion, qu’il a été voir Bion tout de suite à la fin de la guerre, mais il ne dit pas là, que son truc de présence sur fond d’absence qu’il vient d’inscrire, c’est du Bion. Moi, j’ai été très humiliée quand j’ai découvert ça, car je pensais que c’était du Lacan.
X – En tout cas, bravo.
Isabelle Tokpanou– Merci.
Marc Darmon – Merci Isabelle, est-ce qu’il y a des questions, des remarques?
Marie-Christine Laznik – Il y a cette question de présence, d’inscription de la présence et de l’absence, c’est une idée, tu vois, elle est de Bion, pour lui s’inscrit un ordre symbolique et c’est l’année d’avant.
Jean–Marie Forget – Il y a un point latéral, vous avez évoqué la question [du portage] et du rapport à la peau et c’est vrai qu’il me semble, mais ça va faire de la publicité pour Marie-Christine [Laznik]. Il y a une collègue qui s’appelle Marie Couvert, qui est belge, qui vient de sortir un petit bouquin justement sur la question du toucher et notamment à évoquer le toucher dans le registre pulsionnel. Il me semble que là-dessus, on a tout un champ de travail, à repérer comment il y a une multitude de pulsions et qu’il s’agit de travailler, d’approfondir mais du côté de la pulsion. Je l’avais fait du côté de la pulsion motrice, aussi. Il y a une multitude de pulsions avec des objets perdus et des circuits pulsionnels et des bouclages et il me semble que ce que vous évoquez. Parce que, Marie Couvert, elle vient demain soir, c’est pour ça que je te fais la publicité.
Elle vient présenter son livre demain soir. C’est un livre qui est très intéressant et très fin. C’est intéressant je trouve, parce que ça donne des ouvertures à repérer comment une multitude de pulsions qui sont à travailler, qui sont articulées aussi les unes aux autres.
Isabelle Tokpanou– C’est des questions que l’on peut retrouver dans les psychoses des adultes avec tous les phénomènes qui se passent au niveau du corps et notamment au niveau de la peau.
Jean–Marie Forget – Oui, c’est juste mais on en trouvera comme [Marcel] Czermak l’avance dans le sens, comment ça s’appelle, le mot va me manquer, despécification pulsionnelle. Il y a la déspécification pulsionnelle, la question de l’intrication pulsionnelle, la désintrication pulsionnelle, il y a tout un ensemble de trucs à travailler et qui sont précieux, d’autant que si dans le monde actuel les sujets s’appuient moins sur leur fantasme, justement parce que dans le discours, il n’y a pas de perte qui soit consentie, c’est dans le champ pulsionnel que ça pulse dans tous les sens, si je puis dire. On a à travailler les choses du côté pulsionnel énormément, en tous cas avec les enfants certainement, mais avec les adultes aussi, les jeunes.
Pierre–Christophe Cathelineau – J’ai beaucoup apprécié l’opposition que vous faisiez entre Mélanie Klein et Balint concernant précisément cette dimension discordantielle du rapport à l’objet. En fait, ce qui est fondamental là-dedans, dans cette affaire c’est que ça ne marche pas. La dimension du manque qui est écrite noir sur blanc dans le tableau, c’est une dimension qui ne s’acquiert que parce que ça ne colle pas. C’est précisément dans le fait que ça ne colle pas, contrairement à ce que raconte l’Autre, que l’expérience subjective est possible et ça, j’ai trouvé que vous l’avez bien fait ressortir. Je pense que c’est l’un des messages les plus prégnant de cette leçon, de faire passer l’objet par le manque. (IT – Oui, c’est ça.) Faire passer l’objet par le manque.
Bernard Vandermersch – Mais avec en plus l’idée que les trois catégories doivent être distinctes, parce qu’il ne suffit pas que l’objet manque pour que le sujet vienne à exister. Il y a des cas de maltraitance infantile où ça manque vraiment et ça ne va pas faire du sujet. C’est aussi la ternarité qui est là.
Pierre–Christophe Cathelineau – Dans le schéma là, ce qui est frappant, c’est que objet, imaginaire, réel, symbolique, il met en place la ternarité. Mais ce que je trouve, ce que vous avez bien montré c’est précisément que si Lacan s’en référait comme ça à Mélanie Klein, c’est qu’il y trouvait appui pour sa théorie de l’objet. (IT– C’est ça.)
Valentin Nusinovici – C’est la théorie du phallus aussi, c’est grâce à elle aussi qu’il dit qu’il n’y a pas de préœdipien, il s’appuie aussi sur elle. Il y a du prégénital mais pas de préœdipien. Mais est-ce qu’il était déjà là ?
Isabelle Tokpanou – Oui, il le dit dans la leçon précédente.
Valentin Nusinovici – Il le dit dans la leçon précédente, il l’a toujours dit, il le redira. Le prégénital, il est toujours dans la rétroaction de l’Œdipe. (IT – C’est ça.)
Edouard Bertaud – C’est vrai, je me disais qu’on a beaucoup parlé là, de Balint et puis de Mélanie Klein, et que c’est vrai qu’il s’appuie sur Mélanie Klein. Il y en a un qui manque, on va dire car la relation centrale d’objet, c’est le manque. Il y en a un qui manque mais qui est quand même là, c’est Winnicott.
Isabelle Tokpanou– Dont il parle ailleurs dans le séminaire mais pas dans cette leçon là.
Josiane Froissart – La question de l’objet, c’est sur Winnicott.
Edouard Bertaud – Là, il n’est pas cité dans cette séance et je me demandais si lorsqu’il évoque la toute puissance de l’enfant et qu’il critique cette toute puissance de l’enfant, si c’était pas une critique.
Josiane Froissart – De Winnicott.
Edouard Bertaud – Masquée, on va dire à Winnicott et à ce que Winnicott a pu développer sur la toute puissance de l’enfant et la fascination de la mère pour cette toute puissance, d’une toute puissance passée, d’une nostalgie notamment.
Josiane Froissart – Tu fais référence à quand Winnicott dit : « Créer, trouver. » (EB – Oui.) Enfin, ça mériterait plus de développement, on ne peut pas.
Edouard Bertaud – En tous cas, c’est une question que j’avais à l’esprit.
Marie-Christine Laznik – Presque un séminaire complet à Winnicott. (EB – Oui.)
Marc Darmon – Il intervient dans l’expression « Moi, non-Moi ».
Edouard Bertaud – Et sur ce cadre, c’est vrai que vous disiez que Lacan pose et la façon dont on retrouve symbolique, imaginaire, réel. Je me suis posé la question, parce que c’est vrai, c’est une séance sur la frustration, il centre vraiment les choses sur cette question là. Le saut dialectique dont vous parliez, c’est-à-dire quand la mère devient réelle, il n’est pas inscrit dans le tableau. C’est-à-dire que dans le tableau, il y a le premier temps où la mère est symbolique. Il n’a pas inscrit ce deuxième temps, sur lequel il insiste, qui est nécessaire et je me suis posé la question.
Marc Darmon – Ce n’est pas parce que la mère devient réelle qu’elle est agent de la castration. (IT – C’est ça.)
Edouard Bertaud – Comment on l’écrit, pourquoi ce n’est pas dans le tableau, comment on l’écrit dans le tableau ?
Bernard Vandermersch – Parce qu’il ne suffit pas qu’elle refuse de donner à manger à son gosse pour qu’il devienne sujet. Elle devient réelle, c’est-à-dire elle introduit une dimension de l’impossible mais ça ne suffit pas pour faire un enfant. Maintenant, il est évident que c’est un passage nécessaire quand même. On voit très mal, d’ailleurs comment une mère pourrait combler parfaitement son enfant en permanence.
Isabelle Tokpanou– C’est ça que je n’arrivais pas à dire, enfin à penser tout à l’heure quand je disais que la mère, quand il parle de réel c’est de la réalité mais pas tout à fait, c’est-à-dire effectivement, elle introduit une dimension d’impossible donc c’est du réel, enfin, c’est un autre réel.
Bernard Vandermersch – Non, quand Lacan rouspète sur l’idée de la toute puissance de l’enfant, mais quand même, il y a un fantasme de toute puissance en tous cas une espèce d’idéal de toute puissance chez l’enfant qui existe dans la pratique à laquelle on est confronté.
Julien Maucade – Mais il renvoie à la mère dans ses actes.
Bernard Vandermersch – Et puis, dans, la psychose il y a le tout ou rien, où c’est la toute puissance, enfin le monde entier ne tient que ou alors, il n’est plus rien du tout. Je crois que l’on ne peut pas larguer complètement cette idée de toute puissance chez l’enfant. Il y a des enfants qui réussissent à même, comment dirais-je, à martyriser toute leur famille sans que justement la mère ne devienne réelle. Voilà, c’est un petit bémol, quoi. Et moi, je trouve une chose de très important sur lequel, Jean-Marie [Forget] tu avais soulevé, c’était dans la leçon précédente. C’est effectivement, qu’il y a dans le signifié certains éléments qui sont pris dans le signifiant pour lui donner si l’on peut dire, ses armes premières, à savoir des choses extrêmement insaisissables et pourtant très irréductibles dont justement le terme phallique, la pure et simple érection. Il y a quand même quelque chose où Freud dit : « L’anatomie c’est le destin », où ce n’est pas comme Freud le dit, la présence/absence du phallus, mais l’existence de l’érection phallique à laquelle il semble attacher une importance, comme le prototype dans l’imaginaire de ce qui va servir à constituer l’ordre symbolique.
X – Sans les bourses, il dit bien.
Bernard Vandermersch – Parce qu’après dans la fin de l’enseignement de Lacan, l’objet petit a vient vraiment au centre de son articulation avec le phallus, c’est moins évident. Alors que là, c’est quand même l’ordre symbolique lui-même qui dépend quelque part de ce prêt-à-porter dans l’imaginaire.
Jean–Marie Forget – Mais c’est là que c’est délicat si tu veux, parce que je trouve, je vais le dire un peu vite, qu’il y a quand même une injustice d’une certaine manière parce qu’après dans ce fil là, on va traiter très vite les choses du côté homme. Et d’ailleurs, en reprenant les choses après, on parle de l’enfant qui est le phallus de la mère, le manque de la mère. On traite les choses du côté de l’avoir ou pas l’avoir. Or, on est piégé dans la représentation, c’est effectivement compliqué parce que est-ce que du côté justement femme, la question se pose par rapport à la génération antérieure ? Il y a quelque chose de très délicat je trouve, à savoir comment se représenter, justement la libido du côté féminin qui est du côté, il me semble de l’incitation, quelque chose de cet ordre là. J’ai parlé de la tension au sens de ad, de susciter quelque chose, mais il y a quelque chose qui est beaucoup plus difficile à représenter. Mais un manque, il nous disait, il est neutralisé le manque. C’est vrai qu’il faut structurer les choses du côté du symbolique, mais comment rendre compte de ce manque d’une manière qui soit, c’est deux versants un peu différents.
Bernard Vandermersch – Différence entre quoi, l’enfant manque à la mère et la façon dont il qui manque au père, par exemple.
Jean–Marie Forget – Oui, non c’est du côté homme/femme que j’ai situé les choses, ce n’est pas tout à fait dans ce registre là. Mais enfin, ça demanderait de comprendre les choses autrement.
Julien Maucade – La relation de la mère à son père, à elle.
Jean–Marie Forget – Oui aussi, bien entendu. Parce que tu le retrouves dans les formules de la métaphore. La métaphore, c’est d’abord le désir de la mère, faut démarrer par le désir de la mère, la mère interdite. Il faut qu’il y ait une décomplétude dans le discours du côté de la mère pour qu’il puisse y avoir une nomination, donc la décomplétude, elle vient du rapport à la génération antérieure, du trait phallique du côté de la génération antérieure. C’est vrai, il me semble que c’est important d’articuler ça avec l’autre génération pour reprendre ce que tu évoques là. La question de la structuration symbolique mais dans une antériorité qui permet à la mère d’être dans cette décomplétude et d’avoir ces jeux de position possibles. Il faudrait le reprendre.
Julien Maucade – Du désir de la mère de faire un enfant qui est aussi en rapport avec la génération d’avant.
Jean–Marie Forget – Oui aussi, bien entendu.
Julien Maucade – Et là on découvre beaucoup de choses dans la clinique quand on traite cette question.
Jean–Marie Forget – Oui, tout à fait.
Julien Maucade – C’est-à-dire ce n’est pas juste le père son époux.
Jean–Marie Forget – Bien entendu, quand on parle de père de l’enfant, c’est le père de la mère aussi. Il y a une résonnance et un effet de résonnance entre les signifiants du Nom-du-père, les lettres du Nom-du-père dans la génération d’avant et ce qu’il joue en résonnance avec le père réel. C’est ça qui est très délicat. On le dit un peu vite là. Vraiment, c’est une altérité le rapport homme/ femme, c’est un truc qui se traite différemment, je trouve.
Bernard Vandermersch – La sexualité, c’est une usine hydraulique et pas une usine à gaz.
Marc Darmon – Il faut que les psychanalystes n’en fassent pas une usine à gaz.
Texte relu par l’auteur.
Transcription : Marie Pochulu, Catherine Parquet, Isabelle Nicoud, Sylvie Liotard.
Relecture : Dominique Foisnet Latour, Érika Croisé Uhl