SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2019 – LA RELATION D'OBJET (1956-1957) – LEÇON 23
15 juillet 2019

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FLORENTIN Thierry
Séminaire d'été

Séminaire de préparation – Mardi 18 juin 2019

La relation d’objet et les structures freudiennes.

Leçon 23 Thierry Florentin – Discutant Pierre-Christophe Cathelineau.

Dans cette leçon XXIII, Lacan annonce vouloir aborder, formaliser, dit-il, « de façon un peu différente ce qui se passe », ce qui est réellement dans l’observation du petit Hans.

Cette formulation, « ce qui se passe », est très importante pour nous, dans notre exercice, c’est une formulation qui nous renvoie à une nécessité d’humilité de l’analyste, il en revient aux faits, à la clinique, celle qui est rapportée par Freud, dans le texte de Freud, évidemment pas dans la traduction de Marie Bonaparte, Catherine Ferron le soulignait la dernière fois, il y a quinze jours, dans sa présentation de la leçon XXI, « rigueur du texte », dit Lacan, de « ce qui est dans l’observation », et pas de spéculation hors de ce qui se passe de ce qui nous est rapporté dans le texte, et sur lequel, on peut toujours, évidemment, broder, comme dans toute observation, pas seulement celle du petit Hans, où il y a de quoi alimenter les psychanalystes et les universitaires pendant mille ans, « il y a toutes les portes-fenêtres possibles », avec insistance, puisque vous connaissez le dicton que l’on peut toujours faire rentrer une interprétation par la fenêtre lorsque celle-ci sort par la porte. C’est évidemment dans La relation d’objet et son interprétation que cela est le plus marquant, le plus flagrant, comme il l’a suffisamment énoncé, dénoncé, pourrait-on presque dire dans les premières leçons, à propos de [Maurice] Bouvet et de ses compagnons de la SPP de l’époque, Pasche, etc. qui vont se perdre dans l’imaginaire des portes-fenêtres qui n’ouvrent sur nulle part que les champs de l’imaginaire, à perte de vue.

C’est possible, en effet, nous dit-il, de « délirer sur le cheval » à perte de vue, voilà un signifiant à tout faire, un signifiant qui se prête à ravir à toute « extrapolation », fût-elle de mérite, lettrée et savante, comme s’y exerce d’ailleurs Robert Fliess. Il y a toute une « mythologie du cheval, » « plus noble conquête de l’homme », rappelons le, qui prête flanc à toute élucubration, fût-elle savante, et méritante – les jungiens et interprétateurs de tout poil n’ont qu’à bien se tenir – il n’est pas aisé de résister à la sortie du sillon tracé par le signifiant cheval, quel que soit le talent spéculatif de celui qui tient les manettes de la charrue interprétation, comme le fait Fliess, dans cet article, que je n’ai pas lu, honte à moi, mais où il semble vouloir rabattre le dialogue entre le père et l’enfant sur une spéculation plus générale, opposant l’ontogenèse et la phylogenèse en dehors de toute référence transférentielle, semble t-il dans le dialogue.

J’ai des réponses, qui a des questions ? Voilà ce dans quoi pourrait s’engouffrer derrière Robert Fliess, quiconque ne supporterait pas l’écart angoissant des énigmes non résolues. Donc mise en garde de Lacan, enseignement, sur cette manière d’interprétation encore très en vigueur en ce temps-là, année 1957 et suivantes. Extrapolation, « énorme extrapolation », dit-il même, et qui en fait guette chacun de nous, dès lors qu’il s’agit de parler d’un patient, en contrôle ou dans toute autre instance, réunion de synthèse dans un service hospitalier, par exemple, et que nous sortons du sillon de la lecture de ses propos, où nous avons tendance à parler sur un patient, et non pas du patient. Ceci pour illustrer, une fois de plus, l’intérêt de la méthode de Lacan, et celle que pour ma part, j’ai suivi des années à Sainte Anne, avec [Marcel] Czermak, dans la présentation de patients. D’abord on parle, on échange, on recueille le texte de l’échange, et ensuite on discute.

Et pourtant, quelque chose dans cet article de Robert Fliess retient Lacan, et de ce qui n’a au final pas échappé à Fliess et qui apparaît notamment dans la manière dont ce dernier reprend le dialogue du 21 Avril, dans sa littéralité, notamment à la fin de ce court petit dialogue, à entendre dans le cadre transférentiel. Le père du petit Hans « est là pour quelque chose dans le surgissement de cette phrase, insiste Lacan, « que l’on sent mûrie par tout ce qui vient de précéder. » :

Hans: « Weil du eifern tust. » Parce que tu te mets en colère.

Le père : « Das ist doch nicht wahr! » Voilà qui n’est pas la vérité

Et Hans de répondre:

« Ja, das ist wahr – bien sûr c’est vrai – du tust eifern, das weiß ich – Tu te mets en colère, je le sais. » Voilà qui doit parler à ceux d’entre nous qui reçoivent des enfants, d’où l’enfant sait-il ? D’où vient son savoir, celui qui nous saisit parfois, et nous laisse pantois, mais pantois de quoi ? D’admiration, de stupeur ? Leur savoir de vérité, celui qui vient dire la castration? Et qui scotche autant les parents que les thérapeutes, en tous les cas tous ceux qui sont amenés à l’entendre, tellement il est saisissant, inattendu, brutal, fulgurant, et définitif. Tellement il serre la vérité d’une situation. Malgré les démentis et dénégations, comme le dit Lacan à propos du père de Hans, mais c’est aussi vrai de toutes ces situations, où les parents trichent avec la vérité, en pensant que l’enfant sera dupe. Il joue au dupe tant qu’il n’y a personne pour l’entendre. Mais dès qu’une personne en mesure d’entendre sa vérité pointe son nez, ou son oreille, pam ! Il vient d’une façon fulgurante rappeler qu’il ne faudrait tout de même pas le prendre pour un enfant…

Lacan va essayer d’en dire un mot un peu plus loin, revenons au dialogue.

« Das muß wahr sein. Cela doit être la vérité. » Cela, c’est le Lacan que nous aimons, et la psychanalyse que nous aimons, celle qui va venir faire raisonner l’éclat d’une expression autrement passée inaperçue, et qui révèle la force, la vérité de la formule Das muß sein. Cela doit être ainsi. Non pas parce que je l’aurais perçu ou senti, ou déduit, ou je ne sais quoi, décrété selon mon bon vouloir, que je te dis ça, mais parce que cela doit être ainsi. Voici la vie, dans sa nécessité.

Du côté du nécessaire, et non pas du contingent.

Donc, voilà, d’emblée, par cette oreille du psychanalyste au plus proche du texte du patient, enseignement de Lacan en rupture avec les spéculations de la psychanalyse de l’époque, dite freudienne, le fragment par lequel Lacan nous indique, c’est mon hypothèse, que Hans a bien traversé le moment phobique, pour reprendre la discussion que nous avions la dernière fois, notamment avec Marie-Christine Laznik, de savoir si c’était une traversée finie ou non finie, et si cela avait échappé à Lacan ou non.

Un autre élément qui vient alimenter cette discussion serait les indications que Lacan va nous donner à la toute fin de la leçon, où d’abord il rappelle « le mythe du plombier qui lui change le derrière », mais surtout il insiste sur « l’amnésie du petit Hans », qui ne se souvient plus de rien, lorsqu’il retourne voir Freud dans l’épilogue de l’histoire. Traversée inachevée, Lacan emploiera le terme de stigmate, mais traversée tout de même, rendant inutile, superflu, l’usage du signifiant cheval.

« Das muß wahr sein », cela doit être, du côté de la nécessité, et de l’avertissement fait au père, littéralement par cette formule, dit Lacan, le petit Hans adjure son père de jouer son rôle de père.

Fin du dialogue, et émergence d’un nouveau fantasme, qui est celui de la blessure que s’inflige le père lorsque le petit Hans vient se couler dans le lit maternel, que l’on nomme en allemand le lit matrimonial.

Le père vient se blesser contre une pierre, alors évidemment la blessure que doit se faire le père dans le fantasme de l’enfant, elle peut être lue comme celle de l’agressivité contre le père, mais aussi bien celle de l’alliance, de la circoncision, de la livre de chair que le père doit abandonner, « le sang doit couler », afin de tenir sa place de père. Il y a un renversement total des générations, autour duquel le père tourne comme un enfant pris en défaut, et qui semble implorer, alors que la partie est perdue, au fils, un certificat de bonne conduite paternelle.

« Mais est-ce que je t’ennuie ? » Et il y a là un jeu sur l’emploi du terme, schimpfen, necken, aux intonations bibliques, souligne Fliess, mais qui nous renseigne surtout sur l’embarras du père, qui ne sait que répondre à son enfant qui l’interroge sur sa propre castration, et sur la certitude de l’enfant, qui énonce d’une façon plutôt assertive la place inoccupée du père, et qui ne se laisse pas démonter…

Ce qu’il te manque, au fond, dit le fils par ce fantasme, c’est la castration, c’est le sang de la blessure, de l’abandon de jouissance pour que moi-même je puisse advenir en tant qu’être.

Ce phénomène injonctif repéré par Robert Fliess lui fait attribuer cet échange, et c’est là où Fliess va évoquer la phylogenèse, à la naissance du surmoi chez l’enfant in statu nascendi, en train de naître. Et Lacan va s’intéresser aux références de Fliess dans cet article, qui sont celles d’Otto Isakover, qui a rédigé lui-même un article sur les origines auditives de la constitution du surmoi, une prédominance de la sphère auditive, avant même que l’enfant soit en mesure de saisir le contenu des paroles interdictrices.

« La sphère auditive humaine, écrit Isakover, modifiée dans le sens d’une potentialité pour le langage, doit être considérée comme le noyau du surmoi », ce à quoi Lacan répondra que tout cela ne lui semble n’avoir qu’un « rapport très lointain », formulation élégante pour dire « c’est du grand n’importe quoi. » Mais ce qui intéresse Lacan dans cette histoire, est qu’Isakover détache la voix, l’isole de l’appareil psychique, en allant chercher la monture du surmoi dans ce que le sujet entend des modulations syntaxiques, les paroles vides, puisqu’il ne s’agit que de leur mouvement, de ce que l’enfant va percevoir comme structure de la parole de l’adulte avant d’en percevoir le sens.

Lacan fait cette remarque en passant, ce serait intéressant de corréler ce texte d’Isakover à l’observation du petit Hans, sauf que, objection, le fragment de dialogue du 21 Avril nous montre quelque chose de déjà constitué, et pas du tout une quelconque forme d’intériorisation d’un surmoi en train de se constituer.

Tout dans cet échange entre Hans et son père vient montrer à quel point Hans a déjà saisi la structure de la relation familiale et conjugale, l’affadissement du désir paternel vis-à-vis de la mère de Hans, Olga Hoenig, et les règles de bonne vie qu’il tente de lui inculquer, à son père, à travers ce qui est qualifié comme un fantasme, celui de la blessure du père. Et quand tu remonterais, « Wenn du in die Wohnung heraufkommst », alors, je me sauverais vite loin de Maman, « kann ich geschwind weglaufen von der Mammi, daß du’s nicht siehst », et tu ne me verrais pas, de telle sorte que tu ne me voies pas.

La question de cette genèse du Surmoi, dit Lacan, en train de naître, révélée dans ce petit échange avec le père, reste donc pleine et entière. Comme Lacan le disait en début de leçon, l’énigme n’est pas résolue.

Vous voyez comment lorsque nous lisons ce texte de 1957 dans l’après-coup, soixante ans plus tard, les concepts de l’objet a, du grand Autre, etc. on les voit au travail déjà chez Lacan… Enfin je sais que tout le monde n’est pas d’accord avec cette manie de vouloir repérer une proto-pensée dans les textes de Lacan de concepts qui ne viendront que bien plus tard, mais bon, c’est pour lancer la discussion, tant pis s’il s’agit d’un forçage.

Et finalement, Lacan va extrapoler l’observation du Petit Hans, son mouvement, vers un mouvement plus global, plus général, « nous devons à tout instant chercher des références générales », dit-il, « afin de dégager un progrès dans le maniement des concepts de l’expérience analytique », et instituer un postulat, qui n’en est absolument pas un, puisqu’il est issu de ce que nous donne l’expérience analytique, ouverture au-delà du petit Hans, dans la question générale du névrosé, posée au niveau de son existence même : Qu’est-ce qu’avoir un sexe ? Qu’est-ce que c’est que d’avoir celui que j’ai ? Qu’est-ce que veut dire que je puisse même me poser la question ? Que veut dire mâle et femelle, ce sexe que l’on m’a attribué ? Est-ce un effet de discours, ou le Réel anatomique, qui va déterminer mon destin ? Et au nom de quelle réalité dois-je m’y soumettre ?

Vous voyez que Hans anticipe, un siècle à l’avance, il a une réponse, à une question moderne, à laquelle nous nous confrontons en masse, aujourd’hui, la question du genre. Homme ou femme ? Il y a dans ces pages de Lacan, de la leçon du 26 Juin 1957, une illustration des difficultés dans lesquelles nous nous retrouvons quand nous sommes confrontés aujourd’hui à des jeunes qui viennent nous interpeller avec cette même formulation, devons-nous les appréhender du côté de la névrose, alors on est tout de suite qualifiés de réactionnaires, au mieux, ou d’être complètement à côté de la plaque, ou du côté, ce qu’ils nous demandent, de la validation du Réel.

Autre formulation, plus dramatique, dit Lacan, puisqu’il s’agit de la question de l’existence même du sujet, dont Lacan nous donne ce raccourci saisissant, question portée par l’obsessionnel : « Qu’est-ce que c’est que d’exister ? Comment est ce que je suis par rapport à celui que je suis, sans l’être puisque je puis en quelque sorte me dispenser de lui ? »

Base de travail, définition de ce qu’est le symptôme pour un sujet, préalable de travail, qui permet de sortir de la plainte, du compassionnel, du psychothérapique etc., le sujet par son symptôme est porteur d’une question en suspens, vivante, c’est une question du vivant, articulée sans que le sujet sache précisément ce qu’il articule : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. »

Sans qu’il sache lui-même qu’il est dans cette question, encore une nouvelle torsion, un nouveau retournement, de lui-même sur lui-même.

Et c’est là où nous retrouvons notre cheval, et ses spéculations sur son sens signifiant, puisque cette question se traduit non pas dans une geste mythologique, pour laquelle il nous est toujours difficile de ne pas verser, mais à un niveau syntaxique, qui peut être aussi bien à un niveau grammaticalement très élémentaire, constitué de lettre alphabétique, que d’une syntaxe plus élaborée, plus complexe, et cependant abordable et lisible au moyen du maniement de ces deux grands versants que sont dans le langage, la métaphore et la métonymie.

Qu’est ce qui nous permet de l’affirmer ? Est-ce un parti-pris idéologique, comme on le reproche à la psychanalyse, en 1957 comme aujourd’hui, avec la même virulence ? Lacan répond, avec des phrases qui sont formidables, et qui mériteraient d’être transcrites littéralement : « Parce que » dit-il « pour que nous ayons une observation, il faut que nous commencions par analyser ». Analyser, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire nous mettre à l’écoute du dire du patient, au-delà de son dit… Et que ce dire au-delà de son dit se trouve pris dans la parole et dans le langage…

Le propre de la question du névrosé étant d’être une question fermée, il n’y a aucune raison qu’elle se livre, cette question, à celui qui se livrerait à un simple relevé. Ce resterait un texte hiéroglyphique, indéchiffrable, et énigmatique. C’est ce qui est arrivé aux aliénistes, heureusement secrétaires de l’aliéné, ce qui a permis de conserver leurs textes, mais ne soupçonnant même pas, avant Freud, l’existence de la langue de la névrose.

Il y a de très belles lignes sur la lecture du dire au-delà du dit du patient, « c’est dans la mesure où quelque chose intervient qui est un commencement de déchiffrement que nous arrivons à saisir, à voir les transformations, les manipulations, nécessaires, pour qu’il nous soit confirmé qu’il s’agit bien d’un texte dans lequel nous nous retrouvons au moyen d’un certain nombre de structures qui apparaissent, pour autant que nous le manions. Soit nous le manions au niveau du pur et simple découpage comme on le fait pour les énigmes. » Et Lacan s’appuie sur l’exemple freudien, ou de Poe, Elisabeth de Franceschi suppose qu’il s’agissait du Scarabée d’or, qui raconte l’histoire du déchiffrement d’un vieux parchemin, telle une dépêche codée, ou archi-codée, « soit sur le retour dans la parole à plusieurs reprises, un grand nombre de fois », dit Lacan « d’un signifiant élevé à la valeur d’un ensemble syntaxique, sous la forme de mot », que Lacan qualifie « d’unité-signification, qui va dominer dans le discours du patient sous la forme d’un nœud organisateur, sans que nous puissions pour autant reconstituer et suivre fidèlement ce qui est venu développer la névrose, du fait même de la structure de ce nœud organisateur qu’est la condensation. » Il y aura toujours un reste…

Cela seul, cet effort de déchiffrement de ce qui a été effectivement noué dans le texte du patient, nouant un élément du passé avec la situation actuelle, cela seul ne nous suffirait pas s’il n’y avait la façon, ajoute Lacan, dont « le dialogue s’engage pour la solution de ce discours. »

Et cela ne peut se faire autrement, dit-il, sans que nous offrions notre place comme lieu d’où doit s’originer, se garantir, ce discours. C’est à partir de là, de cet Autre que nous incarnons, de cette place que nous occupons, que nous allons voir arriver, émerger, les éléments de l’inconscient du sujet. C’est là ce qui s’appelle le transfert, c’est là ce sur quoi s’appuie le dialogue révélateur, qui va permettre de décrypter la fonction du personnage que nous occupons.

Le transfert est la pièce majeure sans laquelle il ne peut y avoir de décryptement, la structure fondamentale, nous dit Lacan, sans laquelle rien ne peut se résoudre du discours de la névrose, nous y sommes intégrés comme éléments signifiants, et nous y sommes mis en mesure en demeure, de résoudre le sens du discours de la névrose.

Et bien évidemment ces lois qu’énonce Lacan du transfert et de la parole s’appliquent également à l’observation du petit Hans, dans la façon dont se déploie la complexité de sa relation au père.

Or, dans cette observation du petit Hans, c’est la parole du père qui est retenue, même s’il écrit les dialogues avec son fils, au plus fidèle de la restitution, c’est tout de même lui le père, qui parle à Freud. « C’est lui qui fait l’analyse », nous dit Lacan, ce qui détermine la caractéristique et la structure de cette observation.

Et donc l’Autre, c’est Freud, c’est lui qui incarne cette place dans le transfert, le père tout-puissant, le super-père, l’instance supérieure, à repérer, dit Lacan, dans toute espèce de relation…

Vous pensiez être deux, à pouvoir vous contenter d’une intersubjectivité bien tempérée, et finalement, a contrario de ce qui est ordinairement représenté dans la dialectique analytique de ces années-là, il y a de l’Autre.

Car il faut en effet rajouter toutes sortes d’éléments supplémentaires, et notamment un élément qui occupe une béance critique dans toute relation à deux, et notamment avec la mère.

Hans occupe cette fonction imaginaire avec sa mère, c’est celle du phallus. Et ce d’autant de la naissance d’Anna, la petite sœur, qui vient expulser le petit Hans de l’affection de la mère. Moment éprouvant, dit Lacan, critique, typique de l’apparition de la phobie chez l’enfant, quelque chose vient à manquer à un moment donné, ce quelque chose censé venir jouer le rôle fondamental dans l’issue de la relation de l’enfant à sa mère.

Et ce quelque chose est le phallus.

Nous n’avons aucune appréhension possible du complexe d’Œdipe si nous ne prenons pas en compte que la mère n’est vécue, dans l’Œdipe, à partir de ce moment donc, qu’en fonction du père.

Père, que Lacan écrit dans ses formules avec un grand P, car père au sens absolu du terme, au sens d’un Père symbolique, en tant que Nom-du-Père, qui vient instaurer l’existence du père dans la problématique œdipienne.

Lacan l’écrit « (-p) x (-p) » c’est le conflit imaginaire, avec le père, pour autant que le père joue son rôle, et « x [serait] le pénis réel. » Pour autant que la mère accepte d’introduire le père dans sa relation avec l’enfant comme facteur symbolique essentiel, et pour autant que le père joue son rôle, c’est lui qui possède la mère, c’est lui qui en jouit. Point barre.

Fonction imaginaire, facteur symbolique. Nécessité anthropologique essentielle au fondement du développement de l’ordre humain, mais en mesure de se fragmenter et de s’affaiblir, elle n’est pas acquise définitivement, nous rappelle Lacan, donc au moins les analystes sont prévenus depuis 1957, et spécifique au genre humain. Cela n’existe pas chez l’animal. Il n’y a pas ailleurs que dans l’espèce humaine, de castration dont dépendent les fonctions sexuelles, et qui soit ainsi dépendante d’un signifiant. C’est sur le plan du symbolique que s’organise le complexe d’Œdipe, ce qui suppose en retour pour le sujet qu’il ait pu entrer déjà dans l’ordre symbolique, que cet ordre ait déjà pu être constitutif pour lui.

Ce n’est pas l’explication sexuelle donnée à Hans qui l’intéresse, celle-ci ne lui sera donnée pour finir que le 24 avril, trois jours plus tard, car finalement, il se fiche pas mal, car il n’est pas sans le savoir, que Maman ou Papa soient symbolisés par tel ou tel élément, cheval, voiture, etc., mais sa propre inscription dans sa généalogie. D’où vient-il, et d’où viennent les parents ? Et que signifie pour lui d’être l’enfant de l’un et de l’autre. S’il sait ce qu’il doit à sa mère, et que ça se trouve plus ou moins dans son ventre à elle, Hans pose la question : Qu’est ce qu’un père, et à quoi il sert ?

« Il n’y a dit Lacan, aucun obstacle dans l’ordre naturel à ce que tout tourne d’une façon exclusive autour de la lignée féminine, sans aucune espèce de discrimination de ce qui peut arriver à propos du produit, puisque le fils peut engrosser la mère », etc. de génération en génération…

Le Père, est le pivot, le centre fictif et concret, symbolique de ce maintien de l’ordre généalogique. Et tout ce qui se passe dans les névroses vient suppléer à cette difficulté au sein de la dialectique œdipienne. « Qu’est-ce qu’un père, et à quoi il peut servir ? » Et il y a un minimum du père réel à faire pour servir cette question, et pour transmettre à l’enfant la notion de sa place dans le monde, dans l’univers symbolique.

Et Lacan rappelle que l’enfant doit avoir tout de même traversé un certain nombre d’étapes antérieures, prégénitales, pour pouvoir y accéder.

Dans le cas de la phobie, un objet, celui de la phobie, vient jouer une fonction métaphorique, rôle autrefois joué par le totem, mais suppléant à une carence, réelle, celle du père en l’occasion, c’est la seule fonction du cheval dans la phobie du petit Hans, élément suppléant à ce qui a manqué au sujet, signifiant brut, dit Lacan, il est trouvé dans l’environnement, en l’occurrence un livre d’images pour le cas du petit Hans, où le cheval qu’on ferre se situe sur l’autre page de celle de la cheminée où se tient la cigogne qui apporte les enfants dans les familles.

Rôle d’arrêt, de point de butée, au développement sans limite d’une angoisse autrement insupportable, et impossible à canaliser, malgré son rôle également empêtrant, parasitaire, pour le développement de l’enfant, et dont l’analyse a pour responsabilité d’en extraire les virtualités symboliques signifiantes, dans la mesure où cet objet qui vient à la place du père symbolique, vient répondre métaphoriquement à l’appel de l’enfant à la fonction phallique. Et c’est cela qui est important à comprendre, le cheval n’est pas là en tant que signifiant, mais en tant que place qu’il vient occuper, là où devrait se tenir le père symbolique, place d’appel à la fonction phallique, et qu’il occupe métaphoriquement. Quelque chose qui fait peur, et qui mord, et qui menace le pénis réel de l’enfant.

Alors, comment travailler avec l’enfant phobique, nous dit Lacan ? Alors même que son objet, nous dit Lacan, il y tient, il le tient, et qu’il ne s’agit pas de lui désorganiser sauvagement.

Donc vous voyez comment toutes ces affaires d’immersion virtuelle, prônées par les cognitivistes, peuvent être totalement à côté de la problématique portée par la phobie de l’enfant.

Mais ce que dit Lacan est très intéressant. Il s’agit de déplacer l’enjeu phallique. Et non pas par exemple de s’attaquer à la vraisemblance ou non de la phobie. Ce que nous avons tous tendance à faire spontanément.

Et Lacan nous donne une succession d’interventions de Freud qui viennent dialectiser la problématique du petit Hans, à travers la fonction du cheval, qui peut mordre, mais qui peut aussi tomber, à travers le chariot sur lequel Hans est monté, ingouvernable et chargé d’autres enfants, qu’Hans se chargeait de mettre lui-même, et tel qu’il est entraîné pour finir par le cheval, à travers nous dit Lacan, d’un certain nombre d’échanges et de permutations, jusqu’au dévissage de la baignoire, transformation décisive dans l’évolution de la phobie dira encore Lacan, dans le déclin du phallus maternel, et dans la maîtrise que le petit Hans peut en avoir, et ce jusqu’à l’entrée en scène de la petite sœur, « là de toujours avant même d’avoir été là », même s’il sait parfaitement qu’elle n’a a jamais été là avant, dans le jeu de Hans.

Jusqu’à faire intervenir cette petite sœur, dans une construction fantasmatique où elle se met à dominer le cheval, maîtresse du signifiant, au prix pour lui, de se fixer à une ambigüité par rapport à son fantasme de domination féminine. Ainsi que d’une certaine ambivalence sur la position relative des sexes. Ce sera le reste, le prix à payer, la séquelle au fait qu’un autre petit Hans puisse naître de l’ancien petit Hans, de qui on a dévissé le derrière, pour le remplacer par un plus gros.

Avant que l’amnésie dite infantile vienne recouvrir, nous dit-il pour finir, de son manteau d’aliénation et d’oubli cette intense activité psychique …

Relecteurs Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.