Du « Trieb » de Freud et du désir du psychanalyste - Séance Plénière du 8 janvier 2024
08 janvier 2024

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THIBIERGE Stéphane
Le Collège de l'ALI

Collège des enseignements de l’ALI

Etude du Séminaire Les Fondements de la psychanalyse, J. Lacan

Séance Plénière du 8 janvier 2024

Du « Trieb » de Freud et du désir du psychanalyste, in Ecrits,  J. Lacan

 

Stéphane Thibierge : Bonsoir, bonne année, puisque c’est le début de l’année. Nous allons donc démarrer cette année avec la reprise de ce texte de Lacan, très court et très lumineux, me semble-t-il. Alors, bien sûr, nous allons parler comme nous le faisons de façon habituelle. Mais je pense que sur ce texte, puisque vous avez travaillé dessus, ça pourrait être pas mal que quelques questions nous viennent de votre part puisque, les retours que j’en ai eu, que nous en avons eu, avec Angela, nous ont laissé entendre que ça n’avait pas été forcément très simple pour vous. Moi je pense que ce serait pas mal de partir de certaines de vos questions. Alors bien sûr, nous avons préparé des choses à vous dire, mais pourquoi ne pas partir de la façon dont vous avez lu ce texte ou essayé de le lire, enfin comment ça vous est apparu. Est-ce que vous auriez, là, des questions sur ce texte « Du Trieb de Freud et du désir du psychanalyste ». Dans lequel, déjà dans le titre – mais je vais vous laisser parler – mais déjà, dans le titre, il y a quelque chose d’assez saisissant de la part de Lacan, c’est-à-dire cette manière dont il vient jeter un coup de torche, de lumière comme ça, très vive. Le Trieb de Freud ça s’éclaire par le désir du psychanalyste. C’est quand même étonnant comme formulation. Et en même temps, le texte va y conduire avec une rigueur, une précision, une simplicité assez admirable. C’est cette simplicité d’ailleurs qui est parfois difficile à lire chez Lacan. S’il est difficile à lire, c’est parce qu’il est simple. Et si nous avons du mal à le lire, c’est parce que nous sommes tordus et souvent tordus dans la névrose. Alors il faut détordre la névrose pour pouvoir lire Lacan, comme Freud d’ailleurs. C’est souvent ce qui nous fait difficulté. Mais alors, écoutez, tranquillement, pourquoi ne pas partir donc des questions qui vous sont venues. Est-ce que quelqu’un voudrait ici ouvrir ces questions ? Ce serait pas mal. Par exemple, la question : « Ça je ne comprends pas ».

 

EN SALLE : Peut-être sur le côté éclairant, parce que vous dites : « c’est très clair », mais dans le groupe, c’est vrai que le titre est très prometteur et à la lecture de la leçon, le lien avec le désir de l’analyste, on reste un peu en question toujours sur ce lien entre la pulsion et le désir de l’analyste. A la lecture, j’ai essayé de lire entre les lignes, mais à la lecture c’est un peu compliqué ce lien avec le désir du psychanalyste, au final, entre la pulsion et ce lien avec le désir de l’analyste. On reste toujours en question. Est-ce que réellement c’est ça qui a été traité ?

 

S.T. : Vous entendez bien. Oui c’est bien. « Est ce que réellement c’est ça qui a été traité ? »

 

EN SALLE : Comme si on l’attendait mais on reste avec cette impression. Alors j’entends ce que vous dites sur le fait que c’est si clair alors que pour le coup, pour nous, ça l’est moins.

 

S.T. : Je trouve votre question très bienvenue parce que vous allez droit à la difficulté, on ne voit pas bien le rapport entre le Trieb, la pulsion chez Freud et le désir de l’analyste. C’est que le désir de l’analyste, d’une certaine manière, on l’attend exactement à cette question-là. On attend l’analyste à ce qu’il va faire de cette question-là. C’est-à-dire que, qu’est-ce que vous faites de ce avec quoi Freud aborde la question de l’inconscient, du rapport à la réalité et de l’éthique qui s’en dégage pour l’analyse. Alors Lacan, il va déplier la question, son texte, c’est un éventail, vous voyez ? Il commence, si on considère que dans un éventail il y a plusieurs plis, le premier pli, c’est de dire, Freud décolle complètement, il tranche vraiment. Il tranche le désir de la référence à la réalité. Le désir n’a aucune référence dans la réalité. Le désir est autre chose. Le désir – alors on va voir ce que c’est que cette autre chose – mais vous voyez dès le début du texte, dès le début du texte, Lacan souligne, je ne sais plus à quelle occasion, mais je crois que nous vous l’avions évoqué. J’avais dû vous dire que c’est un texte dans lequel on sent parfois une certaine colère de Lacan. Une certaine colère, c’est-à-dire une impatience devant l’espèce de spontanéité avec laquelle nous avons tendance à rabattre le plus subversif de la psychanalyse dans les voies ordinaires de la prêcherie religieuse, qu’elle soit religieuse ou qu’elle soit laïcisée sous la forme de la médecine. Il en parle à la fin. Très vite, on retombe dans ces erreurs et ces errements, mais aussi ce manque de courage, qui consiste à aplatir complètement tout ce que la psychanalyse et Freud d’abord nous révèle de complètement nouveau à un moment donné. Lacan souligne qu’avec la castration, le terme de castration, Freud renouvelle entièrement notre rapport au désir. Alors il faudra essayer de voir ce que ça veut dire ça. Mais l’enjeu n’est pas mince. Alors pourquoi est-ce que nous, nous avons tendance à nous précipiter dans les façons les plus communes d’étouffer cet enjeu, de le recouvrir, de le rendre plat, de le rendre idiot ? Et qui sont les façons des psychologues, des religieux, et des médecins qui sont, dit Lacan, pas moins religieux que les autres. C’est une religion laïcisée. Pourquoi est-ce qu’on est si pressés ? Alors c’est sans doute, si on est si pressés de faire ça, c’est sans doute qu’effectivement, la question, elle est difficile à tenir. Et pourtant, si les analystes ne la tiennent pas, qui la tiendra cette question ? Parce que Freud est vraiment le découvreur de cette question. C’est la question du désir. Donc merci pour votre remarque. On ne voit pas le rapport entre le Trieb de Freud et le désir de l’analyste. Mais le désir de l’analyste c’est la question posée à partir du Trieb de Freud. Qu’est-ce qu’a voulu dire Freud quand il parlait de pulsion ? Est-ce qu’il voulait dire, une espèce de spontanéité vitale qui nous orienterait vers un objet instinctivement trouvé ? Est-ce que c’est ça qu’il a voulu dire Freud, à votre avis ? Non, pas du tout. Il ne dit pas que la pulsion, c’est la façon dont on est guidé par l’instinct vers un objet, il ne dit pas du tout ça. Il dit que la pulsion, déjà, contrairement à l’instinct, elle a des objets multiples, complètement hétéroclites, variés. Déjà ça, à soi seul, ça pose quand même, ça renouvelle la question du désir. Le désir humain, il n’a pas d’objet adapté. Alors Lacan va déplier l’éventail, pas à pas. D’abord, il dit, Freud casse radicalement le lien entre la réalité et le désir. Ensuite, il va faire quelques autres pas dans le texte, mais déjà merci pour votre première question. Enfin je ne sais pas si j’y réponds, Angela ?

 

Angela Jesuino :  Oui, je voulais peut-être éclairer ce titre de quelque chose qui a à voir avec le contexte dans lequel Lacan vocifère comme tu dis. C’est toujours important de restituer l’adresse du texte de Lacan pour en saisir l’enjeu. Alors, où est-ce qu’il parle Lacan ? Il va parler dans le colloque Castelli. Qu’est-que c’était le colloque Castelli ? Ce n’est pas de l’anecdote ça ! C’est un colloque qui a été mis en place par Enrico Castelli, qui était un philosophe, historien de la philosophie, professeur à l’Université de Rome et qui a réuni en Italie des figures majeures sur le plan philosophique, ontologique, théologique, phénoménologique – de tout ce que vous voulez – dans un désir de contribuer à une renaissance de la culture de l’Europe. Rien que ça ! Donc, qui est intervenu dans ces colloques ? Paul Ricœur, Emmanuel Galeri, Levinas, Emile Benveniste, Umberto Eco, Gerson Shalem… et Lacan. Quand il prend la parole là, c’est un colloque dédié au thème « Des problèmes introduits dans l’éthique par les effets de la science ».  Je me suis demandé pourquoi est-ce que dans ce contexte-là Lacan a décidé de parler de la pulsion et du désir du psychanalyste ? Et de la façon dont il va parler de ça, dont on peut parler après. Mais je pense qu’il y a là quelque chose de très intéressant de pourquoi ce choix. Evidemment ça faisait partie intégrante de ses préoccupations pour le séminaire qu’il avait commencé à l’Ecole Normale Supérieure. Et, quand on voit ce texte très ramassé, on se rend compte (s’il fallait !) que Lacan savait exactement où il voulait aller. Il parle de ça quelques jours avant de commencer, en janvier… Il savait exactement où il voulait aller pour renouveler d’une certaine façon la théorie des pulsions à partir des questions de Freud et ses impasses. Mais pourquoi est-ce qu’il a pris, dès le titre, la question de la pulsion et du désir du psychanalyste ? J’ai répondu à ça et c’est la réponse que je vous propose. D’abord, parce qu’il va nous dire à un moment dans le séminaire : « Freud introduit ces concepts de pulsion dans la science […] où il sera regardé ou rejeté », je ne sais pas si vous vous rappelez ce ça, c’est dans la leçon XIII, en quoi il sera gardé ou rejeté, « en fonction de s’il trace ou pas un savoir dans le réel qu’il s’agit de pénétrer comme tous les concepts fondamentaux dans les domaines scientifiques ». Donc, ce n’est pas pour rien qu’il choisit la pulsion, comme si c’était -comme si ! – c’est un des concepts fondamentaux dont il va traiter dans le séminaire, mais c’est un concept qu’il va traiter comme tous les autres concepts. A la lumière de tous les concepts fondamentaux scientifiques, et il va les traiter d’une façon tout à fait particulière. Et pourquoi du désir du psychanalyste ? Parce que ça fait partie de notre éthique.

 

Donc moi je pense que là il va lier ce qui est un des concepts fondamentaux de la psychanalyse – qu’il faut traiter de la façon dont il le traite – et ce qui est de l’ordre de notre éthique. Le désir du psychanalyste fait partie de l’éthique de la psychanalyse. Une autre façon de voir ça, je vous donne comme ça, c’est que la pulsion, il va le dire dans ce texte, il va diviser le sujet et le désir. Et la pulsion, nous l’avons appris pendant ces trois leçons, elle va dessiner un creux : la place de l’objet a. Sans la place de l’objet, sans cet objet là en tout cas, on ne peut pas écrire ce qui sera plus tard le discours du psychanalyste. Donc, moi je pense qu’il y a une articulation très serrée dans ce titre lui-même et dans la relation que nous pouvons faire entre la pulsion de Freud et le désir du psychanalyste.

 

EN SALLE : Par exemple, parmi les autres concepts, il aurait pu articuler la question du transfert avec le désir du psychanalyste…

 

A.J. : Non, je ne pense pas. C’est un choix très précis !

 

(Continuation de la même question) : Du coup, le titre ne me paraissait pas du tout évident. De manière très spontanée, j’aurais plus vu l’articulation à la question du transfert que de la pulsion… et ça m’interroge d’autant plus par rapport à la pulsion.

 

A.J. : Mais ça rejoint un peu ce qui dit Stéphane d’un autre bord : c’est-à-dire, si on lit les premiers paragraphes du texte, qu’est-ce qu’il va dire ? C’est que la pulsion selon Freud c’est une construction. Déjà, il dit ça, alors qu’on va apprendre, en mai 1974, que c’est du montage dont il s’agit. Il va parler dans ce texte de la question de la fiction et du mythe. Donc, quand il va parler de ça, il va aussi dire que ça n’a rien à voir avec l’instinct et il va dézinguer la psychologie, déjà d’emblée. Il va mettre en place ce qui serait l’ordre d’une scientificité de la psychanalyse avec ses moyens. Quels sont les moyens ? Moi je vais déballer ce que j’avais préparé… (rires)… Quels sont ses moyens ? C’est très intéressant parce que quand il va parler de la libido, qu’est-ce qu’il va dire ? Il va mettre au centre un vide, « couleur de vide ». C’est magnifique ce texte : « Couleur de vide suspendu dans la lumière d’une béance, la béance propre au désir. »

 

Il va parler d’un concept fondamental de la psychanalyse, un concept dont il dit lui-même que Freud introduit dans la science. Et qu’est-ce qu’il va mettre au centre de cette affaire ? C’est le vide. C’est étonnant. C’est absolument étonnant et qu’il aille parler de ça dans une assemblée de gens philosophes, religieux, etc., qui se préoccupent de la science et de l’éthique, c’est quand même assez formidable ce qu’il va faire là. Donc, c’est une façon d’introduire aussi ce qui est le vœu de son séminaire au départ : c’est-à-dire, discuter la question de la scientificité de la psychanalyse et en même temps de dire « est-ce qu’il y a une science qui pourrait accueillir la psychanalyse » ? Donc, moi je pense que le contexte là, pour moi ça a été le fil que j’ai pris pour un peu déplier. Parce que je pense que c’est très fort ce texte en dehors de nos propres questions, mais dans cette adresse, à cette communauté-là, qu’il puisse articuler ces concepts fondamentaux avec le désir du psychanalyste. Elle est là notre éthique, l’éthique de la psychanalyse, du désir du psychanalyste. Voilà, pour parler un petit peu du titre et du pourquoi de cette relation – pour vous donner ma contribution à la lecture de ce titre et de cette articulation, qui me semble très forte.

 

S.T. : Mais oui, tu as raison de rappeler ce contexte. Redis-nous le titre de ce colloque ?

 

A.J. : Il le dit lui-même dans une note de bas-de-page : « Des problèmes introduits dans l’éthique par les effets de la science ».

 

S.T. : Effectivement. Tout à l’heure, vous disiez : « on aurait pu prendre an autre concept de la psychanalyse comme le transfert, ou d’autres encore ». Mais, pas tout à fait, parce que, comme Angela le rappelait, avoir pris la pulsion c’est quand même que la pulsion est à la racine de l’élan du désir. Le désir il passe, il part de la pulsion. Je veux dire que pour l’animal humain, comme pour les autres animaux, ce qui le meut, ce qui le porte vers un objet c’est justement cette étrange – chez l’homme, un peu étrange – énergie que Lacan relève très tôt dans le texte puisqu’il commence le premier paragraphe par le mot : la pulsion, le deuxième paragraphe : la pulsion, troisième paragraphe : la libido ! C’est-à-dire la pulsion, la pulsion, la libido, parce que la pulsion, elle rencontre tout de suite la libido, n’est-ce pas, chez l’homme. Pas chez l’éléphant ou la fourmi mais chez l’homme, la pulsion rencontre tout de suite la libido. A quoi renvoie la libido ? Angéla l’a rappelé à l’instant : la lumière d’une béance, sa couleur sexuelle, couleur de vide, la lumière d’une béance, c’est quoi tout ça ?  Très vite après, il va l’éclairer : la cas-tra-tion, ça s’appelle la castration et c’est quoi la castration ? C’est quelque chose – tout ça, il le déplie vraiment, je vous dis, c’est un éventail – la castration c’est quoi ? C’est une crainte liée à une transgression et c’est aussi une interdiction portée sur trop d’obéissance.

 

La castration, c’est chez l’être, l’animal parlant, c’est un interdit qui est posé sur la transgression tout comme sur l’obéissance. Ça met dans une position très inconfortable la castration, ça vous empêche de transgresser, enfin, en tout cas, ça interdit, comme ça vous empêche d’être trop obéissant, c’est-à-dire porté vers l’homosexualité dit Lacan. Une formule tout à fait étonnante, si ça vous interdit d’aller vers l’autre, ça ne vous encourage pas plus, ça ne vous permet pas plus d’aller vers le même. Donc je ne peux pas aller vers l’autre, vers la mère, disons si nous prenons comme référence le garçon mais je ne peux pas aller non plus du côté de l’homo, c’est-à-dire ce qui serait de l’autre côté, c’est-à-dire du côté autorisé, le côté paternel par exemple.

 

Vous voyez c’est étonnant cette formulation qu’il a. En tout cas les deux sont rendus interdits. Sur les deux pèse l’interdit de la castration. Donc, il va falloir trouver son chemin autrement et c’est pour ça que Lacan ajoute tout de suite : « c’est donc plutôt l’assomption de la castration qui crée le manque dont s’institue le désir ».

 

L’assomption de la castration, assomption ça veut dire quoi ? Ça veut dire assumer et assumer ça ne peut pas être transgresser, ça ne peut pas être non plus obéir. C’est plus compliqué, assumer c’est plus compliqué que ça. Ça ne peut pas être la transgression : complexe d’Œdipe, tu ne coucheras pas avec ta mère etc., ça c’est la transgression, ça c’est interdit. Mais ce n’est pas plus : ne crois pas pour autant que tu vas être conforme si tu es homo, si tu vas vers le même que toi, le père par exemple.  Il ne s’agit pas non plus de ça, il s’agit d’assumer la castration. Qu’est-ce que c’est qu’assumer la castration ? Et là vous voyez la question de ce que c’est qu’assumer la castration nous met sur la voie de la question du désir de l’analyste. Parce qu’après tout, qu’est-ce que ça peut bien être que le désir de l’analyste, si ça n’a pas un rapport avec assumer la castration ? Assumer comment ? Je ne sais pas mais en tout cas ça doit avoir un rapport avec ça.

 

Ce texte est un texte remarquable et je trouve que c’était une très bonne idée personnellement que de travailler dessus parce qu’il vous donne, vraiment en très peu de paragraphes, il vous donne une espèce, oui d’éventail comme ça, de résumé magnifiquement intelligent et fin et sensible de l’essentiel du rapport dans la psychanalyse entre l’éthique et la science.

 

 Pourquoi la psychanalyse est éthique et qu’est-ce qu’elle a elle apporte de ce côté-là à la science ? Les interlocuteurs que tu as cités dans ce colloque, ce sont des gens qui, ce sont pour la plupart des philosophes qui étaient essentiellement obnubilés par le sens. Ça leur bouchait tout. Parmi les noms que tu as cités, Paul Ricœur, ça a été – il a beaucoup compté à une certaine époque – c’était quelqu’un qui recouvrait toutes les questions avec du sens. Avec un certain talent c’est certain mais en même temps, mais qu’est qu’on en a à faire ? Je veux dire, rien du tout. On peut entrer dans Ricœur comme on entre dans une construction de sens. C’est-à-dire comme dans une sorte d’imaginaire quasiment religieux. Ça donne réponse à tout, ça s’appelle l’herméneutique. (Rires). Je ne suis pas méchant en disant ça. A la fin du texte Lacan dit : « le style d’un congrès philosophique, c’est sans doute l’imperméabilité ». Je suis là dans mon imperméable, toi tu es là dans le tien. C’est-à-dire que chacun va pérorer son petit bout de chansonnette sans écouter absolument du tout la chansonnette de l’autre. C’est ça un congrès habituellement. Lacan essaye de casser ça en disant : mais écoutez, soyez un tout petit peu attentifs à ce que Freud nous apporte. Freud n’est pas un zélateur du sens, Freud n’est pas un religieux. Vous, vous êtes un peu des religieux, je ne parle pas de vous, mais les gens qui étaient dans le colloque. Il y avait Ricœur, il y avait Levinas..

 

A.J. : Je te donne la liste, ils n’étaient pas là à ce moment-là, ils sont tous intervenus dans ces colloques à des moments différents. Ce n’était pas l’assemblée réunie autour de Lacan.

 

S.T. : Ils sont tous intervenus. Alors Levinas, c’est la religion, le visage de l’autre etc…Tout ce pathos, c’est sympathique mais enfin bon ça ne viendra jamais vous aider à appréhender ce que vient vous dire quelqu’un, jamais.

 

EN SALLE : Assumer la castration, ce serait aussi ne pas vouloir donner de sens à tout ?

 

S.T. : Mais oui tout à fait. Accepter la lumière du vide, d’un vide ou le non-sens. Bien sûr on ne pas tout recouvrir de sens. Ça c’est le vœu de la religion et y compris des religions laïques. On ne peut pas être complétement dans le sens. Il faut faire une part à l’impossible, au Réel. Et le Désir de l’analyste, il a à faire avec ça.

 

Question de la salle : Comment on pourrait définir le désir de l’analyste ?

 

S.T. : Le désir de l’analyste fait question. L’analyste questionne, il se questionne sans doute mais il questionne aussi son patient. C’est ça qui fait le travail de l’analyste. Et qu’est-ce qu’il questionne ? Il questionne : « qu’est-ce que peut bien être le désir de l’analyste ? », justement. Vous voyez c’est une question qui redouble en quelque sorte la question du désir. Parce que, évidemment, ce que l’on se demande tout de suite, tout pétris que nous sommes, de désir de religion, de souhait de sens, nous sommes pétris de ça. Alors nous nous demandons, le désir de l’analyste, c’est un désir de quoi ? C’est un désir de qui ? Nous voulons quelqu’un, nous voulons quelque chose. Le seul problème, c’est que Freud, encore une fois, sépare radicalement le désir de quelqu’un ou de quelque chose. C’est-à-dire qui nous ferait signe ou bien de ce qui nous ferait appel du côté de la réalité. Freud casse ça, irrémédiablement et ça c’est la castration, vous voyez. C’est pour ça que la castration, ça nous rend les choses difficiles. Mais la castration Freud ne l’invente pas. La castration, il la repère au plus intime de ce qui noue le corps humain à la loi et au désir.

 

Parce qu’après avoir dit tout ce qu’il dit au début du texte sur la pulsion, la libido, et quand il conclut en quelque sorte une première période du texte à un premier dépliement d’éventail il dit : « c’est de ce champ justement » – de la réalité – « que le freudisme coupe un désir dont le principe se trouve essentiellement dans des impossibilités ». C’est terrible ça ! Le principe du désir se trouve dans des impossibilités, c’est ça ce que Freud souligne. Alors Lacan dit : est-ce que ça veut dire que Vénus – c’est sympathique quand même ça Vénus, si au moins aujourd’hui on lui consacrait un peu de notre souci religieux ce serait sympa, mais ce n’est pas le cas – mais enfin Lacan dit est-ce ça veut dire que « Vénus est proscrite de notre monde : déchéance théologique ». Il dit « ceci pourrait vouloir dire », il ne dit pas ceci veut dire, il dit « ceci pourrait vouloir dire que Venus est proscrite de notre monde ». Il y a un risque effectivement, mais il ajoute tout de suite ce qui fait que Vénus n’est pas proscrite de notre monde, ou pas tout fait, c’est ce paragraphe extraordinaire – dont on a l’impression effectivement qu’il a dû le vociférer – « ceci pourrait vouloir dire que Venus est proscrite de notre monde », et on imagine Lacan marteler sur la table, « Freud nous révèle… » – révélation, le terme n’est pas indifférent, pas une révélation religieuse, une révélation – «  …que c’est grâce au Nom-du-Père que l’homme ne reste pas attaché au service sexuel de la mère », je veux dire, il est cash, là Lacan. Ce n’est pas trop difficile à entendre qu’il dit. « C’est grâce au Nom-du-Père que l’homme ne reste pas attaché au service sexuel de la mère, que l’agression contre le Père est au principe de la Loi et que la Loi est au service du désir qu’elle institue par l’interdiction de l’inceste ». C’est quand même, il faut l’avaler cela ! Mais en même temps une fois qu’il a dit cela, une fois qu’il a noué ce petit paragraphe, il a noué les choses de façon telle que ça éclaire beaucoup sur le désir de l’analyste. Le désir de l’analyste c’est ce qui fait avec ça, ça que dit ce paragraphe. C’est pour cela que je vous recommande, franchement, personnellement je n’ai jamais rien eu contre l’apprentissage par cœur… (rires)… je n’ai jamais considéré que ça soit une idiotie, contrairement à ce que l’on dit dans je ne sais pas quelle pédagogie contemporaine avancée. Apprendre par cœur est une très, très bonne chose. Cela nous fait intégrer parfois beaucoup d’éléments rationnels que l’on est totalement incapable d’apprendre consciemment. Alors autant les apprendre en laissant la conscience de côté, c’est-à-dire par cœur. Je pense que ce texte « Du Trieb de Freud et du désir du psychanalyste » vous le connaitriez par cœur, vous seriez totalement gagnants. Ça vous aiderait dans toute la lecture des Ecrits de Lacan. Et je vous assure, ça travaillerait également dans les moments où vous n’y pensez pas. C’est vraiment un texte extraordinaire ce texte de Lacan ! Les choses sont dépliées admirablement.

 

Alors, il y a sans doute beaucoup de passages qui vous ont posé des difficultés, comme à moi d’ailleurs. Comme toujours avec Lacan, la première fois qu’on lit le texte on n’y comprend rien, la deuxième fois on comprend un petit peu plus, la vingtième fois (rires) on le sait presque par cœur et ça devient, je ne dis pas forcément limpide, mais quand même beaucoup plus simple. Donc il faut faire l’effort d’aller vers la vingtième fois. Une fois qu’on est arrivé de ce côté-là, c’est beaucoup plus simple. C’est pas mal de procéder aujourd’hui comme ça. Est-ce que vous auriez une autre question ?

 

EN SALLE (question peu audible) : J’ai l’impression que Lacan essaie de revenir à la pulsion et que justement… Qu’est-ce qui fait qu’il met autant de temps à revenir ce concept assez fondamental et qui est le cœur de Freud et de son travail. J’ai le sentiment que dans les séminaires précédents il ne le travaille pas autant, il ne le met pas en exergue à ce point…

 

S.T. : Quoi donc ?

 

(Suite de la question, peu audible) : Le Trieb, la pulsion. Parce que là, il me semble qu’il y a quelque chose qui permet vraiment de voir la pulsion de la part de Lacan et aussi de Freud. Voilà, je me demande… Il n’a pas commencé en 1964 à parler Lacan… Qu’est-ce qui fait qu’il a mis autant de temps à venir poser, reposer cette base et la mettre en exergue ?

 

S.T. : Ecoutez, c’est une très bonne question aussi. Je n’ai pas de réponse toute prête, mais ce que j’aurai envie de vous dire – Angela tu as peut-être aussi une idée là-dessus ? – c’est qu’au début de son enseignement, Lacan quand il est arrivé dans le champ de la psychanalyse, comme jeune psychiatre, le champ était complètement encombré par les conséquences de l’ego-psychology américaine et tout le fourvoiement complet de la psychanalyse que ça déterminait. Donc il a commencé par nettoyer, il l’a dit lui-même : « je suis arrivé dans la psychanalyse avec une balayette qui s’appelait le stade du miroir ». La balayette servait à faire le ménage, il fallait faire le ménage. Il a fait le ménage avec le stade du miroir. Il a nettoyé ces errements imaginaires autour du Moi en en donnant la structure. C’était une priorité. Ensuite, je crois que la seconde priorité qu’il a rencontrée tout de suite, c’était mettre l’accent sur la lecture de Freud. Donc les premiers séminaires, ce sont de séminaires de lecture de Freud : lecture de la « Psychopathologie de la vie quotidienne », lecture de « La science des rêves », lecture du « Witz ». Tout ça ce sont les premiers séminaires : ce sont des séminaires de lecture de Freud.

 

Ensuite, et notamment quand il a changé d’auditoire et qu’il s’est retrouve devant un auditoire de philosophes – les philosophes n’ont pas que des défauts – ils ont aussi cette qualité d’apprécier l’articulation conceptuelle. Et du coup, il se trouve que c’est au moment où il a été viré par les psychanalystes – et vendu, trahi, comme Spinoza, dira-t-il – c’est à ce moment-là qu’il accepte, qu’il en vient à attaquer… Parce que Lacan avait beaucoup l’espoir que la psychanalyse puisse se rendre audible au champ de la science. Et donc il se préoccupait de fonder les concepts fondamentaux de la psychanalyse. Et c’est à ce moment-là, pour répondre à votre question, je pense qu’il s’est dit qu’il est temps de mettre sur la table ce concept de pulsion, qui est un des plus difficile de Freud. C’est là qu’il va mettre sur la table les concepts qu’ils lui semblent fondamentaux de la psychanalyse : pulsion, transfert, répétition et inconscient. Je ne les donne pas dans l’ordre où il les prend, mais ce n’est pas grave. Voilà c’est pour tenter de répondre à votre question.

 

A.J. : Oui, je voulais dire autre chose. Enfin ce dans la même veine de ce que tu dis, parce que même quand on prend le séminaire, c’est d’abord l’inconscient, la répétition, la pulsion. Il faut aussi – et je pense que Lacan a dû beaucoup nettoyer le champ – il faut prendre dans la chronologie les textes des « Ecrits ». Parce qu’il faut aussi qu’il puisse mettre en place, pour penser la pulsion, des nouveaux paradigmes. Et le nouveau paradigme est déterminé par ceci : « l’inconscient est structuré comme un langage ». C’est ça la structure qui nous détermine, il n’y en a pas d’autre. Sans qu’il ait posé ça et qu’il puisse le déplier, c’est un énorme travail qu’il fait dans les « Ecrits » et dans « Fonction et champ de la parole et du langage », c’est le travail qu’il fait dans « L’Instance de la lettre », c’est le travail qu’il fait dans « La Lettre volée », sans qu’il ne puisse pas asseoir cela – l’inconscient est structuré comme un langage. Il ne peut pas travailler la pulsion dans ce qu’elle mérite de renouveau, de relecture, de comment il va parler de cela. Ce qui peut paraitre le plus étonnant, c’est que Lacan va beaucoup parler de la pulsion dans ce séminaire et puis il ne va pas reprendre ça dans d’autres séminaires. Il ne va pas continuer à parler de la pulsion. C’est quand même assez intéressant, assez étonnant qu’il ne revienne pas là-dessus. Il a posé là quelque chose sur lequel il ne va pas revenir.

 

Eriko Thibierge-Nazu :  Mais il va parler de l’objet a.

 

A.J. : Oui, c’est ça : c’est l’élaboration de l’objet a qui va prendre le pas et la question de la jouissance. Il ne va pas reprendre toute cette mise en place qu’il a fait de la pulsion qui est fondamentale pour comprendre et l’objet a et le désir et la jouissance. Mais il a fallu qu’il passe par là. Comme il a dit, pour parler du désir du psychanalyste, il fallait qu’il passe par la pulsion, parce que c’est la mise en place de tout ça aussi. Pour qu’il puisse donner cette nouvelle lumière à la question de la pulsion de Freud, il fallait qu’il puisse asseoir que l’inconscient est structuré comme un langage. Je crois que c’est pour ça qu’il n’a pas pu en parler avant, entre autres choses.

 

S.T. : Et alors, je vous fais juste remarquer que c’est à la suite de ce dépliement que j’évoquais, de cet éventail, c’est après ce dépliement qu’à la fin du texte Lacan va dire : « Dès lors quel peut être le désir de l’analyste ? Quelle peut être la cure à laquelle il se voue ? » Puisque l’on parle de cure. C’est quoi la cure ? C’est quoi la cure à laquelle se voue le psychanalyste ? Et c’est là qu’il va accentuer le côté prêcherie, le côté religieux dans lequel on tombe.

 

A.J. : Direction abusive y compris.

 

S.T. : Oui, direction abusive. Il va parler de la médecine comme d’une religion laÏque. Le seul qui ait osé attenter à ce privilège de la médecine, c’est le grand libertin du siècle du génie, ou vous reconnaissez bien sûr… ? Vous ne reconnaissez pas quelqu’un là ? Molière bien sûr ! Molière il a osé attenter aux privilèges du médecin !

 

A.J. : Mais justement, ce « Dès lors quel peut être le désir de l’analyste ? », il vient juste après le paragraphe où il va parler de la structure du fantasme. Le texte est d’une articulation très précise.

 

S.T. : D’une articulation absolument précise. On part de la pulsion, on passe par la libido, la castration, le désir et la loi, la pulsion comme montage, et on arrive à la question du désir, de la jouissance et du fantasme. Et ensuite, « Dès lors, quel peut être le désir de l’analyste ? Quelle peut être la cure à laquelle il se voue ? » Et j’avais envie de vous dire aussi tout à l’heure en venant ici, quand nous nous plaignons de ce que Lacan est difficile à lire, il y a une chose quand même que nous pouvons nous dire, et qui est de nature à nous encourager, c’est que quand nous faisons l’effort de lire, notamment Lacan, et bien nous sommes sûrs, au moins de ceci, c’est que nous ne sommes pas dans le registre de la collaboration – dans le sens du conformisme social auquel se voue le psychologue – ou bien que nous ne sommes pas dans le registre de la prêcherie religieuse, ou bien que nous ne sommes pas dans le registre de la religion médicale laïcisée. Ce n’est pas mal déjà de ne pas être dans ces registres-là, puisqu’aujourd’hui tout le monde y va, tout le monde ! Sauf ceux ou celles qui se vouent justement à la cure psychanalytique. Nous, nous sommes voués à une lecture dont aucun sens ou aucun Un, dont aucune présence ne donne la garantie. C’est cela qui nous distingue des religieux. Nous sommes voués à une lecture que rien d’autre ne garantit que notre questionnement même. Puisqu’il n’y a rien qui garantit pour le corps humain un bien pré-établi, ou un objet adapté, rien. Alors qu’est-ce qui fera tenir la question du désir sinon justement notre propre question. Et effectivement, ce n’est pas pour rien qu’il évoque à la fin « Dès lors quel peut être le désir de l’analyste ? », juste après avoir évoqué le fantasme. Le fantasme c’est tout ce que nous avons à nous mettre sous la dent. Est-ce que l’analyste peut se contenter du fantasme ? Non, puisqu’il est là justement pour donner à son patient la possibilité de l’interroger. Donc vous voyez, on est là au bout d’un parcours qui peut très bien se dire comme le désir de l’analyste c’est la question de l’analyste sur le désir. Et chaque analyste se la pose singulièrement et chaque patient la rencontre singulièrement.

 

A.J. : Il y a une question aussi à la fin, mais peut-être que je devance les vôtres, qui est cette question importante : « Quelle est la fin de l’analyse au-delà de la thérapeutique ? Impossible de ne pas l’en distinguer quand il s’agit de faire un analyste ».

 

S.T. : D’ailleurs, ta remarque me donne l’occasion d’éclairer une difficulté que vous avez peut-être éclairée. Il y en a beaucoup dans ce texte des difficultés que l’on rencontre aux premières lectures. Mais par exemple celle-ci, juste avant le passage que tu viens de citer : « Le psychanalyste prendra-t-il la relève » – la relève de la médecine socialisée telle qu’elle l’est aujourd’hui –  « non d’une eschatologie » – non pas en s’appuyant sur le programme des fins dernières telles que la religion laïque ou religieuse les voient, est-ce que le psychanalyste va s’installer dans cette vision religieuse des fins , des buts et des fins dernières de son action, est-ce qu’il va s’installer là dedans ou bien est-ce qu’il prendra la relève « des droits d’une fin première » ?

 

Une fin première, ça veut dire une fin prioritaire ! Une fin première pour lui ! Et les droits de cette fin première, et bien, ce sont les droits à être posée de cette question du désir de l’analyste. C’est ça la fin première. Ce n’est pas une fin eschatologique ou téléologique ou orientée par quelque finalité que ce soit. Cette fin première, c’est justement celle de ce que pose la question de ce qui est en jeu dans la cure et du désir de l’analyste. C’est pour ça que tout de suite après Lacan dit : « Alors quelle est la fin de l’analyse » ? Vous voyez, il vient de parler de cette fin première, qui est en fait ce que le sujet va faire de ce désir, de cet éclairage, comme il dit au début du texte : « cette couleur sexuelle éclairée de manque ». « Quelle est la fin de l’analyse au-delà de la thérapeutique ? Impossible de ne pas l’en distinguer » – de la thérapeutique- « quand il s’agit de faire un analyste ». Ça résonne loin ça quand même, pour un collège des psychanalystes en formation.

 

A.J. : Voilà, c’est la bonne question ! (Rires) Une question fondamentale.

 

S.T. : La fin, je vous ferai remarquer que Lacan est drôle souvent, quand même. Ça nous passe parfois un peu inaperçu parce que l’on est complètement à patauger dans son texte, mais quand il dit : « Le style d’un congrès philosophique porte, semble-t-il, plutôt chacun à faire valoir sa propre imperméabilité », il ajoute : « Nous n’y sommes pas plus inapte qu’un autre, mais dans le champ de la formation psychanalytique, ce procédé de déplacement fait la cacophonie de l’enseignement ». Et il conclut : « Disons que j’y lie la technique » – de l’analyse-  « à la fin première ». La fin première, c’est-à-dire justement cette résonance de la question du désir, qui est la question de l’analyste, et donc qui est la question du désir de l’analyste. La question du désir, pour le sujet qui vient en analyse, c’est forcément, d’abord logiquement, la question du désir de l’analyste. Et ça ne peut, que dans un second temps, devenir la question du désir du sujet. Mais il faut d’abord, bien sûr – c’est là que le transfert intervient, d’ailleurs – que ça passe par la question du désir de l’analyste telle que le sujet en analyse peut se la poser. Avez-vous d’autres questions ?

 

A.J. : C’est quand même intéressant la façon dont est articulée cette dernière phrase du texte, parce qu’il dit : « le nihilisme ici (et le reproche de nihilisme) ont eu bon dos pour nous garder d’affronter le démoniaque, ou l’angoisse, comme on voudra ». Alors, pour ce qui est du détail, Castelli a fait un texte qui s’appelle « Le démoniaque dans l’art et son sens philosophique », donc c’est une référence à ça. Mais, ça m’a intéressé, parce que ça a aussi tout à fait à voir avec la question du désir du psychanalyste. Parce que quand on parle du démoniaque ou de l’angoisse, c’est la question du désir et la question de l’objet qui est mis là avec d’autres termes. Je pense que ce qu’il nous dit est qu’il ne faut pas se garder d’affronter le désir et le manque d’objet justement. Je pense que le désir du psychanalyste a à voir avec ça, c’est-à-dire qu’on ne peut pas épargner à son patient, même par des raisons de thérapeutique (si on peut dire comme ça), de s’affronter à son désir et au manque qui le constitue. Là il y a quelque chose, il n’y a que le désir de l’analyste qui peut être opérant. On ne peut pas éviter cela au sujet qui vient en analyse, mais à condition que notre propre désir y soit soumis. Donc, je pense que cela est quelque chose qui touche à l’éthique de la psychanalyse.

 

Il y a une fin du texte qui me paraît très riche, si on le déplie par rapport à ce qui est le désir de l’analyste au-delà de la question qu’il pose. C’est-à-dire le désir de l’analyste c’est aussi d’amener le sujet jusqu’au bout de son affaire. Je pense qu’il y a là quelque chose qui nous mène et qui guide la cure. Et qui va au-delà des résolutions symptomatiques, c’est pour ça qu’il parle de la question de la thérapeutique.

 

S.T. : Tout à fait, oui. Bon, c’est plutôt, je trouve, sympathique cette façon dont nous interrogeons là ce texte. Est-ce que vous avez d’autres questions ? Vous disiez tout à l’heure « c’est peut-être une question bête ? ». Non, non ! C’est très rare les questions bêtes. Est-ce que vous auriez d’autres questions ? Parce qu’il y en a dans ce texte… Nous n’en avons évoqué qu’une partie. Des questions un peu de lecture, de précis sur tel ou tel point du texte ?

 

Christine Robert : C’est pour revenir sur cette question justement du désir de l’analyste, parce que vous avez repris la question comme cela, MMe. Mais il me semblait ce qui nous fait, en effet, question, ce n’est pas tant le lien de ce qu’il en était de la question de la pulsion et puis du désir de l’analyste – puisqu’en effet le désir de l’analyste s’origine de la pulsion, mais il y a une coupure évidemment nette. C’était, en effet, qu’est-ce qu’il en est vraiment du désir de l’analyste ? Parce qu’il me semblait que là-dessus Lacan n’était pas très prolixe. Il ne dépliait pas ça véritablement. Et souvent, dans les séminaires de Lacan, il fait référence au désir de l’analyste, mais plus précisément, de quoi s’agit-il ? Alors, bien sûr, c’est lié à l’éthique, bon, c’est un pas. Ça n’est pas complétement clair. Ça ne suffit pas. Vous avez dit, ce soir, et je suis tout à fait d’accord : effectivement, le désir de l’analyste se soutient des propres questions du sujet de l’analyste, c’est ça. Effectivement, il y a bien un moment en analyse, où, en effet, on ne peut plus se soutenir que de ses propres questions. C’est ça à quoi on se tient, voilà. La question que je n’arrive pas tout à fait à élaborer, c’est : se souvenir de ses propres questions n’empêche nullement de travailler les séminaires de Lacan. On est d’accord. Alors, quel est le déplacement qui est opéré pour pouvoir à la fois, je dirais, travailler les séminaires de Lacan, ou d’autres lectures aussi, c’est-à-dire passer de ce rapport qui serait au discours du maître (quand même) à soutenir ses propres questions. C’est-à-dire, il y a là une question autour de quelque chose qui concerne la jouissance à mon avis. Je ne sais pas complétement déplier, mais il y a quelque chose-là qui – je dis ça pour avoir travaillé le séminaire « L’envers [de la psychanalyse] » où on est vraiment dans les discours – qui doit se mettre en place, se défaire, qui concerne d’ailleurs la fin de l’analyse, où à un moment donné Melman dit : « la fin de l’analyse ce n’est pas la traversée comme ça du cerceau ; ce n’est pas ça. C’est d’arriver à cette disjonction entre vérité et jouissance ». Il dit ça comme ça, je crois. C’est-à-dire, qu’il y a un moment où pour un analyste, un sujet en analyse, il y a à mesurer ce qu’il en est de sa jouissance. Il y a une jouissance qui est quand on travaille un séminaire, quand on participe de ce discours du maître il y a une jouissance particulière peut-être, à voir, mais qu’il n’est pas la même, c’est autre chose quand on soutient ses propres questions. Voilà, je n’articule ça pas très bien, mais je tourne autour de quelque chose.

 

S.T. : Oui Christine, je ne sais pas si je vous entends bien, mais il y a deux plans dans ce que vous dites. Le plan de la distinction entre la jouissance et le désir, que Lacan d’ailleurs évoque dans ce texte. Alors là où je ne suis pas sûr de vous suivre c’est quand vous évoquez la lecture du séminaire de Lacan, en référence au discours du Maître, ça, ça ne me pas paraît être le cas.

 

C.R. : J’ai dit ça un peu rapidement, mais enfin, Lacan peut se présenter comme un maître pour nous.

 

S.T. : Oui, tout à fait.

 

C.R. : Alors ça ne veut pas dire que, oui, on n’est peut-être pas dans le discours du Maître.

 

S.T. : Oui, on n’est pas dans le discours du Maître pour autant. C’est-à-dire que quand Lacan parle, il est clair qu’il est dans le discours Analytique. Même si, bien sûr, ce qu’il dit prend valeur pour ses élèves, pour nous, de signifiant maître, en tout cas au début, et on est obligé de le prendre comme ça. On est obligé de le recevoir comme ça. Et puis ensuite on l’articule de telle sorte que justement, plus on les articule (NDLR : ces signifiants), plus justement on peut décoller quelque chose du désir par rapport à la jouissance. C’est vrai que, nous, comme tous les gens qui écoutaient Lacan, ou Freud, d’ailleurs, on est complètement pris dans la jouissance d’une voix, d’une présence, d’un style, etc. Et c’est petit à petit qu’on peut en décoller, ce qui est de l’ordre du désir.

 

EN SALLE : Une question que j’ai du mal à formuler déjà moi-même. Est-ce que la piste, j’essaye de relier, […] une piste de ce que peut être la fin d’une cure, c’est d’ouvrir sur la question que le désir pose au sujet et que cette question perdure et que c’est fondamentalement une question. Et que c’est ce questionnement qui est à suivre en fait, qui lui reste au-delà de l’analyse, du travail d’analyse qui aurait été limité.

 

S.T. : Oui, cette question reste à ceci près qu’elle est très vite recouverte. Ce n’est pas évident de la faire perdurer. C’est-à-dire que l’inconscient, comme le souligne Freud, et Lacan aussi bien, l’inconscient se referme. Et la question, la maintenir justement existante et vivante, ce n’est pas quelque chose d’évident parce que ça a tendance à se refermer, très vite. Ce qui explique d’ailleurs que nous ayons beau être avertis de tout ça, ça ne nous empêche pas de retomber très facilement dans les chemins ordinaires de notre jouissance justement.

 

EN SALLE : Donc on doit rester en analyse ?

 

S.T. : Non, vous savez ce n’est pas pour rien que Freud recommandait tous les 5 ans d’aller faire une tranche. Il avait parfaitement saisi cela.

 

EN SALLE : Lacan, il parlait aux murs, et je ne pense pas qu’il avait de supervision.

 

S.T. : Je ne crois pas non plus ! (Rires) Mais Lacan, il a parfois évoqué le fait que quand il parlait à son séminaire, il ne parlait pas seulement aux murs, il psychanalysait. Il se posait en position de psychanalysant. C’est ça aussi qui rend son style tellement différent de celui d’un professeur.

 

EN SALLE : Le fait que ça soit tellement difficile de comprendre Lacan, c’est, j’ai compris, enfin vous avez dit que c’est aussi un petit peu, c’est fait de façon consciente de rendre les choses difficiles, la lecture du texte. C’est aussi pour justement ne pas tomber, pour le lecteur, ne pas tomber dans la jouissance, mais dans le désir justement.

 

S.T. : Tout à fait. Voilà.

 

A.J. : Dans la jouissance du sens.

 

S.T. : Dans la jouissance du sens, mais qui est une grande part de la jouissance. Lacan a vraiment essayé. – je l’ai dit souvent, pardonnez-moi si je me répète, mais je ne suis pas le seul à l’avoir dit, Melman le disait aussi régulièrement – Lacan a tellement observé, avec sans doute beaucoup d’inquiétude, comment l’enseignement de Freud était venu tellement vite, même du temps de Freud, une religion. Tellement vite, et Freud devait se battre contre ça, déjà lui. Même les choses les plus difficiles de Freud, Lacan a observé comment c’est devenu tout de suite une religion. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles il a rendu sa transmission difficile, peut-être un peu trop, je ne sais pas. Mais en tout cas, il ne voulait pas qu’on puisse faire de la religion Lacanienne. Il ne l’a pas tout à fait évité puisque dans d’autres groupes que le nôtre, il arrive que l’on proclame l’évangile selon Saint Jacques. (Rires).  Mais ce n’est pas notre cas. Ce n’est pas le cas de la plupart des écoles qui se réclament de Lacan, et d’une certaine façon, tant mieux.

 

EN SALLE : Il nous apprend l’apprentissage de la frustration, parce que le sens, chaque fois, on ne comprend pas, on est obligés de revenir pour reprendre les termes. Il y a à chaque fois un questionnement sans fond, en fait.

 

S.T. : Sans fond ? Vous appelez ça une frustration, ce qui est intéressant, vous appelez ça comme ça. C’est un manque, en tout cas.

 

EN SALLE (suite de la question) : C’est un manque, voilà. C’est un apprentissage du manque.

 

A.J. : Mais vous voyez comme ça, c’est parfaitement homéomorphe à ce qu’on peut espérer de la formation de l’analyste. C’est exactement ça. C’est à dire qu’il ne faut pas qu’on soit pris, simplement dans le sens de ce que le patient dit. Il faut qu’on ait un autre rapport à cette parole. Et la question du manque est fondamentale, c’est-à-dire la façon même dont Lacan nous oblige à le lire, et les effets de cette lecture, en tout cas quand on se donne le mal comme quand on est en train de le faire au Collège, est homéomorphe à ce qui est la formation de l’analyste et le rôle de psychanalyste.

 

Mais c’est intéressant ce que vous dites par rapport à cette question que vous nommez de frustration, parce que ça justifie le travail qu’on fait au Collège de cette lecture.

 

EN SALLE : Question inaudible

 

S.T. : Entendre ce que dit le patient n’est pas comprendre ce que dit le patient. C’est entendre parce que comprendre, on ne peut jamais comprendre ce que dit quelqu’un. Déjà on ne comprend pas ce que l’on dit soi-même (rires). Non c’est vrai ! C’est vrai on dit des énormités tout le temps, on ne les entend pas.

 

A.J. : D’ailleurs Melman avait une façon de définir le psychanalyste qui m’a toujours plu. Il disait : « le psychanalyste c’est celui qui entend, qui est capable d’entendre ce qu’il dit ». Ça ne se vérifie pas toujours mais c’est intéressant, c’est-à-dire il est au fait de l’inconscient. Un petit peu quand même, donc il peut entendre le lapsus, il peut entendre ce qui peut se formuler, c’est une belle façon de finir.

 

EN SALLE : Question inaudible

 

S.T. : Oui, c’est le discours du patient qui nous importe, absolument, qui peut changer.

 

EN SALLE : J’avais une question : on parle de Freud, du désir de Freud, et je me demandais pour les personnes qui sont dans une orientation plutôt lacanienne, le désir de Freud et le désir de Lacan c’est une question.

 

S.T. :  Vous vous posez la question du désir de Lacan, c’est une question légitime. Je ne sais pas si j’ai personnellement la réponse. Lacan de temps en temps nous parle du désir de Freud, çà oui. Le désir de Lacan on est peut-être trop proches pour…

 

EN SALLE : Et pour le désir de Freud qu’est-ce qu’il en dit ?

 

S.T. : Par exemple il a pu dire que Freud voulait sauver le père, notamment dans le séminaire « L’Envers [de la psychanalyse] » il le souligne çà.

 

A.J. : Lacan y a renoncé, c’est le moins que l’on puisse dire !

 

S.T. : Lacan n’a pas sauvé le père, il n’était pas du tout pris par cela. Lacan était sans doute attentif à la question de ce que l’on fait dès lors qu’il n’y a pas de rapport sexuel, qu’est-ce que l’on fait de çà ? Comment on se débrouille avec ça ? Il était surement sensible à cette question !

 

C.R. : Melman dit à propos du désir de Lacan, il en parle, il dit que c’était un fou, il avait cet amour de la vérité, c’était un fou de la vérité et que ce qu’il cherchait surtout c’était à lever l’impuissance, effectivement, qui pourrait découler de la structure. C’est-à-dire que finalement, malgré le fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel, est-ce qu’on ne fait rien ? Voilà c’est cela qui est intéressant.

 

S.T. : Bon ! Il est peut-être temps de se séparer. Bonne soirée, bonne année et puis à bientôt.

Transcription établie par : Virginie BARILARI, Rosa BELLEI, Brigitte BRIQUET-DURONI, Anne FLORENNE-VOIZOT, Léa GRILLIS, Aline LAMARQUE-ROTHERMANN, Si SHI, Brigitte SABY

Relecture : David GLASERMAN