Réponse à Mr Pendanx
28 novembre 2011

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FORGET Jean-Marie
EPEP
Psychanalyse-enfants

 

Monsieur,

En réponse à vos remarques, je n’ai tout d’abord pas bien saisi votre avis sur le fond de mon article : Est-ce que l’avis du Conseil Constitutionnel concernant les attributions du juge d’enfant vous semble pertinent ? Est-ce judicieux de séparer dans la fonction du juge d’enfant le côté « punitif » du côté « éducatif », faisant tomber la première partie de cette fonction sous la coup d‘une juridiction correctionnelle ? Et est-ce que la particularité de statut du juge d’enfant jusqu’alors présente, ou non, un intérêt pour l’enfant ?

Il me semble que j’ai abordé ces questions sans référence particulière au dogmatisme psychanalytique que vous mentionnez. Je vous signale dans ce sens l’article de J.P. Rosenzweig dans Le Monde Du 12 Juillet intitulé « Le juge d’enfant à la française est mort » qui reprend dans des termes similaires l’axe de mes remarques.

Ceci dit, je vous remercie de l’envoi de vos documents car ils me précisent le fond de vos remarques. Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous dénoncez dans votre pratique les risques de psychologisation, de réparation, d’assistance, et de confusion des registres des discours. Ce sont des dérives fréquentes dans le monde actuel et elle peuvent être favorisées par la souplesse d’exercice liée au statut du juge d’enfant. Il ne saurait non plus être question d’entretenir une rivalité ou une substitution imaginaire entre l’autorité du juge et celle des parents. Ainsi, quand j’ai évoqué la résonnance entre les attributs de l’autorité du juge d’enfant et celle des parents, c’est d’un point de vue structurel que je me plaçais, me gardant d’alimenter une confusion de référence, qui est un risque, mais qui relève de l’imaginaire des partenaires. Ces confusions sont fréquemment suscitées par la simple position de pouvoir, et c’est quelque chose de fréquent dans le domaine des soins psychiatriques de longue date.

Je vous rejoins quand vous dénoncez que le juge d’enfant soit le « garant de l’identité ». Il n’en a jamais été question. J’ai mentionné que la particularité du statut du juge d’enfant peut permettre parfois de servir « d’indice » à un jeune, enfant ou adolescent, pour rencontrer l’adresse d’un représentant de la loi qui ait à la fois l’exigence de le sanctionner, mais aussi le souci de ne pas le réduire à cette sanction. Je suppose que, du fait de votre propre exercice professionnel que vous mentionnez dans ces lignes, vous connaissez de telles situations, et d’autres où les résultats d’une telle adresse ne se sont pas réalisés. Cette référence à « l’indice » est plus large et souligne comment dans la vie sociale actuelle, les jeunes provoquent les adultes pour mettre à l’épreuve la fiabilité de leur parole, qui puisse leur servir d’adresse. Ces provocations s’exercent à l’égard de tous ceux qui tiennent une position d’autorité dans la vie sociale. Ces derniers sont d’ailleurs surpris pour répondre au mieux à ces provocations de ne pas pouvoir rester figés dans le strict exercice de leur fonction, mais de devoir y engager une part de leur subjectivité, notamment dans l’exercice de leur parole, une parole qui tienne – et non de la compassion, ni de la réparation – , et dans l’épreuve de la structure de leur constitution langagière, comme vous le mentionnez. J’ai évoqué que le juge d’enfant, ceux que j’ai pu fréquenter en tout cas, est éprouvé de la sorte, dans l’articulation entre sa fonction et sa propre subjectivité. Il n’est pas le seul, comme je viens de le rappeler. Ces points doivent vous être familiers dans votre travail. L’articulation entre la subjectivité et la fonction est un point délicat, qui exige de ne céder ni sur l’un ni sur l’autre, au risque de déboucher sur une confusion de registre des discours que vous dénoncez à juste titre.

Là aussi, quand j’ai évoqué la possibilité que le statut particulier du juge d’enfant puisse favoriser une possibilité d’adresse d’un jeune à l’égard d’un adulte qui « humanise » la loi, c’est sans concession de la part de ce juge mais c’est dans une « personnification » de la loi. Ce n’est pas la seule situation, il y a bien d’autres situations où le jeune tire profit de la confrontation aux sanctions d’un adulte, parce que celui-ci « personnalise » la sanction, sans concession, et le seul statut ne suffit pas. Là encore, cet éclairage ne me semble pas faire référence à un dogmatisme particulier.

Par ailleurs, je vous rejoins tout à fait en ce que vous soulignez le risque actuel que la confusion des registres alimente une banalisation des actes, une annulation de la gravité des actes, dans un souci de normalisation qu’entretient un consensus social, et une « gouvernance sociale » comme vous le mentionnez.

Ce que j’évoquais précédemment recouvre par contre une particularité. Les manifestations qui conduisent un jeune devant le juge d’enfant, ou d’autres provocations moins graves à l’égard des adultes, se situent non pas comme vous semblez le mentionner dans le champ d’un transfert, mais dans une antériorité logique au transfert à proprement parler. C’est effectivement ce qu’on nomme « le transfert sauvage » ou « l’appel au transfert ». C\’est-à-dire, et permettez-moi d’être technique, ou de faire référence à la structure, que ces manifestations se situent dans une antériorité logique à la constitution d’un symptôme, d’un transfert. Elles viennent justement solliciter une restriction de jouissance auprès de représentants adultes, pour que l’interdit d’un accès direct à un objet de satisfaction fasse que chacun soit amené à le penser, et à aller le chercher. C’est à partir de là que nous pouvons parler de transfert. Alors qu’auparavant, avant que compte d’une manière ou d’une autre un interdit, il s’agit effectivement d’un « transfert sauvage ». C’est dans ce sens que se situe ce qu’on nomme acting-out, ou ce que j’ai désigné comme symptôme-out, qui est une forme de mise en acte, une autre forme de manifestation où l’enfant ou l’adolescent met en scène une part de son identité dont il laisse le soin à l’autre de le gérer à sa place. C’est là sans doute rejoindre ce que vous mentionnez comme un risque de « manipulation sauvage du transfert », mais qui peut souligner comment ces jeunes se trouvent particulièrement vulnérables à ce qui peuvent être des manipulations, alors que les manipulations correspondant elles même à un abus de pouvoir de leur interlocuteur.

Le fond dans cette affaire, me semble-t-il, et pour rejoindre vos propos, est que c’est la structure de la parole, la structure langagière du jeune mais aussi de l’adulte qui peut lui servir d’adresse, à qui il peut s’adresser et qui peut lui servir d’indice, qui est concernée dans ce temps de confrontation à la loi. Et ce bien avant la mise en place d’un transfert, d’un symptôme, voire d’une question névrotique œdipienne, que vous mentionnez.

Il reste que ces situations lèvent la question de savoir pourquoi un jeune vient chercher dans la vie sociale, dans la structure qui représente la loi, un interdit qu’il n’a pas pris en compte dans la mise en jeu de sa subjectivité auprès de ses proches ? On voit que se mêlent alors des questions qui relèvent de la constitution de la subjectivité d’un jeune, la mise en jeu de sa subjectivité dans la vie sociale et ce qui fait la structure même de la vie sociale. C’est à ce titre qu’il y a une particularité à prendre en compte actuellement et qui est l’incidence d’un discours pervers dans la vie sociale qui suscite de la part des jeunes les provocations de l’autorité des adultes. C’est un point qui a toujours existé mais dont la fréquence est plus importante actuellement, comme en témoignent les polémiques sur les troubles du comportement, à l’égard desquels nous avions été quelques-uns à

prendre position sans ambiguïté, et sans dogmatisme. Et c’est en cela que l’avis du Conseil constitutionnel est préoccupant, à risquer de stigmatiser des actes apparemment délictueux qui ne sont que des manifestations symptomatiques de la souffrance des jeunes1.

C’est en cela aussi, que si je vous rejoins volontiers sur les exigences qui touchent le rapport de la subjectivité et de la structure du langage. Il faut bien que le jeune trouve du répondant dans la structure de la parole et du langage en face de lui pour y engager sa propre parole, pour saisir un tant soi peu sa propre place. C’est un temps logique préalable à toute approche des questions qui sont à proprement oedipiennes, qui sont celle d’une structuration névrotique à proprement parler.

Pour terminer, je souhaiterais votre éclairage sur ce que voulait souligner J. Lacan quand il évoquait ce que vous rapportez comme « le statut juridique de la psychanalyse ».

Merci en tout cas de vos remarques et de vos réflexions liées à votre pratique. Elles m’amènent à quelques précisions, offrent des développements que les raccourcis de mon texte initial laissaient de côté et permettent d’éclairer des malentendus.

Il me semblerait intéressant que votre travail « quel horizon pour la justice des mineurs » puisse servir sur le site de contrepoint et d’éclairage complémentaire à mon billet rapide, si vous étiez d’accord et si les collègues du site partagent mon souhait.

Bien cordialement. Jean Marie Forget Juillet 2011