Quelques mots de conclusion…
31 octobre 2023

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DE SAINT-JUST Jean-Luc
Journées d'études

 

Quelques mots de conclusion…                                                     

  Jean-Luc de Saint-Just

Je ne vais pas vous ennuyer bien longtemps, je vais juste essayer d’articuler quelques petites choses pour à la fois ponctuer cette formidable journée et faire en sorte que cela puisse s’ouvrir sur de nouveaux de chantiers. Tout d’abord, je me suis posé la question, sur laquelle il faudra que l’on se penche : Pourquoi nous avons attendu quinze ans pour faire une journée d’étude ? Plusieurs hypothèses pourraient se soutenir…

Cela étant dit, si j’ai trouvé cette journée formidable, c’est non seulement parce que les interventions étaient absolument remarquables, mais également, malgré ce que l’on peut entendre parfois, que c’était tout sauf de la psychanalyse appliquée. Ce que j’ai entendu pour ma part, c’était des personnes qui étaient au travail de façon dynamique, ouvertes à des échanges, parfois même un peu trop. Mais des échanges qui partaient à chaque fois de la question singulière de chacun. C’est-à-dire avec le soucis de maintenir ouvert ce que j’entends de l’autre. Comment l’autre que j’entends, qui est à la tribune et qui prend la parole, se débrouille avec son réel. Ce qui est intéressant c’est de s’apercevoir que cet autre ne s’en débrouille pas comme moi, que ses questions ce ne sont pas les mêmes que les miennes.

Lors de l’intervention de Lacan à l’Université de Louvain en 1973 en Belgique, ceux qui avaient organisé sa venue, avaient prévu un temps de rencontre autour d’un repas avec une trentaine de personnes. Il a eu donc l’occasion de discuter avec ces gens au cours de ce déjeuner. Et il a ensuite commencé son propos en disant qu’il avait été très intéressé par les questions qu’ils lui avaient adressées, puisque cela donnait une idée de la réponse de chacun. Autrement dit, si vous posez cette question là, c’est que vous avez déjà la réponse d’où s’articule votre question. Lacan ne disait pas autre chose que manifester son intérêt pour la façon dont chacun fait avec son réel.

Je ne sais pas si vous avez assisté ou lu des présentations de malades faites par Lacan. Ce qui l’intéressait, ce n’était pas tant le diagnostique qui pouvait être fait à l’issue de la présentation, c’était essentiellement de saisir comment chaque patient se débrouillait lui, singulièrement, avec son réel.

Lorsqu’il invente le dispositif de la passe, ce n’est pas pour donner des diplômes, c’est pour avoir une petite idée de comment s’en sortait celui qui a fait une cure analytique. Pas forcément mieux que les autres, mais comment ? Est-ce que parmi ce qui s’invente à l’issu de ces cures, il y aurait une façon nouvelle, un signifiant nouveau disait-il à la fin de son enseignement ? Est-ce que la psychanalyse permettrait que s’invente un signifiant nouveau ? Pas que nous ayons résolu notre rapport au réel, puisque c’est impossible, mais est-ce qu’il y aurait un signifiant nouveau, une autre façon de s’en débrouiller, inédite ?

Ce que j’ai trouvé de vraiment remarquable aujourd’hui, c’est comment chacun à partir d’une clinique à la marge, c’est-à-dire à côté de la clinique classique de la cure, du dispositif du divan et autres, en prenant appui sur son propre parcours analytique, chacun était amené à réinterroger la théorie, à réinterroger les concepts. Sans nécessairement les remettre en cause, il s’agit juste de s’interroger sur le fait que dans cette clinique il se passe des choses étonnantes, que cela ne colle pas tout à fait.

Vous savez ce que proposait Lacan, que chaque analyste pour chaque cure doivent réinventer toute la théorie psychanalytique… ne pas en faire un dogme. Quel travail, de ne jamais se contenter de dire c’est comme cela que cela doit se passer !

C’est dommage que Sébastien Prévosto soit déjà parti, mais voilà une clinique qui par exemple vient interroger ce que l’on sait des hallucinations. Comment rendre compte de ce qui se passe dans cette clinique ? C’est ce qui est extrêmement précieux si l’on veut avoir une pratique vivante.

Lors d’une journée comme celle d’aujourd’hui on ne vient pas pour réciter ou entendre la messe, mais modestement, chacun avec les difficultés de sa pratique et de là où il en est de son cheminement, il s’agit de s’interroger, de se poser des questions. Et plus encore, de tirer enseignement de la question de l’autre, dirais-je.

Nous avons beaucoup entendu que dans cette clinique, pour un certain nombre de personnes âgées, puisque vous voyez bien que cela concerne certaines personnes âgées, pas toutes les personnes âgées, la question d’une clinique spécifique se pose. Il y a de nombreuses personnes qui ne mettent jamais les pieds dans les EPAHD, heureusement. Comment dans cette clinique nous allons retrouver la clinique ordinaire, celle que l’on rencontre dans nos cabinets, quelque soit l’âge, mais aussi et c’est pour cela que je ne conclurai pas si vite, on peut se poser la question de savoir comment pour ce sujet où le nœud borroméen était manifestement tout à fait constitué, tressé, bien coincé dans sa névrose de nœud à quatre, et bien à un moment donné cela se délite, il ne reconnait plus son image dans le miroir ou son nom sur la porte de sa chambre.

Est-ce une psychose compensée qui s’est décompensée ? C’est toujours à envisager, mais pourquoi à ce moment là ? Où est-ce autre chose ? N’aurions nous pas une lecture un peu trop figée de la structure subjective ? Cette clinique, dont nous avons eu la chance d’entendre des éléments très précieux aujourd’hui, a cette vertu, parce qu’elle ne se rencontre pas dans les cabinets d’analystes. Comme dans le travail de Nazir Hamad avec les demandes d’adoptions, ou celui d’Anne Joos à propos de la PMA, ce sont des pratiques à la marge de la cure, puisque ce n’est pas de la psychanalyse proprement dite, nous n’avons pas parler de cure psychanalytique aujourd’hui, mais de comment cette clinique, parce qu’elle est à la marge, permet de venir réinterroger la théorie psychanalytique, venir faire trou dans le savoir, et à ce titre susceptible de le relancer. Là il y a une énigme ! Comment rendre compte de ceci ou cela ? Il y a manifestement encore du travail !

Enfin, la dernière chose que je voulais vous dire et qui va donner suite à ce qu’évoquait Rozenn Le Duault tout à l’heure. Vous savez sans doute que dans les années 30, Albert Einstein qui était très intéressé par les travaux de Freud, écrit à Freud, leur correspondance a été publiée. Il lui demande en substance si entre la pulsion de mort et la pulsion de vie, il n’y aurait pas moyen de faire en sorte que la pulsion de vie puisse prendre la dessus sur la pulsion de mort. Nous étions à l’époque de la montée du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne. La Société des Nations avait demandé à Albert Einstein de constituer un comité de savants pour éviter la guerre qui menaçait. On ne peut pas dire que cela ait été très efficace. Ce fut même le contraire quant on sait comment la science a participé à la destruction de masse.

Ce qui est intéressant c’est de pourvoir repérer que nous sommes bien là, avec cette question, dans une lecture scientifique, et pas psychanalytique. Freud lui a très gentiment répondu que le problème c’est que ces deux pulsions vont ensembles, qu’elles ne sont pas séparables. C’est bien parce que le mot est le meurtre de la chose, entendez le meurtre, ce n’est pas à prendre uniquement pour une métaphore. Hegel n’a pas dit que le mot était l’absence de la chose. Il y a là, dans le langage lui-même, un processus de destruction. C’est ce processus de destruction qui par le manque qu’il va créer va être cause du désir, de la création, de l’invention, mais sur un fond non seulement d’insatisfaction fondamentale, mais plus encore de destructivité1. De cela, on ne peut pas se guérir, d’où la déconvenue de nombreux partisans de la psychanalyse dans les années 80 qui pensaient qui la psychanalyse allait amener le bonheur, allait tout résoudre. Nous en avons le retour maintenant, de cette dés-illusion.

Rappelez-vous ce que Freud répondait à Jung qui s’émouvait de laisser ses patients face à cet impossible : « on ne va quand même pas remplacer une illusion (la religion) par une autre ! » Nous ne pouvons pas préserver, c’est très actuel dans notre clinique, celle de notre société contemporaine, les enfants d’avoir à se coltiner ce réel. Vous connaissez ces modes d’éducation qui visent à les en protéger. C’est catastrophique parce qu’ils viennent s’y confronter ensuite sans avoir pu faire ce travail d’élaboration décrit par Winnicoot dans « Jeu et réalité ». Les jeux des enfants c’est ce travail qui consiste à explorer et à apprendre à savoir y faire avec le réel. Et bien, il n’est pas possible de protéger nos petits vieux de ce réel non plus. C’est-à-dire qu’ils aient à s’en débrouiller ! Ce qui n’est pas sympathique du tout ! C’est même le contraire du bien être et du confort ! Et si Lacan a insisté pour dire que l’éthique de la psychanalyse c’était de « ne pas céder sur son désir », c’est l’inconfort garanti ! Vous croyez que Charles Melman était dans le confort jusqu’à la fin de sa vie ? Freud avec son cancer et ses multiples opérations ? Lacan avec sa maladie neurologique ? Ils ont travaillé jusqu’au bout, ont continué à poser des questions, se sont remis à la tache jusqu’à la fin ! Cela demande un certain courage cette affaire, mais c’est ce qui maintient en vie : « le désir ou pire ! »

La paradoxe si présent dans cette clinique, c’est que cette subjectivité que l’on vise à maintenir pour tout un chacun, qui semble si précieuse dans le discours des professionnels, si on la prend au sérieux, si on est rigoureux, force est de constater que c’est tout sauf la facilité ou la tranquillité. Si vous voulez être dans l’apaisement ou la tranquillité que faites vous ? Vous vous mettez dans votre canapé, vous regardez la télé ou lisez un roman, vous allez dans un centre de bien être pour vous faire masser, etc. Bref, vous vous faites objet des soins de l’autre. C’est- à-dire des moments, des espaces ou vous allez pouvoir vous débarrasser de votre subjectivité, d’avoir à faire avec le doute, les questions, de ce qui est bien ou pas, de comment je dois me comporter. Nous sommes à priori la seule espèce où rien ne vient nous dire comment nous comporter. Qu’est-ce que je dois dire ? Est-ce bien de leur dire ceci ou cela pour cette conclusion ? Nous sommes en permanence intranquille avec notre subjectivité. C’est comme la démocratie pour reprendre le propos de Winston Churchill « c’est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ! » Et même si, comme Carlos Ruiz-Eldrege le disait tout à l’heure, c’est pas vendeur cette affaire.

Voilà ce que je voulais vous dire avec un grand merci à tout ceux qui on bien voulu prendre la parole et nous éclairer de leurs questions.

 


1 Il faut lire la thèse de psychiatrie de Sabina Spielrein « Le destruction comme cause du devenir » publiée avec sa correspondance dans « Sabina Spielrein entre Freud et Jung (Aubier 2004), qui a inspiré à Freud cette dialectique des pulsions pour en repérer la pertinence logique au-delà de son habillage parfois un peu trop imaginaire.

 

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