« Pourquoi cette répartition de l’acte et du faire est-elle essentielle au statut de l’acte lui-même ? »
19 novembre 2024

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Patricia LE COAT-KREISSIG
Préparation au séminaire d'été

Préparation au séminaire d’été 2024-2025

Étude du séminaire, L’Acte psychanalytique

Mardi 19 novembre 2024

Présidente-Discutante : Marie-Christine Laznik

Patricia Le Coat Kreissig : « Pourquoi cette répartition de l’acte et du faire est-elle essentielle au statut de l’acte lui-même ? »

 

 

Lacan l’affirme : « cette répartition de l’acte et du faire est essentielle au statut de l’acte lui-même. ».

À partir de cette affirmation, je vous propose d’interroger les trois signifiants : la répartition, le faire et l’acte. Je laisse le quatrième, le statut de l’acte silencieusement au centre articulatoire de la question.

Lacan introduit ainsi au sujet du statut de l’acte la notion d’une répartition, de lieux différents délimitant ce statut de l’acte. Il s’agit bien entendu de la question de dimensions psychiques, du topos. Deux lectures différentes concernant dès le réel s’y imposent : celle qui parle de l’effet d’un faire et l’autre, d’un pur effet de l’acte.

La répartition de ces dernières suit une logique. Lacan prend appuie sur la logique telle qu’elle se déploie au Ménon.

Dans le Ménon, le célèbre dialogue platonicien, l’idée de départ annonce qu’une certaine connaissance, un certain savoir est déjà là en nous mais ce qui nous manque, c’est la méthode, la manière d’y accéder. Bien sûr, cela ne peut se passer de la dialectique. Un simple esclave peut y accéder. Dans la mise en scène du dialogue, Platon considère une situation particulière, qui n’est pas celle à laquelle est habitué un être « normal » dans sa vie de tous les jours ; cette situation amène à une sorte de détresse face aux rapports habituels : elle concerne, effectivement, un rapport différent, « inattendu » puisqu’elle convoque une mesure non rationnelle.

 

D’habitude, c’est dans les nombres rationnels qu’on va chercher l’essence de la mesure. Les nombres rationnels sont certes infinis, mais cet infini est encore dénombrable, c’est-à-dire, bien qu’on puisse, d’une certaine manière, le « compter », on ne sait guère arrêter le comptage. L’esclave qui discute avec Socrate, est invité à trouver comment construire un carré dont l’aire est le double de celle d’un carré donné. Pour construire ce carré, il faut considérer le carré dont le côté est formé par la diagonale du carré d’origine. Par exemple, si notre carré initial a un côté égal à 1, la mesure de sa diagonale, donnée par le théorème de Pythagore, est égale Ö 2.

 

Il n’est pas possible d’écrire sous forme d’un rapport rationnel la longueur du côté d’un tel carré. Autrement dit, ce carré recherché échappe à toute mesure, telle qu’un esprit simplement rationnel le conçoit. Ainsi, si nous restons dans le pays des rationnels, un tel carré, à l’aire double de notre carré initial, est indiscernable.

 

Mais est-ce qu’il est en effet inexistant ? Cette approche conduit à la mise en place d’une logique nouvelle, ce qui constitue une avancée de grande importance.

 

C’est sur cette logique que Lacan va prendre appui.

 

Dans les écritures produites par Jacques Lacan à la suite du constat que « […] cette répartition de l’acte et du faire est essentielle au statut de l’acte lui-même », nous assistons à une articulation logique qui met en jeu le couple psychanalyste-analysant à partir de cette logique du Ménon dans un espace logique des dimensions psychiques R, S et I.

 

La seule possibilité d’interroger le rapport existant entre ces trois instances psychiques, RSI ainsi que la jouissance, le savoir et la vérité, relève du fait d’une inscription dans une logique, « topo-logique », logique des espaces.

 

 

Lacan va donc d’abord poser les trois dimensions RSI sur un premier triangle ; aux trois coins d’un triangle nommé RSI et y associe trois écritures : celle de l’objet a, le trait unaire et celle de S barré. L’analysant, divisé par le langage (le symbolique) dans son rapport à l’imaginaire et au réel se voit reflété à partir du Moi imaginaire projeté sur I, trait unaire, au Un qui lui sert d’appui identitaire. De l’autre côté il rencontre l’objet a, pure émergence du réel, celui de la condition analytique, du psychanalyste voué à la chute, « comme une chute du réel. »

 

À partir de là, Lacan va construire un triangle qui contiendra le premier triangle et dont les axes ont deux fois la longueur des axes du premier triangle. Il va inscrire la jouissance face au Réel et à l’objet a, à la rencontre de l’Imaginaire et du Symbolique.

 

Le symptôme occupera l’angle en haut à droite du triangle recouvrant RSI, c’est-à-dire la place face à l’Imaginaire et au trait unaire situé au point de rencontre entre le Symbolique et le Réel.

 

Quant à la vérité, il va l’inscrire face au Symbolique sur l’axe du sujet barré projeté sur la ligne Imaginaire – Réel

 

Rappelons-nous maintenant l’écriture des nœuds borroméens telle qu’elle se produira six ans plus tard, en 1973. Nous y trouverons face au Réel, exclu du Réel, le sens en tant que jouis-sens. Face à l’Imaginaire, et donc exclu de l’Imaginaire, la jouissance phallique – et nous soulignons sa dimension symptomatique – et face au Symbolique, exclu de cette dernière, Lacan inscrit la jouissance Autre, cette jouissance en plus, féminine.

 

 

J’ose interpréter cette leçon de manière à y lire l’émergence de ce qui est à cette date encore en gestation concernant la distinction entre jouissance phallique et jouissance Autre ; ceci animé dans le cadre de l’acte analytique tel un mouvement logique qui fait entrer en jeu l’analyste et l’analysant sur l’axe réel tendu entre le symptôme de l’analysant qui entre avec son Moi identitaire et la vérité de l’analyste.

 

Lacan nous fait entendre que l’impossibilité d’inscrire un rapport entre l’acte et le faire constitue en quelque sorte un arrêt dans la conception même du statut de l’acte et nous invite à ouvrir un nouvel espace, à prendre appui sur une dimension nouvelle qui y émerge, à une dimension Autre dont témoigne l’inscription d’une lettre, lettre réelle qui, comme dans le dialogue platonicien, exige ces nouvelles articulations. Articulations logiques.

 

Cette dimension nouvelle, il la nomme « Réel ». Nous savons que c’est le réel du nouage mais en 1967 il s’agit d’abord du réel du statut de l’acte. Dans son centre, au milieu : « la position de l’analyste, a, là où c’est le vide, le trou, la place du désir. »

 

Plus tard dans son séminaire RSI, il nouera ces trois dimensions dans une articulation, dont il dira qu’elle est elle-même réelle, représentée par la métaphore du nœud borroméen : RSI. Dans son centre il écrira clairement un « a ». Il précisera que : « […] chez l’homme, et sans doute à cause de l’existence du signifiant, l’ensemble de ce qui pourrait être rapport sexuel est un ensemble […] vide. » Il n’y a pas de rapport sexuel.

 

Ce n’est donc pas étonnant de l’entendre dès la première leçon parler de couple : acte – psychanalytique et de l’assimiler au terme également couplé de l’acte sexuel.

 

Décidément : Cette répartition de l’acte et du faire est essentielle au statut de l’acte lui-même.

Conséquemment quant au statut de l’acte : ne peut-on pas dire qu’en évoquant ce statut, Lacan parle justement de ce Réel ?

Le Réel du nouage, de cette chaîne borroméenne à venir, déjà au métier, déjà présente tout en étant encore absente, hors écriture, me semble-t-il, se présente sous sa forme d’ébauche, en voie d’élaboration, dans les années 1967-1968.

S’agit-il d’un nouage, métaphore de l’après-coup d’une analyse, celui témoignant du sujet, qui a passé le pas de l’analysant à l’analyste ?

 

Pensons à la passe.

 

Voilà une première écriture logique dont l’inscription des instances psychiques vient témoigner d’une structure, de la possibilité d’un nouage des trois dimensions R, S et I. Nous savons qu’elles seront ultérieurement nouées de façon borroméenne. Le nœud à venir, nœud à trois est celui sans symptôme, qui répond enfin à la demande de Lacan de se passer du Nom du père (symptôme) à condition de s’en servir (de l’objet a) dans un discours qui est celui de l’analyste. L’articulation logique de RSI telle que Lacan la présente dans le séminaire RSI serait-elle signifiante de l’acte pur effet d’un faire de l’analysant dans ces moments de passage de l’analysant vers analyste ?

 

Rappelons-nous : dans Le Sinthome en 1976 il insiste : « Il faut le faire » ce nœud et rappelle comment cette écriture est appui à la pensée qu’il écrit : appensée. Cette écriture est Autre, souligne la présence de l’objet a, objet du réel. Le réel ne se pense pas. Il troue. Dans l’acte analytique, il ne s’agit pas de se perdre dans la pensée, qui ouvre le champ de l’Imaginaire sans limite.

 

Lacan nous met en garde face à une psychologie qui prend appui sur l’Imaginaire. Perdons-nous… un peu… mais :

« Il faut le faire » et il faut aussi l’écrire pour « en tirer quelque chose ». Parce que ça n’est pas facile de voir fonctionner cette chaîne, ce nœud borroméen, rien qu’à la penser.

 

Déjà en 1967 donc neuf ans plus tôt, il insiste sur la loi, la règle qui cerne l’opération appelée psychanalyse, qui structure et définit un « faire ». La structure relève d’un faire. Et, un faire peut réussir. Cela semblerait toucher avec prudence et délicatesse à l’éphémère notion de la fin d’analyse.

 

Ce nœud porte quelque chose avec lui. L’acte. Il faut l’écrire pour voir comment ça fonctionne, cette mise en place d’une structure. Structure, « dont le cernage d’un « je perds » donne la clé » nous rappelle-t-il.

 

Nous comprenons alors aisément que l’interprétation et le transfert donnent à l’analyste ce poids nécessaire afin d’autoriser l’analysant à ce faire.

 

N.B. : En 1967, Jacques Lacan dans le cadre des « Mardis du Vinatier » Lacan donnait une conférence où il développait, à l’usage d’un public provincial, les grandes lignes de son enseignement. Concernant l’acte, il précise : « Ça veut dire que quelque chose se produit nécessairement dans la signifiance qui est cette sorte de perte qui nécessite que, quand l’homme entre dans le champ de son propre désir en tant que désir sexuel, il ne peut le faire que par le médium de cette sorte de symbole qui représente la perte d’un organe en tant que dans l’occasion il prend fonction signifiante, fonction de l’objet perdu. »