Ce texte publié une première fois dans Le Monde diplomatique a été légèrement remanié et repris dans « Patronymies » ouvrage de Marcel Czermak publié en 1998 aux Éditions Masson.
Le praticien est fondé à divers titres d’intervenir dans le débat si aigu soulevé par notre conjoncture sociale et la subjectivité qui s’y forme. Dans cette conjoncture il est un élement essentiel : la référence générale au développement de la science dont le « discours » semble faire autorité pour tous. Or, ce qui fait ses fondements, son universalité comme sa communicabilité tiens essentiellement au rejet de toute question ontologique, de toute interrogation sur le sujet. Est-il envisageable qu’un discours qui étend son filet sur la planète, à la condition que nous venons de rappeler, ne voit pas ces questions mêmes réapparaître ailleurs, sous forme de réponses étranges et déguisées ? Ce n’est pas parce que l’on a appuyé sur le bon bouton, qu’il n’y a pas de réponses ailleurs que là où elles sont attendues, qui cachent leur nature de réponse.
C’est en tout cas ce que la psychanalyse enseigne, puisque c’est ce sujet éliminé de la Science (forclos, disait Lacan) dont elle a à traiter, quand il lui fait retour en ses plaintes et symptômes. Et, dès lors, ce que le psychanalyste aborde, c’est la vérité comme cause – cause de la souffrance – là où la Science en exclut le terme pour la réduire à l’opposition du vrai et du faux. En effet, si la vérité est contestable, c’est moins par défaut que par structure : elle concerne toujours un rapport à l’Autre dans lequel nous sommes tous pris. C’est-à-dire que l’une de ses moitiés git dans cet autre même, ce qui la rend impossible à dire toute.
L’exactitude, qui fonde le vrai et le faux, est d’un autre tonneau : elle tient à une axiomatique qui, par définition, se passe de cet Autre. La Science est sans adresse. Au point de soulever la question de savoir si elle peut être dite discours, puisqu’y est évacué le problème du fantasme (ce qui rend le plaisir apte au désir). Alors mieux vaudrait dire ce qu’elle sert : actuellement, il est clair que ce sont les discours de la maîtrise.
Et cependant Science comme maîtrise se révèlent supportés par un fantasme de totalisation, d’universalisation dont l’une des conséquences est de masquer le manque-à-être central de l’être parlant, divisé par le langage. N’énonçant ses formules qu’en évacuant toute division, elle installe un pur sujet, sujet absolu. Ce qui, d’ailleurs, n’empêche pas le drame de certains savants, chez qui la vérité fait retour. Comment alors, peut-on créditer la Science d’une « ambition de comprendre« … »besoin primaire de l’humanité » (A. Lichnerowicz) quand toute l’expérience analytique nous enseigne qu’il n’est nulle pulsion épistémologique, mais bien au contraire, que l’on ne fait jamais que s’empresser d’oublier, méconnaître ce que l’on a appris. Au point que la Science puisse être qualifiée de cas local de la logique du fantasme : celui où l’on se débarrasse des soucis ordinaires de l’humanité. Mais les façons ne manquent guère de vouloir arriver à de telles fins. En tout cas la Science y échoue, ce qui ne signifie pas qu’elle ne puisse avoir du bon, mais pas sans les maladies afférentes. D’autant que d’un bien peuvent surgir des maux encore plus grands que ceux qu’il s’agissait de combattre. En effet, quand A. Lichnerowicz conclut : « Ainsi la physique nous offre-t-elle une conception du monde » (id), celle-ci est pour le moins curieuse puisqu’elle ne traiterait de rien d’essentiel : qu’est-ce qu’un père, une filiation, la jouissance, le courage et la lâcheté, enfin tout ce qui fait que les hommes tournent autour d’insaisissables, qui cependant les actionnent quand ils s’illusionnent d’une quelconque maîtrise, là-même où ils ont évacué l’interrogation sur l’objet qui causerait leurs désirs ?
Cet objet, qui n’est pas celui de la Science, quel est-il ? Car il faut bien se prononcer là-dessus : toute la vie sociale y prend appui, comme s’en détermine. Et quel en est le corrélat, sujet de cet objet ? Pour autant que c’est de la chute de cet objet énigmatique, liée à l’incidence du signifiant, que surgit un sujet qui n’est nulle hypostase, ni homoncule dans l’homme.
Le sujet divisé
Les questions sont liées et incontournables : quelle sorte de sujet devons-nous concevoir ? Le simple fait de l’inconscient, qu’il y ait un discours qui parle en nous sans que nous en ayions la moindre idée, indique assez son caractère divisé. Parfois il se manifeste dans les lapsus, mots d’esprit, actes manqués, rêves. Plus souvent, il agit dans les déboires que nous nous sommes préparés, sans avoir la moindre notion des raisons pour lesquelles ils nous adviennent. Et un sujet divisé n’est nulle entité, il faut le répéter.
Aussi, dès lors que la Science vaut pour maîtresse, il devient vain de prôner amélioration de l’enseignement, de l’information, voire de la formation : puisque la transmission de ce savoir y est conforme à ses prémisses d’exclusion subjective, la suite ne peut qu’y être conforme, soit alimenter ses conséquences inaperçues : à l’intrusion galopante et triomphale de la science, répond l’inflation terrible du triple champ de la crainte, de la culpabilité et de la haine (E. Jones). Déploiement des magies, des guerres de religion et des phénomènes ségrégatifs de tous ordres.
Là où la Science collabe besoin et demande rejetant ce qui, dans toute demande, relève du désir, on aboutit à un « faisable » que ne bride aucun « souhaitable » (Castoriadis). C’est-à-dire qu’on tombe sous le coup d’un impératif généralisé. Alors resurgit cette magie qu’il ne suffit pas de traiter de « fausse science« , puisque le qualificatif laisse intact le questionnement sur sa cause efficiente, qui ne doit rien à la physiologie, mais inciterait plutôt à s’interroger sur ce qui est au principe du moindre effet de commandement, et pour chaque homme. Resurgit également, forclos du symbolique de la science, un sujet absolu, qui inonde le réel : ce Dieu de la religion, à qui est laissé la charge de la cause, cependant que le religieux formule sur le mode impératif les désirs supposés de ce Dieu dont il recherche les bonnes grâces.
Et l’on n’a même pas ébauché la réflexion sur les effets, en général glorifiés, de l’universalisation de la Science – car nous bafouillons – effets fracassants par leur immixtion dans des montages symboliques qui lui sont hétérogènes. Ce que l’histoire moderne montre, c’est qu’il n’y a nulle véritable homogénéisation des cultures, car il n’y a pas d’homogénéisation entre systèmes symboliques hétérogènes, mais plutôt des réponses dans le réel, et souvent déconcertantes quand elles ne sont pas dramatiques.
La science et son maître
La Science a basculé du côté du Maître. Elle le sert. Le Maître y a mis du sien : nos politiques, administrateurs et gestionnaires répètent à l’envi : » Nous ne sommes que vos représentants. Dites-nous ce qu’il faut faire » . Eludant la charge de leur position d’agent, ils proliférer commissions et comités de sages sur la recherche, l’enseignement, l’éthique, organisent des Etats Généraux de la Sécurité Sociale. Et nous disent : » Vous êtes des gens formidables, mais vous ne nous donnez aucune réponse immédiate. Rien n’est résolu, alors nous qui sommes dans l’action, il faut bien que nous décidions » .
Passe-passe où, la Science comme les autres savoirs et savoir-faire, passés aux mains du Maître lui permettent – dans la dénégation, la dissimulation de son pouvoir – d’exercer des lois dont il n’a jamais à rendre compte du savoir d’où elles procèderaient. Le Maître a actuellement d’autant moins de comptes à rendre (quand voit-on un ministre démissionnaire pour cause d’incompétence se suicider, ou simplement aller en prison ? ) qu’il a embobiné tout le savoir, passé à son service, cependant qu’il est dispensé de produire son savoir propre, lequel n’est pas celui de la Science. Quant à l’Université, il est devenu clair que, quoiqu’elle en aie (y compris dans ses refus de collaboration, car le refus peut être aussi une collaboration), elle a également basculé au service du Maître : elle produit des unités de valeur, cependant que les citoyens sont saisis par les valeurs boursières. Et la vérité crie à côté de nous : en décembre 1986, ces étudiants qui récusaient d’être réduits dans leur valeur d’usage, demandaient simultanément que leur soit garantie – dans leur angoisse – leur valeur d’échange sur le marché : valeur comptable de plus-value, en économie « libérale » . Ceux qui veulent leur place dans la société la réclament dans les termes mêmes dont ils pâtissent, ce que l’on qualifie en termes actuels « faut savoir se vendre » et avec « un plus » (capitalisable de préférence).
En U.R.S.S., la chose était claire : pour être professeur, il fallait servir le parti qui est le Maître. Les choses sont plus camouflées pour nous : l’Université prépare les plus-values, seraient-elles incarnées.
En ce joint de cauchemar et d’angoisse, que la Science élude, rien ne sert d’y faire appel à une bonne volonté quelconque : les hommes n’ont jamais, pour la plupart, voulu connaître autre chose que ce qui les arrangeait. Le problème est affaire de structure. Et ce qui les arrange est cause du discours qui les fait produire. Mais la vérité est ailleurs que dans la production, et – de surcroît – refoulée, c’est ça qui est à examiner.
Alors, dans cette tâche, où trouverons-nous notre cap ? On peut douter que la culture nous y aide : C. Jullien (3) dans son premier article de la série duMonde Diplomatique sur : « Des Sociétés malades de leur culture » , relevait bien comment sous Vichy, des hommes de même culture pouvaient, les uns sombrer dans la barbarie (que ce soit par souci d’être du côté du manche, ou par capture par le Dieu obscur qui réclamerait le sacrifice ségrégatif, ou encore pour dormir tranquille) et ceux qui, dans un courageux regard toisaient en face le monstre, au risque de leur vie.
La question relève de ce qu’un homme peut apprécier des objets qui le déterminent, soit pour s’en conforter, soit pour s’en déprendre.
Alors pensée sans objet, se demandait-il ? Il ne me semble pas : la pensée n’est pas une catégorie. Lacan disait qu’elle serait davantage du côté de l’affect ; soit la façon dont nous pâtissons des discours qui nous traversent. Et, comme tout affect – d’angoisse spécialement – elle n’est pas sans objet, même si ce dernier est dur à nommer. Ainsi, dans la société capitaliste s’appellera-t-il plus-value à quoi se ravalent tous les plus-du-jouir dégradés, ou encore Souverain-Bien.
Mais ces plus-du-jouir n’existent que dans un réel dont la saisie nous est impossible, même s’ils nous déterminent.
Alors, société sans projet, se demandait-il encore ? Certes pas : ces objets nous conduisent le plus sûrement du monde vers les pires désagréments, par des voies réelles et fléchées, quand bien même serions-nous sans projets articulables. Ils nous tirent : voix, regards, apparences, look divers, media.
Le réel comme tel n’est qu’effet des discours qui le produisent, dans lesquels nous sommes tous pris.
Alors quelle action mener ? Au moins, situer cette part d’impossible à démontrer qu’emporte avec lui tout discours, cette part qui est son réel et sans l’appréciation duquel nos actions ne valent pas pour actes, mais pour chimères et semblants.
En tout cas, le monde moderne ne s’est certainement pas complexifié : il est devenu d’un clarté brutale, sinon aveuglante. Mais nous sommes ses aveugles.
Férocité sociale
Tout cela est parfaitement conforme à l’atmosphère économique où nous sommes : crainte pour la survie, compétiton effrénée, rivalités exténuantes. Le Maître moderne étant aveuglé, il ne sait même plus qu’il sert lui-même la plus-value qui le commande. Quant aux institutions, nous savons qu’elles sont avant tout, des phénomènes d’écriture fabriquant des places et qui manoeuvrent les identifications.
Du fait de cette méconnaissance, refoulement, camouflage, les institutions tombent en plein dans ce que Legendre appelle la férocité sociale. Le juridisme accru des rapports sociaux et l’appel à l’Etat, comme à l’Administration témoignent alors d’une soumission remarquable à ce monstre, qui est l’un des visages de l’Etat : ce monstre qui s’appelle l’amour social, dont la seule finalité est de faire en sorte que les sujets se reproduisent à moindres frais pour faciliter la circulation des objets ready-made de la consommation qu’ils sont d’ailleurs devenus eux-mêmes.
Il s’agit alors bel et bien d’une guerre pour la maîtrise de la distribution des places dans l’échange, et cette guerre ne va pas sans un goût étrange du contrôle et de la frénésie organisationnelle. Fureur à produire de l’institution, labelisée, garantie.
Et dans cette guerre, il s’agit, comme souvent dans les guerres, beaucoup moins d’oppositions des uns aux autres, que d’identification des uns aux autres. Car on est toujours plus ou moins captif des voies et des enjeux que l’on a promu soi-même, en ignorant qu’ils ne sont que la réitération plate d’enjeux sociaux, économiques, culturels qui nous gouvernent à notre insu. Lacan disait : » L’inconscient, c’est le social » . Formule qui a pu heurter nombre de psychanalystes. Pourtant l’inconscient nous est extérieur, c’est le Discours de l’Autre, anonyme, impersonnel, qui n’est nul sujet mais une grande gueule et qui nous gouverne, cependant que, comme il n’y a pas d’énonciation collective, les énoncés prolifèrent.
Lacan disait : « Dans la névrose, le rapport à l’Autre a toute son importance. Dans la perversion, le rapport au phallus a toute son importance. Dans la psychose, le rapport au corps propre a toute son importance » . Or, ce que nous voyons se développer, est bel et bien ceci :
1) le rapport à l’Autre fait de moins en moins problème, puisque tous les sujets deviennent eux-mêmes les objets interchangeables d’un échange économique généralisé et unifiant. La problèmatique est donc de moins en moins névrotique ;
2) le rapport au phallus prend de plus en plus d’importance dans la captation du désir de la clientèle. On se présente comme l’Autre dont la maîtrise phallique peut capter son désir. C’est « le plus » (je psychanalyse « plus » , je lave « plus » blanc, je gère « plus » , mon père est « plus » , etc.) et donc la perversion s’amplifie ;
3) avec comme conséquence rétroactive, circulaire, une exclusion de l’Autre. Les citoyens sont alors d’autant plus fragmentés qu’ils sont gérés par un monstre monobloc, sans division subjective, mais que – cette opération – elle est passée réellement en eux. Coup que nous appellerons : celui de se faire passer pour l’Autre de l’Autre. Opération de forclusion du Nom-du-père, c’est-à-dire Verwerfung De la castration, propre au capitalisme ;
4) le centralisme – particularité française, auparavant – va croissant sous la forme de multinationales supra-gouvernementales qui sont les vrais centres décideurs de la vie économique, sociale et culturelle ;
5) du coup le Maître (S1) en est conforté et le savoir (S2) passe à son service.
Le moi bon pour la casse
Le Maître moderne se fiche éperdument du savoir. De toute façon, le savoir est à son service. Il lui suffit que ça marche. Et plus le savoir (S2) veut se faire reconnaître comme savoir, plus il conforte (S1), le Maître. Ce qui explique la phobie institutionnelle, publique et politique de beaucoup de psychanalystes qui n’osent même plus ouvrir la bouche sur leur vie collective et leur vie de citoyens, mais de cela ils paient le prix, comme Fenichel et ses amis. On lira avec intérêt le livre de Russel Jacoby sur Fenichel. Le titre original était : Destins de la gauche freudienne. A voir ce panorama – et il est certain que je suis en-deça de la main, étant mal au fait des dernières subtilités de la vie économique – il devient clair que c’est le social qui prend prévalence d’un réel, au point que le nom propre y devienne valeur monnayable, comme les autres fragments du corps.
En somme, ce qu’il s’agit de sauver, c’est le moi, mais en l’occasion c’est l’objet a que le moi sert, c’est-à-dire que le moi lui-même ne sera pas sauvé : il ne peut être que déclassable, bon pour la casse, selon la conjoncture du marché.
Les mystères de l’Etat, seraient-ils psychanalytiques, sont peut-être insondables, mais pas son coeur, et son amour vous est garanti. Les évènements de 1989 en Chine illustrent bien la collusion du maoïsme avec le familialo-centrisme chrétien identifiant dans sa pente totalitaire le Nomavec le texte sacré et le corps. On pourrait appeler érotomanie d’Etat ce type de montage, conduisant à la chaîne de scenarii divers, dont – entre autres – une psychanalyse prêt-à-porter, psychanalyse de confection, comme la psychiatrie d’ailleurs – et davantage encore.
Il faut remarquer par exemple, du côté des hôpitaux, comment en France, l’une des mesures de tel gouvernement des dernières années a été de subordonner les médecins à leur directeur administratif, cependant que se développait la notion d’hôpital-entreprise. Quant à la psychanalyse, elle risque fort de devenir une « psychanalyse-entreprise », avec comme discours dominant, celui bien connu dans les Forces Armées : celui du « rendre compte », « justifier », « garantir », « assurer ».
Ce discours, au service de l’évaluation et de la quantification, croit dans une science qu’il a mal digéré – parce que la Science n’y croit pas elle-même – cependant que la Science est mise à son service.
L’actualité paranoïaque…
Vous l’avez compris : ce jeu de fictions institutionnelles rédigées par la fausse Science et l’Administration n’apportent de réponses qu’aux questions fictives posées. A question fictive, réponse fictive, cependant qu’à côté le réel prolifère comme réponse vraie, mais méconnue.
Tout se passe comme si nous assistions à la tentative d’homogénéiser:
1) le réel de l’entreprise ;
2) le réel de celui qui fait savoir ;
3) le réel de qui a le savoir-faire. Je m’explique : le réel de qui a le savoir-faire s’abdique devant le réel de celui qui fait savoir, sous couvert de ce qu’ils auraient besoin l’un de l’autre. Quant au réel de celui qui fait savoir, il s’abdique devant le réel de l’entreprise sous couvert de ce qu’ils auraient besoin l’un de l’autre. In fine, conjoncture obscurcissante où c’est le savoir-faire comme éthique – qui devenu esclave – fonctionne au service d’une entreprise qui se prend pour une culture.
Il est vrai que si le discours dominant est celui de la recherche du meilleur rapport qualité/prix, s’il faut « en donner à chacun pour son argent » , et si – en plus – il faut savoir se vendre, cela augure très précisément des combats que nous aurons à mener.
Pour me résumer : l’actualité est paranoïaque, c’est-à-dire que le monde devient sans trou et que tout doit y être prévu. Autant par son extension que par les phénomènes sociaux de fond qui y poussent. D’une part : désagrégation des modalités symboliques qui assuraient dans les groupes humains, transmission et génération, en garantissant la stabilité de leur horizon, mondialisation sans butée des échanges et des phénomènes migratoires. D’autre part – et l’un ne va pas sans l’autre – montée en force de la science véhiculant l’exigence et la certitude qu’elle nous débarrasse de toute contingence cependant que – rejetant le sujet – elle en fait le plus contingent des objets. Bref : décapitonnage.
Alors voit-on monter les phénomènes ségrégatifs, tensions jalouses et revendicatives, guerres de religion cependant que nul Dieu ne vient répondre à l’appel érotomaniaque d’élus qui – dans un appel sans médiation à l’Autre – ne peuvent qu’éprouver la déception de leurs espoirs, comme leurs compensations imaginaires exaltées.
Parallèlement, les fractures générationnelles accentuées rejettent pères et fils dans une position radicalement autre, les mettant en posture de ne s’autoriser que d’un discours – la science comme bien commun en fait partie – qui va jusqu’à invalider et court-circuiter les gouvernements : ce sont les Biens qui gouvernent, par la promesse d’une jouissance Autre, cependant que les responsables eux-mêmes se réduisent à l’état de fantoches artificiellement animés.
Sommés de répondre aux tensions, ils n’y parviennent que sous la forme d’idéologies unificatrices et unitaires, imposant la multiplication des réglements, procédures de contrôle, législations « communes ». Mais la demande est assurément de « plus de droit » . Mais de quel Droit s’agit-il ? Du droit d’un sujet à bénéficier d’une existence pacifiée parmi les siens, à quoi aucun droit ne peut répondre ? Ou du Droit du code, comme prothèse sans cesse augmentée, à la carence du droit symbolique ? Dans ce cas, elle n’y apporte qu’une réponse quantitative sur le mode impossible d’une jouissance qui devrait être également répartie et identique pour tous, pendant que la sexualité, comme la sexuation – ordonnées phalliquement – en prennent un coup.
Quant au lieu, évidé, de la vérité, il se comble d’un vrai dont la forme de bien de consommation prend place de Maître aveugle et anonyme de Tout et que nulle butée ne vient plus interrompre sa tyrannie.
Le corps des hommes n’y échappe pas, dont chaque partie, désormais démembrable, transplantable, voire fécondable, l’offre à une capture monnayable et que chacun – juridiquement – doit tenir le discours que sa place dans l’administration des biens lui assigne.
Ainsi se véhiculent des énoncés sans énonciation, collabant le lieu de l’Autre à celui du code (devenu civil et pénal) imputant à chacun une castration collective inexistante, cependant que – dans un réel projectif – prolifèrent oppositions et conflits effectifs en réponse à l’Un.
A la jubilation mégalomaniaque qui fait de chacun le citoyen d’un monde qui gravite autour de lui, répond pour le même citoyen l’effondrement micromaniaque par où il témoigne que, dans ce monde, il n’est rien, avec l’agression narcissique concomitante.
et hypocondriaque
Quant à la faute et à la dette : elle est devenue impayable (cf. le tiers-monde), renvoyé à l’Autre incarné, le voisin le plus proche, dont ne me sépare plus nul continent ni mer cependant qu’elle est pour moi-même éludée au titre des dommages irréparables que j’ai subis : sans auteur et sans objet, s’y substituent la crainte, la haine et le tremblement.
Alors, faute de castration, l‘objet a, non chu, incarcéré dans le langage le rend inapte à l’échange cependant que – faute de coupure signifiante, liée au Nom-du-Père – c’est la décollation capitale qui prévaut : de même que chacun est tenu de produire sous la forme d’un » plus » ce qui met en souffrance son discours, il ne peut le faire qu’au nom d’un « mon père est plus » selon l’heureuse expression d’Elie Doumit, fiction qui recreuse dans le réel le manque dans le symbolique qu’elle était supposée combler.
Si l’actualité que nous rappelons est juste, c’est alors une actualité sans limites ni spatiales, ni temporelles, ni corporelles. C’est l’actualité hypocondriaque de l’objet qui ronge – névrose actuelle – celui qui ne parvient pas à s’en diviser et cherche dans l’autre la frappe – réelle celle-là – qui ne parviendra pas à opérer soulagement d’une complétude intolérable. Actualité d’un sujet universel qui – dans son hypocondrie planétaire – tend à sa fission, éventuellement nucléaire.