Monsieur Melman
14 novembre 2022

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TEBOUL Joëlle
Hommages à Ch. Melman

Monsieur Melman

Joëlle Teboul

 

Nous étions quelques-uns, là à attendre sur le trottoir de la rue des Archives, une petite porte verte improbable, qui ressemblait à celles nombreuses d’Alice au pays des merveilles.

Une porte qui s’ouvrait vers une salle d’attente, une salle d’attente où venaient se croiser les souffrances tenaces de l’enfance, les rêves irréalisés de l’adolescence, les impasses répétées de nos vies d’adultes mal engagées, c’était pour beaucoup d’entre nous le dernier espoir avant la mort. La parole ou la mort.

Et cette salle d’attente dont je me suis longtemps demandée si elle faisait partie d’un dispositif pensé ou si elle s’était constituée peu à peu, effet d’une demande toujours plus nombreuse d’analysants pour lesquels il fallait tout simplement trouver un lieu.

Des années durant, nous attendions que la petite porte verte s’ouvre, nous arrivions parfois très en avance le matin pour passer « en premier » ou « en deuxième » … c’était aussi un jeu à celui qui arriverait le plus tôt.

Et nous parlions, au comptoir, au bar en face. Brèves de comptoir, résumé du séminaire de la veille, et discrétion sur ce qui nous amenait chacun à venir trois fois par semaine, si tôt le matin appelé.

Une fois la porte ouverte, chacun prenait sa place, souvent la même, et attendait d’être Monsieur Melman nous appelait, par notre prénom : Joëlle, Marie-Josée, Cyril, Nicolas, Thierry, Emile, Claire, Pierre…, chacun son tour et dans un ordre parfois confus.

Les regards se croisaient, s’interrogeaient, riaient aussi.

C’était bon enfant et pour la plupart, nous acceptions les caprices de l’analyse, parfois 5 minutes, parfois 30 minutes …, qu’y avait-il de plus important après tout.

Cette circulation des analysants, des regards, des rêves, des paroles, avait un coté théâtral, mais finalement nous comprenions que nous étions tous logés à la même enseigne et le travail faisait son chemin.

Cette salle d’attente tantôt hostile, tantôt rassurante et accueillante, elle nous permettait de travailler, de penser à ce qu’on allait dire.

Et puis la deuxième porte s’ouvrait « Joëlle ». Cet appel était une vraie invitation.

Et rien ne se passait comme on l’avait prévu, ce n’étaient jamais les mots de la salle d’attente qui venaient,

C’était toujours autre chose, un inattendu salvateur qui nous obligeait à sortir de notre nous-même, on se découvrait possiblement et le temps d’un instant inconnu à nous même, désorienté.

Et heureux de l’être. Nous sortions par une autre porte, donnant sur la rue Pastourelle, à même le trottoir, souvent en larmes mais allégés et avec le sentiment que le jour à venir ne ressemblerait pas à celui de la veille. Et déjà, nous préparions la séance suivante.

Cette jubilation devant la trouvaille, c’était comme un rire, c’était communicatif…

Et on se trouvait soudain si bête d’en être encore là, à se plaindre encore comme un gamin qui ne veut pas aller à l’école, et qui ne veut pas grandir…

Alors, merci pour la petite porte verte, merci pour la salle d’attente, merci pour l’invitation et merci pour la sortie par la porte dérobée…

Sur le trottoir, il y a la vie, il suffisait d’apprendre à regarder.

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