"Maman revient pauvre orphelin" de Jean-Claude Grumberg - mise en scène de Stéphane Valensi
11 décembre 2024

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Jean-Claude GRUMBERG, Stéphane VALENSI
D'autres scènes

Maman revient pauvre orphelin

de Jean-Claude Grumberg

mise en scène de Stéphane Valensi

 

 

Avec

Marc Berman

Marc-Henri Boisse

Guilaine Londez

Boris Winter (Violon)

 

 

C’est un enfant de 62 ans qui appelle sa mère, il aimerait qu’elle le prenne par la main et qu’ils passent un dimanche heureux. Des voix lui répondent, des personnages lui apparaissent, issus de ses souvenirs, ses rêves ou ses cauchemars : sa mère et ses reproches, un Dieu qui peut peu, un anesthésiste inquiétant, un directeur de maison de retraite encombrant, et enfin, son père, qu’il n’a pas connu et qui lui demande des comptes sur l’état du monde…

(ACTES SUD PAPIERS)

 

 

Lors d’un débat avec des élèves de Terminale A3 qui avaient l’Atelier au programme du bac, plusieurs de ces élèves se sont plaints de la longueur de mes didascalies. Afin de ne pas risquer de déplaire à la jeunesse, et dans le but évident de ne pas risquer d’être recalé à l’examen de passage à la postérité, voilà une oeuvrette sans didascalies ni indications d’aucune sorte.

Dans mon zèle j’ai même supprimé le nom des personnages. J’espère ainsi plaire à la jeunesse et à ses professeurs. Comme il s’agit d’une chanson on peut même y adjoindre de la musiquette à volonté…

(Jean-Claude Grumberg – Octobre 1992)

 

 

« Pourquoi ai-je éprouvé le besoin d’écrire tout ça ? Sans doute parce que plus le temps passe, plus nous nous rapprochons des évènements passés, de ces évènements précisément. Le temps ne fait rien à l’affaire. Les coups frappés dans les portes des pères résonnent de plus en plus fort dans les vieilles oreilles de leurs vieux enfants. »

(Mon père, Inventaire.)

 

 

Suite à une opération précoce de la cataracte, une déchirure rétinienne survint, imposant une intervention urgente de colmatage. On recousit donc la rétine, et on remplit l’oeil de silicone. L’inconvénient majeur du silicone, c’est qu’après l’avoir mis, il faut le retirer. L’intervention se fait donc en deux fois.

Première intervention, puis seconde, deux mois plus tard. L’inconvénient supplémentaire, afin que l’oeil, grâce au silicone, se regonfle dans le bon sens, vers l’extérieur de la tête, le patient doit impérativement rester couché jour et nuit sur le ventre. Inconvénient de l’inconvénient supplémentaire, le traitement médicamenteux à base de sulfamides, destiné à faire baisser la tension oculaire, à ne pas confondre avec la tension ordinaire et générale, provoqua une allergie massive se traduisant par des rougeurs cuisantes comme si on vous badigeonnait le corps et les membres d’un fer rougi à feu.

Je vous fais grâce des autres inconvénients dus en partie à l’inconfort de la position. Il se trouva donc qu’un mois après la première intervention, et donc un mois avant la seconde, couché sur le ventre, rouge écrevisse, assez pessimiste, et après avoir encaissé en supplément imprévu une hausse de tension oculaire subite provoquant des douleurs inimaginables – style fermez les fenêtres et éloignez les armes à feu du patient – cessant de sangloter et de s’arracher les cheveux, l’auteur décida d’appeler à la rescousse sa défunte maman. Il se mit donc à griffonner machinalement sur son cahier

Clairefontaine : Maman ! Maman ! Maman ! Après vingt-cinq minutes, il put lire Maman revient pauvre orphelin. Dire que cela le soulagea serait trop dire, mais du moins, pendant ces vingt-cinq minutes de griffonnage, cessa-t-il de penser à ses malheurs oculaires. Il put également le soir même, toujours sur le ventre, lire à son épouse, tel un être redevenu humain, ce petit texte venu d’ailleurs. Petit texte qu’il chercha ensuite à modifier, corriger, développer, sans y parvenir. Maman revient, plainte, cri, pleurnicherie, cauchemar, invocation, reste ainsi dans son jus initial. L’auteur y adjoint bien après la petite note qui précède désormais Maman, là où l’oeuvrette est qualifiée de chanson. Chanson ? Pourquoi pas. Dans cette chanson, l’auteur se sent au plus près de lui-même, plus qu’au plus près, au coeur de son inconscient.

Aussi est-il d’autant plus touché lorsqu’un metteur en scène désire y glisser sa propre musiquette. L’auteur vous souhaite, cher Stéphane Valensi, non seulement de prendre du plaisir pendant le temps que vous consacrerez à Maman revient, mais, en prime, d’oublier vos douleurs.

Jean-Claude Grumberg – Janvier 2011

 

 

Après la création de trois pièces inédites de Murray Schisgal, monter une pièce de Jean-Claude Grumberg me permettait de creuser le sillon sur les thèmes de l’absence, de la mémoire, de l’exil. Grumberg, à qui je fis part de mon désir, me parla de Maman revient…, me disant que cette « petite pièce » lui tenait particulièrement à coeur. Je découvris la force exceptionnelle de ce texte à fleur de peau, l’art avec lequel il condense les thèmes parcourus tout au long de son œuvre.

Ecrite suite à une opération et aux complications douloureuses qui firent perdre un oeil à son auteur, Maman revient… « plainte, cri, pleurnicherie, cauchemar, invocation » retentit de tous les accents tragiques et drôles qui parcourent le théâtre de l’auteur de l’Atelier. Trois acteurs, trois voix pour donner corps à la multiplicité des présences convoquées dans cette chanson cauchemar. Figures errantes qui se croisent, s’interrogent, monologuent. Prenant Grumberg au pied de la lettre, un violoniste jouera la musiquette en question. Comptine, ritournelle lancinante, aux accents malheriens, douloureuse mais infiniment poétique : refrain ou babil… Dans une scénographie extrêmement dépouillée, le spectateur naviguera au gré des hallucinations de l’auteur–narrateur.

La représentation s’ouvre par le court texte « Une Vie de On », tentative d’autobiographie à la troisième personne. Comme s’il s’agissait de mettre littéralement l’auteur – en scène – nous travaillerons, au plus près du texte, à en partager la singulière poésie, le déchirant et attendrissant appel pour que le théâtre soit le lieu où les morts et les vivants aient une chance de se rencontrer.

Stéphane Valensi – février 2011