Séminaire d’hiver 2023
Pourvu qu’on s’aime
Samedi 14 janvier
Intervention de Marie-Charlotte Cadeau
L’ETREINTE ABYSSALE
Si le séminaire Encore est à la recherche d’un « nouvel amour » sexualisé entre partenaires, il ne peut manquer de trouver sur son chemin la question de l’amour divin. Aussi bien un Dieu biface, qui « n’est pas deux », mais « pas un non plus » est évoqué dans la leçon du 20 février 2073 Il y a de l’Un, mais, à sa face Autre est suspendue la jouissance Autre de ceux et celles qui répondent d’être pas-tout.
« L’aspiration », le terme est de Lacan, de tout amour par l’amour divin, est pourtant loin d’être reconnu dans notre époque qui se croit souvent athée. Ce « rien n’en vouloir savoir » est qualifié par lui de « connerie ».
Aussi bien, après avoir démenti fortement cette proposition majeure d’Encore que l’amour supplée à l’absence du rapport sexuel, reprend-il la question de l’amour divin au début du séminaire suivant : Les non-dupes-errent.
Ceci grâce au nœud borroméen, dont il va faire un premier usage, afin d’éclairer l‘amour chrétien.
Il faut entendre ceci sur fond de cette proposition nouvelle, que c’est l’invention de l’inconscient qui supplée au mystère du « deux », deux qui ne peut que choir du « trois » ; car nous ne savons compter que jusqu’à trois. Ces formules nous sont familières, cependant que Lacan insiste sur l’accord de la religion chrétienne et du Nœud Borroméen : le trois est premier.
Ce qui nous intéresse c’est la manière dont Lacan va borroméiser le Dogme chrétien, puisque la mystique devra s’y confronter et s’y situer, voire la contourner ou détourner.
Il est une présentation du Nœud Borroméen fait d’un rond médian dit « moyen », nœud en oreillette, auquel s’adjoignent à gauche et à droite deux autres ronds.
Lacan s’autorise à donner un sens à chacune des consistances, R.S.I. qui constituent la première référence de la nomination.
Notons que le terme « moyen » fait référence au terme moyen du syllogisme aristotélicien, ce qui donne une valeur de cause au nœud en oreillette, ordinatrice du nouage entre les deux autres.
Trois possibilités s’offrent : le moyen sera soit R, soit S, soit I.
L’amour étant depuis Freud articulé comme fondamentalement narcissique, le nœud ayant comme moyen l’Imaginaire semble s’imposer : de fait ce nœud figure ce que Lacan appellera « l’amour de depuis toujours », c’est-à-dire l’amour depuis l’Antiquité, l’amour courtois, l’amour platonicien.
Pourtant, même si s’y articule un « Dire », « l’amour » nous dit Lacan « n’est pas fait pour être abordé par l’Imaginaire ».
L’amour divin, l’amour chrétien, met l’amour en place de symbolique, car l’amour y est un commandement, tandis que le corps est en position Imaginaire et la mort en position de Réel. L’amour lie le corps et la mort. On peut en apprécier immédiatement les effets : cette « chose folle » qui est le « vidage du corps » de l’amour sexuel, cette insensibilisation, cette lévitation que Lacan n’hésite pas à nommer perversion liée à la doctrine de la faute originelle.
Cependant si l’amour chrétien a chassé le désir de la place de « moyen » qu’il devait occuper, il ne l’a pas éteint, et c’est essentiel.
Car si l’amour mortifie le corps, le désir de Dieu (génitif et objectif), sans lequel la mystique ne pourrait être abordée. Le désir de Dieu a pour finalité la mort faite corps, c’est-à-dire le corps de la résurrection, la « vraie vie ».
La « mystique », le terme n’est substantivé comme tel que depuis la canonisation de Sainte Thérèse d’Avila dont je vais parler. Mais évidemment le terme est fort ancien ; il vient du sanscrit « mukham », « gorge, entrée », d’où le grec «µ ν ω », être clos. On en relève l’usage au 6ème siècle chez le Pseudo Denis l’Aréopagite en y décelant la fine pointe du néo-platonisme, en écho au « laisser être toute chose » de Plotin (aphelepanta).
Comment va se situer le discours mystique par rapport à cette articulation finalisée que Lacan nous a proposée pour dégager le sens du dispositif chrétien ? En décalage bien sûr mais non sans relation complexe.
La mystique implique clairement un lien direct à Dieu ou à l’Homme Dieu. La mystique est avant tout une érotique, une expérience subjective érotique avec Dieu et/ou le Christ. Le premier qui réintroduisit Eros à la place de l’Agapé paulinien fut encore le Pseudo Denys l’Aréopagite, un Eros extatique qui plonge l’amant dans la « ténèbre lumineuse du silence » (vers le V° siècle).
Lacan reprendra le terme d’Erotique à propos de la mystique dès l’Ethique de la psychanalyse.
Bien entendu cette érotique mystique s’illustra magnifiquement avec les Flamants, et en particulier sans doute avec Hadewijch d’Anvers chez laquelle « la fureur d’amour » visera explicitement le Réel du Bien-Aimé.
Je vous renvoie au travail de Hubert Ricard.
Je vais plutôt vous dire quelques mots d’une expérience mystique plus tardive, celle de la mystique castillane du XVI° siècle, où se marquent les figures de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix.
L’époque est proche de la modernité. La science pointe le bout de son nez, le schisme protestant divise le christianisme, les sectes d’ « Illuminados » prolifèrent. Face à cela l’Espagne voudra être la forteresse de la foi.
Thérèse fut profondément enracinée dans son époque. Mystique extatique, elle n’en fut pas moins, elle le dit elle-même une guerrière et une femme d’affaires. Dans la seconde partie de sa vie en effet, elle entreprit de fonder le « Carmel déchaussé », ordre mendiant aux règles drastiques de clôture, de pauvreté, qui devaient montrer que le catholicisme n’était pas moins rigoureux que le protestantisme. Elle fonda 17 couvents à travers l’Espagne, au prix d’une lutte acharnée contre les Jésuites, les Dominicains, les Franciscains, les Inquisiteurs et même parfois la population d’une ville.
Son habileté, son intelligence, sa « rouerie » qu’elle avoue elle-même, lui valurent en fin de vie, d’être le symbole de la contre-réforme. Pas toujours obéissante, « la sainte », comme elle le disait d’elle-même avec humour !
Pour donner quelque consistance imaginaire à cette femme si exceptionnelle, j’évoque juste quelques traits de ses traumatismes familiaux, un peu de Réel donc…
Née en 1515. Son père Alfonso Sanchez de Cepeda était fils d’un « converso ». Le nom Sanchez fut donc abandonné, et Thérèse portait le nom de sa mère et de sa grand-mère paternelle. Thérèse hérita comme ses neuf frères du souci de défendre l’honneur castillan.
Troisième enfant, elle fut l’enfant préférée de son père, et cela est loin d’être anodin.
Sa mère mourut en mettant au monde son douzième enfant à l’âge de 33 ans. Thérèse dira en avoir conçu peur et méfiance à l’égard du mariage.
Enfant vive, adolescente passionnée de lecture, de livres religieux, mais aussi d’amour courtois et de chevalerie, livres prêtés par sa mère, elle fut très tentée par le côté phallique féminin : coquette, jolie, séduisante.
Mais à 18 ans, prise d’angoisse, c’est son terme, elle se décide pour l’amour du Grand Autre, le Carmel, malgré l’opposition de son père. Bien que les règles de ce Carmel fussent beaucoup plus douces que celles des couvents dont elle sera la fondatrice, elle expose dans « le lire de sa vie » combien elle eut à lutter, pendant dix-sept ans, pour oublier le « monde ». Elle paraît obéissante mais c’est pour « se faire bien voir », les mortifications auto-infligées ne sont que rivalités entre filles, elle manque de concentration, et attend la fin des oraisons comme un mauvais élève la fin d’un cours.
De tout cela, elle n’est pas dupe, car Thérèse est une fine psychologue, honnête, cherchant à comprendre, à échanger, elle aime parler.
Mais en ces premières années de carmélite, son corps déjà se manifeste : mal au cœur mystérieux qui durera des années, migraines, évanouissements, coma même, on la croit morte, on creuse sa tombe, elle se réveille au dernier moment.
Et un jour, la vision des plaies du Christ sur une statue la fait définitivement basculer dans l’appel de l’Autre et elle va s’avancer dorénavant dans sa propre expérience intérieure.
Quels sont les chemins de cette expérience intérieure ?
C’est d’abord et avant tout l’oraison mentale, non vocale. Grâce à l’oraison, l’âme est en relation directe avec « celui dont on se sait aimé ». « J’ai considéré mon âme, dit-elle, comme un cristal pur, dans lequel il y a comme au ciel plusieurs demeures… l’âme du juste n’est point autre chose qu’un paradis où Dieu prend ses délices ».
Jean insiste sur le silence intérieur propre à l’oraison : « Fais taire en moi tout ce qui n’est pas toi, fais descendre ton silence jusqu’au fond de mon âme ».
Le « fondòn » c’est bien ce qui va poser problème à l’Eglise officielle, et surtout à l’Inquisition. Alonso de la Fuente, qui pourtant était un modéré, nie avec vigueur l’existence d’un tel « fondòn », dans lequel une relation intime, immédiate avec Dieu peut s’établir.
Il est vrai que Thérèse est intransigeante et frôle l’hérésie car elle maintient que les âmes qui ne prennent pas ce chemin sont bestiales et captives à jamais du péché.
Or pour l’Eglise, seuls les sacrements et la prière orale protègent le croyant. L’autre point qui fait problème pour l’Inquisition, c’est la passivité de l’âme qui grandit par le Dieu qui l’habite et se communique à elle, à partir d’une certaine avancée dans l’intimité divine par une voix ; comment ne pas la confondre avec le démon ? Et de toute façon c’est entrer dans une logique de l’élection et non des œuvres. Bref, c’est se rapprocher dangereusement de Luther.
Par ailleurs, pour Thérèse, mais aussi pour Jean, se pose la question de la nécessité d’une ascèse très sévère accompagnant l’oraison. Elle-même détestait manger et dormir. Elle prétendait n’avoir jamais éprouvé de désir sexuel. Ses « filles » devaient traquer en elles-mêmes tout plaisir, toute distraction, et ne devaient vivre que de mendicité et de travaux grossiers.
Vidage du corps disait Lacan. Encore qu’ici ce ne sont que des souffrances préliminaires, préparatoires, ce ne sont pas celles de l’extase, qui transformera ces sinistres cellules en paradis.
Thérèse n’est pas, dit-elle, une lettrée, ni théologienne, ni métaphysicienne comme Hadewijch, elle a néanmoins la certitude de son expérience intérieure. Tantôt elle souffre et craint les « murmures » voire les dénonciateurs, tantôt elle dédaigne et s’en rit. Ce qui importe, c’est qu’elle puisse transmettre comment « l’eau » peut enfin surgir du fond du puits et venir enfin désaltérer la soif de Dieu.
C’est ainsi qu’elle écrira, pour ses filles Le Château intérieur, métaphore de l’âme et de ses trajets spirituels à travers d’innombrables demeures qu’abrite le château. C’est une métaphore assez traditionnelle, mais Thérèse déploie beaucoup d’imagination et son talent d’écrivain.
Depuis les premières demeures, infestées de bêtes immondes jusqu’à la chambre nuptiale de l’Union avec l’Aimé, l’âme, à force d’humilité, d’austérité ouvre les portes successives et obtient des « entrevues », c’est son mot, avec « Sa Majesté ».
Elle y décrit toutes les nuances de cet accès tenté au Réel de l’Autre, depuis la consolation jusqu’à la violence du « rapt » (arrobatamurto).
Il n’y a pas moins de quatorze signifiants pour désigner, toujours sous la forme d’oxymores, les savoureux martyrs de l’extase progressive en intensité.
Au cours de ce voyage intérieur apparaissent, lorsque l’âme a progressé, les visions et les voix. Thérèse, qui a alors 40 ans, évoque le passage au « surnaturel ».
C’est bien entendu l’Homme-Dieu qui s’y présentifie. C’est « l’ivresse » des visions pourtant très brèves, tantôt intérieures, tantôt hallucinatoires, mais dont elle affirme avec véhémence le Réel contre ses confesseurs qui veulent lui faire dire que ce sont des « impressions ».
Il en est de même pour les voix, intérieures ou extérieures, mais dont c’est « une véritable épreuve de savoir si elles ne sont pas démoniaques, ou bien, tout simplement, celles de sa propre subjectivité. Elle se plaint de « cacophonie ». Mais la consistance de la voix christique est singulière. Il est d’ailleurs le plus souvent bienveillant et encourageant malgré quelques reproches. Elle dit qu’elle n’aurait jamais pu inventer les aphorismes donnés par le Christ.
Malgré la certitude avec laquelle Thérèse affirme le Réel de ces phénomènes qui l’assaillent, il est clair que Thérèse n’est pas psychotique.
Elle a découvert que la vraie souffrance ne vient pas du forçage du principe de plaisir auquel elle soumet son corps, mais de l’amour lui-même, de son « vouloir aimer », de son « désir véhément » d’amour.
Pourtant elle se demande ce qu’elle « veut » vraiment ? Rien de particulier, « elle ne sait pas ce qu’elle veut » sinon son « Homme-Dieu », « en entier » son partenaire en extase.
« C’est toujours la même chose » dit Thérèse à propos du phénomène de l’extase, ce qui montre bien que c’est un phénomène structural. Et pourtant elles (ces extases) se présentent sous de bien différentes modalités qui vont de l’extrême douceur à la violence la plus extrême : les consolations, les ravissements, le rapt, le vol de l’esprit, l’union, les noces mystiques ; le castillan dispose d’une vingtaine de mots pour désigner ces différents « appartements » dans les demeures du château de son âme.
Les plus violents de ces ravissement, le rapt, le vol, commencent par un grand coup, « un gran golpe » soudain, imprévisible. Jean de La Croix en témoignera dans le même terme : c’est un coup qui atteint l’âme et le corps. L’âme ressent un « mouvement accéléré », un « transport » qui l’ébahit et la jette dans l’effroi, tandis que le corps va être la proie de phénomènes que l’on peut sans doute qualifier de psychosomatiques : violente douleur, jusqu’à l’évanouissement, la catatonie souvent, le corps restant habituellement dans la position où il se trouvait lors du « coup », insensibilisation totale, à moins que les os soient ressentis comme brisés en mille morceaux.
Mais c’est un « savoureux martyr ». Les oxymores vont se multiplier pour évoquer la jouissance Autre ; car dans ce contact recherché avec l’Autre, ce rapport immanent à l’Autre sous la forme de l’Homme-Dieu, c’est la délectation de l’âme qui triomphe et se répand dans tous les membres « jusqu’à la moelle », précise-t-elle.
Jean de la Croix sera plus réticent concernant la jouissance du corps. Son « héroïne » Amada, dans son Cantique spirituel ne veut pas recevoir l’Aimé dans la chair. On sait qu’il trouvait sa grand amie Thérèse trop sensuelle, et il alla jusqu’à brûler ses lettres.
C’est bien une telle scène de rapt, que le Bernin a sculptée. Thérèse l’a décrite à plusieurs reprises dans le Livre de sa vie, notamment la scène dite de la « transverbération », ou « transpercement ». Le dard d’or que l’ange dont elle a la vision, plonge dans son cœur et ses entrailles, lui cause douleur vive et suavité incomparable. On pourrait imaginer que le trou visé par la flèche est celui du Noeud Borroméen, situé entre Imaginaire et Réel où Lacan inscrit Ⱥ , hors symbolique.
Les ravissements saisissent Thérèse n’importe où, en public. Elle essaye de dissimuler ces excès qui deviennent si fréquents qu’elle suppliera que l’Aimé lui accorde un peu de repos.
Toutes les métaphores du feu se retrouvent pour signifier les délices et souffrances, lorsque Dieu « s’abîme en elle ». Les métaphores de l’eau soutiennent le sentiment d’infini « tout l’univers est un océan d’amour » sans qu’elle puisse voir ni terme, ni fin où cet amour puisse s’achever.
Mais ne nous y trompons pas : ce qui est visé, c’est la séparation de l’âme et du corps, la mort. « Je meurs de ne pas mourir » dit Thérèse, car cette ex-tase , cette sortie de soi provoquée par les « lanzadas », les coups, ne parviennent pas à aboutir. A vrai dire elle laisse entendre qu’elle ne veut pas mourir, mais qu’elle se sent comme « pendue » entre le ciel et la terre.
Nous savons que dans les formules de la sexuation une des branches de la jouissance Autre est orientée par le mathème S(Ⱥ) . Le seul graphisme de ce mathème permet de lire et de distinguer deux aspects de la mystique féminine : celle de la Passion et celle de l’Amour. La mystique de la Passion, qui concerne sans doute plus Jean que Thérèse, est une mystique des Ténèbres et de la Nuit Obscure. Elle a pour partenaire l’Homme-Dieu, mais en tant qu’il a été abandonné par le Père, en tant qu’il meurt sans le secours du Père.
L’expérience mystique met alors l’accent sur le fait qu’il n’y a personne à supplier.
S(Ⱥ) est le signifiant du manque de l’Autre de l’Autre auquel renvoie chaque signifiant et est imprononçable, mais inscriptible.
L’expérience intérieure du mystique qui cherche le Réel de l’Autre Réel va rencontrer le moins-un qui fait abîme, qui aspire et avive la soif de Dieu.
La perception de la barre sur le A, est étonnante chez les mystiques : comme en témoignent les expressions de Thérèse du « ravin ravissant » et de la superbe « étreinte abyssale » de Jean de la Croix.
Mais ce « ravin » fait choir l’âme dans le néant … et l’âme s‘attarde sur « les plaies d’amour » de l’Homme-Dieu et sa détresse.
Mais la « folie céleste » comme elle la nomme, la puissance joyeuse de son « vouloir aimer » pousse Thérèse à vouloir faire sauter la barre du « ravin ravissant ».
Entre l’Aimé et elle, plus de paroles, ni écrit : le savoir de Mystères, en particulier de la Trinité lui est « donné » radicalement apophatique et ininscriptible.
On peut sans doute se questionner sur un effet « pousse à la psychose » de la Jouissance Autre.
Il est remarquable que elle-même se demande si « elle ne dépasse pas les bornes ». C’est son expression. Question pertinente sur la structure : la jouissance Autre, infinie, a-t-elle néanmoins des bornes ?
Marc Darmon avait montré dans un séminaire que topologiquement, l’espace ouvert de la jouissance Autre, n’en n’est pas moins borné comme l’intérieur d’un disque, non compris le cercle de sa frontière.
Si la borne est dépassée nous glissons effectivement dans l’espace de la psychose comme celui d’un plan euclidien.
Peut-être Thérèse se divise-t-elle assez pour en éprouver la crainte. Thérèse a beaucoup répété qu’elle n’était pas une « lettrée », malgré qu’elle fût une grande lectrice.
Elle a cependant beaucoup écrit, malgré que bon nombre de ses textes aient été contrôlés par les prélats. Ce qui frappe c’est la simplicité et la fluidité de son expression. Bien sûr, elle ne cesse de dire que son expérience intérieure est incommunicable mais elle ne s’y résigne pas, « elle va quand même essayer » dit-elle. Thérèse écrit rapidement, ne se relit pas, ne se corrige pas. Elle dit le plus souvent avoir l’impression de « copier » un texte sans aucun travail de sa part.
Mais dans l’oraison mentale, ce qui reste de sa division subjective s’efface encore davantage : dans son « glorieux délire », l’âme voudrait parler « en langues », et les mots viennent sans ordre. Désarticulation de la grammaire donc. Mais parfois ce sont des poèmes…
Toujours sans travail.
Le Bien Aimé ne lui a-t-il pas promis d’être sont « livre vivant », puisque l’Inquisition a interdit tous les livres.
L’expérience de Jean est proche, mais, lui, avoue travailler ses textes à partir des phrases premières reçues de l’Autre.
L’objet lettre cause du désir ne s’éclipse pas entièrement chez lui de cette jouissance Autre qui n’est en principe commandée par aucun objet.
L’expérience intérieure de Thérèse semble la conduire vers une radicale sortie du langage, vers un accès Imaginaire à l’Autre de l’Autre.
Tandis que le corps littéral de l’oeuvre poétique de Jean peut être considéré comme le nouage du Réel de la mort avec l’Imaginaire du corps glorieux de la Résurrection.