L'étranger dans la maison
27 novembre 2008

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LANDMAN Claude



Colloque de Fez – novembre 2008 => consultez le dossier

Je commencerai par faire quelques remarques sur les trois signifiants qui nous réunissent : étranger, étrangeté, civilisations.

La première pour relever que ce ne sont pas là des concepts mais des mots du langage courant. Ce point n’est pas tout à fait négligeable puisqu’il y a là d’emblée un souci, celui d’éviter le recours à ce que Lacan appelait le métalangage, c’est-à-dire un langage de spécialistes qui interdit les effets de sens attendus pour chacun d’une rencontre comme la nôtre. J’essaierai de montrer en quoi le choix de cette trinité n’interdit pas, au contraire, d’en interroger l’articulation structurale en référence à la dimension rationnelle et scientifique à laquelle nous nous rattachons.

La seconde remarque qui s’impose est que ces trois termes sont des termes du vocabulaire freudien. Et tout d’abord celui d’étranger que nous rencontrons dès &L’Esquisse, à l’orée de l’avancée décisive de Freud, sous cette forme si singulière et si précise du &Nebenmensch, de l’être-humain-proche, du prochain, de l’autrui, en tant qu’il se rapporte au plus intime du sujet et qu’il articule puissamment et à la fois : l’à-côté et la similitude, la séparation et l’identité. Pour Freud, au stade mythique des premières relations avec le monde extérieur, les objets que le sujet rencontre l’intéressent au titre des différences dont ils se supportent. Pourtant lorsque le sujet rencontre l’altérité sous la forme du prochain, du &nebenmensch, ce complexe du prochain se présente au sujet en se séparant en deux parties dont l’une s’impose : &par un appareil qui reste, de par sa structure constante, ensemble comme chose. Ce &nebenmensch, ce plus proche, ce plus identique, cette chose qui s’isole pour le sujet dans son expérience, est en même temps le plus étranger, &fremde, xenos. Le complexe du prochain se divise ainsi en deux parties :

  • ce qui est reconnu de l’objet par le jugement sous la forme de ses qualités et qui peut être formulé comme attribut (jugement d’attribution) ;
  • ce qui ne saurait en aucun cas être reconnu de ce &nebenmensch et qui constitue le réel le plus extérieur, le plus étranger, le plus hostile à l’occasion, Chose muette qui ne dit mot, motus et devant laquelle le sujet n’a à sa disposition que le cri.

Ce que Lacan avancera par rapport à Freud et qui est essentiel, c’est que ce qui commande, qui ordonne, la loi pour tout dire, la loi sous la forme d’une pure articulation signifiante, sans aucune dialectique, insensée ou se présentant sous la forme d’une maxime impossible à accomplir, tirera son origine et prendra appui, en s’y substituant, sur cette réalité muette. Ce qui ainsi nous commande vient à la place de ce réel qui nous est étranger, nous ex-siste et qui est le plus dépouillé de relations avec nous en tant qu’individu. L’étranger, nous y reviendrons, a ainsi une place dans la structure la plus élémentaire, celle qui organise le discours pour le sujet et dans le lien social. C’est ce que Freud a appelé le surmoi, cet étranger qui est en chacun de nous, étranger dans la maison qui nous dit Tu et où il s’avère qu’il est loin d’être le symétrique du Je avec lequel il serait plus ou moins interchangeable, l’alter ego, le frère. Celui qui nous dit Tu est bien plutôt celui qui nous fait à l’occasion dire ce &Toi ! qui nous vient dans des moments de surprise et de désarroi, tentative d’apprivoiser cet Autre que Freud qualifiait de préhistorique et d’inoubliable qui risque tout à coup de nous précipiter dans l’embarras, du haut de son apparition.