Les prémices topologiques de la parole
06 juillet 2023

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LAFONT Jeanne
Journées d'études

 

 

Journées d’étude : La topologie clinique (17 et 18 juin 2023)

Intervention de Jeanne Lafont 

Les prémices topologiques de la parole

« Sommes-nous les enfants du signifiant ou de la topologie ? »
C’est ainsi que Charles Melman introduisait une des premières journées de notre Association consacrée à la topologie en psychanalyse.

 

D’abord entre topologie et signifiant, je dois exposer ma position : la catachrèse

Soit une métaphore usée, mais qui reste dans la langue, l’exemple en français est l’expression « à cheval sur un mur » ; on ne peut évoquer cette position d’un corps, sans passer par l’image du cheval !

Mais on pourrait aussi évoquer la « feuille » dont tout le monde a oublié qu’au départ il s’agissait de la feuille d’arbre, qui par analogie est venue désigner la feuille de papier ! À un moment difficile à repérer, le mot prend deux sens, celui d’origine et celui issue de la catachrèse … les dictionnaires ainsi notent les différents sens avec des chiffres : par exemple, le mot logos dans le Bailly en vient à se décliner en deux sections A parole et 10 sens différents, et B raison et 6 sens différents ! L’article du « logos » de Heidegger est une traversée de ses 16 sens désignés par le Bailly.

Maintenant, dans la question de la clinique actuelle, il faut dire que dans le groupe de Dimensions de la psychanalyse dont je fais partie, on en parle pas clinique : nous tenons le secret professionnel pour essentiel à notre place dans le social dans la prise en compte sévère d’une fonction de poubelle, et parce que ce n’est jamais sans « retour » sur la cure dont le psychanalyste a parlé. On peut justement rechercher cet effet, comme le pratique le groupe autour du « trait du cas », mais alors le « parler clinique » se fait dans un cadre précis où règne ce que les juristes appellent aujourd’hui le secret partagé ! Donc je me suis appuyée sur le livre de Jean-Michel Forget Des difficultés pour se faire entendre, Eres, 2023. Il m’a impressionnée du côté d’une avancée justement sur l’état de nos contemporains, dans leur rapport à la parole : il défend l’idée que ce n’est pas si facile, ni si commun aujourd’hui de « parler ». Et je voudrais apporter mon témoignage pour répéter qu’il a raison !

Nous ne sommes plus dans le mouvement de la conquête du monde des idées, mais justement dans climat d’acceptation générale (Qui fait d’ailleurs horreur à nos détracteurs qui s’en montrent plus agressifs) mais les gens ont compris, pourquoi et quand on va voir un psy ! ; La série « Thérapie » bien sûr, assez juste, mais aussi « plus belle la vie » … et d’autres …

Jean Marie Forget nomme cet effet clinique « le recours à la parole » comme une issue qui n’est plus du tout si admise par nos contemporains. Poussés certainement par le capitalisme triomphant, ils cherchent des solutions autour des objets, des médicaments, des « méthodes », des recettes ! Un objet marchand !

Jean Michel Forget repart des fondements de l’écoute psychanalytique. Le concept principal « le recours à la parole » dialectise comme les prémisses d’une cure, et adossé à des exemples cliniques et littéraires, convainc tout à fait le lecteur des difficultés que peut avoir un sujet à utiliser ce « recours à la parole ». Et sans se perdre dans des propos trop sociologiques propose ce concept pour comprendre certaines des manifestations contemporaines de notre vie politique, et notamment « les gilets jaunes » !

Les gens d’aujourd’hui n’ont pas le recours à la parole ! Ce n’est pas un outil dont il attende une modification …peut-être sous l’influence d’un marxisme, très banalisé, la parole ne serait qu’une superstructure qui n’a pas de pertinence, ni de pouvoir !

Il décrit ainsi le malaise, le désespoir, et les quasi-symptômes des sujets qui se trouvent empêchés de parler. Parce qu’il détaille ensuite les causes de cet empêchement : Il est attendu de la parole une certaine rigueur, faite de la vérité des propos des autres tutélaires, que ce soit les politiques qui nous gouvernent dans le cas des adultes, ou les parents, dans le cas des enfants ! Faire ce qu’on dit, et dire ce qu’on fait ! Il montre comment, par exemple des parents dit « séparés », qui ne vivent plus ensemble, mais continuent sans fin le lien passionné qui les unit, peuvent rendre impossible pour les enfants, un « recours à la parole », un recours à la parole qui dirait leur vérité, et comment du coup est empêchée la construction d’un désir, voire d’un fantasme qui leur permettrait de trouver un apaisement. Ainsi le fameux TDAH, du DSMV, hyperactivité des enfants avec difficulté de concentration, dont les écoles nous rabattent les oreilles, est expliqué par ce malaise entretenu par nos sociétés autour de ce « recours à la parole » impossible et c’est convainquant !

Le psychanalyste y apprend à être sensible, voire préoccupé de ce premier pas dans l’accueil des souffrances des sujets contemporains. Ce n’est pas qu’ils ne parlent pas, c’est que la parole n’a pas de poids, ou « pas le poids » qu’il faudrait pour élaborer ce qui leur arrive. Ainsi le psychanalyste doit redonner ce poids, et l’auteur invite même le psychanalyste d’y aller de sa vérité dans la parole, dans ce premier temps, pour que l’écoute de l’inconscient puisse jouer son rôle à plein, avant que le silence puisse être d’un recours quelconque.

Et cette précision m’a paru précieuse, comme une mise en garde nécessaire, dans les réinventions continuelles de la psychanalyse auxquelles nous convient Jacques Lacan comme Sigmund Freud. Combien de fois ai-je eu le sentiment que la seule chose que j’avais faite dans certaines « cures » d’adolescents était « d’avoir été là ! Pas d’interprétation, même pas de ponctuations extraordinaires, non, juste là à me souvenir de ce qui avait été dit ! Donner son poids à la parole !

Evidemment ce lien si fort dans le livre entre la parole et sa vérité m’a remis en mémoire la fameuse prosopopée de Lacan,  « moi la vérité je parle »

« Mais voici que la vérité dans la bouche de Freud prend ladite bête aux cornes : « Je suis donc pour vous l’énigme de celle qui se dérobe aussitôt qu’apparue, hommes qui tant vous entendez à me dissimuler sous les oripeaux de vos convenances. Je n’en admets pas moins que votre embarras soit sincère, car même quand vous vous faites mes hérauts, vous ne valez pas plus à porter mes couleurs que ces habits qui sont les vôtres et pareils à vous­-mêmes, fantômes que vous êtes. Où vais-je donc passée en vous, où étais-je avant ce passage? Peut-être un jour vous le dirai-je? Mais pour que vous me trouviez où je suis, je vais vous apprendre à quel signe me reconnaître. Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi la vérité, je parle. »

Alors pour ce colloque j’ai voulu essayer d’en donner une version topologique

Ce serait une reprise du schéma R, en quelque sorte et son renfermement en cross-cap

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L’idée principale reste que la parole qui s’échange entre deux humains, met en jeu, en elle-même un espace (que j’appelle mœbien) où d’autres points sont nécessaires, L’Autre, et le sujet, sur le schéma R, qui refendent dans leur diagonale l’inconscient !

La diagonale de la conversation, ou l’interlocuteur est en miroir. Pour qu’il y ait parole, il y faut un enjeu, c’est-à-dire un moi qui s’engage dans la parole avec l’idée qu’il sera au terme des échanges, changé ! Que quelque chose, du parcours qui va du grand Autre au sujet, en traversant le quadrangle de la réalité, reviendra sur le Moi (aphanisis) et le modifiera même infinitésimalement ; sinon la conversation n’est pas intéressante.

Déjà, on peut repérer deux catachrèses, autour de la notion de « bonne distance », notion de Winnicott, cliniquement si importante. Qu’est-ce ça veut dire, sinon une prise en compte de cet espace entre triangle du symbolique et triangle de l’imaginaire pour que se mettent en place les invariants de la structure, distance énigmatique, ni trop, ni pas assez !

Certainement aussi la question de la traversée … et cet instant de révélation où tout de son monde de la réalité est ramenée à sa création fantasmatique,

Sauf que Lacan insiste en 66, la fameuse note la page 366 des écrits, pour nous rappeler que ce schéma n’est que la mise à plat d’un cross cap. Mais , pour moi aujourd’hui, le cross cap est une figure beaucoup trop difficile pour l’imaginaire, pour être un recours pour la formalisation (Si ce qui nous sert à comprendre est plus compliqué que ce qu’il y a à comprendre, si on en voit l’intérêt pour une théorie générale, ça devient inopérant pour la clinique !)

Ce qui compte c’est le mœbien, la récursivité dirait René Lew, le fait que la séparation des concepts n’est jamais, chez nous, évidente … mais la langue est ainsi, les oxymores dit-on en rhétorique… « Le grand petit homme » ne veut pas dire la même chose que le « petit grand homme » … !!

Ainsi sur le schéma R refermé en cross-cap, les quatre concepts écartelés sur le schéma R sont tous rassemblés sur la ligne de recoupement, confondus ? Ainsi peut alors se décrire la coupure du fantasme que l’on ne peut pas lire sur le schéma R ! Pas plus le a

Ce recours à la parole si difficile serait ainsi la conséquence d’une difficulté du trajet, comme si « la marchandisation » tout azimut de nos sociétés avait rendu difficile la projection du point A sur un humain ! Et du coup rendu impossible le trajet qui revient sur le sujet et modifie, infinitésimalement, le Moi… jusqu’à la prochaine fois ! Et peut-être la cause en est la vérité elle-même : Pour qu’il y ait du A dans le trajet de la parole, il faut pouvoir se fier à sa parole, la percevoir comme vraie !

Et dans l’actuel, on ne peut qu’être pétrifié devant l’expansion des fake news, des fausses nouvelles et autre complot, (avec l’IA le pire est à venir, cf. la « fausse arrestation de Donald Trump). Aujourd’hui la réalité est si facile à manipuler, à condition de faire valoir ses points d’invariants : le grand I comme idéal, n’est qu’un signifiant « make America great again », qu’il suffit de marteler partout, les petits autres que les « réseaux sociaux » organisent comme groupe privilégiés d’interlocuteurs (qui virent au complot dit-on), le Moi et cet i de a confondu !

Et peut-être faut-il aller jusqu’à une forme de dévalorisation du grand A que je vois comme « toujours ramené à sa faille identificatoire » : cette nouvelle idée qu’à partir du moment où l’auteur n’est pas noir, il n’a pas le droit de parler des noirs, pas femme, pas le droit de parler des femmes, pas … . Etc. L’identification est exclusive… un sujet n’est pas un homme parmi les autres, comme les trois prisonniers le laisser entendre, mais comme réduit au groupe des petits autres ! Et la parole ne peut se déployer dans son mouvement incessant, où se midit la vérité.