Les paranoïas: un véritable baromètre de notre lien social
20 juillet 2023

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TOKTAY Sevinç Beyza
Journées des cartels

 

Les paranoïas : un véritable baromètre de notre lien social
Présentation de cartel sur le séminaire « Les Paranoïas » de Charles MELMAN
Sevinç Beyza TOKTAY

 

La phrase « nous sommes les enfants d’un texte » dans le séminaire les paranoïas de Charles Melman est finement stratifiée, comme il l’a expliqué lors du séminaire. Le fait que nous soyons tous les enfants d’un texte contient en lui-même une hétérogénéité et une hybridité. Cette hybridité unit chacun de nous autour du père universel en soulignant l’altérité de chacun. Si nous nous referons au Decameron, 7 personnes se sont assises autour du feu et commencent à raconter des histoires. Chacun étant libre de parler de ce qu’ils aimaient, ils racontent ce qui leur venait à l’esprit. Au fur et à mesure du livre, nous voyons que les histoires qui sont racontées par des personnages se réécrivent à partir de la décadence morale de l’époque. Ces personnes sont donc forcés à passer par des paroles pour saisir ce qui se déroule à l’époque et être le sujet de ce qu’ils vivent. Ces récits soulignent pour nous une tradition narrative, l’insistance à représenter la souffrance humaine dans sa rencontre avec le Réel et la puissance symbolique des mots pour soutenir le « lien social ». D’ailleurs pour la subjectivité, il est nécessaire d’avoir cette insistance qui a une valeur de «  pousse à advenir ». Car ce n’est pas la peste qui est le sujet essentiel dans cet œuvre ; c’est la reconstruction des relations humaines et des liens sociaux dévastés par la peste à travers les mots et le récit. Dans cette action créatrice-ici, il y a une organisation textuelle et sa restauration spatiale subjective.

Tricotant de ce fil, nous pouvons nous pencher sur deux concepts liés à notre sujet dans « La psychologie de l’immigration »[1] de Charles Melman et de Nazir Hamad en rapport avec le discours courant en Turquie et ses effets sur les subjectivit-és. Ce n’est plus le père l’universel auquel nous nous referons dans le discours courant ; nous parlons de sa réduction au père purement biologique. Autrement dit le père singulier. Le lieu représenté par le père biologique est précisément un père qui renvoie au père universel et ouvre la voie au sujet pour pouvoir construire son récit. Et si ce père ne se référait plus au père universel ? En d’autres termes, si le père de tout le monde est lui-même ? Dans la tension augmentée du baromètre de social, il est possible de voir cette situation de manière plus frappante dans le domaine de la migration et des réfugiés. Pendant la guerre de Syrie, les immigrés ont été rejetés d’une porte frontière à une autre ; certains pays n’acceptaient pas les réfugiés et fermaient leurs portes aux réfugiés en état de guerre. Les « lourdes » conséquences de cette situation se sont manifestées avec des résultats lourds et tristes avec des corps d’enfants frappant au bord de la mer de Bodrum. Si nous pensons en termes du père universel, le principe de « fraternité » est bien échoué. Ainsi ses résultats ont devenu visible de manière éclatante et violente à partir de l’abolition de ce principe qui est « cher » mais qui le paye avec le « chair » dans l’actualité. Ce principe aboli paye sa dette avec le « chair » au lieu de la parole. Le paiement de la dette avec le chair amène les citoyens de « posséder » leur pays et ses frontières avec une logique de xénophobie, d’établir un rapport plus « pur » avec ses propres identités et ancêtres dans un logique de l’Un qui les a uni. De cette manière, le sujet est réduit à une identité partagée où l’Un donne une permission de « jouir » autrement en étant membre de ce groupe-là. Dans cette logique close, nous constatons un discours qui ne permet pas une structuration hétérogène. C’est un discours qui révèle le clivage entre les différents groupes sociaux dans lesquels le sujet reste seul vis à vis d’un system homogène et clos. Nous pouvons entendre ce gendre des phrases frappants dans notre l’actualité : « On ne veut plus des immigrants dans notre pays, c’est tout ! ». Cette phrase évoque une logique de fermeture paranoïaque (car les immigrés sont des objets hostiles dans cette logique-là) qui éjecte les éléments « différents » avec la violence et qui caduque l’identité du père universel qui nous unit tous dans une référence littérale. Comme le dit Charles Melman, « Il y a là dans le champ quelque chose qui ne devrait pas être là, et ce quelque chose, c’est ce qui est dégueulasse et qui doit donc être éjecté, être sorti… »[2]. Donc cette logique de « c’est ça » qui enferme le sujet dans une identité homogène, révèle les passages à l’acte qui laisse les sujets sans médiation. Pour pouvoir sortir de cette homogénéité, la solution vient avec la violence, autrement dit avec la destruction de l’autre.

Le dernier exemple est celui du meurtre du médecin Ekrem Karakaya en Turquie à Konya. Le suspect, qui travaillait comme agent de sécurité dans un autre hôpital, est venu dans l’office de Karakaya le jour du meurtre et il a 9 fois ouvert le feu et tiré sur Karakaya. Il s’est ensuite suicidé avec la même arme. Depuis certain temps, les cas de violence contre les médecins se multiplient en Turquie et des médecins et des agents de santé ont lancés des appels au gouvernement pour pouvoir être protégé. Leurs appels n’ont pas été reçu, ni entendu et ils sont restés isolés comme d’autres groupes essayant de faire entendre leur voix. En revanche le président du pays, le 08 mars 2022, a déclaré : « médecins, s’ils partent, laissez-les partir ! » contre l’arrêt de travail des médecins. Autrement dit, il se positionne en tant que le père singulier de ce pays et les médecins se sont trouvés en tant qu’exclue de ce discours. C’est-à-dire que le père singulier remplace le père symbolique, et celui qui a été déplacé peut choisir son enfant et s’il veut, il peut exclure son enfant de sa filiation comme un déchet.

Nous voyons qu’il y a une tension qui est en train d’augmenter dans le baromètre par à rapport à cette polarisation sociale comme entre les peuples et les médecins ; autrement dit dans une catégorisation banale entre ennemie-opposée qu’il s’agit d’éliminer. Le fait que les personnes à la place de l’adresse refusent de recevoir la lettre et évitent d’être dans cette place de l’adresse, laisse les sujets dans un état d’impuissance et de désolation. Il ne serait pas faux de dire que la destruction et la violence contre l’autre se sont augmentés par la suite. En fait, cette situation elle-même est venue remettre la lettre à l’adresse de manière répétitive dans le jeu des trônes dans l’histoire de l’Empire Ottoman et l’histoire de la République Turque. Eh bien, y a-t-il un interlocuteur dans le discours actuel pour que le sujet puisse prendre ses plis subjectifs et ses médiations ? Y a-t-il un trait qui peut organiser le Nom du Père ? Ce sont précisément ces passages à l’acte qui annoncent la défaillance quant au trait du destinataire auquel s’adresse la parole, et l’appel à la place du destinataire. Ces deux-là aident au sujet pour qu’il puisse « s’appuyer sur ce signifiant et ce manque en eux pour structurer son propre symptôme et sortir des acting dans lesquels il est enferré ».[3]

                Dans ce contexte, il est inévitable de dire qu’avec le déracination des lettres, la banalisation des textes, le discrédit du Nom du Père laisse le sujet dans un champ de détachement social où le pouvoir symbolique de la parole est victime du pouvoir de l’action, où la violence et l’étrangeté se transforment en un duel brutal. Le sujet est bien invité au monde souterrain de Thanatos.

En effet, il est lieu de penser le thème de l’organisation textuelle à partir de sa « charge » symbolique. En revanche, dans le discours courant nous entendons bien qu’il y a une abolition du principe de fraternité qui nous lie en tant que fils et sœur en se penchant sur le père singulier. Cependant les textes et le père universel, qui désignent le sujet, qui le rattachent à une filiation, à une fraternité, à un guide, à une hétérogénéité, sont à la place du « banal », du « médiocre ». D’ailleurs, ceux qui insistent sur la valeur et l’importance de ce principe sont désormais appelés la génération des baby-boomers dans le discours courant.

[1] C. Melman & N. Hamad, La psychologie de l’immigration, Paris, Maison d’Edition Langage, 2019
[2] C. Melman, op. cit., p.327
[3]C. Melman, op. cit., p.544