Les enfants sont-ils encore des enfants ? Sont-ils encore susceptibles de trouver dans le discours qui les concerne des marques qui leur permettraient de se frayer une place singulière ?
Le discours social actuel conduit à de telles interrogations. Ce que nous rapportent les médias nous impose toutefois de ne pas le prendre strictement à la lettre, ni dans la précipitation. Mais nous pouvons dégager quelques points saillants :
L’enfant est l’objet de la pédophilie. Il est inutile de citer les multiples procès en cours. L’enfant se trouve l’objet d’une consommation sexuelle. Dans nombre de situations, ceux qui en sont les auteurs étaient auparavant chargés d’une responsabilité d’éducation à l’égard de l’enfant, et ils en ont abusé, en tant que père, mère, éducateur, enseignant, prêtre, etc. …, jusqu’à prétendre comme récemment qu’il pourrait s’agir de « faire du bien » à l’enfant. Ils étaient ainsi chargés à double titre de représenter une référence symbolique pour celui-ci, et donc garants de ce que la sexualité est pour chacun le champ où se manifeste l’impossibilité d’un rapport au réel de l’objet que met en place le recours à la parole.
Du fait de cette défaillance symbolique, et comme S. Ferenczi l’avait mis en évidence dans « confusion de langue entre l’adulte et l’enfant » (1), l’enfant s’identifie à son agresseur, puisqu’il se trouve privé de recours à la parole car privé d’un interlocuteur. Il n’y a donc pas de raison de décrier les témoignages des enfants baignant dans de telles conditions. Les juristes savent habituellement les réserves à apporter à de tels témoignages. Pour qu’un enfant trouve une légitimité dans sa parole, il faut qu’il ait l’assurance que l’adresse de ses propos soit initialement prise en compte par la fiabilité de la position symbolique de l’interlocuteur. Si ce n’est pas le cas, du fait de l’agression dont il est l’objet, sa place singulière est élidé, il se trouve objet de l’autre, et assujetti à cet autre. Il s’agit donc de se garder de stigmatiser les témoignages d’enfants comme irrecevables, les choses sont autrement plus complexes.
Parfois, les interrogations des adultes à l’égard des enfants rencontrent le silence complet, ou un silence concernant leurs responsabilités dans certains actes graves, comme un parricide récent, où les propos de l’enfant semblaient se réduire à un récit anecdotique. C’est que celui-ci se trouve privé dans le rapport à ses propres marques symboliques de ce qui lui permettrait de rendre compte de ce qui l’anime, et que ceux qui sont en position d’interlocuteurs habituels proches ne l’ont pas familiarisé avec cet exercice, par le témoignage qu’ils auraient pu exercer de l’assise de leurs propres positions symboliques.
La psychanalyse éclaire ces manifestations parce qu’elle nous rappelle que la parole, la responsabilité des actes de chacun, la subjectivité se constituent dans le rapport à l’autre, au proche qui représente une autorité symbolique pour le sujet. Il s’agit que l’interlocuteur tienne la position où il est l’adresse d’une parole, d’une demande ou d’un appel. Pour tenir cette position, il est éprouvé par les limites qui sont les siennes, comptant sur l’assise de ses propres marques symboliques. Il est sollicité différemment suivant qu’il est père, mère, ou enseignant, éducateur, voire psychanalyste… En tout cas, c’est la légitimité de sa position symbolique qui a un effet de vérité et qui permet à l’enfant d’aller de l’avant de son initiative, en prenant appui sur une place qui lui soit reconnue dans l’économie du désir de l’autre. C’est une exigence que le psychanalyste qui est sollicité par des parents pour les difficultés de leur progéniture s’efforce de faire valoir auprès d’eux, pour permettre l’émergence de la singularité de l’enfant.
Si la responsabilité de l’adulte n’est pas assumée comme telle, le risque est de déplacer la portée symbolique de cet engagement sur la garantie que pourrait procurer la protection juridique de l’enfant en développant à outrance les « droits des enfants ». Le lien contractuel qui est alors brandi masque les défaillances de la responsabilité de l’adulte (cf. La libération des enfants, d’A. Renaut) (2).
Ce qui nous conduit à déplacer notre question de départ : « Les enfants sont-ils encore des enfants » deviendrait: « Les adultes sont-ils encore des adultes, assument-ils la responsabilité de leur désir, et tiennent-ils compte de ce qui anime leur désir, de ce qui est inscrit en eux, à leur insu » ou « Savent-ils repérer dans la manière dont ils traitent les enfants les symptômes de leur propres défaillances symboliques? ».