Du désir de savoir, Lacan en a parlé l’année précédente. Il y revient dès la première leçon de L’Envers [de la psychanalyse], pour dire que « ça va pas tout seul » et avancer, contre le sens commun, que le désir de savoir ne conduit pas au savoir. Il rejette l’idée qu’il y aurait une Loi interdisant le savoir qui serait à transgresser (critiquant sans la nommer Piera Aulagnier).
Qu’est-ce qui conduit au savoir défini comme un réseau de signifiants, et par là distingué de la connaissance qui porte sur les représentations et donc sur l’imaginaire ?
On lit dans la leçon 8 que « la psychanalyse s’engage sur les traces… » on s’attendrait à lire : sur les traces du savoir, non, c’est « sur les traces du désir de savoir » qu’elle s’engage. Pourquoi ? parce que, comme Freud l’a montré, l’enfant qui a désiré savoir ce qu’il en est de la sexualité, a refoulé ce qu’il en savait. C’est « un savoir qui se renie au moment où il s’avoue. »
Au point que dans Encore (leçon du 8 mai 1973), Lacan dira « qu’il n’y a pas désir de savoir ». Dans L’envers il dit que pour aller sur les traces de ce désir « il faut être mordu ». Et qu’il faut trouver chez un psychanalyste « le point de mire » qui fera office de cause du désir pour activer le désir de savoir. C’est un axe du séminaire, on verra où peut mener cette « opération insensée. »
Du savoir, il y en a dans l’expérience de la moindre psychanalyse (leçon 3). Seulement le moi fait le petit maître qui en saurait un bout, il assoit sa supposée maîtrise en recouvrant l’articulation signifiante du savoir. Mais il peut se produire un lapsus.
Ce qui fut le cas tandis que je travaillais ce texte. À un analysant qui voulait dire « tenir en bride » pour signifier le rapport que son père avait instauré avec sa mère, il vient « tenir en bribe. » Et « bribe » s’impose comme un mot anglais qu’il traduit : corruption. Du coup, « bride » est de l’anglais… mais là il y a « un noir », le sens lui échappe.
Un lapsus qui semble survenir sur les traces du désir de savoir, le désir infantile, le désir inconscient dans sa structure comme Lacan le dit dans D’un Autre à l’autre. Il s’y lit que la maîtrise prétendue du père échoue à brider… à brider qui ? Justement la « bride », la mariée. S1 ne peut maîtriser S2. De sa tentative il ne ressort qu’une bribe, un reste. Le rapport, raté, ne se fait-il pas autour ?
Lacan a affirmé l’année précédente que le savoir ne s’acquiert pas par le travail, « pas à la sueur de son front » (D’un Autre à l’autre, leçon du 26 février 1969). « Apprendre c’est quelque chose de terrible, il faut en passer par la connerie de ceux qui vous expliquent les choses ». « Savoir c’est quelque chose qui se passe toujours en un éclair ». N’y aurait-il alors qu’à attendre l’éclair ? Évidemment pas, Lacan ne cache pas la peine qu’il se donne, il fustige à l’occasion la paresse des analystes, le maintien dans le plaisir.
N’y a-t-il quand même pas à apprendre pour savoir ? Mais qu’est-ce qu’apprendre ? Dans Encore nous avons lu l’été dernier que le savoir est « dans l’Autre, qu’il est à prendre, c’est pourquoi il est fait d’apprendre ». Pas fait de la matière de signifiants saisis, compris, au sens du concept, mais « fait d’apprendre ». Il me semble qu’il s’agit de dégager les signifiants pour faire valoir, pour éprouver le manque qu’il y a entre eux. De là un « plus de jouir » qui peut stimuler un exercice du savoir plus ou moins décalé et par là sa reconquête.
« Le savoir vaut juste autant qu’il coûte, beau-coût, de ce qu’il faille y mettre de sa peau » (Encore, leçon du 20 mars 1973). La différence est nette entre « en suer », et « y mettre de sa peau », c’est-à-dire de son narcissisme.
Avec l’accord de l’auteur pour publication.