La relation d’objet et les structures freudiennes
Résumé des leçons 1 à 5
Norbert Bon
Ce commentaire est effectué à partir de la dernière version de l’ALI. Pour les collègues qui travaillent sur la version du Seuil, ces cinq premières leçons sont réunies sous le titre « Théorie du manque d’objet ».
Leçon I
Elle est appelée « introduction « dans cette même version. Lacan commence par justifier son titre de l’année dans sa totalité : La relation d’objet et les structures freudiennes ». Cette notion de relation d’objet prévaut en ce début des années cinquante dans les écrits psychanalytiques français (avec notamment Maurice Bouvet, implicitement visé par sa critique). La deuxième partie du titre omise dans la version du Seuil, indique que la question ne peut être traitée que rapportée à la structure dans laquelle se déplace l’analyse, le rapport entre analysé et analyste, avec ce que cela implique dans la conduite technique, relativement aux notions de transfert et de résistance et, bien sûr, celle de l’inconscient avec les principes de plaisir et de réalité, et enfin la prise en compte de l’articulation signifiante.
Lacan évoque ensuite son schéma en Z, dit schéma L, avec la justification que les schémas permettent non la localisation des phénomènes mais leur spatialisation. Et, apparaît déjà le terme de topologie, le rapport des lieux.
Ce schéma inscrit le rapport du sujet à l’Autre, l’inconscient, dont le sujet reçoit son message mais « déformé, arrêté, capté et en définitive méconnu, par la relation imaginaire a-a’ ». Ce grand Autre étant lui-même susceptible de le tromper.
Ce schéma rend compte de l’expérience analytique d’une façon qui remet en cause la théorie de la relation d’objet comme venant recentrer la dialectique du principe de plaisir et du principe de réalité autour d’une relation duelle qu’il s’agit de rectifier, normaliser. Lacan appuie sa critique, notamment, sur un volume de La psychanalyse d’aujourd’hui -où figurent les grands noms de la SPP, au premier rang desquels Bouvet, sans le citer- en indiquant que cette théorisation ne peut pas être sans effet sur la pratique en l’orientant vers une analyse du moi et non plus de l’inconscient.
Lacan en passe d’abord par un rappel de ce qu’il en est de l’objet dans Freud, pas la « relation d’objet » qui ne s’y trouve pas. Il y a dès les Trois essais sur la sexualité la notion de la « trouvaille de l’objet » (Objektfindung), puis la question du rapport de l’objet et de la réalité et, enfin, celle du rapport sujet/objet. Dès L’esquisse, l’objet est posé en tant qu’objet perdu qu’il s’agit de retrouver (et non pas l’objet génital de la théorie actuelle, qu’il s’agit d’atteindre à la maturité). L’objet perdu, c’est le sein auquel le sujet est lié par la nostalgie et qui engendre la répétition puisque la satisfaction originaire supposée n’est jamais retrouvée. Dans un détour par la philosophie, Lacan voit là une conception platonicienne, d’un objet adéquat, attendu, préformé et coapté à la maturation. Il l’oppose à la conception d’un Kierkegaard dans le registre de la répétition, et non pas réminiscence, jamais satisfaite.
Il y a ainsi un rapport conflictuel du sujet au monde entre principe de plaisir et principe de réalité, le second imposant au premier une structuration pour obtenir une certaine satisfaction, avec un écart entre ce qui est cherché et ce qui est retrouvé, saisi. A quoi chercheront à pallier les tentatives de satisfaction hallucinatoire chez le nourrisson et ultérieurement dans le rêve. Mais il faut noter que la relation sujet /objet n’est pas centrale chez Freud, sauf peut-être dans les relations dites prégénitales, entre le sujet et son partenaire : voir/être vu, par exemple, où s’exerce une certaine réciprocité. C’est cette réciprocité qui a amené Lacan à la notion de stade du miroir, avec cette captivation du sujet par sa propre image qui le tend vers une identification, une réalisation. Ce qui amène, dans un renversement, la théorisation actuelle à concevoir cette tension comme visant un point d’idéal, d’achèvement, d’aboutissement du Développement de la libido, selon le titre de Karl Abraham 1, une normalisation de l’individu.
Enfin, cela amène à mettre au premier plan les rapports du sujet à son environnement, avec la justification de cette évolution théorique par l’évolution du contexte social, après la première guerre mondiale serait apparue l’angoisse d’un monde changeant. La psychanalyse est ainsi conçue comme un « remède social ». Et, Lacan revient là sur les textes de l’ouvrage collectif déjà évoqué pour y critiquer les notions de « relations sociales du malade », ou celle de « maturation des activités instinctuelles » qui aboutit à une distinction entre les « prégénitaux » et les « génitaux », les premiers étant « faibles » et la cohérence de leur moi restant dépendante des relations objectales avec un objet « significatif », conception qui établit un parallélisme entre maturation des instincts et structuration du moi.
Le sujet va donc chercher par tous les moyens à maintenir un rapport à un objet significatif, sorte de moi auxiliaire, tandis que les génitaux, eux, ont un moi assez fort pour ne pas dépendre d’un tel objet : « leur unité n’est pas à la merci de la perte de contact avec un objet significatif », ils sont d’une « limpidité cristalline », ils prennent en compte les besoins de l’objet. Je suppose qu’aujourd’hui on les doterait d’une grande empathie ! Lacan pointe là une confusion entre objectivité (rapport idéal à la réalité) et objectalité, liée à la plénitude de l’objet. Il relève pourtant que cette conception primaire de l’évolution individuelle n’est pas partagée par tous : ainsi, pour Glover, l’objet est loin d’être dans une sorte de coaptation au sujet mais vient masquer, parer le fond d’angoisse qui caractérise le rapport du sujet au monde.
Dans ce qui est délimité par la version du Seuil comme troisième partie de la leçon, Lacan en vient à évoquer la phobie en soulignant la distance, l’absence de rapport direct entre la « prétendue peur » que causerait cet objet et la conception freudienne où, au contraire, c’est l’objet qui tient à distance le danger, constitue un rempart. Freud situe l’objet comme signal d’alarme, poste avancé, qui peut apparaître dans une crise qui n’est ni typique ni liée à l’évolution contrairement à ce qu’en fera Glover en posant la construction, dans un sens génétique, de l’objet paternel comme aboutissement des « constructions phobiques primitives ». Il opère là un renversement du chemin qui avait permis à l’analyse de remonter de la phobie à l’angoisse -de castration, comme il semble peu contesté. Idem pour le fétiche qui remplit d’une autre manière, une fonction de protection contre l’angoisse de castration. Il y aura donc à se poser toutes ces questions du rapport entre objet phobique et objet fétiche, sans nous contenter d’explications uniformes pour des phénomènes différents. Sinon qu’ils sont centrés sur la question de l’angoisse d’où Lacan prendra son point de départ. Et, il ironise sur ce que serait pour un être génital une pièce de monnaie en évoquant l’introduction par Marx du terme fétichisme de la marchandise au-delà de la distinction de la valeur d’usage et de la valeur d’échange 2. Il annonce enfin que sa prochaine leçon sera sur la phobie et le fétichisme.
Leçon II
Dans cette leçon, Lacan annonce qu’il va parler de l’objet génital, à savoir la femme et il à lu, pour ce faire, un certain nombre d’articles sur la sexualité féminine. Articles dont les contenus sont d’une « bêtise infinie », avec l’excuse, il est vrai, que les énoncés de Freud sur la question peuvent être abrupts. Il a toutefois mis le doigt sur ce qui est central et que montre la psychanalyse, mais aussi simplement les rapports de l’homme et de la femme, que l’objet n’est jamais satisfaisant. Lacan renvoie, là, à Malaise dans la civilisation.
L’objet donc n’est pas un objet achevant mais un objet à retrouver, voire à halluciner sur fond d’angoisse. Lacan revient sur le troisième point amené dans la leçon précédente : la réciprocité imaginaire. Et il poursuit son analyse critique de l’article de Bouvet sur l’objet pour l’obsessionnel 3. Un obsessionnel, c’est quelqu’un, un acteur, qui joue comme s’il était mort, il joue avec ce petit autre qui est un double de lui-même, son alter ego, sous le regard d’un Autre. Jeu où il est en réalité lui-même spectateur à son insu en même temps que meneur de jeu. En tuant son propre désir, il se tient hors de portée des coups. Et, c’est à cette place de spectateur qu’il met l’analyste dans la cure. On ne peut donc rendre compte de ce jeu en terme de relation duelle. S’agissant de la façon de comprendre l’obsessionnel dans cet article, Lacan compare sa situation à celle où deux clowns se donnent des paires de claques et un troisième vient demander à chacun de ravaler son bâton, à savoir : incorporer le phallus.
Et il en vient à la notion de phallus imaginaire comme tiers dans la relation mère-enfant (Schéma p. 55).Tiers que méconnait l’analyse actuelle en traitant cette relation comme duelle. Lacan n’a pas encore à ce stade parfaitement élaboré la distinction phallus imaginaire/phallus symbolique, même s’il évoque son tryptique réel, symbolique, imaginaire, sans lequel on ne peut comprendre ce qui se passe en termes de référence au réel, au sens courant de réalité. D’où, par exemple, dans la conduite de la cure, les efforts de Bouvet pour faire reconnaître à un obsessionnel son agressivité, sous la forme larvée de l’agacement. Lacan critique au passage la caractérisation de l’ironie comme un mode d’agressivité.
Il en vient ensuite à la question : l’objet est-il ou non réel ? Et, est-ce que la terminaison de l’analyse serait cet accès au réel où l’on trouverait l’objet ? Il rappelle les discussions, dans la communauté analytique, autour de la notion de phallicisme et de la nécessité de dégager pour saisir cette notion la catégorie de l’imaginaire, à savoir distinguer pénis et phallus. Se pose alors la question de ce que nous mettons sous ce terme de réel ou de réalité puisque, là aussi, Lacan n’en a pas encore fait la distinction claire en établissant le réel comme l’impossible. Le terme allemand de Wirklichkeit, distinct de Réalität, apporte une nuance qui n’existe pas en français : celle d’une effectivité, d’une efficacité.
S’ensuit une discussion autour des conceptions mécano-dynamistes qui règnent à l’époque de Freud et l‘amènent à articuler les choses autour d’une perspective énergétique. Et, il critique la tendance médicale à rapporter les phénomènes à une réalité organique (perspective à laquelle à renoncé Freud en abandonnant l’esquisse), à l’aide d’une comparaison avec le fonctionnement d’un barrage sur un fleuve. Dire que le barrage vient canaliser une énergie déjà là, virtuellement, dans le courant et que le barrage révèlerait, ne nous avance à rien. « Car l’énergie ne commence à nous intéresser qu’à partir du moment où elle est accumulée. » (p. 62) Ce qui nous intéresse, c’est la Wirklichkeit, l’effectivité, à savoir, l’organisation, la structuration des éléments qui permettent cette production d’électricité. Autrement dit, pour l’analyse, il s’agit de comprendre les mécanismes dans lesquels nous nous déplaçons et non pas de leur chercher une explication ailleurs que dans notre exercice. (Evidemment ce que dit là Lacan s’applique exactement à ce qui se passe aujourd’hui avec cette tentative d’expliquer les phénomènes psychiques par l‘imagerie cérébrale.)
Lacan reprend ensuite la notion de réel par rapport à l’opposition principe de plaisir/principe de réalité, pour souligner que le premier n’est pas moins réel que le second. Et, il va évoquer, de façon élogieuse, l’article de Winnicott sur l’objet transitionnel pour montrer comment l’enfant va devoir sortir d’une position où objet halluciné et objet réel correspondent parfaitement parce que la mère l’apporte dès qu’il est demandé, à une position où il va devoir apprendre à s’en passer, au prix d’un désillusionnement, d’une frustration, terme qui est devenu un terme clé dans les publications analytiques. Et, Winnicott relève que ça ne se passe pas juste entre la mère et l’enfant mais que viennent s’y introduire des objets transitionnels que Lacan qualifie d’imaginaires, avec un rapprochement avec le fétiche : un mouchoir, un coin de drap, etc.
Puis Lacan élargit la question à celle du manque de l’objet comme ressort de la relation du sujet au monde et il rappelle que l’analyse de la névrose commence avec la notion de castration. A quoi, il faudra ajouter un troisième terme, celui de privation. Le reste de la leçon va tourner autour de la distinction entre ces trois termes pour sortir de la confusion actuelle où ils sont confondus sous le terme de frustration.
-Au plan du réel, on ne peut parler que de privation : un manque réel, c’est un trou, on n’est pas là au niveau imaginaire que suppose le phallicisme.
-Ce qui est au niveau imaginaire, c’est la frustration, à savoir un dam, un dommage, ce qui fait de la frustration le domaine de la revendication sans fin. Il y a implicitement l’idée que l’objet qui m’était du, promis, m’est refusé. (Je précise que Versagung qui nous est revenu comme frustration via les traductions anglaises impropres, est habituellement traduit par refus mais renvoie étymologiquement au verbe sagen, dire, et pourrait être plus justement traduit par dédit.
-La castration, enfin : à partir de là, on peut la concevoir comme une dette symbolique.
Il y a donc là trois catégories du manque de l’objet que Lacan va faire jouer avec R S I, en distinguant manque, objet et agent. dialectique résumée dans le tableau de la leçon IV, qui semble déjà figurer, ici, sous une forme primitive, dans la sténotypie. L’objet de la castration n’est pas réel, il est imaginaire (d’où la question, qu’est-ce que le phallus ?), à ne pas confondre avec la frustration qui est un manque imaginaire d’un objet réel. L’objet de la privation, manque réel, étant lui un objet symbolique. Il n’y a en effet d’absence dans le réel que symbolisée. Ce que Lacan illustre avec le livre qui ne manque dans la bibliothèque que parce que sa place y est symbolisée et, éventuellement, marquée par un fantôme. Lacan esquisse là au passage, l’idée d’une évolution différente, de ce point de vue, entre l’homme et la femme, qui trouvera sa formalisation dans le séminaire Encore.(1972-73). Il prendra ailleurs l’exemple de l’absence de pénis chez la fillette qui n’est une privation qu’au titre de la valeur symbolique conférée à l’organe masculin.
Il évoque pour finir, la notion d’agent sous forme d’une question à travailler, qu’il laisse ouverte, pour compléter le tableau.
Leçon III
Lacan débute par une remarque sur la conférence de la veille faite par François Dolto sur « L’image du corps » à la Société française de psychanalyse, pour indiquer que cette image du corps, précisément, n’est pas un objet mais une formation imaginaire. L’hypothèse d’objets imaginaires est celle dont nous partons dans l’analyse, pour les questionner. Il rappelle ces deux objets qui apparaissent dans l’expérience analytique : phobique et fétiche, qui restent mystérieux quant à leur origine et leur genèse : pourquoi avoir peur des lions que l’on ne risque pas de rencontrer dans nos régions ? Est-ce que ce serait inscrit comme une donnée primitive ? Non, ça ne suffit pas. (Remarquons au passage que l’argument est un peu faible : quid du cheval, que l’on peut rencontrer, ou du loup, animal mythique de nos contes et de nos campagnes ! L’argument probant est que ce n’est pas d’un animal réel que le phobique a peur mais d’un signifiant.)
De même les fétiches sexuels sont en nombre limité : chaussures, soutien-gorge, etc., qu’on ne peut expliquer par leur incidence dans une genèse. Je crois qu’il y a là une critique de la théorie des stades et, détournée comme souvent, de Françoise Dolto, pour souligner qu’il faut s’attacher moins à ce qu’elle dit qu’à ce qu’elle fait, à savoir qu’elle traite ces objets comme des signifiants.
Nous sommes donc ramenés à la notion de signifiant. Lacan revient sur sa comparaison avec le barrage, ayant constaté une certaine incompréhension, notamment avec la remarque d’un auditeur sur l’énergie potentielle qui lui permet de dire qu’en effet, la question de l’avant se pose, « l’avant qu’un certain fonctionnement symbolique soit exercé » (p. 76). Ce qu’il ne nie pas : il y a le ça, avant qu’un Je n’advienne. Mais qu’est-ce qu’est ce ça ? Car, pour que l’énergie potentielle ait un intérêt, il faut que les conditions de départ, à savoir une différence de niveau, permettent d’en faire quelque chose.
Dans l’analyse, on postule une énergie qui est la libido. La rapporter à un support biologique, hormonal n’a aucun intérêt pour l’analyse. L’important, ce sont ses effets, son activité, (que l’on soit mâle ou femelle), c’est ce qui s’en produit au niveau imaginaire pour organiser le lien sexuel, le lien de désir entre un être humain et un autre. Dans cette comparaison, le Es serait, non pas le génie du courant, mais l’usine sans que l’on sache comment ça marche. Sinon que le Es, c’est ce qui est susceptible de devenir Je. Il est déjà organisé par le signifiant, comme l’usine, il est construit par l’opération du Saint esprit, en tout cas de l’esprit ( Dans La logique du fantasme, Lacan distinguera le ça, comme grammaire acéphale, de l’inconscient où elle est habitée par un sujet).
Il reprend ensuite la question par rapport aux liens conflictuels (dialectiques et pas seulement opposés) des principes de plaisir et de réalité : loi du retour au repos pour le premier, loi du détour, donc actif, pour le second. Ce que montre l’expérience, c’est que, dans les deux coexistent ces deux tendances. Et il va les articuler aux deux niveaux de la parole : le signifiant et le signifié. Il rappelle le schéma de Saussure avec les glissements du signifié sous le signifiant et le fait que c’est à travers le signifiant que nous pouvons attraper quelque chose de la pulsion. S’il existe un avant, c’est possible, mais on ne peut en attraper que ce qui a reçu l’empreinte du signifiant. Le Saint esprit, c’est ça, l’entrée dans le monde des signifiants dont il relève le lien avec l’instinct de mort que Freud montre avec le jeu du Fort-Da, dans la mesure où, né avec l’absence, le signifié trouve sa limite dans cette réflexion de l’homme sur la mort (le signifiant fait que l’homme sait qu’il est mortel mais que sa mort lui est impensable). « C’est la mort qui est le support, la base, l’opération du Saint esprit par laquelle le signifiant existe » (p. 85)
A la question, est-ce que le signifiant est ce qui est désigné là, dans le ES, la réponse est oui pour l‘analyse, « du signifiant qui est déjà là dans le réel ». ce n’est pas une propriété primitive, comme pourraient le penser des esprits faibles, ce dont il affuble Jones avec sa théorie des rapports homme/femme comme harmonieux, les difficultés qui s’y présentent n’étant que secondaires. Freud pose au contraire, à propos de la phase dite phallique du développement, qu’il y a non pas une seule libido mais « une seule représentation imaginaire primitive de l’état et du stade génital » (p. 87) : c’est le phallus, son image érigée. Ce qui peut se discuter mais indique que Freud ne va pas chercher une référence du côté de la nature. Pour Lacan, c’est du côté du signifiant qu’il y a à chercher. C’est le jeu propre des signifiants qui organise le psychisme. Le Es est déjà là et c’est ce qui fait scandale : il n’y a pas de coaptation naturelle de l’homme à son environnement.
Lacan revient ensuite à cette notion de la mort comme reflétée dans le signifié, inexplicable par l’expérience et à l’œuvre dans la répétition (où, précisément, un signifiant n’advient pas). Inversement, il y a des éléments qui sont dans le signifié et qui vont être « empruntés » par le signifiant, dont justement le phallus, à partir de l’érection, et quelques autres en rapport avec le corps (les orifices, je suppose), qui vont être symbolisés et obéir aux articulations logiques du signifiant. Il rappelle à propos de cette logique le jeu de pair et impair évoqué dans « La lettre volée ».
Dans la dernière partie de la leçon, il en revient à l’expérience analytique avec au centre la notion de retrouvaille de l’objet : Wiederbefindung. Il évoque les Trois essais sur la sexualité, avec les nombreux ajouts et modifications qu’y a apportés Freud et qui ne peuvent se comprendre qu’après l’apparition du texte sur le narcissisme (1915), puis, celui sur « L’organisation génitale infantile » (1920), où Freud affirme qu’il n’y a pas de primat du génital chez l’enfant mais un primat du phallus.
Quant au narcissisme, on ne peut pas penser la libido d’objet sans la mettre en rapport avec la libido du moi, centre de réserve à partir de laquelle peut s’établir une libido objectale. D’où l’établissement en deux temps de la libido et le fait que la tentative de retrouver l’objet -la mère- restera marquée chez l’adulte de ce premier temps, du style premier de cet objet (p. 97) avec ce que cela implique de conflictuel. Cette conservation dans la mémoire à l’insu du sujet relève d’une transmission signifiante pendant la période de latence, alimentant les fonctions imaginaires « élues » à cette période prégénitale. C’est ainsi qu’une couche imaginaire est introduite dans la dialectique du symbolique et du réel. (p. 57). Lacan fait remarquer au passage que prégénital n’est pas équivalent à préœdipien comme c’est souvent entendu dans la communauté analytique. (préœdipien apparaît un an plus tard à propos de la sexualité féminine). De cette période prégénitale, l’œdipe va en réorganiser, après-coup, les signifiants pris dans le signifié, souvent au plus près du vécu du corps, notamment l’oral et l’anal, mais déjà travaillés par la logique du signifiant.
Donc, c’est autour du manque d’objet qu’il y a à organiser notre expérience avec ces trois formes : castration, frustration, privation, tandis que la théorisation actuelle tend à éluder la question de la castration et à tout centrer autour de la frustration, avec ce qui s’ensuit dans la pratique : ne pas frustrer dans l’éducation et, dans l’analyse, retrouver et réparer les frustrations passées.
A la fin de la leçon, Lacan annonce qu’il s’attachera la prochaine fois à reprendre une conférence d’Annelise Schnurmann à propos de l’apparition d’une phobie chez une petite fille. Suffit-il de s’en tenir, comme le fait l’auteur, à la question de la frustration où la référence aux trois termes introduits par Lacan peuvent-ils nous aider à saisir le phénomène ? Il rappelle ce que ces trois termes veulent dire avec un développement plus important pour la privation qui vient contredire la représentation développementale où le sujet sortirait toute sa conception du monde de lui-même comme l’araignée tisse son fil. Il s’agit de sortir d’une conception d’un développement psychogénétique au terme duquel on atteindrait les objets réels du monde humain, pour, au contraire, partir du manque d’objet comme structurant notre monde et notre organisation objectale. ce, autour des trois sortes de manque dont Lacan redit les distinctions.
Il revient à la fin à la conférence de Dolto qui fait intervenir dans la phobie la question d’un trouble dans la relation de la mère à son parent du sexe opposé -et pas seulement dans la relation de la mère à l’enfant. D’où s’ensuit la question de ce que la mère voit en l’enfant, ce qu’elle désire en lui et qu‘elle aborde avec son propre dam imaginaire par rapport à la privation du phallus et à quoi est confronté l’enfant. Enfin, il termine la leçon en ouvrant des pistes à explorer dans cette disposition mère-phallus-enfant : imaginaire reflété dans les symbolique ou élément symbolique apparaissant dans l’imaginaire, comme cela semble être le cas dans la phobie, tandis que dans le fétichisme, l’enfant viendrait occuper la position maternelle par rapport au phallus.
Leçon IV
C’est celle que le Seuil intitule « Dialectique de la frustration » et où Lacan donne, dès le début, le fameux tableau à double entrée ordonnant manque/agent/objet par rapport à R S I pour sortir de cette confusion qui a produit que « partie d’une conception qui a fait scandale des relations affectives de l’homme », celle d’une difficulté essentielle dans le rapport au sexuel, on a pu arriver à l’inverse à prôner la visée d’obtenir une relation harmonieuse avec lui. Difficulté essentielle inhérente à la pulsion même comme le pose Freud dans « Pulsions et destins des pulsions ». Ce qui conduit à poser l’objet comme à retrouver, objet inadéquat et qui se dérobe à la saisie conceptuelle (on voit poindre là l’objet a). D’où il faut éclairer et critiquer cette notion de frustration, marginale chez Freud, devenue centrale dans la psychanalyse actuelle.
Lacan rappelle d’abord que la mise au premier plan de la castration par Freud est liée à la position centrale du complexe d’œdipe qui met en jeu la question de la loi et de la dette symbolique et le caractère imaginaire de l’objet : le phallus. Dans le tableau de Lacan, c’est la frustration qui est pourtant en position centrale mais ce n’est pas en contradiction avec Freud puisque c’est d’abord aux traumas et aux fixations que nous avons affaire et qui témoignent des antécédents préœdipiens qui viendront infléchir le conflit œdipien.
Mais cette notion de frustration dans les premiers âges de la vie induit l’idée de satisfactions, gratifications, nécessaires, essentielles à l’enfant en déportant l’intérêt vers des éléments réels, des impressions réelles, des conditions réelles du développement. Alors que, chez Freud, avec les stades oral, anal, phallique, on est au niveau d’une « anatomie imaginaire du développement. » (L’image primordiale du sein maternel). Imaginaire auquel l’enfant participe, il ne fait pas que bénéficier ou pâtir de ces conditions réelles. Il nous faut donc analyser le rapport de ce sujet désirant à cet objet réel qu’est le sein.
Lacan soulève au passage la question de l’auto érotisme et des discussions que cette notion a pu susciter. Balint, à sa manière tente de la résoudre en supposant une parfaite réciprocité entre ce que l’enfant exige de la mère et ce qu’elle exige de lui. Lacan a longuement discuté cette conception du « primary love » dans le séminaire I, conception contraire à toute l’expérience clinique et qu’Alice Balint, d’ailleurs (j’ajoute : peut-être parce qu’elle est mère), module en écrivant que ça n’arrive que chez les sauvages, ailleurs, au pays du rêve ! Lacan oppose à cela la théorie kleinienne en s’attardant quelque peu sur les critiques qu’ont pu lui faire Pasche et Renard, à savoir qu’elle mettrait tout à l’intérieur du sujet comme dans un développement biologique où « le chêne serait tout entier contenu dans le gland. » Rien ne lui viendrait de l’extérieur, sinon le choc en retour, du champ maternel, de ses propres pulsions agressives. Autrement dit, ce qui dans le développement est apporté de l’extérieur serait déjà dans une constellation interne au départ. Lacan ne détaille pas ces critiques mais relève que la solution apportée par ces auteurs est que ce que l’enfant a hérité de ses instincts, il aurait non pas à le découvrir mais à le reconnaître, ce qui est une solution platonicienne finalement proche de la position qu’ils critiquent chez Melanie Klein, celle d’un « schème préformé prêt à apparaître à point nommé. »
Lacan s’inscrit en faux contre cette lecture de la position kleinienne chez qui c’est, au contraire, un chaos plein de bruit et de fureur pulsionnelle qui règne à l’origine. Bien sûr, il y a là un aspect mythique certain qui ne peut se comprendre que comme une lecture rétroactive de la structure œdipienne (les objets dans le corps de la mère : le pénis du père, les enfants rivaux, etc.). Mais ce qui est fécond chez Melanie Klein, c’est qu’on puisse déceler ces éléments précocement dans ce rapport primordial mère-enfant avec, au centre, la question de la frustration, non pas comme ce qu‘elle ne devrait pas être mais ce qu’elle met en jeu, à savoir :
-un objet réel dans une relation directe (c’est à dire, avant que l’enfant en ait une représentation) et où vont apparaître des trous, des carences dans sa périodicité : un objet qui n’a d’instance que comme manquant.
-et la notion d’agent, la mère en l’occurrence. Lacan l’illustre par le jeu du Fort-Da qu’il a déjà évoqué dans le séminaire I, où l’objet est une bobine (et non pas une balle) et l’agent la mère qui par ses présences-absences permet à l’enfant d’articuler, à travers ses premières vocalises, Fort-Da, quelque chose d’une première relation symbolique distincte de la relation réelle. Car l’agent, la mère, participe, elle, déjà, d’un ordre symbolique même si ça ne suffit pas à le constituer. Il faudra, en effet, un virage dans cette dialectique pour qu‘elle s’ouvre à des éléments plus complexes. Ce virage tient à ce que si la mère ne répond pas, elle devient réelle, puissance dont dépend l’enfant et les objets jusque là objets de satisfaction deviennent objets de dons : objets saisissables, possédables, marqués de cette puissance de la mère à répondre ou non, témoignages d’une puissance favorable. Renversement donc où la mère devient réelle et l’objet symbolique. C’est donc elle qui devient toute puissante -et non l’enfant comme le formule une « psychanalyse génétique »- et ce qui va importer, ce sont les carences, les déceptions touchant à cette toute puissance maternelle. l’objet n’est plus ce qui est là ou pas mais ce qui peut se donner ou se refuser.
Dans la dernière partie de cette leçon, Lacan reprend les choses d’un autre départ, à partir de Freud qui fait du phallus un objet particulier, imaginaire, c’est à dire distinct du pénis, avec cet autre élément qu’il manque à la femme, en tant que corrélat réel, précise le Seuil. Prévalence imaginaire également chez l’homme qui pour disposer de ce corrélat réel ne doit pas moins en assumer imaginairement l’usage comme licite. S’agissant de la mère, ce manque de l’objet phallus va trouver une compensation dans sa relation à l’enfant. Et, si l’enfant en attend et reçoit quelque chose, la mère aussi, ce que Lacan formule ainsi : « L’enfant, en tant que réel, prend pour la mère la fonction symbolique de son besoin imaginaire. » Les trois termes y sont, se réjouit-il.
La question qui se pose ensuite, c’est : comment, à quel moment, l’enfant va t-il être introduit à cette structure symbolique-imaginaire-réel telle qu’elle joue pour la mère ? Ce qu’est le phallus pour elle, avec ce sentiment possible de se sentir dépossédé de ce qu’il attend d’elle, puisqu’il ne serait plus aimé pour lui-même (comme équivalent du phallus narcissique) mais pour ce qu’il représente. Ou encore la question (et non pas l’affirmation comme dans la version du Seuil) : en quoi va être décisif pour le sujet le fait que la mère pas seulement désire autre chose que lui, mais soit désirante tout court ? (p. 129)
De là, Lacan va passer à l’observation annoncée la fois dernière, un cas rapporté par Annelise Shnurmann. Il s’agit d’une petite fille de deux ans et demi qui déclare une phobie des chiens au lendemain d’un rêve, suivant la découverte de son aphallicisme. Dans le même temps qu’elle articule sa première longue phrase : « Les chiens mordent les jambes des méchants garçons. ». Le chien est donc l’agent qui retire ce qui a d’abord été admis comme absent. Est-ce que cela est suffisant pour expliquer la phobie ? Non, pour Lacan qui, après avoir critiqué les positions de Jones et Pasche, met l’accent sur le fait que la phobie et le rêve n’apparaissent que quelques temps plus tard, après qu’une rupture est intervenue dans les alternances présence/absences de la mère, suite à une maladie et une opération, suivie de son retour appuyée sur une canne. Autrement dit, elle n’est plus symbolique, elle est manquante. Cette découverte rompt l’équilibre et rend la phobie nécessaire. Est-elle suffisante ? Lacan renvoie la réponse à la leçon suivante.
Il soulève un autre point : lorsque la mère se remarie, le demi-frère de Sandy portant un intérêt tout particulier à sa nudité, la psychothérapeute s’étonne que cela ne relance pas la phobie puisqu’il lui demande de présentifier son manque. Au contraire, ce qui n’étonne pas Lacan : d’une part, la présence d’un père introduit un élément symbolique dans la relation puissance/impuissance avec la mère ; d’autre part, préférée par la mère, la petite fille devient pour ce garçon et sa curiosité « la girl-phallus », selon un terme de Fenichel dont Lacan commentera un article dans une leçon ultérieure. Ainsi, l’écart est maintenu entre les trois termes mère-enfant-phallus. Comment ? on le verra dans la leçon suivante.
Leçon V
Lacan commence par se féliciter de ce que son souhait, ironique, de voir les tenants de la relation d’objet expliciter les implicites qu’il dénonce, se réalise dans un article de Michel Fain montrant qu’ainsi que lui, Lacan, l’a soutenu, amène à concevoir la relation analytique comme une relation entre l’analysé et un objet extérieur, l’analyste, sur lequel, du fait de la règle « tout dire et pas bouger », le premier va projeter son objet interne (sa pulsion érotique). Ce qui permettra à l’analyste d’en relever la distance névrotique, la discordance par rapport à la réalité, l’objectif étant de la réduire, de faire que l’analysé réalise son analyste comme présence réelle, qu‘il puisse le sentir, pour prendre un autre exemple cité par Lacan. (J’ajoute que la référence au blocage de la motricité rappelle, évidemment, celui du sommeil où la production onirique est facilitée et où le réveil ramène à la réalité).
Lacan envisage ensuite les conséquences pratiques de cette théorisation sur la relation analytique, ainsi menée de travers. Cela n’empêche pas que reste en jeu cette relation telle que Lacan la formalise avec le schéma L : à savoir l’entrecroisement de la relation symbolique avec la relation imaginaire qui la filtre et qui, pour être méconnue, n’en conditionne pas moins la « bonne fin » de l’analyse. Dans cette opération de réduction où il s’agirait d’exhausser les diverses fixations imaginaires, on méconnait la fonction du langage et de la parole (titre du rapport de Rome) et on ne s’intéresse à elle que lorsqu’il s’agit d’interpellations impulsives, motrices, adressées à l’analyste, témoignant de la frustration : « vous ne dites rien ! ».
Lacan poursuit avec son schéma L : si nous ne prenons pas en compte cette tension entre la relation imaginaire a-à et la relation symbolique A-S où s’établit le transfert (donc symbolique), tension par rapport à quoi chaque névrose établit son propre réglage, si nous ne visons qu’à rétablir, de façon parfois forcée, une bonne distance entre elles, qu’est ce que nous obtenons ? Ce qu’il a pu entendre de sujets passés par cette technique permet à Lacan de répondre : des réactions perverses paradoxales, notamment chez des obsessionnels, par exemple un attachement homosexuel, cristallisation sur une image qui se trouve à portée.
Revenons à cette triade mère-enfant-phallus, prégénitale puisqu’il y manque le quatrième terme, le père. On en est au point où l’enfant s’aperçoit que la mère est privée de ce phallus. Si l’attelage de la triade est rompu, comme dans le cas de la petite fille, que se passe-t-il ? Il faut d’abord examiner ce qui se passe dans une situation œdipienne normale. La rivalité instaurée avec le père va permettre une identification, en tout cas pour le garçon, et lui conférer une puissance phallique, limitée par la menace préalable de la castration, dans une sorte de pacte avec l’instance paternelle.
Là, Lacan ouvre une parenthèse pour revenir à la distinction que fait Freud entre relation anaclitique et relation narcissique, la première étant fondée sur la dépendance à la mère et la seconde sur le rapport à sa propre image. Deux choix d’objet différents, deux types de relation libidinale fixés pour l’avenir dans l’enfance et l’adolescence. Le terme allemand Auflehnung signifie appui sur. Dans la relation narcissique, c’est sa propre image que le sujet recherche, besoin d’aimer plus que d’être aimé, selon Freud. Lacan relève là une contradiction : les narcissiques seraient ainsi portés à l’action, à être des leader, culturels, politiques, etc. ce qui les rapprocherait d’une tendance oblative, caractéristique de l’obsessionnel. La position anaclitique serait au contraire une position de dépendance infantile où le sujet se croît le seul dépositaire du phallus qui est l’objet du désir de la mère. Il se situera donc par rapport à la femme qui succédera à cet objet maternel primitif comme un objet indispensable : il aura besoin d’une femme qui a besoin de lui comme objet. Ceci pour montrer que le père, comme quatrième terme est nécessaire pour introduire le manque d’objet dans une dimension symbolique (la castration) qui instituera à la fois la loi (une interdiction) et un pacte. Si c’est la relation imaginaire qui prévaut, il va y avoir d’autres modes de rétablissement de la triade non typiques. Par exemple, c’est l’enfant qui assumera la fonction de l’objet phallique pour la mère et ce sera la perversion fétichiste qui sera un mode d’accès à un au-delà de l’autre, notamment dans les moments de passage à l’acte où se réaliserait une fusion qu’on peut qualifier, à suivre Freud d’érotique. Moment non ordonné symboliquement, fragile, transitoire, voire virtuel : l’idéal est en effet que l’objet soit inanimé, en tout cas dépossédé de toute propriété subjective. et, Lacan ajoute, la relation imaginaire étant réciproque, on pourra voir le sujet fétichiste passer de l’une à l’autre position : identification à la mère/identification à l’objet. Position qui ne permet pas d’établir un équilibre érotique durable, comme on le verra à travers un cas plus tard.
Mais, il évoque d’abord un cas de Phyllis Greenacre qui passe dans une relation spéculaire d’un bord à l’autre, toujours entre deux miroirs, dit-elle, si bien qu’on ne sait jamais où il est, le fétiche ayant pour fonction de stabiliser sa position. Et, si on centre l’analyse tout entière sur la relation d’objet, on peut s’attendre à produire des phénomènes de nature perverse. Lacan rappelle le terme de Bundling qu’il a utilisé dans son rapport de Rome, technique utilisée dans la relation amoureuse, qui consiste à honorer un visiteur en lui faisant partager le lit de la fille de la maison, mais celle-ci enveloppée dans un drap qui empêche la réalisation ultime. C’est à cela que peut être comparée l’analyse centrée sur la relation d’objet.
Il en donne un exemple avec l’article déjà cité de Marty et Fain où sont relevés les élans moteurs de la patiente dans cette proximité imposée, vers l’analyste comme objet extérieur, suscitant les vagues pulsionnelles mais restant à distance. Il évoque dans cette mouvance les travaux de Koyré sur les mystiques, en l’occurrence les Amish et également la pratique de l’amour courtois où est cherché cet au-delà érotique, dans une approche amoureuse réfrénée. Façon d’user de façon délibérée de la relation imaginaire, réglée finalement symboliquement.
Il en vient ensuite à l’article de Ruth Lébovici où est présentée l’analyse d’un sujet phobique. Il s’agit d’un homme qui se trouve trop grand si bien qu’il avance courbé et réduit ses relations au cercle familial avec, néanmoins, une maîtresse âgée, fournie par sa mère. L’objet phobique émerge dans un rêve sous la forme de l’image d’un homme en armure, armé d’un tube de Fly-tox qui le traque et pourrait l’étouffer. Elle interprète cet homme en armure comme la mère phallique, interprétation qui semble le point de départ d’une perversion transitoire. L’auteur, note Lacan, se pose les bonnes questions et se demande si cette interprétation était la bonne. S’ensuit, en effet, une période de trois ans où se développe cette perversion : fantasme d’être vu urinant par une femme que cela excite, puis de voir lui une femme entrain d’uriner et se masturbant, ou pas. Et, vient la trouvaille, dans un cinéma, d’un cagibi d’où il peut observer les femmes dans les WC d’à côté. Pour Lacan, c’est non pas la mère phallique qui est en question mais la mère dans son rapport au phallus. L’auteur questionne justement ses positions contre-transférentielles. A-t-elle bien fait d’introduire de façon forcée le personnage masculin, à savoir le mari de la mère ? en substance : regarder une femme uriner plutôt que d’aller à l’assaut d’une femme mariée. De même pour une interprétation que l’on pourra qualifier d’ego à ego, devant la demande de ralentir le rythme des séances : « Vous me demandez cela parce que vous savez que vous ne l’obtiendrez pas ! » ce qui a pour effet d’amener les fantasmes à l’intérieur de la relation analysé-analyste : il formule sa crainte d’uriner sur le divan, épie les jambes de l’analyste, apparemment à la satisfaction de celle-ci. Pour Lacan, il la constitue ainsi comme a-phallique puisque l’on sait que le fétichiste arrête son regard précisément à la limite qui permet de rester dans l’incertitude quant au fait qu’elle ait ou pas le phallus. Cette réduction de la distance aboutit à l’idée du patient qu’il faudrait qu’il couche avec son analyste qui lui renvoie la même interprétation : « Vous vous faites peur avec quelque chose qui n’arrivera pas ! » (p. 164). C’est là qu’intervient le passage à l’acte de la pissoire, où, d’un lieu où il est tenu à distance, il peut observer la mère a-phallique. S’ensuit une opération des varices, il retourne auprès de sa maîtresse, sa phobie est guérie, mais il est préoccupé par la taille de ses chaussures ! Lacan note la finesse de l’observation et le fait qu’il ne s’agit pas d’une structure perverse mais d’un artefact : cette conduite cessera immédiatement lorsqu’il sera surpris par une ouvreuse dans cet endroit que le réel et venu lui offrir à point nommé. Et, Lacan conclut ironiquement : « Le réel offre toujours à point nommé tout ce dont on a besoin quand on a été enfin réglé par la bonne distance. »
Notes
1 K. Abraham, 1913-1925, « Développement de la libido », Œuvres 2, Paris, Payot, 1966.
2 K. Marx, 1867, « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret », Le capital, livre I, Paris, Champs/Flammarion, p. 68-76.
3 M. Bouvet, 1953, « Le moi dans la névrose obsessionnelle. Relations d’objet et mécanismes de défense », La relation d’objet, paris, Puf, 2006.