La figure symbolique d'Ariane
31 août 2010

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SCHLOESING Marc-Antoine
Textes
Transmission

 

 

J’ai eu la chance, et c’en est une, de suivre la formation de formateur proposée par Françoise Bernard à l’AFAREC. Ce furent trois ans de détours labyrinthiques et de bonheurs, de rencontres joyeuses et revigorantes, de confrontations à divers Minotaures, et puis surtout, trois ans pendant lesquels Françoise joua le rôle d’Ariane, nous guidant à travers un labyrinthe qu’elle construisait avec nous au fur et à mesure. Trois ans qui m’ont permis entre autres choses d’approfondir le mythe de Thésée et plus particulièrement cette figure d’Ariane. Ariane aux belles tresses, celles qui apporte le fil de laine que Thésée déroulera en pénétrant dans la labyrinthe, alors qu’elle reste à l’extérieur, sûre de revoir sortir le héros vainqueur.

Ariane dans le mythe c’est le don et la confiance, Ariane c’est aussi la métamorphose. L’aide « objective » qu’elle apporte à Thésée, le récit fait lors des séminaires Autographie-Projets de vie® en laisse volontairement de côté les motivations. Ce qui permet à cette forme symbolique, Ariane, d’être interprétée, actualisée, de prendre les aspects que chacun peut y voir, en fonction de son propre parcours. C’est bien ainsi que chacun dans le séminaire peut s’approprier les différentes figures du mythe.

Bien sûr Ariane apporte une aide déterminante à Thésée.  Sans lui il serait certainement mort, prisonnier du labyrinthe. Tout héros qu’il fût. Sa détermination à y entrer était telle, sa renommée, sa gloire et sa vaillance, sa force et son courage si grand l’auraient amené sans elle à vaincre le Minotaure. Mais sans Ariane, Thésée ne serait pas ressorti.

Or toute victoire doit être homologuée. Quel arbitre ici oserait dire la victoire de Thésée si celui-ci ne revient pas ? Comment faire un héros d’un disparu, d’un englouti à jamais?

Ariane permet non pas la victoire sur le Minotaure, mais elle permet que cela soit su et sûr. Elle permet à Thésée de revenir, d’échapper au labyrinthe, elle rend possible son héroïsme. Ariane en faisant don de son fil, de cette ligne de vie, qui comme pour les marins relie au monde des vivants, permet à Thésée le fougueux de savoir qu’il reviendra. Elle donne parce qu’elle a confiance. Et c’est renforcé par ce don, fort de cette confiance que Thésée s’avance.

Chacun de nous doit affronter ses minotaures, chacun de nous peut arriver à les identifier, les combattre, chacun de nous peut décider d’entrer dans le labyrinthe. On peut se sentir enthousiaste et foncer. On peut aussi être simplement courageux, c’est- à-dire mesurer le danger et les risques, donc aussi avoir peur. C’est la volonté personnelle qui sera à l’origine du combat à mener. Ce n’est pas contradictoire avec le fait d’avoir besoin d’une Ariane à ce moment-là. Mais celle-ci n’apparaît-elle pas uniquement à ceux qui se sont décidés ? Le miracle advient pour ceux qui y croient, et l’on fait les rencontres que l’on doit faire. « Rencontre-t-on quelqu’un par hasard?»  aime à suggérer Françoise Bernard…

Pour que le Minotaure que nous affrontons soit neutralisé, il est nécessaire de trouver à côté de soi, à un moment donné, l’Ariane qui nous écoutera.  Peut-être saura-t-elle entendre et comprendre le combat mené, mais ce n’est pas indispensable. Ariane vient en aide à Thésée, d’une façon ou d’une autre. Le mythe tel qu’il est raconté ne dit pas explicitement les raisons, les motivations d’Ariane.

Elle veut aider celui dont les yeux brillent d’un enthousiasme contagieux. Elle n’adhère pas forcément à sa quête :  Les Arianes que nous pouvons identifier, le sont souvent après coup. Quand elles sont reconnues.

L’un des outils-jeux rencontré au cours des séminaires consiste à identifier, aux côtés de ses Minotaures, les Arianes rencontrées. Pour nos élèves de quatrième, il n’est pas surprenant pour eux de trouver cités les parents, la famille, les amis, et de temps en temps aussi, faisons-nous plaisir, les enseignants.

Ce qui est plus surprenant, c’est de dire ou d’entendre de la part des autres que ces mêmes références – parents, amis, enseignants– peuvent être rangés du côté sombre de la force, dans le clan des Minotaures !

La révélation de cette ambiguité permet d’ouvrir la parole, de préciser les choses, de constater qu’effectivement, selon les moments et les personnes, les mêmes fonctions peuvent basculer d’un côté ou de l’autre. Elle permet aussi aux uns ou aux autres de réaliser que les Arianes ne sont pas forcément celles qui aident. Les réponses évidentes du style « ben c’est normal, c’est mes parents, c’est mes amis », évidentes au départ pour certains,  ne le sont pas pour tous, ne le sont plus en fin de séminaire. Ce qu’apporte Ariane, les formes du fil si vous voulez, peut prendre des formes variées, pas toujours identifiées par les élèves de quatrième. L’Ariane que vous reconnaissez comme telle, ne sait peut-être pas qu’elle  – ou il- a pris pour vous, un moment, cette figure symbolique.

Parenthèse. Le débat sur cette aide censée venir de la part des enseignants démarre très vite, libérant fréquemment une vigueur étonnante dans les propos, preuve que cette parole est trop souvent contenue. Du coup elle a du mal à se canaliser !  Ce n’est pas l’un des buts affiché du séminaire, mais quand cela se produit, cette pause réflexive proposée à nos élèves dans leur parcours, est une soupape utile, dont il faudrait, dans le quatrième temps du dispositif tenir compte. Fin de la parenthèse

J’ai précisé plus haut que cette rencontre se faisait à un moment donné. Elle se fait aussi sur un temps donné. Car Ariane abandonnée, c’est aussi cela. Comme Thésée, on oublie souvent nos Arianes. On oublie que ce simple fil rembobiné vers la sortie était un don de l’intelligence et de la confiance qui nous a permis de refaire surface. Une fois dehors, quelle valeur a cette pelote de laine en face des efforts monstrueux que nous avons fournis pour vaincre ? Nous sommes « libérés » et transformés sans doute, comme nous avons libéré et transformé le monde sur lequel nous posons les yeux. Et nous pouvons tomber amoureux de Phèdre et laisser Ariane sur la plage de

Naxos… Heureusement tous les héros ordinaires ne sont pas aussi ingrats, et il y a des Arianes qui brillent longtemps…

Le Minotaure n’est pas un monstre que pour Thésée. Il est d’évidence,

dans le mythe un être nuisible et redouté de tous. Même, et peut-être surtout parce qu’il nous ressemble. Symboliquement, c’est le combat de Thésée, pas d’Ariane.

Aider Thésée, c’est prendre un risque, c’est prendre un engagement. Si Ariane aide Thésée, elle accepte de changer, elle aussi, de statut. Elle renonce au trône de Crète, elle part à l’aventure. N’en fait-on pas autant quand on s’engage au côté de quelqu’un ? Ne prend-on pas une responsabilité à accompagner autrui ? Est-il possible de n’être que catalyseur ? Autrement dit, est-il possible de n’être qu’un agent de transformation des autres, sans être transformé soi-même ? Sûrement non. S’il est évident que l’action d’Ariane favorise la mort du Minotaure, que si, en aidant Thésée, elle change aussi le cours du destin de ses proches, elle accepte surtout en fin de compte de se transformer elle-même : de princesse, elle devient fugitive, d’amoureuse, elle deviendra amante délaissée, quelles qu’en soient les vraies raisons. La transformation en immortelle, sa consécration finale par Dionysos et Zeus est le symbole éclatant de cette transformation.

Mais lorsque Dionysos console Ariane et l’épouse, il lui permet d’accéder au rang d’immortelle, il y a là comme un honneur tardif, voire posthume. Le souvenir d’elle, entretenu dans les ciels d’été par la couronne boréale, n’est pas comparable à la gloire du héros, au souvenir du mythe, dont l’essentiel revient à Thésée.  N’y a-t-il pas comme souvent, comme toujours pourrais-je dire, initié par une approche archaïque, maintenu par une volonté dominante au fil du temps, un atavisme qui fait de ces figures de femmes « des allégories confuses, des figures imaginaires » ? Figures et allégories bien loin des réalités sociales et historiques vécues par les femmes auxtemps qui ont vu naître et se perpétuer ces mythes !…

Les variations de la figure d’Ariane, au travers des versions d’un mythe intemporel, le don de sa confiance, son abandon par celui qu’elle a aidé, et sa métamorphose finale, font bien d’elle cette figure symbolique, riche de possibles, source d’éclairages nouveaux, aux couleurs personnelles que chacun de nous voudra lui donner. Elle est cette âme dansante, variant ses pas, ses figures au sol ou dans l’espace, nous apprenant à danser notre vie, à construire notre chemin pour sortir du labyrinthe, mais aussi à l’extérieur du labyrinthe, en pleine lumière. Ariane est celle qui nous permet de revivre, de faire naître ce héros intérieur que chacun porte en lui, d’être chacun à sa manière, à partir du plus profond de nous, en quelque sorte, héroïque, enthousiaste et allant de l’avant.