Sorry, i will speak french.
Je suis venu pour rendre hommage au travail de votre groupe et à celui d’Hélène Sheehan qui a pris cette initiative à mes yeux remarquable, de traduire ce livre sur l’hystérie en anglo-américain, ce livre que j’ai écrit il y a quarante ans et au sujet duquel je me suis disputé avec Lacan.
Le psychanalyste n’enseigne pas un dogme mais il répond aux questions, à vos questions. Néanmoins, je vais vous faire une remarque que je crois originale : pour pouvoir exprimer son hystérie, il faut toujours être au moins deux. On ne peut pas exprimer son hystérie, seul.
L’obsessionnel s’occupe à être seul avec lui-même. Mais l’hystérique a besoin d’un interlocuteur, ce qui a une conséquence très importante. Parce que ça veut dire que la pathologie, la maladie, elle n’est pas chez l’un ou l’autre des interlocuteurs, mais elle est dans l’interlocution elle-même.
Ça, c’est formidable parce que si je cherche l’endroit et la cause de la maladie, je ne dirai pas bêtement qu’elle est chez l’hystérique, mais qu’elle est entre lui et son interlocuteur.
Comme vous, peut-être, j’ai été très ému de voir que Lacan faisait de l’hystérie un discours.
C’est -à-dire l’une des quatre façons que le langage nous permet pour communiquer entre nous.
Ça veut dire que quand je rentre dans le langage, il y a là une place qui m’attend dans ce qui est de mon adresse à autrui, et cette place s’appelle l’hystérie.
Comme je suis de nature audacieuse, je vais vous dire tout de suite en quoi elle consiste cette place, et peut-être que vous voulez vous même y répondre tout de suite.
Qu’est-ce qui est le plus fort ? Est-ce que c’est d’avoir le phallus ou est-ce que c’est d’y avoir renoncé ?
Est-ce qu’être le plus fort, c’est d’avoir l’insigne phallique, d’être un homme, ou est-ce qu’être le plus fort, c’est la castration ?
Freud n’avait pas les idées claires sur cette question.
Il disait que les hommes ont horreur devant l’idée de la castration. Or, nous voyons tout le temps autour de nous la façon dont les hommes délèguent leur pouvoir aux femmes, et les enfants à la maison savent très bien qui a la réalité du pouvoir.
Et cette réalité du pouvoir, c’est la question développée par le petit Hans : il ne parle que de ça. Et s’il est phobique, c’est parce que la mère ne reconnaît pas le pouvoir de l’instance phallique. Mais — vous voyez, je suis malgré moi engagé dans un cours, dans une leçon… Je fais n’importe quoi — lorsque Lacan donne la formule du discours hystérique (sic), S barré poinçon de a, il veut dire quoi ?
Il dit que lorsqu’un sujet parle, et je dis bien « un sujet », il s’autorise depuis un lieu dans le grand Autre — vous voyez, là, je suis obligé de faire un peu de dogmatisme, je n’ai pas le choix — et ce lieu est une coupure, une coupure dans le grand Autre, et qui a comme visée un objet et qui est l’objet du fantasme de ce sujet. C’est-à-dire de l’objet qui serait capable de réparer cette coupure, et que la jouissance soit accomplie, soit parfaite.
Cette situation hystérique est la situation de n’importe quel sujet, comme je suis un sujet quand je vous parle, mais qui devient d’expression pathologique quand il témoigne que cette coupure dans le grand Autre n’a pas de limite, qu’elle est infinie, qu’elle a des bords qui sont infiniment écartés, et qu’elle a justement une expression verbale qui est elle-même d’une exigence infinie et absolue, terrorisante.
Ou bien je sais me sacrifier et je réduis cette coupure à une simple fente que je recouds, c’est-à-dire, je fais le sacrifice de mon désir.
Et c’est de l’expression de ce sacrifice que j’attends la reconnaissance d’une autorité absolue. Pour le jeu de l’hystérique, la possibilité qu’elle vous donne, c’est de savoir si vous allez respecter le caractère absolu de la virilité et donc de la maîtrise absolue, dans le sacrifice suprême.
Ça c’est quand même incroyable cette histoire, et cependant nous savons tous, si nous avons été élevés dans une famille, que l’économie d’un couple c’est celle-là.
Et c’est dans cette configuration complexe que l’enfant a à trouver son identification sexuelle.
Je continue de bavarder… Il y a un exemple sensationnel de ce que je raconte : c’est l’anorexie. Ça a l’air énigmatique l’anorexie des jeunes filles et pourtant, c’est incroyablement simple. Qu’est-ce qu’elle veut être ? Elle ne veut pas être une fille puisqu’elle veut effacer toutes les traces corporelles de la féminité.
Elle veut être un Un, sans aucune autre forme. Juste Un. C’est-à-dire fonder une population féminine. Lacan dit : la Femme n’existe pas, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’ensemble d’unités qui serait celui des femmes. Eh bien l’anorexique dit : oui, il va y en avoir un, ensemble d’unités qui fondent l’existence, le phallus pur.
Et essayez d’imposer votre autorité à une anorexique, vous verrez le résultat.
Je vais quand même m’arrêter sur une dernière remarque : l’hystérique a toujours eu une pathologie polymorphe.
Mais aujourd’hui en 2022, elle a une pathologie qui n’aurait pas rendu la psychanalyse possible, qui n’aurait pas permis la naissance de la psychanalyse si Freud n’était pas par hasard intervenu. Pourquoi ? Pour une raison très simple.
C’est que le symptôme hystérique au temps de Freud était l’expression, la traduction motrice figurée d’une formulation qu’elle ne savait pas articuler. Par exemple, si elle avait pour symptôme de ne plus pouvoir tenir debout, eh bien c’était la traduction du fait qu’elle venait de perdre son père et qu’elle n’avait plus de soutien. Donc le symptôme hystérique était la traduction d’une pensée formulée, écrite, qu’elle ne pouvait pas extérioriser autrement.
Et lorsque le professeur Breuer a déchiffré ce symptôme, il s’est passé quelque chose qui reste incroyable : Anna O est tombée amoureuse de lui. Pourquoi elle est tombée amoureuse de lui ?
Aujourd’hui la situation est complètement différente pour la raison suivante : l’hystérique venait chercher la reconnaissance de son interlocuteur. Elle voulait être reconnue par lui, c’est-à-dire justement être la une que son statut féminin lui interdisait. Aujourd’hui, non seulement l’hystérique ne cherche pas à être reconnue par son interlocuteur, mais elle a retourné la situation, et c’est son interlocuteur qui doit chercher à être reconnu par l’hystérique.
Aujourd’hui nous voyons facilement dans les démocraties comment les autorités cherchent à être reconnues par le peuple. C’est comme s’il y avait un référendum permanent.
J’ai entendu hier un nouveau roi dire une chose incroyable. Il a dit : « Je serai le serviteur du peuple ». Nous y sommes habitués et ça a l’air simple. Mais un roi qui dit au peuple : « Vous avez de la chance car vous avez trouvé un bon serviteur », c’est quand même un événement.
Bon, concluons maintenant ma non-conférence : on peut voir que l’hystérie dévoile que notre principal désir n’est pas objectal mais narcissique. Eh oui.
Nous tous qui sommes ici dans cette pièce, notre premier désir est de nous faire reconnaître, nous faire reconnaître comme quoi ? Comme psychanalyste bien sûr.
Mais là il y a un problème, car il n’y a pas d’insigne caractéristique du psychanalyste. Il y a des insignes caractéristiques de l’homme ou de la femme. Il y a des insignes caractéristiques du professeur parce qu’il a des kilos de savoir.
Mais le psychanalyste, il n’a pas des kilos d’interprétations.
Alors, s’il n’y a pas d’insigne caractéristique du psychanalyste, comment les psychanalystes font pour se reconnaître ? Eh ben, ils ne font pas bien, car ils font comme tous les groupes sociaux, c’est-à-dire à essayer de se montrer narcissiquement le plus fort.
Le résultat n’est pas très bon pour les psychanalystes.
Donc je trouve qu’avec nos amis qui sont venus de France pour travailler avec vous, vous avez raison de vous confronter à ces questions premièrement, et deuxièmement de chercher à les résoudre.
Jamais je n’ai entendu Lacan dire du mal d’un psychanalyste.
Il a pu dire que ce qu’il racontait n’était pas juste, mais c’était une discussion technique ou scientifique, ce n’était pas une discussion morale. Il était comme ça, Lacan.
Je l’ai vu recevoir beaucoup de flèches, comme St Sébastien. Il n’a jamais bougé ni répondu.
Est-ce qu’il était un saint ? Je peux garantir que non. Alors qu’est-ce qu’il était ?
Etait-il un hystérique ? Non. Il n’était pas un hystérique. Alors qu’est-ce qu’il était ?
Eh ben vous allez me permettre de réfléchir à cette question dont la réponse n’est pas sans intérêt pratique.
Donc voilà, je suis désolé d’avoir dû faire en français ma non-conférence, mais si vous avez une question et si on a le temps…
— Gérard souhaite vous poser une question.
— D’abord je voudrais vous remercier très chaleureusement ce que vous nous dites, qui comme toujours ouvre des portes qui sont importantes pour nous. Il y a deux petites choses que je voudrais vous dire : vous parliez tout à l’heure des nouvelles modalités du maître moderne.
Mais ce maître n’est-il pas précisément hystérique, c’est-à-dire que plus il se montre malheureux, plus il a aussi une chance d’occuper sa place, et dès qu’il montre ses poils de la virilité, ça tourne très mal.
Ch. M. — Vous pouvez répéter la question ?
— C’est à propos du maître moderne qui souvent se met du côté de l’hystérie, c’est-à-dire qu’il se montre comme un maître malheureux, mais lorsqu’il présente quelques poils de sa virilité, ça tourne très mal.
Et lorsque vous avez commencé la conférence, vous disiez que ce livre sur l’hystérie a été à l’origine d’une dispute avec Lacan. J’aimerais vous entendre un peu plus à propos de cela.
Ch. M. — Je commencerai par la dispute. C’est que je tenais l’hystérie comme l’expression pathologique d’un rapport social. Or le discours de l’hystérie tel que Lacan l’écrit, dit que c’est la pathologie sociale qui est hystérique. Autrement dit que le sujet n’a pas moyen d’éviter la pathologie de la relation sociale, autrement dit que notre statut c’est la sociopathie. Et c’est là-dessus que mon optimisme de jeunesse — il se trouve que j’étais jeune à l’époque — a refusé l’histoire du discours hystérique qui est extraordinaire.
Maintenant pour répondre rapidement à votre première question, vous avez parfaitement raison : la mutation du désir au besoin absolu tel que le pratique la modernité, est typiquement hystérique. Donc c’est la forme nouvelle de l’hystérie, où il ne s’agit plus d’articuler, il s’agit simplement de formuler des exigences.
Et donc vous avez parfaitement raison Gérard.
C’est la forme moderne de l’hystérie, mais comme l’essentiel du message qu’elle véhicule c’est le commandement à obéir, cette nouvelle expression de l’hystérie ne se prête plus du tout à la pratique de la psychanalyse. Et c’est pour d’autres raisons que les jeunes viennent chez le psychanalyste. Voilà. C’est bien comme ça ?
— Quelles sont les raisons qui poussent les jeunes à venir en analyse ?
Ch. M. — Elle est très simple. Autrefois on venait parce qu’on était encombré par un désir.
Et on ne savait pas comment le traiter… Aujourd’hui on vient parce qu’on ne sait pas ce qu’il faut désirer.
On vient chez l’analyste pour savoir ce qu’il y a à désirer.
— Merci beaucoup Monsieur.
— Omar !
— Vous nous avez dit qu’il fallait réfléchir à pourquoi Lacan ne rendait pas les flèches qu’il recevait. Est-ce une référence aux stoïciens ? Ou est-ce que vous avez une référence un peu plus avancée sur ce qui serait cette non réponse de Lacan, et qui nous donnerait des pistes sur comment fait l’analyste aujourd’hui dans son groupe.
Ch. M. — Lacan savait que ce n’est pas l’amour d’autrui qui règle le rapport au prochain, mais que c’était la haine d’autrui. Et comme autrui c’est aussi soi-même, c’est aussi la haine à l’endroit de soi-même. Et donc il était inutile d’ajouter la haine à la haine. Lorsque Freud a introduit la pulsion de mort, ses élèves n’en ont pas voulu.
Mais c’est aussi l’époque où il allait commencer son cancer de la bouche.
Donc il vaut mieux avoir quelques réflexions sur l’amour et la haine.
Bravo pour votre travail et à bientôt.
Transcription : Eriko Thibierge-Nasu