Analyticon
À Vincennes (Paris VIII)
Lacan annonce d’emblée que c’est le second et dernier des quatre impromptus initialement prévus.
Il s’adresse aux étudiants du département de philosophie de Vincennes, invité par Michel Foucault dans le but de donner un bref et précis aperçu des quatre discours et de leur pertinence sur le plan social et politique car l’inconscient, disait Lacan, c’est la politique. (La logique du fantasme, 1966-1967)
Mais il dit aussi que « L’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet » dans « Position de l’inconscient » (1966). Et ce qui opère, c’est bel et bien le discours ! Que ceci soit entendu à Vincennes, voilà donc une authentique gageure !
1969. L’atmosphère sur le plan politique et universitaire est plutôt chargée ; d’un côté d’étudiants post-68 cherchant la liberté de jouir à tout prix, de l’autre Lacan, craignant que la psychanalyse soit détournée de son objet et finisse par y participer, qu’elle devienne un pur produit universitaire et que le discours psychanalytique soit ainsi vidé de son essence au profit d’un savoir plein universitaire était en effet bien fondé. La délivrance d’unités de valeur en psychanalyse – un projet en cours – confirmerait ainsi la pleine valeur d’une formation pratique universitaire diplômante de la psychanalyse.
À juste titre Lacan se montre inquiet et demande une reconnaissance d’utilité publique pour sa propre école fondée en 1964, l’École freudienne de Paris, afin de garder l’habilité de former des psychanalystes. Il refuse le poste de responsable du département de psychanalyse à l’université de Vincennes et laisse la place à Serge Leclerc. Leclerc, enfin professeur, mène une direction sans succès. Lacan, déçu, demanda sa démission.
Comme nous l’avons vu, la première séance s’est déroulée de manière spectaculaire dans une ambiance agitée et peu réceptive : Lacan se prête à l’écoute des étudiants.
Sa présence dans ces lieux perturbés et expérimentaux est stratégique et politique. Entamer, faire une découpe, prélever un peu de cette jouissance nouvelle, introduire à partir d’un discours Autre, différent de celui auquel sont habitués ces étudiants, une réflexion sur leur place stratégique telle qu’elle s’inscrit dans un certain discours : le discours universitaire issu du discours du maître.
La loi d’orientation de l’enseignement supérieur vient tout juste d’être publiée au Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale.
Lacan en lit un extrait et en propose une lecture, d’écriture à travers l’un des quatre discours qu’il a précédemment annoncés, celui qu’il a rendu obscur, le discours universitaire : S2 (enseignement supérieur) comme agent s’adresse à un objet a (dit : évolutif de la société ; en l’occurrence ici à l’étudiant, l’étudiant responsable dans son propre destin) qui incorpore un premier savoir inconscient sous la barre en tant que sujet auprès duquel « on (l’université) fait irruption » !
Vous êtes « pondus pour boucher le trou », vous êtes projetés, objets d’espoir des études secondaires ! Prévus pour et par l’université : « vous êtes une unité de valeur » ! Un à un… L’unité de valeur devenant ensuite signifiant maître à la place de la vérité sous la barre du savoir universitaire dans le discours universitaire.
Voilà comment Lacan tente d’éclairer son public sur ce à quoi il participe, de manière passive. « J’essaye de vous désorienter ! » À entendre : de vous rendre responsable du discours auquel vous participez, à vous avertir quant à ce qu’il contient et à quoi il conduit… l’effet du discours sur un plan collectif. Un discours, ça tisse un lien social.
Pour démarrer : le discours du maître. En haut à gauche, S1 qui initie un mouvement vers « l’appareil du savoir » S2. Le signifiant maître s’impose à l’Autre, au savoir de l’Autre – ce qu’on appelle la science – n’en est séparé que par une coupure, un dépôt, une valeur d’échange – dira Lacan, l’objet a, sous la barre qui fonctionne dans la valeur capitaliste comme plus-value. La science, comme appareil de savoir, n’est pas une affaire de progrès de la connaissance mais quelque chose qui fonctionne donc au bénéfice du discours du maître avec une plus-value dans les dessous, sous forme du fantasme qui permet de comprendre la servitude de l’objet a, étudiant, et son rêve quant à l’être et l’à venir…
« Le sujet n’a de rapport à l’objet de son désir que à travers du discours et ce dernier est produit de la chaîne des signifiants. » C’est ce qu’écrit Lacan à partir du discours du maître et il me semble que ceci aura été souligné la dernière fois.
Quand il énonce à forte voix « Vous êtes de vraies valeurs en ce sens que vous faites partie du mouvement, du mouvement numérique qui va soutenir le mode d’échange, le mode de marché qui constitue la société capitaliste », « Ce sont des choses très sérieuses ». Nous entendons d’ores et déjà ce qui motive l’écriture du cinquième discours, celui du capitaliste qu’il soutiendra à Rome en 1972. (Cf l’intervention de Géry Paternotte du 17 octobre 23). Mais la foule ne semble rien entendre, rien voir. Ni le message qui leur est adressé ni ce à quoi ils participent sans comprendre : une plus-value incarnée dans une société capitaliste ! L’étudiant ?
Et justement « C’est sur nib (rien) que vous avez à compter » autrement dit avec cette position c’est attiré par la foule, la masse entourée de quelques rebelles prises dans une idéalisation imaginaire que vous allez errer… tel que Freud l’avait déjà démontré dans « Massenpsychologie und Ichanalyse ».
Et ce que cela produit : c’est le discours du maître ! Lacan reprend ce point central de son premier Impromptu : » ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez ! ».
Le discours que vous soutenez, c’est un discours de maître et le produit de ce discours, ce qui tombe sous la barre de S1 à S2 c’est vous, les petits produits du discours, plus-values incarnées sur la place de l’objet a… vous allez voir vers où cela vous conduit.
Et pour attirer un peu la curiosité des étudiants qui sembleraient enfin se taire… il donne un petit avant-goût à la suite du séminaire. Sachant qu’il n’y a que très peu d’étudiants de philosophie et de psychanalyse dans la salle et que la plupart des personnes présentes sont des habitués de son séminaire, il aborde la sensible question de l’impossible et de l’impuissance.
Avec Freud, l’impossible se trouve au niveau de gouverner, éduquer et psychanalyser.
Avec Lacan, l’impossible, c’est le réel. Et ce réel prend appui sur les mathématiques et la logique qui en découle. Cet impossible-là, ce Réel que privilégie le discours analytique montre « qu’il est le paradigme de ce qui met en question ce qui peut sortir du langage » (ou pire) des discours, comme étant ce qui instaure un type de lien social défini.
Car c’est dans les dessous du langage, dans les filets du langage, là où l’écriture mathématique prend le relais, que c’est écrit : il y a de l’impossible à démontrer le vrai.
La vérité, n’a rapport qu’à ce réel ! Et, dit Lacan « c’est bien pour ça qu’elle ne peut se traduire que d’un mi-dire ». Du réel de la castration, de la condition du parlêtre. Mais dans le discours du maître, S1 soutient et supporte le savoir S2 et garde sous la barre l’impossible rencontre du sujet du langage avec l’objet de son désir sauf sous la forme du fantasme.
Et ce qu’il nomme tendance a-céphale de l’université, dans le discours universitaire, S2 s’adresse à l’objet a, et le garde en position haute « a-céphale », cet objet a, étudiant Scolar qui sans le savoir permet qu’à place de vérité s’inscrive un nouveau signifiant maître S1, révolutionnaire « promotion culturelle de la société »… qui, n’aboutit en fin de compte à rien d’autre qu’à maintenir le discours du maître.
« Car ce n’est que de ça dont se rempare l’impossibilité, c’est de démontrer une impuissance (pouvoir ne pas pouvoir) » concernant ce circuit fermé, cette boucle, ce sur place qui s’y produit dès lors que ces comportements révoltés ne font que servir le système, c’est-à-dire le maître et à partir de là, le discours universitaire. Le savoir de l’université, s’il était à l’origine de ce qu’on appelait jadis la culture se résume finalement en un fichage et classement de faits et des choses qui passent, et semblerait ainsi tenir le coup au moins d’apparence… Lacan parle des étudiants et des unités de valeur…
Le vrai déplacement consiste à changer de discours à faire un quart de tour en plus à partir du discours universitaire. Lacan pousse ces étudiants devenus silencieux, les avertit : la vraie révolution c’est une ronde discursive de quatre symboles sur quatre places. Le mode opératoire : la seule façon d’opérer porte sur le savoir universitaire : il faut mettre en question ce que ce savoir propage, refuser le statut d’étudiant en tant qu’objet a, objet du désir universitaire au-dessus de la barre poussant le sujet de l’inconscient sous la barre. Car ainsi inscrit, la jouissance est accessible à une comptabilité capitaliste alors que ce Scolar, docile étudiant ne fait que rêver du socialisme ! Rejoignez la ronde discursive, passez un quart de tour !
C’est dans cette promotion faite du discours Analytique à partir du discours Universitaire que s’exprime l’espoir de Lacan !!! Car le réel quand il surgit en haut à gauche, crée un nouveau signifiant maître et ce décalage donne enfin sens ! Il rend compte de la condition incontournable du parlêtre, de son rapport à la castration.
Avec l’accord de l’auteur pour publication.