Font toujours parler d’eux.
16 juillet 2024

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CACCIALI Jean-Luc
Billets

Le 20 février 2019  Charles Melman écrivait à propos de l’antisémitisme, qui comme toujours sévissait en France, un édito pour notre site (qui peut donc se consulter) dont le titre était : « Font encore parler d’eux » et je l’avais interrogé à ce propos au cours de l’un de nos entretiens [1]. Il me parait très important, en ces temps d’orages, de rappeler sa réponse.

 

Il avançait une thèse originale, disant que dans la tradition religieuse qui est la nôtre, nous pourrions ajouter culturelle, le juif est ancestral et qu’en chaque chrétien il y a du juif et que c’est justement le juif que la tradition chrétienne a rejeté pour célébrer le fils, le fils martyr par amour pour le père. Le fils venant se faire rejeter à la place du père que le mythe religieux rejette lui-même. Il y a donc en chacun de nous, en tant que chrétien, du juif ancestral à rejeter et à rejeter en tant que figure paternelle – puisque la religion juive est la première et originaire religion si l’on peut dire – la figure paternelle c’est-à-dire ce qui se trouve inéluctablement lié au sexuel, à la violence, à l’impératif. On conçoit dès lors, même s’il n’y a plus de peuple juif, qu’il y ait néanmoins des juifs partout puisqu’ils sont en chacun de nous, que c’est la part que chacun, ne serait-ce qu’à suivre le mythe religieux, a à expulser.

 

 Il considérait que l’éradication opérée par les nazis pendant la dernière guerre avait réussi, que les populations Juives d’Europe avaient disparu – la culture ashkénaze est éteinte en Europe -, s’il n’y avait pas eu les séfarades qui, du fait de l’histoire, ont dû s’exiler et venir en Europe. Il ajoutait que son ami Jorge Semprun avait l’habitude de dire que ce qui manquait à l’Europe ce sont ses juifs. Les travaux anthropologiques montrent qu’il n’y a pas besoin d’ exterminer tous les membres d’une communauté, d’une tribu,  pour provoquer son extinction, le meurtre de l’ancêtre fondateur peut suffire.

 

Et puis il était tentant, mais pouvait-il le faire ? disait-il, de voir dans ce que l’on appelle « le déclin du Nom du père » une opération qui marque à la fois la réussite de cette expulsion et en même temps la dissolution du christianisme puisque celui-ci se maintient grâce à ce rejet même.

 

Il y aurait bien sûr à évoquer aussi  les relations du troisième monothéisme, l’Islam, avec les deux autres mais je souhaitais dans ce très court texte rappeler cette thèse de Melman.

 


 

[1] Flâneries avec Lacan dans l’atmosphère polluée des esprits et de la ville.

Charles Melman, entretiens avec Jean-Luc Cacciali.

Edition Langage