Fonction et modalité du rêve dans la névrose obsessionnelle
16 janvier 2010

-

CACHO Jorge
Textes
Psychoses-Névroses-Perversions



Jorge Cacho : C’est une question qui m’avait beaucoup intéressé [1] mais que je n’ai pas pu travailler à l’époque où, au Collège, nous avions travaillé pendant deux ans la question du rêve. En travaillant cette question, je suis tombé sur ce texte de Freud qui concerne L’homme aux rats, mais qui n’est pas dans les Cinq psychanalyses, mais qui se trouve dans le Journal d’une analyse. Ce qui me semble intéressant d’emblée, c’est de dire que « l’homme aux rats » a permis à Freud, non seulement d’élaborer la théorie de la névrose obsessionnelle, mais que c’est le premier cas de la nouvelle technique comme il l’appelle, autrement dit de la libre association. Ce qui donne toute une autre direction de la cure, du travail de Freud et donc, par la manière dont il va aborder la cure à travers cette nouvelle technique ça va induire nécessairement des modifications dans le discours du patient.

Le texte dont je vais parler est très bref ; ça se trouve dans le Journal d’une analyse ; vous le trouverez dans l’édition PUF, à la page 113 et 111. Je parlerai donc de ce texte, je ferai une lecture comme j’ai pu le faire, et puis je ferai aussi plusieurs allusions de Freud toujours dans le Journal, sur le rêve, la fonction du rêve et la modalité du rêve dans la névrose obsessionnelle. D’une certaine manière ça reprend la question que tu as proposée ; je dois dire d’ailleurs que j’ai trouvé extrêmement positive la manière dont vous travaillez dans ce séminaire, puisque on voit tout de suite comment ça éveille les questions de la salle. J’ai l’expérience du Collège et si le Collège a eu du succès c’est justement du fait que cette manière d’enseigner produit ces effets au lieu de laisser les gens, dans une position de grande passivité, dont on ne sait pas très bien à quoi ça correspond ni si ça sert à quelque chose.

Le texte est le suivant… Bon, je vais le lire dans la traduction, parce que nous nous trouvons là avec un problème de traduction puisque le texte de Freud est écrit en allemand, je ferai quelques remarques de l’allemand que j’ai oublié. Le texte en français dit ceci : « On n’interprète pas les rêves car il n’est précisément que l’idée obsédante plus nette » La traduction française a mis nette au lieu de klarere, plus clair, « plus nette, dont il… », l’obsessionnel, l’homme aux rats, « n’ose pas se rendre compte pendant la journée » ; donc est plus nette parce que, pendant la journée, il n’ose pas la reconnaître ; Freud revient à la théorie du refoulement par manque de courage : il n’ose pas. « Ces rêves… » Je dois faire tout de suite une remarque puisque « on n’interprète pas« , on ne sait pas qui est le sujet de cette phrase, est-ce que c’est l’homme aux rats, est-ce que c’est Freud ? C’est donc une formule impersonnelle qui correspond parfaitement à l’écriture allemande. En allemand en plus, le mot rêve n’est pas écrit Traum, mais tr, deux lettres qui n’ont aucune signification, qui sont des raccourcis, des condensations disons, pour employer le terme freudien de L’interprétation des rêves justement, de concentration d’un mot dans deux lettres, et c’est constant dans l’écriture de Freud dans le Journal. Vous trouverez Zwangsvorstellung, la représentation obsédante par « zw« , et ainsi de suite. Quelle est la fonction de ces lettres dans le texte lui-même ? C’est une question que l’on peut se poser …

Il continue : « Ce rêve » dont on ne connaît pas pour l’instant en quoi il consiste «Ce rêve d’aujourd’hui, l’a beaucoup affecté ». J’insiste sur le fait sur lequel il va revenir tout de suite, le fait que le sujet est affecté par le rêve, alors par quoi, par quel élément du rêve est-il affecté ? Est-ce qu’il est affecté par l’ensemble du rêve, est-ce qu’il est affecté par quelque chose du rêve, ça nous le verrons en analysant le rêve lui-même. « Il est beaucoup affecté car il fait grand cas du rêve », c’est curieux, il fait grand cas du rêve alors que la plupart du temps, vous le verrez, ou bien il le raconte et il n’y a pas d’interprétation, ou bien il les oublie systématiquement.

Freud établit la structure de la névrose obsessionnelle, pas sur un rêve, mais sur un fantasme, le fantasme de la pénétration anale par le rat qui a donné à Freud l’occasion de nommer ce patient « l’homme aux rats« , c’est-à-dire l’objet justement qui est inclus dans son fantasme, fantasme organisé à partir de la manière dont le capitaine cruel, comme il l’appelle, a raconté cette histoire. « Ils ont joué un rôle important » donc les rêves, « dans son histoire et ont vraiment provoqué des crises ».

Voilà aussi une des fonctions du rêve, mêmes s’ils ne sont pas interprétés, ils provoquent des crises. On a évoqué aujourd’hui que l’interprétation peut provoquer des altérations qui ne sont pas toujours positives, enfin on ne les considère pas toujours nécessairement comme positives ; là nous avons affaire à quelque chose qui ne dépend d’aucune interprétation, sinon de l’affectation du sujet par le rêve qui produit chez lui des crises.

Venons maintenant au rêve : « D’abord » dit Freud à la page 111 « Le lendemain, suite de ses associations ». Le patient fait l’association suivante « son comportement » le comportement du patient « envers une certaine Reserl » Reserl  c’est un nom propre diminutif – c’est déjà quelque chose qu’il nomme cette femme par un diminutif – de Thérèse ; on peut entendre aussi déjà une certaine position de cet homme à l’égard des femmes, « qui est fiancée » donc qui a un autre homme « mais qui lui manifeste beaucoup d’affection » voilà le mot affection qui est de retour « Il » l’homme aux rats « lui a volé un baiser mais en même temps… » ; en même temps, c’est l’aspect si vous voulez, automatique de la réponse, il suffit qu’il y ait quelque chose de l’émergence d’un désir, d’un désir qui est provoqué par l’affection que Thérèse, c’est-à-dire que Reserl  provoque chez lui, mais dont lui est l’acteur, c’est lui qui prend l’initiative puisqu’il lui a volé un baiser.

Alors, sur le mot volé, je vais faire quelques remarques puisqu’il y a ce rapport au vol, c’est-à-dire à tenter d’obtenir par l’autre ce dont il est privé1. Vous avez quelques lignes plus tôt : « Il commence à se comporter comme un ladre », ce n’est pas le même mot, mais il y a cette dimension de la privation et de comment résoudre ses problèmes de sa privation. Il y a aussi d’autres mots qui font référence constamment à la problématique du vol. Par exemple : « Suit un souvenir de son enfance : son père l’avait poussé à prendre un porte-monnaie dans la poche de sa mère » à ce moment-là, c’est sa mère

qui a cet objet dans sa poche « et à y dérober quelques Kreutzer2 ». « Il lui a volé un baiser mais en même temps il a l’idée obsédante, affligeante » le mot va venir souvent dans le texte allemand « d’un mal survenant à la dame, quelque chose comme le fantasme éveillé par le récit du capitaine Nemeczek ». Dans le séminaire de Melman sur La névrose obsessionnelle, il dit que ce nom : Nemeczek, dans la langue tchèque, ça veut dire muet, le capitaine muet…

Bernard Vandermersch : Ça renvoie aussi aux Allemands…

Christiane Lacôte-Destribats : Oui, c’est petit allemand muet…

B.V. : Pour les slaves, les allemands sont des muets. Nemeczek c’est un diminutif.

J.C. Voilà à nouveau un diminutif, mais ce qui est intéressant c’est que le capitaine, celui qui chez lui a induit par son récit le fantasme que j’ai évoqué à l’instant, et bien, il est muet, autrement dit qu’il est sans voix. C’est la question de l’absence de voix qui joue une fonction dans cette organisation du fantasme. « Ce qui, à l’état de veille, ne lui est apparu que d’une façon fugace, le rêve de la nuit… » C’est intéressant, il ne dit pas le rêve, mais le rêve de la nuit ; il y a le fantasme de la veille et le rêve de la nuit, alors est-ce qu’il veut faire entendre qu’il y a des rêves qui ne sont pas de la nuit ? C’est le cas probablement de « l’homme aux rats » puisque, dans son fantasme il est plus clair que dans son rêve. Nous verrons en quoi il est plus clair, c’est une question que l’on peut se poser : est-ce qu’il est plus clair ou pas ?

X : Tu n’avais pas dit que c’est plutôt dans le rêve qu’il est plus clair ?

J.C. : Dans le rêve ? Tout à fait…

R.Ch. : Le rêve est plus clair…

J.C. : Oui, tout à fait…

R.Ch. : Parce que tu viens de dire le contraire…

J.C. : J’ai dit le contraire ? J’ai dit le contraire, je pense que c’est parce que c’est très problématique et je dirai en quoi. En lisant la première fois ce paragraphe il m’avait semblé que c’était plus clair dans le fantasme, et pourtant Freud dit que c’est dans le rêve. Alors, j’ai une hypothèse que je veux soumettre à votre appréciation et on pourra en discuter ; mais, de toute façon il parle du rêve de la nuit qui le dit d’une manière plus claire, plus clairement, et c’est le même mot « klarer« . Maintenant le rêve « Reserl est chez nous », changement d’espace, ça change c’est pas lui qui est chez Reserl mais c’est Reserl qui est chez nous « Elle se lève comme hypnotisée ». Est-ce que nous pouvons entendre comme la position d’un sujet qui est disparaissant…

Ch.L. : Ça veut dire elle se tient en allemand, « steht« , il traduit par elle se lève

J.C. : « Reserl est chez nous, elle se lève comme hypnotisée et pâle » hypnotisée : « hypnotisiert« …

Ch.L. : Non c’est « steht » qui pose problème

B.V : Oui, mais il y a peut-être une préposition

J.C : Oui, « auf« 

Ch.L. : d’accord. Mais c’est ce qui fait image dressée.

J.C. : « Elle est chez nous, elle se lève comme hypnotisée et pâle, se place derrière ma chaise et m’entoure de ses bras. C’était comme si j’avais voulu me libérer de son étreinte, comme si, chaque fois qu’elle frôlait ma tête ». C’est le mot frôler qui va jouer un double-sens «…frôlait ma tête, il arrivait à la dame quelque dommage, un dommage dans l’au-delà aussi » pas seulement dans ce monde mais dans l’au-delà aussi ; mais on ne dit pas quel est le dommage dans le rêve, on dit pas quel est le dommage qui va lui arriver « Cela c’est passé automatiquement comme si le dommage avait déjà été produit par la caresse ».

Voilà donc ce rêve qui nous pose un certain nombre de questions. Je ne veux pas citer, parce que ça serait trop long, les pages où Freud parle des rapports de « l’homme aux rats » au rêve dans le Journal. Vous avez page 163 où « Le patient interrompt son rêve pour me communiquer son transfert ». C’est donc une des rares sinon la seule allusion de Freud à un texte du rêve qui a commencé à être analysé mais qui a été tout de suite interrompu par le transfert ; c’est curieux, comme si, dans le rêve, il n’y avait pas déjà du transfert. Freud ne considérait pas que le rêve était en lui-même une manifestation transférentielle. À la page 117, il y a, et cela me semble assez intéressant, trois rêves sans interprétation, tous sont sans interprétation, trois rêves d’examen.

Dans le troisième rêve d’examen, mais de son troisième examen, il y a le chiffre trois, soit parce qu’il raconte trois rêves, soit parce que dans le troisième, il y a encore un trois.

Dans L’interprétation des rêves, Freud donne l’interprétation des rêves d’examen. Nous pouvons l’entendre comme ce qui concerne le rapport du sujet au savoir, mais un rapport tout à fait particulier au sens où dans le rêve d’examen, le sujet n’arrive pas à passer cet examen. Ou bien il rêve qu’il n’a pas passé l’examen, et il est surpris parce qu’il l’a déjà passé dans la réalité. Toutes ces modalités des rêves d’examen connotent le fait que le sujet s’avère en défaut par rapport au savoir comme tel. Alors, est-ce que c’est parce que lui, il est incapable ? Est-ce que c’est parce que dans le savoir il y a de toute façon une faille ? Est-ce que ça s’arrête, la possibilité de signifiance, sur un point où l’on ne peut pas aller plus loin, autrement dit la symbolisation se trouve arrêtée par le réel, le réel du savoir dans ce cas. De toute façon nous avons affaire à un savoir qui est, disons, défectueux, il y a un manque dans le savoir. Dans L’interprétation des rêves, vous avez à la page 238, la question du rapport au savoir que Freud noue aux peurs enfantines, de l’enfance ; il n’explique pas pourquoi c’est une des modalités de la source infantile du rêve.

Il y a une remarque importante sur laquelle je reviendrai plus tard, mais je fais déjà la remarque suivante : à la page 131 du Journal, Freud dit que « Les idées inconscientes du rêve dans lequel le patient entend des voix » ce n’est pas comme le capitaine muet,  le rêve parle, il y a de la voix dans le rêve, et Freud a dit que dans le rêve, quand il y a ces voix intérieures, comme ils les appelle, ce sont des voix qu’a entendues le rêveur dans la réalité et ce sont les voix de la veille. Il tient cette position, c’est-à-dire que la voix est extérieure au sujet. Vous avez aussi dans  L’interprétation des rêves à la page 357 ce développement de Freud concernant l’extériorité de la voix, le rapport d’extériorité du sujet à la voix. Nous ne pouvons pas ne pas penser à la voix dans sa dimension surmoïque et donc dans sa dimension de jouissance ou de plaisir, comme tu l’indiquais.

A la page 185, toujours du Journal, il raconte un rêve, mais il n’en sait rien. Et puisqu’il n’en sait rien, ça ne vaut pas la peine de dire quoi que ce soit sur le rêve. Vous voyez déjà s’annoncer un certain nombre de modalités, dans la névrose obsessionnelle, du rapport du sujet à ce que nous pourrions appeler, mais je le dirai entre guillemets, au « refoulement ». Qu’est-ce qu’il en est du refoulement dans cette névrose ? Puisque ce qui dans le sujet non obsessionnel reste refoulé… et c’est le travail de l’analyse freudienne, telle que Freud conçoit la cure, comme dévoilement progressif de ce qui était refoulé, de faire passer le refoulé, dans la topologie freudienne, de l’inconscient au conscient. Sa conception du refoulement est différente de celle de Lacan.

Dans La lettre volée, il considère que le refoulement c’est le refoulement originaire et que l’autre c’est le retour du refoulé, alors que pour Freud le refoulement originaire c’est une condition logique pour qu’il y ait du refoulement.

Dans la Métapsychologie, Freud dit assez peu sur le refoulement originaire, ce sont deux lignes. Il représente une condition logique pour fonder la possibilité du refoulement, du refoulement tout court. Freud dira dans L’homme aux rats, dans le texte des Cinq psychanalyses, il dira à la page 243, il dira que « Dans cette névrose, les pensées inconscientes sont hors du refoulement », alors qu’est-ce qu’il veut dire ? Nous savons, et vous vous rappelez sans doute, que dans les Nouvelles remarques sur les psychonévroses, il va concevoir, il va interpréter les pensées obsédantes comme des reproches transformés – donc les pensées obsédantes pour Freud supposent une transformation, elles prennent donc une autre forme, c’est ça une transformation « surgissant hors du refoulement« . Pour qu’il y ait « hors du refoulement« , il faut quand même qu’il y ait transformation. Vous voyez la complexité, et ça rend la chose assez étonnante, puisque les pensées obsédantes qui apparaissent dans les associations conscientes sont déjà des transformations qui supposent déjà une interprétation du patient, ce qui rend la question encore plus difficile.

Qu’est-ce que c’est que ce refoulement originaire et quel est le rapport avec le retour du refoulé ? Expliquez-moi ce texte comme quoi « Les pensées obsédantes sont des reproches qui ont subi une transformation » ! D’abord en quoi c’est un reproche ? Ce n’est pas si évident, sinon du fait que le sujet sente une culpabilité nous fait penser qu’il s’agit de reproches. Voilà des modalités d’apparition dans la névrose obsessionnelle de ce que nous considérons inconscient. Mais qu’est-ce que c’est que l’inconscient, si nous tenons compte de ce texte ?

À la page 248 de L’homme aux rats dans les Cinq psychanalyses, Freud affirme : « Ce qui était inconscient fait irruption dans la conscience dans leur forme la plus pure », c’est-à-dire que la déformation que ce matériel inconscient a subi pour pouvoir se manifester hors refoulement, et bien, c’est la forme la plus pure ! Cela semble contradictoire alorsque nous serions tentés de dire que ce qui serait la forme la plus pure, cela serait ce qui est avant la transformation des matériels qui sont bruts… La forme la plus pure, dont il dit en même temps que c’est non seulement une transformation, c’est une déformation avant de devenir consciente. C’est une déformation, c’est une transformation, cela a à voir de toute façon avec la forme. Alors est-ce que nous n’avons affaire qu’à la forme ?

C’est vrai que Freud distingue dans le rêve les pensées du rêve, qui sont inatteignables, et le contenu du rêve qui lui peut être travaillé et donc sortir – si j’ose employer cette métaphore de la sortie – sortir de sa position ce lieu de l’inconscient. Seulement dans L’esquisse, et vous vous rappelez sans doute, Freud va faire une distinction tout à fait étonnante et puis à mon avis, assez énigmatique : il dit que « Dans la névrose hystérique le refoulé va occuper un autre lieu que celui de son origine ».

Vous vous rappelez de cette topologie qu’il dessine, il fait un dessin, en haut, en bas, à droite à gauche etc. Dans la névrose hystérique, le refoulé va passer en un autre lieu, il se déplace, il y a donc ce rapport à l’altérité, à l’autre. Ce refoulé vient se placer au lieu de l’Autre, donc dans le réel. Dans la névrose obsessionnelle, Freud affirme que le refoulé reste dans le même lieu, chose qui me semble avoir des conséquences extrêmement importantes pour le maniement de la cure puisque s’il ne passe pas au lieu de l’autre, comment pourrait-on y intervenir ? On a beaucoup discuté sur… si c’est la signifiance, la signification, des différents rapports au sens. On n’a pas évoqué un autre mode d’intervention, c’est-à-dire la non-intervention, mais la non-intervention comme modalité d’intervention et qui n’est pas seulement fondée sur le caprice de l’analyste, mais sur le fait qu’il n’y a pas de déplacement, autrement dit qu’il y a ce refus de l’altérité. A quel titre l’analyste pourrait-il intervenir ? C’est une question qu’on peut se poser sur le traitement de la névrose obsessionnelle.

À la page 256, toujours de L’homme aux rats, il va parler de « déplacement et décharge énergétique dans une action substitutive » et il donne cet exemple chez l’homme aux rats qui joue sur l’accent, même pas sur la lettre, mais sur l’accent, puisqu’il va jouer sur la manière dont le sujet l’accentue, ce mot, puisque le mot d’un point de vue du vocabulaire, du lieu de l’autre, est aber, l’accent tombe sur le a et le patient prononce aber, en voulant dire selon lui ce que aber signifie : mais. En ouvrant la phrase, parce que si vous dites mais, cela veut dire que la phrase devrait continuer, qu’elle ouvre, qu’elle ne ferme pas ; mais le patient accentue le mot sur le e, sur la deuxième syllabe et Freud va interpréter par une autre manière d’écrire abera.b.w.e.h.r. qui veut dire résistance. En général Freud fait son interprétation sur le contenu et dans notre exemple, ce n’est même pas sur la lettre, c’est sur l’accent. C’est vrai que l’accent va avec la phonétisation de la lettre. Une patiente par exemple, qui a eu toujours depuis son enfance quand elle allait à l’école, ce sentiment d’être une ignorante parce qu’elle accentuait une lettre d’une manière telle que tous les enfants riaient, et elle prenait ce rire comme un signe d’infériorité, comme si elle était ignorante, ça l’a marquée. La question de l’interprétation est complexe, subtile et très singulière, puisque pourquoi l’homme aux rats a-t-il mis l’accent là où il ne fallait pas ? Il ne fallait pas d’un point de vue de la phonétique et pourtant c’est ce qu’il fallait, autrement dit que cette formation, nous pouvons la considérer comme une formation de l’inconscient.

Ce que je viens de dire a été suggéré par le débat qui s’est instauré, ne serait-ce que du fait que le rêve, si nous ne sommes pas trop aveugles et trop sourds, que le rêve par son altérité, sa contradiction, son absurdité nous laisse perplexes, non seulement nous surprend, parce qu’il y a beaucoup de choses dans la vie qui nous surprennent, mais cela nous laisse perplexes, autrement dit que nous ne savons pas très bien, nous suivons certaines pistes qui font que nous ne soyons pas complètement égarés. 

Maintenant je ferai deux ou trois brèves remarques, l’une que j’ai déjà évoquée : comment le fragment du discours dans le rêve, Freud l’interprétait – comme je l’ai dit à l’instant et j’ai même donné la page de L’interprétation des rêves – il a toujours entendu cette voix comme venant de l’extérieur, notamment venant du discours entendu la veille, réellement entendu. Cela voudrait dire que le Ça, pour employer la topologie freudienne, la deuxième topique, donne à entendre. Mais donne à entendre pas quelque chose qu’il prend directement, donne à entendre, mais il ne prend pas directement la parole ; donne à entendre la voix, pas la parole ; autrement dit que le sujet ne s’inscrit pas, qu’il n’assume pas, dans un premier temps, il ne peut pas assumer ce qu’il a entendu, Si nous essayons d’entendre Freud à partir de Lacan, qui est une manière de travailler, c’est-à-dire que le fait que Freud pense que ça vient de l’extérieur, nous pouvons l’orienter, l’aborder, de cette manière selon laquelle la voix, par exemple dans les injonctions, le sujet n’arrive pas à s’y inscrire. Seulement que dans la névrose obsessionnelle, il sait que cette voix vient de lui, il ne la reconnaît pas comme xénopathique, comme c’est le cas de la voix dans la psychose. Vous voyez tout de suite une différence.

C’est trop tard ? Je vais essayer de réduire, mais cela me semblait des choses…

C’est-à-dire que ce qu’il a entendu se propose au déchiffrage, cela doit être déchiffré. Nous pouvons dire aussi que dans ces lieux où le Ça se laisse entendre, là où c’était le Ca doit advenir. Le Je. Au lieu où le Ça se laisse entendre, il n’y a pas quelqu’un qui puisse prendre la parole au titre de « je » et donc cela pose la question : qui est le sujet du rêve ? Parce qu’à mon avis il ne suffit pas de dire « le sujet est aboli », c’est plus radical… Alors est-ce que c’est le sujet protopathique pour employer le terme que Lacan emploie quand il fait cette sorte de déclinaison du « je » ; il parle du sujet protopathique, d’un sujet qui serait virtuel mais qui n’est pas encore symbolisé.

Maintenant quelques mots sur la question que Freud évoque dans le journal sur les associations et le rapport des associations au rêve et troisièmement pourquoi dans le rêve, c’est selon Freud plus clair que dans les associations. Dans les associations apparaît clairement le rapport du sujet au clivage, pour employer un terme, une question que Roland a beaucoup travaillée dans son livre et qui m’a beaucoup servi pour mon travail comme analyste ; il y apparaît une modalité du clivage entre le désir et l’amour dans le rapport à la femme, à Thérèse, au diminutif, à Reserl. Deuxième remarque, il y a une différence entre les rêves et les associations, même plusieurs différences. Dans l’association (p.111) c’est Reserl qui prend l’initiative, alors que dans le rêve c’est le sujet qui le fait. Troisième remarque, que j’ai déjà évoquée : devons-nous entendre la problématique du vol, de la fraude, du ladre, du dérobé, tous ces mots qui apparaissent dans le texte, dans quel registre devons-nous l’entendre ? Dans le registre de la frustration, de la castration, de la privation ? Ce n’est pas évident, c’est dans le travail que cela pourra ou bien apparaître ou bien se modifier.

Et maintenant j’en viens au point fondamental qui concerne l’idée obsédante elle-même. L’idée obsédante incarne le fantasme du capitaine muet, cette idée obsédante est articulée par une logique binaire et oppositionnelle qui s’exprime sous la forme conditionnelle : si tu fais ceci, alors il arrivera… C’est une logique bivalente et disjonctive, autrement dit l’une des propositions est l’opposée de l’autre : si tu l’embrasse, alors… Dans quel sens oppositionnelle ? Puisque dans les deux cas aussi bien la condition que la conséquence concernent la sexualité. Seulement que l’objet de la pulsion sexuelle au lieu d’être organisée, cette pulsion, par l’injonction phallique, il est organisé par la pulsion anale. Il y a, comme dira Freud, qui attribue cette pulsion anale aux sources infantiles de la sexualité, une régression. Il y aurait une régression et dans ce sens-là, il y a une transformation.

Dernière remarque : Cette logique bivalente fonctionne par couple. Par couple où s’annule l’un l’autre : si tu fais ceci, il t’arrivera… Devant cette sorte d’alternative, le patient ne fait rien, ni l’un ni l’autre. Ce mécanisme de l’annulation fait du fonctionnement de la névrose obsessionnelle. Maintenant, je vais dire quelque chose concernant l’inconscient. Puisque Freud va affirmer que dans la névrose obsessionnelle, le refoulement va se servir de techniques variées, il s’agit de modalités techniques qui ont un rapport au refoulement, mais on ne sait pas très bien lequel ; ce n’est pas le refoulement tel que Freud l’entendait. Ce sont des techniques liées au refoulement puisque elles ne permettent pas le passage de l’inconscient au conscient, mais qui sont conscientes. Est-ce que à l’origine elles étaient inconscientes et ont été ensuite transformées, modifiées ? D’autre part cette modification représente l’expression la plus pure des pulsions. Il y apparaît une sorte de tissage assez complexe concernant la question du refoulement. J’attire votre attention, sur le fait qu’il y a plusieurs modalités techniques que Freud met en relief, spécialement celles de l’annulation, de l’isolation…

il y en a plusieurs autres.

Mais c’est passionnant ce texte de Freud, comment, et c’est ce qui me semble essentiel pour nous, comment, une fois que la doctrine a été fixée, autrement dit que l’inconscient est le refoulement – sans refoulement il n’y a pas d’inconscient – une fois que cette doctrine a été bien établie, cela permet un certain nombre de modifications.

Finalement, qu’est-ce que je voulais dire, voilà, la question : pourquoi, au lieu d’affirmer, comme le texte le dit, que les représentations inconscientes sont plus claires dans le rêve, j’ai dit que c’était dans les associations que c’était plus clair ; je l’ai dit parce que, à suivre la pensée de Freud, cela devrait se passer comme je l’avais indiqué. Dans les associations apparaît la dimension sexuelle, et d’une sexualité qui correspond à une phase régressive de la sexualité infantile. C’est pourquoi il m’avait semblé que c’était plus clair. Mais en vérité, je m’étais cassé la tête en me demandant : pourquoi c’est plus clair ? Et je me suis dit, c’est plus clair parce que pour nous, la structure apparaît d’une manière plus limpide dans les rêves que dans les associations justement. Dans ces dernières, ce qui compte ce n’est pas le contenu. C’est la structure de la logique binaire ambivalente et oppositionnelle qui permet de déterminer la structure obsessionnelle, alors que si nous nous entretenons, si nous perdons notre temps à examiner le contenu, nous risquons de perdre de vue et de fonder notre clinique sur les signes. Ca serait une clinique des signes. C’est-à-dire que nous ne nous guidons pas par les signes cliniques, nous ne sommes pas dans la clinique des signes, nous sommes dans la clinique de la structure. Voilà les questions que ce texte m’a posé, et je suis content pour moi d’avoir abordé finalement quelque chose qui était resté dans ma tête, allez savoir pourquoi. Voilà, c’est fini.

Discussion

R. Chemama : Oui, écoute Jorge, je crois que l’on peut tout à fait te remercier pour ce parcours dans la complexité du texte freudien et dans laquelle effectivement souvent l’approche de Lacan nous aide à nous repérer, mais c’est vrai que parfois c’est compliqué comme d’ailleurs le texte lacanien parce que parfois l’on a l’impression qu’il dit des choses assez différentes et en fait, on va pas toutes les homogénéiser mais on va voir des fils et des chemins… Moi, je dois dire que pendant une grande partie de ton intervention, je continuais à penser à cette difficulté que tu avais fait valoir que dans la névrose obsessionnelle les pensées inconscientes sont hors du refoulement et je me disais qu’après tout, je pensais que j’allais te proposer ça comme hypothèse mais tu l’as amenée toi-même. L’hypothèse pour comprendre cela c’est évidemment le fonctionnement différent des mécanismes qu’il présente, des mécanismes de défense, il dit, qui sont l’isolation, l’annulation rétroactive, la formation réactionnelle, il y en a peut-être d’autres, et qui effectivement donnent l’idée que le contenu ne passe pas dans un lieu autre, mais tout en restant dans le même lieu est inaccessible. Par exemple, l’isolation c’est le plus net, c’est-à-dire, c’est là, le sujet peut éventuellement dire deux phrases qui se suivent, simplement cela reste séparé, et d’ailleurs, c’est bien entendu à confronter à la théorie du clivage, je te remercie où l’on a cette question : comment peuvent coexister deux contenus contraires sans s’influencer réciproquement? Dont il parle à propos du fétichisme, mais dont il parle aussi à propos de la névrose obsessionnelle, donc si tu veux il me semblait que c’était une réponse.

Simplement là où c’est vrai qu’il y a une difficulté qui subsiste quand même : est-ce que l’on doit dire que ces mécanismes de défense sont hors refoulement ? Il me semble que chez Freud c’est un peu compliqué parce que tout se passe comme si on avait refoulement au sens large en quelque sorte, et refoulement au sens plus précis. Au sens large, cela en fait partie, c’est tout ce qui rend le contenu inaccessible, mais au sens plus étroit ce n’est pas la même modalité et évidemment vraisemblablement et sans d’ailleurs forcément là encore qu’on le conceptualise nettement, nous pratiquons autrement selon les modalités de ces mécanismes. Par exemple, il me semble que cette proximité du contenu refoulé  c’est sans doute ce sur quoi Melman a insisté dans son séminaire sur les névroses obsessionnelles, y compris d’ailleurs par rapport à l’idée que l’objet colle au discours chez le sujet obsessionnel. Il y a quelque chose comme cela qui est tout à fait à envisager, on voit bien comment la pensée obsédante, c’est vraiment l’objet, on a pas besoin d’insister justement pour l’avoir. La question c’est : qu’est-ce que cela induit comme type de pratique ? Alors tu dis : non-intervention, peut-être que dans des cas de ce genre nous intervenons moins, je ne sais pas.

En tout cas pour ton idée du départ « On n’interprète pas » à propos de ce rêve-là, c’est qui ce on ? C’est là qu’il faut penser que vraisemblablement, Freud avait sa conception de l’interprétation qui sans doute n’est plus tellement la nôtre ; est-ce qu’elle était d’avantage pour l’obsessionnel ou pas, je ne sais pas, il faudrait aller voir de plus près, mais qui était que le sujet amenait un rêve et visiblement comment Freud dirigeait la cure ? Freud disait : bon, vous avez fait un rêve, qu’est-ce que l’on va comprendre là-dedans ? C’est-à-dire le « on » les impliquait tous les deux, il y avait une sorte de dialogue autour… Alors, est-ce qu’il pratique différemment là qu’avec Dora, est-ce que cela a des effets différents, est-ce que justement le fait que d’une certaine manière ce n’est pas dans un lieu autre, cela fait que par exemple le « vif » de certaines interprétations n’est pas possible de la même façon ? Je ne sais pas, mais tu as introduit tout à fait les questions ; on laisse en suspend les réponses mais ce sont bien les questions à propos de l’obsessionnel et du rêve, et du rêve quand même d’une bonne partie de nos analysants, parce que même s’ils n’ont pas tous une symptomatologie aussi typique que « l’homme aux rats », ils sont dans ce mécanisme, comme tu le dis aussi très justement, binaire. Quelle est notre intervention par rapport à cela par exemple ? Voilà, il me semble que c’est un exposé tout à fait remarquable dont il faudrait faire un texte. Heureusement que c’est pris en note et que ça va être transcrit.  

J. Cacho : Il y a une question qui me semble importante puisqu’elle a été posée, c’est la question du statut de l’inconscient, puisque dans le séminaire de Lacan de 76- 77, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, il va dire que lui, il va aller plus loin que l’inconscient freudien. Dans la première leçon, la deuxième page ou la troisième, il dit que l’une-bévue, avec le trait de séparation, il insiste beaucoup sur la séparation, va plus loin que l’inconscient. ; c’est cela qui me semble essentiel et qu’il est possible que ses lectures des textes de Freud aient amené Lacan à aller plus loin. Alors en quoi ça irait plus loin ? Et j’aurai un deuxième point, qui nous fait dire Lacan n’était pas royaliste. La voie royale du rêve, c’est parce que, dans le texte que je viens d’évoquer, il affirme que c’est dans le mot d’esprit que l’inconscient se manifeste de la manière la plus claire, autrement dit que le mot d’esprit vient incarner l’expression la plus claire de ce que nous appelons l’inconscient et dont il va plus loin, sans savoir très bien en quoi ça consiste. Mais je veux dire par là que le rêve passe en deuxième, ou en troisième terme.

Il y a une modalité que Freud évoque souvent dans L’interprétation des rêves où il nous donne des exemples, à l’intérieur du rêve, où il y a des traits d’esprit, par exemple canal, Le rêve où apparaît le mot.

R. ChemamaJorge, la question peut-être serait: est-ce que le rapport au mot d’esprit va être le même dans la cure d’un obsessionnel, c’est-à-dire justement du fait que cet effet de surprise du passage d’un espace à un autre n’a pas lieu de la même façon. Ça c’est une vrai question. Je ne sais pas ce que les uns et les autres nous répondrions ?

C. Lacôte: Je voudrais intervenir mais très brièvement parce que Angela doit parler…

Angela FerretoOn peut prendre le temps et je parle à la séance d’après.

R. ChemamaÇa ne te dérange pas ? parce que je me dis ce serait un peu dommage de précipiter et de forcer les choses…

A. FerretoTout à fait, il n’y a aucun problème.

C. Lacôte: C’est  très gentil… Bon, c’est formidable de déployer la complexité freudienne comme cela. Je te questionnerai sur ce qui m’a passionnée, cette idée de transformation : vraiment là, il y a quelque chose de très important, une transformation qui est quelquefois une substitution mais pas toujours, cela m’intéresse beaucoup… Qu’est-ce qu’il y a encore ? Nous avons actuellement tous la même question dans ce séminaire, c’est-à-dire : comment intervenir ? Qu’en tirer comme conclusions sur la direction de la cure ?

Je ferai une remarque, alors, puisque tu a repris L’esquisse et le fait que dans la névrose obsessionnelle il n’y aurait pas de déplacement d‘espace. Tout à fait juste…mais, d’abord, l’immobilité de l’obsessionnel est là pour  témoigner, ne serait-ce que de cela; mais j’irai dans une autre direction, tu sais que je m’intéresse beaucoup aux questions du temps…

J Cacho – Je sais…

C Lacôte – Or il y a un déplacement de temps; il y a dans les textes que tu as cités quelque chose qui m’intéresse, c’est à dire que le châtiment, l’idée du châtiment, l’idée obsédante, le châtiment, doit se poursuivre jusque dans l’au-delà…

J Cacho – Oui absolument, oui.

C Lacôte – C’est très intéressant cela; c’est à dire qu’il y a une espèce d’illimité du temps qui est mise dans la proposition, comment dirais-je, hypothétique; c’est-à-dire « si je fais cela, la dame aura ça », mais « si je fais cela », c’est-à-dire si je fais un acte instantané, ou si j’ai une pensée  qui « tombe », qui « tombe « dans l’esprit, si cela arrive – ce qui est un événement ponctuel – alors dans l’éternité il y aura un châtiment. C’est-à-dire qu’il me semble – et c’est parce que je cherche la façon de situer une intervention dans la névrose obsessionnelle – qu’on peut prendre en compte cette disparité des temps. Tu as beaucoup travaillé aussi dans la dépression, l’éternisation, Roland; mais là c’est autre chose: jusqu’à présent j’avais entendu cet au-delà “passage au-delà de la mort”, mais non, c’est beaucoup plus radical que ça, c’est une espèce ou de temps éternel ou de non-temps.

J Cacho – Annulation du temps

C Lacôte – Annulation du temps. C’est-à-dire qu’il y a une altérité qui n’est pas dans l’espace…

J Cacho – Qui est dans le temps…

C Lacôte – Et qui serait dans le temps… Enfin c’est une hypothèse

J Cacho – C’est une hypothèse, tout à fait. Mais d’autre part, en quel sens ce serait une altérité puisque nous assistons à un continuum? Autrement dit il n’y a pas de coupure.

C Lacôte – Oui, ça c’est une question que je ne sais pas résoudre; mais je ne parlais pas d’un continuum, mais du non-rapport entre l’instant et un non-temps; pour qu’il y ait une coupure dans une continuité … – continuité et coupure vont ensemble – mais ce n’est même pas du continu.

R Chemama – Ce serait à préciser sur le plan topologique…

C Lacôte – Exactement; c’est-à-dire qu’il y a quelque chose dans un temps qui n’est pas en rapport  avec l’autre.

R Chemama – Par exemple est-ce que tu peux distinguer ce que tu dis de l’éternisation dépressive?

C Lacôte – Oui, parce que l’éternisation est justement ce continuum un peu ressassé qui peut, qui pourrait être coupé, tandis que là il y a deux choses, il y a une disparité Enfin c’est-ce que je crois…

J Cacho – Tu entends la différence que tu établis mais je pense que…

P Belot-Fourcade – La seule question, si je peux intervenir, où il y a rupture, c’est dans l’angoisse dans la névrose obsessionnelle ; là, la question du temps se trouve…

C Lacôte – Oui et d’ailleurs tu as…

P Belot-Fourcade – Et c’est le seul point où d‘ailleurs on peut les attraper…

C Lacôte – Oui, à mon sens, tu as raison Pascale, mais ce sont des moments extrêmement critiques, l’angoisse obsessionnelle ; quand elle surgit en séance franchement ce n’est pas commode.

P Belot-Fourcade – Oui mais tout de même, c’est la seule chose qui fait dérailler le continuum.

C Lacôte – Enfin, je mettrais l’accent sur une disparité; ce qui resurgit d’ailleurs sur l’instant, l’instant non mesurable –l’idée obsédante, cela tombe dessus, et il semble qu’il n’y ait ni origine ni fin, que cela tombe dessus  – et puis de l’autre côté tu as ce châtiment qui est dans un autre monde, le monde éternel avec une autre sorte de non origine et de non fin. Mais je ne peux pas dire que ce soit un monde continu…

J Cacho – Tout à fait; je suis très sensible à la manière dont tu complexifies d’une certaine manière et puis tu déplaces, puisque ce n’est plus dans l’espace mais dans le temps, ça me semble important; et la temporalité chez l’obsessionnel est quelque chose de très particulier. Mais nous ne pouvons pas oublier, que dans l’au-delà, nous ne pouvons pas oublier la dimension du rapport de l’obsessionnel à la mort, et là, l’annulation de cette vérité que l’on a à faire à la castration; c’est-à-dire que nous sommes mortels.

C Lacôte – Mais il y a aussi l’annulation de la mort…

J Cacho – Oui, c’est ça. Autrement dit que l’obsessionnel, si nous suivons l’expression Heidegerienne, il n’est pas un être pour la mort.

C Lacôte – Absolument pas!

J Cacho – Enfin, pour lui même.

R Chemama – Il ne se vit pas comme un être pour la mort.

C Lacôte – Il le dénie.

R Chemama – Il le dénie.

J Cacho – Il le dénie. Alors quelle est la formule que nous pourrions inventer si nous voulions jouer avec la formule, l’expression heideggérienne d’être pour la mort? Qu’est-ce que nous pourrions dire chez l’obsessionnel: l’être pour…  je ne sais pas, c’est une question, parce que l’être pour la mort c’est un existentiel, c’est un déterminant.

R Chemama – Peut-être que l’éternité du châtiment c’est une façon de dénier la mort.

C Lacôte – Ah oui, certainement! Mais ce que je voulais dire aussi, c’est que dans les catégories logiques, il y a un truc sensationnel dans l’hypothèse « si je fais cela, il va arriver quelque chose »; c’est que le possible n’existe pas…

J Cacho – N’existe pas.

C Lacôte – Or  une supposition, c’est tout de même la position d’un possible. Poser un possible c’est poser en même temps plusieurs possibles; logiquement on ne peut pas penser autrement: quand on pose un possible, on pose l’ensemble des possibilités, mais là pas du tout. C’est une hypothèse sans possible … Cela m’intéresse beaucoup.

J Cacho – Oui tu as beaucoup travaillé cela, tu avais fait un topo là-dessus.

C Lacôte – C’est Lacan. C’est Lacan qui a beaucoup travaillé là-dessus. C’est que Lacan renvoie le possible à l’imaginaire.

J Cacho – Oui cette dimension est très présente.

C Lacôte – Il y a donc quelque chose au niveau de l’imaginaire qui est très handicapé dans la névrose obsessionnelle; mais ce que tu abordes au sujet de la transformation est vraiment un point très intéressant.

J Cacho – Très intéressant et puis je crois que ça peut nous poser la question: Comment, sur quoi intervenons-nous? Est-ce que c‘est sur la transformation? Est-ce que c‘est sur la déformation? Sur toutes ces modalités qui ont un lien, comme tu l’évoquais, avec l’inconscient au sens large? Sur quoi?

R Chemama – Je me disais, à propos de la transformation, qu’on peut la rapprocher des mécanismes de défenses obsessionnels dont on a parlé. C’est à dire une façon que le contenu se trouve quand même là; au fond il est là, il est transformé mais il est là; et alors peut-être que c’est ça qui fait qu’il m’arrive, quand un sujet obsessionnel raconte un rêve qui est visiblement en rapport avec quelque chose qu’il peut désigner dans le souvenir diurne de la journée précédente, d’indiquer simplement “mais là ça a pris cette autre forme-là”, c’est-à-dire de souligner le changement de forme dans le rêve. Et je crois qu’à ce moment-là, la confrontation des deux, par elle-même, a un effet de travail par rapport à ses effets de sens possibles. Je ne produis aucun effet de sens, j’indique simplement cette transformation. Je crois que je la souligne.

C Lacôte – Peut-être qu’Angela a à dire quelque chose à Jorge?

Angela Jesuino-Ferretto. Non, car je suis partie sur une autre réflexion mais là où l’on se rejoint c’est sur la question : Rêvons nous de l’objet? C’est aussi poser la question du sujet, du sujet dans le rêve et c’est vrai que je vais m’appuyer un peu, Roland, sur ce terme qui est revenu aujourd’hui, qui est la question de la confrontation. Quand tu dis que le rêve confronte le sujet à l’objet, c’est très problématique, et en même temps très intéressant de dire les choses comme cela. Donc c’est un des points sur lesquels je pense que, à ma façon, je vais prolonger ta question: sur le sujet, qu’est-ce qu’on peut dire sur le sujet dans le rêve? Parce que quand on prend le Lacan de 55, il ne dit pas la même chose que le Lacan de 56 … – mais je suis en train de faire la moitié de mon exposé! C’est pour cela que j’ai écrit la formule de la trimethylamine – et ce que Melman va dire et en reprendre sur autre chose. C’est pareil pour la question du sens du rêve, comment à chaque moment aussi bien Freud que Lacan et ensuite par rapport à ce même rêve le sens change d’une certaine façon, pour étayer quelque chose qui est à la fois de l’ordre de la lettre et du signifiant. Enfin je ne vais pas commencer maintenant ce que j’ai à vous dire mais on se rejoint dans cette question qui me semble tout à fait importante, et qui évidemment ne se pose peut-être pas de la même façon dans un rêve chez l’obsessionnel que chez l’hystérique.

R Chemama – Angela, ce que tu dis rappelle un point de l’exposé de Jorge que peut-être on pourrait reprendre, puisque nous nous donnons un peu de temps. C’est la question justement du sujet dans le rêve, et quand tu dis que  “ça ne suffit peut-être pas de dire qu’il est aboli”, je pense à des formulations qui m’ont toujours parues difficiles mais intéressantes – si je me souviens bien c’est dans La logique du fantasme – où Lacan dit que nul en quelque sorte ne peut dire “je” dans le rêve; il n’y a pas un sujet pour dire “je” dans le rêve. Et qui reprend, me semble-t-il, les éléments développés dans toute son œuvre puisque, ne serait-ce que … l’immixtion des sujets dont il parle dès le début…

A Jesuino-Ferretto – Qu’il reprend dans Ou… pire…

R Chemama – Absolument, donc cette histoire d’immixtion des sujets fait que on ne sait pas d’où vient la voix, quelle est la voix qu’on entend quand l’analysant nous parle; parfois on a l’impression qu’on entend sa mère…

A Jesuino-Ferretto – Voilà pourquoi j’ai mis cette formule là, c’est parce que dans le Séminaire II il va dire que le « je » du sujet se trouve dans AZ

R Chemama – Dans AZ ? Bon! On laisse quand même ça en réserve.

A Jesuino-Ferretto – C’est passionnant parce que en même temps il définit ça comme mot, il dit que c’est un mot à ce moment-là. Enfin! On va déplier ça.

R Chemama – On n’anticipe pas trop. Est-ce que les uns et les autres nous avons d’autres questions à poser à Jorge?

V Nusinovici – Jorge, la première phrase, je crois que tu as citée, c’est Freud dit : on n’interprète pas car le rêve est plus clair. Alors ça c’est formidable parce que, à la première compréhension, on se dirait que ce n’est pas la peine d’interpréter parce que c’est tout à fait clair! Tout ce qui peut être entendu a été entendu. Mais est-ce qu’on peut le retourner complètement? C’est-à-dire ce qui est plus clair c’est justement ce qui, ce qui (…) là où est recouvert tout ce qui pouvait faire perplexité par exemple, et qu’on n’interprète pas parce que c’est pas un bon terrain pour interpréter, et non pas parce que l’on serait arrivé à quoi que ce soit de vraiment intéressant.

J Cacho – Ça pose aussi une question qui me semble l’objet d’un débat aigu: C’est-à-dire que le rêve s’interprète lui-même.

C.Lacôte – Là c’est une vraie question!

V Nusinovici – Qui est-ce qui interprète? C’est une première interprétation, une interprétation sauvage.

R Chemama – Lacan dit effectivement que c’est une interprétation

J Cacho – Ça pose la question: quelle est la fonction de l’analyste? Puisque si la fonction essentielle de l’analyste selon Freud c’est l’interprétation, et si le rêve c’est lui qui interprète…

V Nusinovici – Il ne dit pas ça dans ce passage.

J Cacho – Non, c’est une hypothèse. C’est une hypothèse qui peut faire écho, comme chez les habitants de la… pas de la crèche platonicienne (rires) mais de la…

Tous – Caverne! (rires)

J Cacho – De la caverne platonicienne! C’est en effet une question qui dérive, me semble t’il, de cette expression que tu as soulignée. Alors, j’avais posé la question, « qui interprète ? », tu disais « l’un et l’autre », mais on peut aussi répondre, comme hypothèse « c’est le rêve qui s’interprète »

R. Chemama : Sur ce point, je rappelle quand même que cette question a été posée d’une manière assez vive, puisque dans un autre groupe que le nôtre, précisément Jacques-Alain Miller avait insisté beaucoup sur le fait que c’était le rêve qui interprétait ; ce que Lacan dit d’une certaine manière, mais ce qui ne veut pas dire que l’analyste devient pour autant inutile ! Puisque le risque, ce serait cela.

V Nusinovici. Lacan a dit à peu près : interprétation sauvage d’un côté, Interprétation raisonnée de l’autre…

R.Chemama. Tu pourrais nous retrouver le passage exact d’ici la prochaine fois ? Et même nous le lire, ça serait très intéressant.

Intervenant de la salle. Est-ce qu’à ce moment là ça ne serait pas le rôle de l’analyste que de fournir au patient une adresse qui lui permettrait en fait de préparer une certaine structuration dans son rêve, enfin puisque l’analyste lui propose justement ce cadre?

R.Chemama. Absolument.

Intervenante de la salle. Moi je crois que l’analyste, il réveille le patient.

J.Cacho. Il réveille ?

C.Lacôte – C’est optimiste!

J.Cacho. Le patient ne veut pas être réveillé !

Même Intervenante. C’est à dire qu’au fond ce réveil de ce grand rêve, j’y rajouterai quelque chose que j’ai entendu de Melman à une conférence au début de l’année : « nous sommes enfants du réel, c’est-à-dire qu’il nous réveille dans le sens où c’est de là que chacun est », donc c’est pour ça que si on rajoute du coté du rêve, effectivement on l’éloigne de cette coupure d’avec ce grand rêve où nous sommes. C’est-à-dire ce réveil, c’est un interview à Vincennes c’est là qu’il parle du réveil justement, et du réveil à la fin de l’analyse.

R.Chemama. Je suis assez d’accord avec vous, à ceci près qu’il y a des sujets pour qui le grand rêve dont il faut se réveiller, c’est une sorte de rêverie continuelle où ils sont pris, et justement ce sont des patients qui racontent peu de rêves au sens précis, c’est-à-dire qu’ils ne s’en souviennent pas, et parfois le fait que grâce à l’analyse ils puissent raconter un rêve, et s’arrêter sur le ‘réel’ de ce rêve, on pourrait dire, ça les réveille. C’est-à-dire que le rêve peut réveiller de ce grand rêve qu’est l’absence de rêve.

Même intervenante. Mais c’est là qu’intervient l’analyste justement je crois, parce que dans le langage on rêve ; Freud parle de la magie des mots, c’est un grand rêve, ça ! Comme si par les mots on allait arriver à.. on est pris là dedans ; et il dit, il y a quelque chose qui doit se passer, c’est plus au niveau de la c